24 septembre 2018

Décalage horaire










Lorsque tu t'endors, je veille
Et je dors quand tu t'éveilles
Tes oiseaux cessent leurs chants
Quand les miens déchirent l'air
Tes longs poissons font des bulles
Quand les miens flottent, immobiles,
Entre deux eaux de l'oubli

De ce côté-ci du ciel 
Mes étoiles s'entremêlent
Et là-bas ton soleil donne

Ma nuit se fond dans ton jour
Et mon jour c'est ta nuit claire
A midi ton minuit sonne

Pourtant dans un souffle de vent
Mes mots traversent les fuseaux
Les fuseaux or, les fuseaux air
Ces si minces quenouilles horaires
Ce décalage légendaire
inventé par les businessmen
des classes affaire
des classes à faire
A faire quoi ?
A faire quoi ? 
beaucoup d'affaires
Importantes 
beaucoup d'affaires 
inutiles

Moi je tisse une love affair
Sur ces fuseaux imaginaires
Et en fusant de moi vers lui
Sur le fil flou de notre amour
Mes mots, timides hirondelles,
viendront se poser sur sa peau
A l'instant de grâce et de sel
Sur une horloge
universelle 
Où s'abolissent les horaires
Des classes à faire 
des classes affaire





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20 septembre 2018

Curiculum











J'ai été réparatrice en ailes de papillons et libellules. Je travaillais à mon compte, bien installée sur une feuille de nénuphar. J’ai dû parfois parcourir des lieues afin de me réassortir en poudre pour Morpho Cythéritis, le roi des Lépidos. Ce bleu si splendide, irisé et magnétique ne pousse pas sous le sabot d’un cheval, hélas, mais plutôt sous celui d’une licorne. Et de nos jours, c’est une galère pour en trouver…
Plus tard, j’ai été allumeuse de vers luisants et de lucioles en ligne, en ligne directe avec la pleine lune bien sûr. C’est là que j’ai bifurqué un moment vers le métier de tisseuse de rayons argentés. Mais cela me donnait des migraines ophtalmiques, et j’ai dû renoncer.
Alors, je suis devenue épousseteuse de souvenirs, délicat travail d’orfèvre, qui nécessite le maniement adroit d’un plumeau spécial en poils d’âme nésie. C'est tout un art de chasser les mauvais souvenirs sans toucher aux bons !
Mais à force de me chatouiller les narines, cette poussière d’images anciennes un peu frelatées me provoqua des rhinites terribles, et une nouvelle fois, je dus changer d’orientation.
Je répondis à une annonce qui recherchait une empêcheuse de tourner en rond. Mais mon profil altruiste ne convenait pas. En revanche, pendant quelque temps, je fus distilleuse de larmes de saules pleureurs, très utiles dans la confection d’élixirs de joie. Mais les saules arrêtaient de pleurer en me voyant, et se fendaient le tronc : ce fut un fiasco.
C’est là que j’ai enchaîné les expériences professionnelles : rouleuse de R, metteuse de point sur les i, passeuse de rêves, dompteuse de puce électronique, peigneuse de girafe, tourneuse de pages et cireuse de bottes de sept lieues. J’ai même été raccommodeuse de vaisselle pour scènes de ménage : ça marchait bien !
Aujourd'hui, j'ambitionne de devenir doreuse de pilules, mais la formation est ardue. Et vous ? Un métier vous tente, dites ?



Pour les Impromptus Littéraires, sur une idée d'Andiamo : les petits métiers d'antan.
Dessin d'Anne Montel.

12 septembre 2018

Homéopathie, pauv' Juliette !






