31 décembre 2023

2024



La grande horloge sonnera ce soir les douze coups les plus symboliques de l'année. 
Nous revoilà au pied d'un nouveau mur, derrière lequel s'étend une forêt inconnue, emplie de surprises, de pièges, de découvertes. Que s'y passera-t-il ?
Nous n'en savons rien. Nous nous la souhaitons accueillante, fraîche, enluminée d'oiseaux, aux frondaisons bercées d'un léger vent doux. Mais elle sera peut-être hostile, aux ronces épineuses et aux ombres funestes.
Alors, le 31 décembre, on a coutume de se faire la courte échelle, pour s'aider à passer de l'autre côté de ce mur mystérieux. Certains s'enivrent de bulles, pour oublier cette peur étrange qui nous saisit toujours devant l'inconnu. D'autres dansent jusqu'au matin. 
Un mur, oui. A moins que ce ne soit un pont. Ou une porte. Quoiqu'il en soit, c'est un passage. Nous n'y coupons pas.
La vie nous promène ainsi. Son chemin franchit une à une les étapes, chaque année, chaque hiver, qui nous mènent vers le dernier mur, le dernier pont, la dernière porte.
Ce qui est chouette, en somme, c'est de ne pas savoir. De garder au front l'innocence tranquille de l'enfant, qui vit dans l'instant.
Alors, pour cette nouvelle année, mes chers et fidèles lecteurs, je vous remercie d'être encore là, au rendez-vous, quatorze ans après la naissance de ce blog. Je vous reparlerai bientôt du travail que j'ai entrepris à son propos.
Je vous souhaite de vivre ce nouveau passage en cueillant des étoiles. 
L'âme émerveillée du vivant, du beau, du chaud.
En n'oubliant jamais de rire pour un rien, de sourire au destin, et de fuir les chagrins.
Portant en étendard votre joie, votre espoir. Voyagez en première classe : celle de la sagesse de vivre en regardant haut et loin.
Nagez dans le ciel, marchez pieds nus, embrassez les arbres.
Faites-vous du bien. Cultivez vos friches intérieures. Donnez et recevez avec la même joie.
Et dites aux gens que vous aimez que vous les aimez.
Et aux autres aussi. Parce que l'Amour est un pinceau magique qui donne au monde sa vraie couleur.
Je vous aime. Infiniment.

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 ˛°*      Douce année 2024 !




Et pour bien commencer l'année, j'offre à chacun de mes lecteurs, pour son commentaire, une réponse avec cadeau, un texte que j'aime et qui lui ira bien. Enfin, je pense !
❤️




  

19 décembre 2023

Nouveau soleil




Tout le monde n'est pas d'accord sur les origines du mot Noël. Marlène, ma chère professeur de yoga, penche résolument pour une étymologie celtique. 
Noël viendrait de Noio Hel, qui signifie « Nouveau Soleil ». J'aime beaucoup cette explication. Elle tient compte d'une réalité très ancienne :
Les solstices, et notamment celui d'hiver, ont toujours été l'objet de croyances et de manifestations spirituelles. Il faut dire que les Anciens, en plus de leur peur que le ciel ne leur dégringole sur la calebasse, devait vivre cette période de ténèbres comme une fâcheuse malédiction : et si le soleil finissait par disparaître à jamais derrière l'horizon ? La terreur glaciale de la nuit devait leur serrer le ventre.
Alors, quand ils s'aperçurent, au fil du temps, qu'aux alentours du 20 décembre, l'astre du jour entamait inexorablement sa remontée, ils se mirent à fêter chaque année cette renaissance de la lumière avec fastes et réjouissances. Histoire d'encourager le gros joufflu à ne pas changer d'avis ou de trajectoire.
Pour nous tous, qui sommes faits de fragments d'étoiles, la lumière, c'est la vie. Par petits sauts de puce, à partir du 22, nous allons vers le printemps, et ses senteurs de miel.
Je vous souhaite le Noël le plus lumineux qui soit, dans le partage et la gratitude, qui sont les deux seules façons de vivre de façon positive cette période. Soyez des sages, mais ne soyez pas trop sages quand même. Prenez soin de votre joie de vivre.
Je vous embrasse du fond du coeur.


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*(...'•'.. ) *˛╬╬╬╬╬˛°.|田田 |門|╬╬╬╬ .

