29 octobre 2011

La lettre I




  illusion, irréfragable, ivresse, infatigable, impasse, immersion, image, indicible, interstice, imbécile, itou, inhumer, inconstant, indigestion, imaginaire, irréfléchi.


Monsieur Bourgeois était un prof de littérature désabusé : l'ivresse des premières années, cette irréfragable enthousiasme de début de carrière, où l'on se sent infatigable, où l'on se fait une image idyllique du métier, cette indicible satisfaction à humer l'odeur des livres neufs, de la craie et de l'encre rouge, où le travail s'insinue avec bonheur dans chaque interstice de la vie privée, oui, tout cela était bien fini...
Au fil des années, il lui avait fallu inhumer ses illusions sous une pluie de contraintes administratives, de réformes imbéciles jusqu'à l'indigestion. Pour ses collègues, itou : tout le monde se sentait dans une impasse. L' imaginaire était en berne, il avait l'impression de passer son temps à évaluer une bande d'adolescents pré-pubères inconstants et irréfléchis. Pire, il ne trouvait plus les ficelles d'une bonne immersion dans le plaisir de lire, qui avait pourtant été son moteur durant toute sa vie.
Il soupira et quitta la salle des profs d'un pas résigné. Il lui restait huit ans et demi à tirer...











Une journée parfaite (pour le défi du samedi)
(Pour le défi du samedi, il fallait raconter un anniversaire...)

Ce matin, je me suis réveillé en me disant : « Bon sang, c'est l'anniversaire de Denise ! » Denise, c'est ma femme. Je me suis dit que j'allais rendre cette journée parfaite.
En me levant, dans l'obscurité, je me suis pris les pieds dans le tapis et j'ai terminé ma course contre la porte. J'ai allumé le couloir. Mon arcade sourcilière pissait le sang : un petit jet bien rouge sur la moquette bleue. Je me suis dit : « C'est beau, on dirait du Miro ! »
Je suis descendu à la cuisine lui préparer un bon petit déjeuner. Je me suis brûlé la main avec le grille-pain en essayant de rattraper un toast récalcitrant. Mais j'étais content de lui faire la première surprise de la journée.
Mon plateau à la main, j'ai eu l'air idiot de trouver dans le lit le traversin installé sous la couverture, version mauvaise blague de potache qui fait le mur. « Chéri, je suis partie faire du shopping, poisson d'avril ! » Ça m'a fait rire, vu qu'on était en juin. J'ai trouvé ma femme merveilleuse.
J'ai commandé un repas somptueux chez un traiteur, mais les invités ont commencé à arriver, et je ne voyais toujours rien venir. Alors je me suis rappelé que la livraison étant hors de prix, j'avais choisi la version éco « à aller chercher sur place ».
Malheureusement, j'ai oublié de noter les coordonnées du traiteur, que j'avais pioché au hasard dans l'annuaire. J'ai regardé l'annuaire. Il y avais deux cents traiteurs. J'ai commandé des pizzas.
Marie et Lucas, les ados, se sont disputés pour choisir les pizzas, pour changer un peu, et quand Denise est arrivée, ils étaient en train de se battre à coups de cacahuètes dans l’œil. Belle-maman a gueulé que ces gosses étaient vraiment très mal élevés !
Le chien a renversé la table basse en verre en voulant faire des fêtes à Denise, et Beau-Papa est parti s'installer sur le balcon parce qu'il fumait et que Belle-Maman déteste ça. 
J'ai allumé des bougies pour faire une ambiance zen, mais la nappe en papier s'est enflammée. Denise a voulu balancer le contenu du pot à eau sur la table. Ma belle-mère a tout pris dans la tronche et ça a ruiné son rimmel. Denise était désolée. 
Belle-maman est partie en gueulant dans la salle de bains, et au passage, elle a écrasé la queue du chat qui a poussé un miaulement de douleur terrible, et du coup, le chien a eu peur et il a essayé d'attraper sa queue comme il fait toujours quand il est stressé. 
Sa queue a renversé le bocal du poisson rouge qui a rejoint les débris de la table basse. Le chat a bondi sans se couper les pattes sur les morceaux de verre et il a bouffé le poisson.
Lucas a dit « J'ai la dalle, quand est-ce qu'on mange ? »
Marie a dit «  T'es qu'une tripe »
Lucas a dit « Pétasse »
Marie a dit « Ta gueule ».
« Taisez-vous ! » j'ai crié.
Denise s'est mise à pleurer, quand on a sonné à la porte. C'était le livreur de pizzas.
Pendant que je cherchais en vain de la monnaie dans toute la maison, les ados avaient repris leur rixe, et la basket de Lucas a raté sa cible pour aller se ficher dans la bobine du livreur qui, de surprise, a lâché les pizzas. « Gardez tout ! Il a dit en prenant la fuite comme s'il avait vu des ovnis.
Mon beau-frère et ma belle sœur, Gérard et Jeannette, sont arrivés sur ces entrefaites avec leur tête d'ahuris des grands jours. 
« On est en retard !... les embouteillages ! » a dit Jeannette en s'étalant de tout son long dans la sauce tomate des pizzas que le chien et le chat avaient commencé à déguster.
Pendant que Jeannette réparait les dégâts collatéraux dans la salle de bains, j'ai dit à Marie de préparer un plat de pâtes. Lucas a rigolé, je lui ai flanqué la serpillère dans les mains. Marie a rigolé. Denise pleurait un peu moins.
Mes beaux-parents sont partis prétextant qu'ils avaient soi-disant oublié leurs gouttes.
Marie a dit « Papa, il n'y a plus de pâtes, et plus rien dans le frigo ». Du coup, Gérard et Jeannette ont proposé d'emmener les ados au fast-food.
"C'est pas de refus" j'ai dit.
Denise a essuyé ses yeux. J'ai essuyé partout, le chat et le chien repus (les veinards) se sont endormis dans leur panier. Avec Denise, on s'est assis sur le canapé. On s'est ouvert une boîte de tripes.
Elle a souri. « Tu as de la sauce tomate sur l'arcade » elle a dit.
« C'est pas de la sauce tomate » j'ai dit.
Je lui ai offert sa bague. Elle lui allait comme un gant.
« Bon anniversaire, mon amour » j'ai dit.
Elle a resouri.
La journée n'avait pas été parfaite.
Je me suis dit que ma femme, elle, était parfaite.