Les hommes, enfin, les êtres humains, sont de toute évidence de grands gosses immatures qui jouent avec le feu, et ce, depuis qu'ils l'ont découvert, sans doute par un de ces miracles que l'on appelle « sérendipité ».
La sérendipité ? Késaco ? me demanderez-vous avec votre sagacité coutumière.
Eh bien, mes enfants, c'est une conjonction d'événements fortuits qui donnent des résultats inattendus...En fait, sur un plan scientifique, c'est « trouver autre chose que ce que l'on cherchait » Et en science cela arrive très souvent...
« Parmi les nombreux exemples de découvertes et inventions liées au hasard, figurent notamment le four à micro-ondes, la pénicilline, la dynamite, le Post-it, le Téflon, l'aspartame, le Viagra, ou encore le super-amas galactique Laniakea » nous énonce sentencieusement monsieur Wikipédiatre.
Je rajouterai le roquefort, parce que c'est tellement bon !
Oui mais revenons à mes moutons. 
Toute invention, aussi géniale et sérendipitesque soit-elle, comporte une part de danger certain quand elle n'est pas maîtrisée. On voit ce que la découverte de la fission nucléaire a donné dans les années quarante...Et comment l'utilisation abusive des combustibles fossiles nous mène droit à la catastrophe. Certains commencent à s'alarmer d'une robotisation extravagante qui finirait pas se retourner contre l'humanité...
Ah...et les matières plastiques, tiens ! Parlons-en. Quelle invention suréminente et prodifumeuse c'était dans les années soixante ! Ah...Le gadget inutile sensé améliorer la vie de la ménagère...L'invasion des objets superflus et de l'obsolescence programmée...Boris Vian en avait fait une ritournelle irrévérencieuse et quelque peu prophétique...
Jusqu'à ce que l'on s'aperçoive qu'un septième continent fait de cette matière est en train d'asphyxier la mer. Que l'air devient peu à peu irrespirable dans les métropoles...
Oui mais...tellement d'intérêts financiers sont en jeu...Vous comprenez, c'est comme ça, Mame Michu...les exigences du marché, et patati et patata.
Et les médicaments...Evidemment que je ne vais pas remettre en cause certains progrès de la médecine...Evidemment que certains d'entre vous ne doivent leur salut qu'à des traitements allopathiques. Mais évidemment aussi que ce serait tellement mieux si on cherchait vraiment à guérir les gens sans aucune arrière-pensée de faire du profit sur la santé des gens.
Voyons avec quelle inconscience (ou cupidité ?) on a abusé des antibiotiques notamment. Comment on joue les apprentis sorciers avec le dépistage invasif, et tous ces examens inutiles et chers pour soigner les effets sans jamais chercher les causes. Et clairement depuis un bon bout de temps, je me demande si on ne rend pas les gens malades exprès pour leur vendre des tas de médocs qui vont les rendre encore plus dépendants et malades...Pire : je supputerais presque, effrontément,  que l'on prenne carrément les gens pour des jambons, au final.
« Quand on veut noyer son chien, on l'accuse de la rage » disait ma sage grand-mère. 
Et le reportage, l'autre soir sur les prétendus « dangers de l'homéopathie » m'a hérissé la pilosité. Il s'agissait de justifier, mine de rien, le déremboursement des petites granules placebo, qui, si elles ne font pas de bien, ne font pas de mal au moins. Parce que leur principe se fonde sur une autre vision de l'être, où le corps et l'esprit sont étroitement imbriqués. Trop subtil, presque ésotérique sans doute...Non, nous ne sommes pas qu'un assemblage d'atomes et de cellules. Oui les méthodes douces dérangent la stratégie du marché...

  Je ne sais pas vous dire comment la moutarde m'est montée au pif...Ça sentait à plein nez la collusion entre les médias officiels et les lobbies. Oui je sais, lecteurs adorés, je suis complotiste à mes heures...mais j'assume.




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08 septembre 2018

Le vieux chêne


Photo Céleste




Le jour descend dans les branches du vieux chêne. C'est un arbre à quatre troncs, solide et rugueux comme un vieux paysan. Ou un marin tanné par la mer.
Quatre troncs, un pour chaque horizon.
 Son ombre douce sertit la lumière entre ses branches, qui laisse pleuvoir de petites graines de diamants sur la pelouse. Le soleil, grosse perle blanche, passe en catimini, chatouillé par les feuilles. Comme un clin d'oeil avant d'aller au lit.
Et moi, je suis là, sentant monter des racines du ciel les points cardinaux du bien-être :  l'émerveillement, la joie, la gratitude et la paix.
Les Anciens appelaient cela la Félicité. Ce bonheur béat de l'osmose avec la nature. Cette fête du corps et de l'âme, devant ce miracle quotidien. Cette communion des sens, de l'intellect, de la matière et de l'impalpable... Tout cela a quelque chose de divin et d'orgasmique à la fois. Une fusion qui donne envie de créer, de crier, de chanter, d'exploser. 
C'est tellement simple quand ça arrive, bien que difficile à expliquer...Et pourtant combien y parviennent, dans ce monde enchaîné à ses peurs et à ses fantasmes ?
Combien savent attraper l'instant comme on saisit Kairos aux cheveux, le dieu de la permanence des Opportunités, celui qui passe et repasse sans cesse devant nos yeux aveuglés, et que seule une immense lucidité sur soi-même permet de discerner au moment où il vient. Voilà le vrai défi de la vie : choisir en pleine conscience. En s'appuyant sur ses expériences comme on compte les pierres d'un chemin.
J'ai embarqué il y a quelque temps pour un voyage de long souffle. Certains d'entre vous s'en souviennent sans doute. D'autres parmi vous ont embarqué sur ma goélette à la recherche de moi-même. Fidèles membres d'équipage. 
Après des mois de mer parfois étale et parfois déchaînée, j'aborde aujourd'hui une terre nouvelle. Le rivage en est riant. Les arbres, tel le vieux chêne, me sourient en se penchant sur mon passage. Le sable est doux.
Je vais apprendre à explorer de nouveaux paysages, l'âme et le coeur embaumés de joie.