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Joyeuses fêtes !



           e    S     t

        l                      i

    é                             n  

 C                                    e¸¸.•*¨*• ☆ 



05 décembre 2023

Une douce mort

 



C'est un petit cimetière privé, niché au creux des collines. Il rappelle le temps où les Protestants furent bannis par la bêtise des hommes et la révocation de « Lady de Nantes » comme disait San Antonio... 
Ici, en Ardèche, ce pan cruel de l'Histoire a griffé les regards bleus des anciens, sous leurs sourcils broussailleux ils n'ont rien oublié. 
Hier, le ciel plombé,  la pluie fine de fin d'automne, tenace et glacée, nimbaient les lieux de ce qui aurait dû être de la tristesse. 
En réalité ce n'était pas triste. Les deux cercueils, allongés l'un contre l'autre, témoignaient d'un fait rare : on enterrait un couple, dont l'un n'a survécu à l'autre que deux jours. Oncle Henry et tante Alice, cent ans et quatre-vingt-dix-neuf ans, ne pouvaient vivre l'un sans l'autre. Hier, ils nous ont montré qu'ils ne pouvaient pas mourir l'un sans l'autre non plus. Quel merveilleux amour dut être le leur. 
Les mésanges gazouillaient dans les ramures des cyprès séculaires. Les larmes des neuf enfants des défunts exprimaient du chagrin, bien sûr, mais aussi un grand amour filial, partagé, unanime, et les mots s'envolaient vers le ciel comme des colombes. Les pétales de roses recouvrirent les cercueils, mêlés à des pincées de cette terre rude chantée par Ferrat, et à laquelle Henry consacra toute son existence. Un agriculteur amoureux de son métier.
Le pasteur, un grand gaillard noir à l'accent ensoleillé des Antilles, ouvrait ses bras comme la statue du Corcovado. Son sourire répandait la bonté.
J'ai souri en retour, sous la pluie fraîche. 
Sous ces grands arbres paisibles, noueux, remplis d'oiseaux, j'ai pensé que cet homme et cette femme partaient comme ils avaient vécu. Droits, simples, heureux de ce qu'ils avaient, avec sans doute le sentiment très fort d'un devoir accompli. Et que, malgré les horreurs infâmes de cette accablante vallée de larmes, amplifiées par ce goût du malheur et du sang qui se répand partout comme une traînée de poudre, la mort pouvait aussi avoir de la douceur. 