* * * * * * * * *

Monsieur Bourgeois (pour LA LETTRE i d'Asphodèle)
(il fallait placer les mots suivants:  illusion, irréfragable, ivresse, infatigable, impasse, immersion, image, indicible, interstice, imbécile, itou, inhumer, inconstant, indigestion, imaginaire, irréfléchi.

Monsieur Bourgeois était un prof de littérature désabusé : l'ivresse des premières années, cette irréfragable enthousiasme de début de carrière, où l'on se sent infatigable, où l'on se fait une image idyllique du métier, cette indicible satisfaction à humer l'odeur des livres neufs, de la craie et de l'encre rouge, où le travail s'insinue avec bonheur dans chaque interstice de la vie privée, oui, tout cela était bien fini...

Au fil des années, il lui avait fallu inhumer ses illusions sous une pluie de contraintes administratives, de réformes imbéciles jusqu'à l'indigestion. Pour ses collègues, itou : tout le monde se sentait dans une impasse. L' imaginaire était en berne, il avait l'impression de passer son temps à évaluer une bande d'adolescents pré-pubères inconstants et irréfléchis. Pire, il ne trouvait plus les ficelles d'une bonne immersion dans le plaisir de lire, qui avait pourtant été son moteur durant toute sa vie.

Il soupira et quitta la salle des profs d'un pas résigné. Il lui restait huit ans et demi à tirer...