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Merci à AlainX pour m'avoir éclairée sur Kairos.

03 septembre 2018

Sur les tableaux d'un noir profond...






L’école était au bord du monde,
L’école était au bord du temps.
Au dedans, c’était plein de rondes ;
Au dehors, plein de pigeons blancs.

 Des fleurs y grimpaient aux fenêtres
Comme on n’en trouve nulle part,
Et, dans la cour gonflée de hêtres,
Il pleuvait de l’or en miroirs.

Sur les tableaux d’un noir profond,
Voguaient de grandes majuscules
Où, de l’aube au soir, nous glissions
Vers de nouvelles péninsules.

Maurice Carême





 Ce soir j'ai une pensée pour toi, oui, toi qui vas reprendre le chemin de l'école, dans le petit vent aigre de ce matin de fin d'été.  Septembre a fourbi ses crayons, ses plumes, ses instruments et ses pages blanches. Pendant que ton cartable est encore lourd des grains de sable et de pollen que tu as volés à l'eau des lacs, aux oiseaux, aux murs de lierre.
Tes cahiers sentent l'air neuf, comme des bateaux repeints, et tes chaussures ont mal aux élastiques. Le réveil a sonné trop tôt. 
Je connais le sentiment qui t'agite : à la fois fébrile, inquiet et ébahi de te retrouver déjà là, à l'aube d'une nouvelle année scolaire qui te semble une montagne récalcitrante à escalader...
J'ai éprouvé si souvent ce pincement au coeur, et en même temps cette envie irrépressible de retourner te colleter avec la classe. Les débuts, comme les fins, enrobent toujours les coeurs de tiraillements ambivalents. Je connais ce trac, même après des années. Cette légère angoisse de la liste d'élèves, du premier contact, de la première mayonnaise : prendra-t-elle ? Ou retombera-t-elle mollement au fond du bol de tes illusions ? 
Et si tu avais perdu la formule ?
Je suis avec toi de tout coeur. Je sais, pour l'avoir aimé avec passion, que tu fais un métier lui aussi ambivalent. Merveilleux, exigeant, riche de bonheurs intenses, mais aussi chronophage, épuisant, anxiogène et parfois si déprimant... je connais ce découragement qui t'étreint parfois devant l'iniquité de certaines circulaires, et les maladies bureaucrates de l'administration qui tirent à boulets rouges sur tes forces comme sur les pis d'une vache. 
Je connais ton angoisse de faire du surplace, ou plutôt d'en avoir simplement l'impression. De voir passer les semaines plus vite que le sacro-saint programme. Alors tu vas coopérer pour effacer la solitude des soirs.
Mais je sais aussi que trente paires d'yeux vont te regarder avec candeur, ce matin. Le coeur frileux dans leurs habits tout beaux de rentrée des classes. Du fort en thème qui connaît toutes les réponses, au pitre qui cache son mal-être derrière ses pitreries.
Et que la promesse de leurs cerveaux à éclore est la plus belle récompense de ce métier vieux comme mes robes. 

A toi, l'Instit'. 
Je te dédie ces quelques mots en toute solidarité. 

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Pour l'atelier « Treize à la douzaine » il fallait placer les mots suivants:
réveil, rouge, instrument, récalcitrant, coopérer, maladie, lierre, eau, formule, escalader,  pitre,  réponse.