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26 novembre 2023

Art




- Tu vas vraiment accrocher ce tableau dans ton salon, au-dessus de ton canapé ?
- C'est un Tuschman.
- Et alors ?
- Tu ne comprends rien à l'art, mon pauvre Serge. Un Tuschman, tu réalises ?
- Vois pas. Inconnu au bataillon.
- Ton inculture me navre, mon pauvre ami.
- D'abord, je ne suis pas ton pauvre Serge, ni ton pauvre ami. Mon compte en banque se porte très bien, je te remercie. Et puis je te le dis tout net : ce serait un Gauguin, un Renoir ou même un Antrios...Je te dirai la même chose. Ce tableau me fiche le cafard. Les deux, là...M'est avis que la nuit n'a pas été folichonne. Ça sent le couple qui se délite. Le petit matin glauque.
- Mais pas du tout, mon vieux. La fille est sublime. Et le gars a bien de la chance.
- Sublime...je ne dis pas non. Mais d'une tristesse ! Regarde ses épaules : elle porte la lourdeur du monde, cette fille, ça me plombe.
-Tout au contraire : elle reste rêveuse, encore sous le charme de cette délicieuse nuit d'amour...
-Tu as toujours été d'une naïveté, mon cher Marc ! C'est incroyable de ne pas sentir ces choses-là. Ton Tuschman, là, laisse clairement deviner son message : la vie est un tue-l'amour. Voilà un gars qui a dû avoir une vie sentimentale désastreuse.
- Pourquoi es-tu toujours aussi cynique, Serge ?
- Mais non, regarde le type : il porte un marcel blanc, et un falzar de mauvaise coupe. Je suis sûr que sa ceinture est en simili. C'est un loser, elle va le quitter. Ça ne fait pas un pli, contrairement aux draps...Quel mauvais goût, ce lit froissé ! D'ailleurs tout dans cette chambre respire le vulgaire. Jusqu'à la cuvette des...
- La fille a de la classe, admets-le. Sa peau diaphane, sa chevelure rousse...Un certain port de tête un peu alangui...
- Tu veux mon avis : tu aurais aussi bien pu te payer un poster de Deborah Kerr...Tu as acheté ce tableau juste pour elle, aie l'honnêteté de l'avouer...
- Oui, en partie. J'ai toujours aimé les rousses flamboyantes. Mais pas seulement. L'étude de la lumière est intéressante, non ? 
- Je te l'accorde mollement. Le soleil levant à travers les vitres sales d'un hôtel sordide est bien rendu...Pas de quoi crier au génie, néanmoins. On est loin des maîtres flamands. Et tu l'as payé combien, ce Rembrandt de monoprix ?
- Deux cent mille.
- Deux cent mille ? Haha ! Marc, ce n'est pas vrai ?!
- Deux cent mille, mon cher Serge. C'est un Tuschman.
- Tu as payé cette croûte deux cent mille ?
- Pourquoi dis-tu « cette croûte » avec ce petit air méprisant que tu prends quand tu montes sur ton piédestal ? De quel droit te permets-tu de parler de croûte avec ce rire sardonique ? Tu me blesses profondément !
- Du droit que j'ai d'être ton ami et de te parler franchement. Ce Tuschman est un barbouilleur, un peintre de seconde zone, qui imite Hopper, et qui plus est, l'imite mal. 
- Ah parce que tu connais Hopper, maintenant ? Soudain, je te découvre un goût pour la peinture...c'est fort de café.
- Eh bien oui, mon vieux, au risque de te décevoir, j'ai un peu de culture, quand même.
- Peut-être. Mais tu manques sérieusement d'ouverture d'esprit, c'est désolant.
- Ah ?  parce que ce pauvre huis-clos de fin de liaison fétide, dans un appartement minable sur la soixante-douzième avenue, ça t'ouvre l'esprit ? Ça t'a ouvert le portefeuille, ça, c'est certain. Un trou béant. Pour le reste...
- Pour le reste, nous demanderons à Yvan ce qu'il en pense...
- Il sera d'accord avec moi. 
- Je n'en suis pas si sûr...

***

Chuuuut ! Laissons-les continuer à se chamailler. En matière d'art, le consensus est une vue de l'esprit, mais n'est-ce pas mieux comme cela ? Les goûts et les couleurs disait ma grand-mère...
Yvan ne se sortira pas de cet impossible arbitrage entre ses deux meilleurs amis...
Toute ressemblance avec des personnages que vous connaissez peut-être, n'est pas du tout fortuite et complètement voulue.
Pardon à Yasmina Reza de m'être librement inspirée de sa célèbre pièce pour ce devoir du Goût. 
Et si vous ne la connaissez pas, c'est un pur moment de théâtre.
Vous avez 1h27 devant vous ? Foncez ! C'est ICI. Avec l'interprétation de trois géants, Vaneck, Arditi, Lucchini.



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17 novembre 2023

Un arc-en-ciel

 