27 octobre 2011

De précieuses graines

Elle rentre de quelques jours de bonheur simple. La mer grondait magnifiquement sur les rochers, ses enfants heureux sentaient le vent .
Le vent marin. L'iode. Le sel de la vie. 
Ses parents allaient bien, ils sentaient l'âtre, au cœur de leurs montagnes saupoudrées des premières neiges automnales.
Elle revient en même temps d'un nécessaire voyage en elle-même. Elle aime cheminer ainsi , sur la grève et dans ses pensées, et se dire qu'elle a  toutes les raisons du monde  d'être contente. Au sens premier du terme.
Plus l'heure est morose, et la conjoncture incertaine, plus elle sait que la lutte pour un monde meilleur est nécessaire, mais aléatoire et épuisante, plus elle sème et récolte, au fond d'elle, les graines du bonheur personnel. Celui que chacun doit rechercher, celui que chacun peut trouver quand il a l'essentiel. Posséder l'essentiel. Avoir un toit pour se réchauffer et s'abriter, de quoi boire et manger , une famille joyeuse et vivante, une bonne santé, un métier passionnant, une tête pas trop mal faite et assez bien remplie, et cette faculté précieuse de continuer à s'émerveiller, année après année. Posséder aussi un peu de superflu, juste assez pour ne pas en être esclave, juste assez pour enjoliver d'une jolie cerise bien rouge le gâteau  déjà bien appétissant de sa vie. Un gâteau confectionné avec les plus beaux verbes de la langue française.
Lire, écrire, sortir, rêver, marcher, voir, écouter, goûter, jouir, voyager, découvrir, discuter, chanter, danser, courir, sourire, s'émouvoir, admirer, s'envoler, s'enflammer, aimer...quelle farandole! 
Alors oui, bien sûr , elle ne démord pas de sa ligne de mire: elle n'a pas le droit de se plaindre, puisqu'elle a tout. Parfois, elle ressent le vide, le manque existentiel, et ça lui fait mal, parce qu'elle est un être humain, avec ses faiblesses, et qu'elle a le droit aussi d'avoir l'impression que tout va mal. Parfois.
Mais quand elle revient de la mer, apaisée par le lent mouvement du ressac, et le miroitement des rayons du soleil sur la crête des vagues, emplie d'une joie durable et vraie, elle pense que la vie est magnifique , et qu'il serait ridicule de geindre. Elle garde son énergie pour penser à ses amis. L'ami terrassé par la maladie en l'espace de deux mois, l'amie qui voit son père s'éteindre lentement, comme une bougie, l'ami qui va perdre sa femme, celui qui n'a plus d'argent, celle qui n'a pas eu d'enfants, celui qui vient de perdre son boulot, celle qui se bat contre son ex, son patron, ou ses ados ou les trois à la fois. Ceux qui pleurent, qui se battent, qui souffrent.
Tous ceux qui n'ont pas de chance, qui ont du malheur, momentanément ou habituellement. Parfois presque structurellement.
Sa chance à elle, elle ne le fait pas exprès, c'est de savoir transformer ses épreuves en force.
Il lui en faudra pour plus tard, quand elle aussi se retrouvera, comme tout le monde,  en face des coups du sort que la vie lui réserve. La tristesse, les infortunes, les déceptions, la dépression, les revers, la maladie, la mort, rôdent comme des loups autour de chaque vie. Elle le sait. Elle sait que les loups ont peur du feu, de cette flamme qui l'anime. Elle les tient en respect, pour l'instant. 
Mais elle sait aussi que les épreuves viendront, de toutes façons. Ce sera le moment, alors, de retourner s'asseoir sur le promontoire , face à la mer, et de puiser en elle les graines du bonheur personnel.
C'est pour cela qu'elle s'entraîne, régulièrement, secrètement, à jardiner.

photo Célestine

25 octobre 2011

Interlude 1







Emprunté à Croukougnouche, ce petit hamster rigolo...

22 octobre 2011

Inspirez...soufflez!...

Dix heures...j'émerge d'une nuit sans rêves, d'un sommeil capiteux et très...reconstituant. J'ai évacué rapidement les derniers miasmes de la semaine,et de la rentrée, et me voilà regonflée  pour un petit moment de vacance. 
Sans "s",comme dit mon amie Zénondelle. "La" vacance, autrement dit la vacuité de l'espace-temps: Un moment où notre esprit "vaque" et se met à battre la campagne, un moment où l'on en profite pour se remplir, parce qu'on est vidé...Ça se tient, ce raisonnement, j'aime bien. Il faut dire que Zénondelle est une philosophe, doublée d'un beau brin de plume.J'aime me perdre dans le goût subtil de ses phrases dont chacune donne généreusement à réfléchir sur l'être et le néant...
Et là, je vais avoir le temps, chouette! 
Je vais lire quelques livres qui m'attendent patiemment dans ma pile.
Je vais contempler le sourire de mes enfants, aller chercher ma commande d'iode et d'oligo-éléments que j'ai passée à Madame la Mer, vérifier l'odeur des pins, et si la trace de mes pieds dans le sable mouillé est toujours la même: légère et insouciante. 
Je vais trainer mes pieds dans les immenses tas de feuilles roussies, comme quand j'étais petite. 
Et ramasser des girolles dans la montagne. Je vais parler de la vie avec mon père, le taiseux, et écouter celle de ma mère, la bavarde.
Je vais ouvrir mes volets pendant deux jours sur ce paysage:
Puis deux jours sur celui-ci:

Et enfin deux jours sur celui-là:

C'est les vacances: Yesss! Youpi! Inch Allah! Eurêka! Wouaouh! Alléluia! Ouf!(cochez la mention choisie)
Allez je vous laisse, je vais préparer mon sac. Vous me manquez déjà.

Photos internet





20 octobre 2011

VDM*

              Aujourd'hui, une collègue me confie  un CD plein de bonnes idées pour enseigner l'anglais, et me demande de les imprimer. J'ouvre.  191 pages! J'en ai pour trois heures...et une cartouche d'imprimante!
              Je dois remplacer au pied levé l'agent de permanence, qui est malade, passer  dans les classes relever les tickets de cantine, préparer le café, gérer les entrées et les sorties des élèves qui partent chez l'orthophoniste ou l'ergothérapeute, appeler les parents de ceux qui ont envie de vomir, essuyer quand ils n'ont pas eu que l'envie, bref, la journée commence bien! Pas de remplaçante  pour elle. Je dois me débrouiller.
               J'ouvre la boîte mail : la conseillère pédagogique a perdu mon dossier de classe de découverte, elle n'arrive plus à rentrer mes identifiants dans le logiciel. Le CMPP* m'appelle: une maman a oublié de venir chercher son fils, ils ne savent pas comment la joindre. Je dois remplir une nouvelle enquête sur un logiciel barbare du nom de BAOBAC*, je dois renvoyer les horaires d'une future AVS* d'ici 11h30 pour que son contrat soit validé, la mairie a égaré la commande d'une collègue qui attend toujours ses manuels depuis la rentrée, le PPMS* est remplacé par le DUER*, des heures de boulot qui partent en fumée!
               Les cours d'ELCO* commencent aujourd'hui et j'ai oublié de prévenir les élèves. pfffffiouuu!!!
              A midi, Conseil des Maîtres, je suis contente: on avance. Je tape le texte de l'avenant au règlement que nous avons voté. Je réussis à faire dans les temps les deux cents photocopies pour les familles. Et je m'aperçois que j'ai fait une faute d'orthographe.          
            L'inspectrice se pointe en début d'après-midi chez une collègue qui est sous-pression depuis une semaine. Après la récré, elle me demande de garder 10 minutes les élèves, finalement l'entretien dure presque une heure.Je leur ai appris trois chansons et chanté deux berceuses, je n'ai pas réussi à les endormir. En partant , L'inspectrice me bassine avec le LPC*, les PPS* et les PPRE*.  
               
                  A dix-sept heures cinq, un collègue me demande de l'aider à voter en ligne pour les élections professionnelles, car il ne maîtrise pas l'informatique.  Le vote s'arrête le 20 octobre à 17heures.
                   Demain,j'ai la même journée, mais avec mes élèves en plus. VDM*...