Ce matin, j'ai pris le bus un peu tôt pour me rendre à la ville. Dès potron-minet, délicieuse expression dont vous connaissez sans doute l'origine. Non ? Elle signifiait simplement l'heure ou l'on peut apercevoir le postérieur des écureuils. Mais si, mais si...Et croyez-moi, je connais bien ces fripons et leur petit cul tout blanc sous leur queue en point d'interrogation. Ils viennent chaparder les graines exactement à cette heure-là...
Pour tout dire, en fait d'écureuil, c'était plutôt l'heure lycéenne. Ça m'a donné un bol de jeunesse. Je me suis revue, adolescente, à l'arrêt de la rue des Moulins, par ces petits matins aigres où le mistral s'engouffrait sous le blouson trop court. Parce que c'est bien connu, on n'a jamais froid quand on est ado, du moment qu'on est à la mode.
L'air piquait, à l'Est, les Monts du Matin rosissaient de délicate façon, faisant une lisière d'or rose au-dessus du vert foncé des arbres.
Vers l'Ardèche, au contraire, de lourds nuages gris sombre encombraient l'horizon. En contrebas, la ville émergeait de son sommeil, doucement, comme un gros chat qui s'étire, caressée par les premiers rayons. Et là, juste droit devant, est apparu un magnifique arc-en-ciel. Mais un vrai, pas un timide pâlichon. Non, un arc-en-ciel de compétition. Ses couleurs se sont mises à flamboyer. Je ne parvenais pas à en détacher mes yeux. Cela faisait comme une trombe multicolore au milieu du gris.
J'ai regardé mes compagnons de voyage. Pas un ne levait le nez de son smartphone. D'être la seule à profiter du spectacle m'a fait me sentir privilégiée. Et en même temps, un peu désappointée de voir qu'il suscitait si peu d'enthousiasme. J'ai senti monter en moi une indignation de Petit Prince, comme quand il découvre que sa rose lui a menti. J'ai eu besoin de rétablir l'ordre des choses. De partager ce prodige.
J'ai attendu que les couleurs soient à leur paroxysme, et bien visibles à travers les vitres de l'autocar. Et j'ai tapoté doucement le bras de ma voisine, tout en tendant mon index vers le phénomène.
- L'arc-en-ciel ... » ai-je dit, un peu fort car elle avait ses écouteurs fichés dans les oreilles. Elle m'a d'abord scrutée avec des yeux que mon indulgence naturelle m'empêchera de qualifier de légèrement bovins. Mais elle a daigné regarder dans la direction indiquée.
- Ah, oui, c'est beau ! Non, pardon : Awè, c bô.
Notre mini-dialogue a fait lever les yeux de deux personnes dans la rangée adjacente. Puis deux autres se sont demandé ce qu'il y avait à voir. Et encore deux. J'ai souri. J'ai repris espoir. Un petit murmure s'est répandu, là où une minute plus tôt, régnait un silence indifférent. L'espace de trente seconde, la vie m'a redonné mon rôle de transmission.
Et là, lecteurs adorés, imaginez le petit miracle : en un instant, de fil en conversation, tout un bus d'ados post-pubères a quitté l'écran minuscule pour contempler celui, immense, de la vie, où trônait « mon » arc-en-ciel. Oh pas longtemps. Mais suffisamment pour que je me sente fière de moi, d'avoir semé quelques graines de magie et de beauté dans la vie de quelques contemporains pas si abrutis finalement. Je me suis dit que tout n'était pas perdu au royaume de youtube et tik-tok. Et au terminus, un vieux monsieur m'a dit merci. Il y avait beaucoup de choses dans ce simple merci. De quoi emplir ma journée, en tout cas. 
Ça a de la gueule, non ? ce genre de petite victoire de l'inutile...

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07 novembre 2023

La Force

 





Elle parle beaucoup. Elle en a besoin. Je la soutiens de mon mieux. Elle me raconte les détails de sa lutte quotidienne, contre la méchanceté, la bêtise, l'adversité, la solitude, et sa voix me remplit d'admiration pour sa détermination, de son courage sans relâche. Oui, je l'admire, cette amie qui se bat. Le crabe n'a pas réussi à la mettre sur le flanc, elle en est sortie victorieuse. Elle mène de front sa guérison, son travail, son divorce, ses filles...
 Ce sont les petites choses qui l'aident à ne pas s'écrouler. Un arc-en-ciel, une fleur, les caresses de son chat qui est revenu. C'est tellement émouvant de l'écouter croire en sa bonne étoile. 
Lui, c'est pareil. Le sourire toujours serein, la voix enjouée, le regard clair, il a décidé de donner une chance au bonheur malgré le malheur qui l'a frappé il y a quatre ans. C'est un père de famille admirable, qui semble ne jamais flancher. Il se bat pour que la vie reste belle. Sa famille est son étendard.
Et puis cette autre elle, encore, qui soutient de ses bras, sans se plaindre, son mari frappé de cette maladie de l'âme que l'on ne sait toujours pas soigner. Seule face à un cerveau qui part en lambeaux, à une mémoire qui se déchire comme un voile, à un corps qui ne répond plus. Grande malgré la douleur infinie de l'irréversible. Semant des grains d'espoir au vent du dérisoire.
Comment font-ils, tous, les aidants, les accompagnants, les mères Térésa, les Abbés Pierre du quotidien, ceux qui restent droit debout dans la tempête malgré les écueils, et les gifles des paquets de mer ?
Baudelaire avait raison. La vie est une forêt d'obscurs symboles où nous marchons tous. A la merci des dangers.  Mais dans ce fouillis, il n'est qu'un seul phare qui éclaire la route.
C'est l'amour.
Tous ces gens ne sont pas des héros de romans. Ils existent vraiment. Là, tout près. Une amie, un parent... J'aurais pu en citer beaucoup d'autres. Vous en connaissez sûrement. Vous en êtes parfois, aussi, de ces héros de l'ombre. Ou vous en serez un, peut-être, un jour. Par un de ces détours du destin qui font basculer l'existence en une seconde. Vous savez bien, alors, qu'aimer donne une force incroyable. La seule force de frappe qui ne détruise rien.

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Merci pour tous vos messages depuis mon retour d'Egypte. 

Je n'ai pas touché terre durant ces deux dernières semaines !


18 octobre 2023

Lettres d'Egypte (11) La fin du voyage

 

Vendredi 6


Et voilà le dernier jour arrivé. Pour finir en apothéose, le programme a prévu encore de belles surprises. Cela commence par un vol en montgolfière au-dessus de Louxor. En arrivant sur le terrain de décollage des nacelles, c'est une féerie : les ballons s'élèvent dans la nuit comme des dizaines de lanternes japonaises. 
Quelle poésie !
Et puis notre ballon monte à son tour. Le jour commence à poindre. On distingue déjà les contreforts de la montagne derrière laquelle se cache la Vallée des Rois. De l'autre côté, c'est Louxor et ses deux temples jumeaux, reliés par leur allée de sphinx. C'est là que le soleil nous offre un ultime lever royal, nimbé de brume matinale. Au bout de trois quarts d'heure d'émerveillement, nous amorçons la descente, avec la chance de passer au-dessus d'un village. Des enfants nous font signe, en haut d'une maison. Ce sont des enfants aussi que nous trouverons à l'arrivée, pressés de nous demander encore quelque euros, ou les restes de notre petit déjeuner...
Dès l'atterrissage, la tête encore dans les nuages, nous nous rendons à Karnak pour la visite du dernier temple. A mon sens, l'un des plus spectaculaires, avec sa colonnade de cent trente quatre colonnes florales, ses obélisques monumentaux et son bassin de purification pour la barque sacrée d'Amon. Les colonnes florales représentaient des tiges de papyrus, soit ouvertes, soit fermées. Un prodige d'architecture.
Plus tard, dans la matinée, nous visitons une bijouterie dans un de ces « magasins d'état » dont nous avons l'habitude. Puis, nous assistons à une messe dans une église copte. J'avoue être éberluée par le cérémonial et les psalmodies en arabe d'un prêtre que l'on ne verra pas : il se tient derrière un mur. Un mélange de différents rites assez surprenant. Je suis surtout interloquée par tous ces enfants, sagement alignés debout dans l'allée centrale, attendant la communion pendant une demi-heure...C'est toujours déstabilisant de se tenir dans un endroit où l'on ne comprend rien à ce qui se passe. Retour au bateau pour boucler les valises.
Après le déjeuner, notre guide Ihab, archéologue toujours aussi passionné, propose aux courageux d'affronter le désert une dernière fois, pour se rendre sur un site de fouilles remarquable : le village des Artisans. Avec en prime la visite de quelques tombeaux remarquables, superbement décorés de couleurs stupéfiantes. Il nous faut gravir un chemin de pierre, et descndre au coeur de la terre par des escaliers si étroits que l'on doit se courber. 
Mais la sortie, malgré le poids du zénith sur nos épaules brûlantes, et les douleurs dans les jambes, valait largement le détour.