Petit glossaire non exhaustif à l'usage des profanes:
CMPP Centre Médico Psycho Pédagogique: grosse machine à aider les élèves en difficulté quand les maîtres n'y arrivent pas tous seuls.
BAOBAC BAse d'OBservation des ACcidents scolaires: grosse machine à faire des statistiques sur le nombre d'élèves mal surveillés qui se foulent des chevilles dans la cour de récré.
AVS Auxiliaire de Vie Scolaire: dame précieuse mais très mal payée qui aide les élèves handicapés à trouver la vie moins dure.
PPMS: Plan Particulier de Mise en Sécurité: gros pavé très long et très chiant à remplir  mettant noir sur blanc toutes les procédures qui ne seront pas appliquées en cas de réelle alerte de séisme ou d'accident nucléaire, parce que ce sera la panique.
DUER: Document Unique d'Evaluation des Risques: document qui renvoie aux oubliettes le précédent.
ELCO: Enseignement des Langues et Cultures d'Origine: les enfants disent le cours d'arabe et ils ont bien raison.
LPC: Livret Personnel de Compétences: ramassis d'items saucissonnant les savoirs en "compétences" aussi faciles à évaluer que de savoir à 3 mètres si une mouche est mâle ou femelle.(exercice "institutionnel", donc obligatoire, s'apparentant à la très célèbre "sodomisation des diptères")
PPS Projet Personnel de Scolarisation: papier qui établit qu'un élève handicapé a droit à des aménagements particuliers( on n'y aurait pas pensé sans cela)
PPRE Projet Particulier de Réussite Educative: manière judicieuse et polie  de demander aux parents de faire réciter les leçons à leur enfant...
VDM Vie de Merde (voir le célèbre site d'humour)...

18 octobre 2011

Encore heureux qu'on va vers l'été...*

J'ai décidé
D'un commun accord avec moi-même
de prendre l'hiver à contre-pied.
J'ai l'été derrière mes paupières
Et suis fermement décidée
à courir pieds nus sur la grève
ivre de sable et de vent
par la pensée
Quand le froid deviendra mordant
N'est-ce point une bonne idée?




*Je relirais volontiers, aux longs soirs d'hiver,  ce roman doucement anarchique
de Christiane Rochefort , que j'ai dévoré à quinze ans...

16 octobre 2011

Râler ou s'indigner

Et si on se posait la question , une bonne fois pour toutes, de  la différence entre ces deux verbes qui semblent si proches. Lorsque je m'indigne,  d'aucuns me reprochent de râler. La subtilité sémantique leur échappe sans doute.
Alors comment distinguer le râleur de l'indigné?

Le râleur n'est jamais content de son sort. Il rouspète à la moindre occasion, refusant de considérer le verre à moitié plein, il ronchonne, il marmonne, il maugrée. La viande n'est pas assez cuite, ou trop, au travail rien ne va, en vacances il s'ennuie, quand il fait beau, il vitupère contre la sècheresse, quand il pleut il est d'une humeur de chien. Le râleur est seul dans son coin, il se lamente en général contre l'inéluctable, et ne génère aucune énergie collective pour tenter de  changer l'état de fait. Ses cibles de prédilection sont des entités sans nom, des concepts flous. "Ils" ou bien "on". Ça lui évite de se remettre en question, de supposer avoir une part de responsabilité dans ce qui lui arrive. Même quand il n'y a pas vraiment lieu de le faire, et qu'il sait qu'il rentrera dans le rang de toutes façons, il râle quand même. Pour la forme, il dit. Parce que c'est dans sa nature. En un mot, le râleur n'est pas très constructif.

Dans les médias, on aime bien jeter le trouble en mélangeant les cartes: n'ai-je pas entendu moult fois traiter les grévistes ou les syndicats de râleurs? Pourtant, les vrais râleurs sont ceux à qui on donne systématiquement la parole, le pauvre usager et  la pauvre mère de famille qui ne peuvent plus faire garder leurs enfants ou prendre leur bus pendant une journée entière! Les dilatés du nombril pour qui le monde s'arrête à chaque grève, et qui ne mesurent pas que s'ils en sont là où ils en sont, c'est parce que des générations d'indignés se sont battus.

Oui, d'indignés.