A 19 heures, nous quittons notre cabine, notre pont, notre guide. A regrets. Ce fut un voyage fabuleux, et le groupe avec qui j'ai partagé toutes ces aventures avait quelque chose de particulier. Une sorte de cohésion, bien que venant d'horizons très divers. Une bienveillance, une simplicité, des valeurs communes, de partage et d'humanité. C'est assez rare. Même si, bien sûr, l'on n'a jamais des affinités avec tout le monde. C'est la loi de tout groupe social. Je me suis sentie bien, en confiance, écoutée, et admise. C'est inestimable. 
Je sais que beaucoup d'entre eux lisent ces mots. Je sais que certain(e)s les apprécient plus particulièrement. C'est le hasard des belles rencontres.  Ils (ou elles) se reconnaîtront. Et je les remercie du fond du coeur pour ce qu'ils (ou elles) m'ont apporté. La grâce de leur présence.
Et puis vous, mes chers lecteurs, mes fidèles, qui avez suivi mes pérégrinations, mon marathon d'écriture et mes photos pharaoniques, je vous remercie aussi. Et je vais vous laisser digérer tout cela tranquillement. Car je vais partir (quoi ? encore ! ) eh oui... m'occuper de mes princesses, Sibylle, Alba et Thaïs. Vacances scolaires obligent.

Infiniment vôtre
Célestine

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17 octobre 2023

Lettres d'Egypte (10) L'âme égyptienne

 


 
Jeudi 5

C'est un jour de navigation. En une seule journée, poussés par le courant, nous nous retrouverons à Louxor, que nous avons quitté il y a quatre jours. Réveillés très tôt par le bruit des moteurs qui s'ébranlent, adieu la grasse matinée, nous montons goûter la brise douce de l'aube. Le pont est encore désert. Le café servi à bord est vraiment très bon. Un pur arabica comme je les aime.
Je plisse les yeux. Je me mets à penser à ce pays attachant, disparate, foisonnant, à tous ces regards croisés, ces sourires échangés, ces sourcils froncés parfois, ces visages étranges et familiers. Les charrettes tirées par des ânes en pleine ville, les barques de pêcheurs qui se retrouvent dans l'écluse en même temps que les bateaux de croisière,  les véhicules improbables qui ne passeraient pas le contrôle technique, les chargements invraisemblables et aléatoires... Ici, tout semble passer, aller de soi. 
Le 1° octobre c'était la rentrée des classes. Je revois ces grappes d'écoliers, d'écolières, joyeux dans leurs uniformes flambant neufs, marchand insouciants sur des routes sans trottoirs.
Ces marchands de rue, qui s'installent où ils veulent, n'importe où, sans payer aucune patente. Cette femme qui traverse l'autoroute comme si c'était un chemin vicinal, ces deux types qui réparent une roue crevée au beau milieu du trafic...Tranquilles.
Et puis il y a ces enfants qui semblent voués à eux-mêmes, à moitié nus sur leur planche de surf, accrochant leur planche aux petits bateaux à moteur pour quémander quelques euros, ou vendant des babioles aux touristes. Vont-ils à l'école ? 
Ces vendeurs de nappe qui accrochent leurs barques, aux paquebots de croisière, crient pour attirer les acheteurs, et lancent leurs marchandises par-dessus le bastingage. Une activité commerciale de haut vol, en somme...et très dangereuse. Pourtant, ça passe, là encore.
Les jeunes femmes se laissent avec grâce tirer le portrait. Les scènes de rue sont  incroyables, et m'émeuvent souvent.
Les policiers et les militaires sont partout, armés jusqu'aux dents, mais on dirait que ce n'est qu'un décorum. A chaque entrée de musée, d'hôtel et de magasin d'état, on doit faire passer son sac dans un portique, mais, soit il ne fonctionne pas, soit il bipe et on passe quand même. C'est drôle. Si j'osais, je dirais même que c'est assez folklo.
Je ne prétends pas saisir l'âme d'un peuple en quelques jours, ce serait bien présomptueux. Mais j'ai ressenti une certaine liberté un peu désordonnée, pour ne pas dire un joyeux bordel, mêlé de débrouillardise, de fatalisme et de nonchalance. De la bienveillance dans bien des regards. De l'imploration parfois. De l'insouciance chez les enfants, et du bonheur comme dans ce couple d'amoureux se tenant par la main. Je me suis dit que l'on était loin, ici, de nos règles tellement strictes, nos normes, nos interdictions, si étriquées par moment, que l'on en perd le bon sens.  
Et en tout cas, je n'ai jamais éprouvé, au contact de la foule, ce sentiment d'insécurité dont on nous abreuve quotidiennement. 
Allez, c'est cadeau : un florilège de portraits qui vous parleront peut-être davantage que mes mots.
Mon photographe préféré sera ravi.


(A suivre)