L'indigné, lui, aurait sûrement aussi des raisons de râler, dans sa vie quotidienne. Mais souvent,  il trouve que dans ce domaine, il est plutôt bien loti. Il apprécie ce que la vie lui donne, mais ce qui le rend fou, c'est l'injustice, l'ignominie, les abus de pouvoir, la persécution. Et surtout beaucoup de mots en "isme". Alors il préfère garder son énergie pour dénoncer, protester contre des choses qui arrivent le plus souvent  à d'autres. D'autres plus faibles, plus fragiles.D'autres qui n'ont plus son courage et sa force.
D'ailleurs, s'indigner ne se fait jamais tout seul dans son coin. Les indignés se rassemblent parce qu'ils estiment que leur cause est juste, et bafouée. Ils veillent au grain, et refusent de voir piétiner leurs légitimes préoccupations,leurs convictions et leurs valeurs.
L'indignation est toujours une forme de courage. Dans certains cas, c'est même de l'héroïsme. L'indigné s'interpose parfois témérairement  pour défendre une personne agressée, là où le râleur se contente de grogner en se faisant tout petit: "Mais que fait la police?"...
En résumé, je dirais que l'indignation est une vision plus large, plus réfléchie, plus philosophique, bref moins étriquée, des problèmes humains...
Mais, bon, ça n'engage que moi...et quelques millions d'autres...La marche des indignés Madrid/Bruxelles

15 octobre 2011

La rouquine

 Dès potron-minet, les chats du quartier assis en rond chauffent leurs moustaches aux rayons vanillés du printemps. Les gouttières perlent de l'averse de la nuit, l'aube fait frisotter les brins de pelouse.
-Et au fait, les gars, elle habite où ça, la nouvelle,  là, la rouquine ?
-T'es bien curieux, Méphisto ! Ne me dis pas que tu en pinces pour cette bourgeoise au pelage carotte ? Elle n'est pas pour toi,  tu t'es bien regardé ?
Celui qui vient de dire ça prend des mines de fin connaisseur. Un matois aux yeux fendus en pistaches. C'est Arsène, le chat de la Mairesse. On dirait qu'il s'est déjà réservé les faveurs de la belle.
-Moi je sais où elle crèche ! Dans la petite maison grise à l'entrée du village ! dit Homère, le gros chat blanc de Lucienne, l'épicière, un diabétique nourri à la crème et aux berlingots.
-Il est bizarre le type qui s'est installé là. Pas catholique. Patibulaire mais presque...
-Ha ha ! Très drôle, Méphisto, mais ça n'est pas de toi, pontifie Waterloo, le chef de la bande, un greffier sérieux comme un pape, borgne, et pelé comme un kiwi.
-En attendant, je le trouve louche, moi aussi, ajoute Lexomil, le chat du pharmacien...
-Chut! la voilà !
-Elle est quand même sacrément belle, cette minette, se pourlèche le pauvre Méphisto pendant que ses congénères se tiennent les côtes devant son air déconfit.
-Croyez-vous que je ne vous entende pas, messieurs, aiguiser vos griffes sur mon dos et celui de mon maître ? Sachez que celui-ci est le meilleur des hommes. Il m'a installé chez lui une vraie petite maison rien que pour moi...une jolie maison en forme de roulotte, dit la rouquine en levant son fin museau vers le soleil.
-Pff, tu parles, dans la boîte aux lettres...
-Et pourquoi pas ? De toutes façons, il ne reçoit plus de lettres... La chatte, pensive, marque un temps d'arrêt.
-Si vous l'entendiez quand il me joue Chopin au piano, ses cheveux soyeux en bandoulière! Il me sert dans des assiettes de satin, il m'accroche des perles de lune dans le cou. J'ai de petits mouchoirs de miel pour m'essuyer les babines, et de doux chaussons de guimauve pour défroisser mes pattes au crépuscule. Ma petite maison bleue est tapissée de velours et des calicots de brume rose pendent aux fenêtres. Il me traite comme une reine.
-Ben, dis donc, la rouquine, tu es donc toute sa vie! soupirent tous les chats en chœur .
La jolie petite bête a fait son effet dans le cercle des matous.
Ils restent cois. Plus aucun n'ose parler.
-Il est veuf. Et à propos, mon nom est Desdémone. C'était le nom de sa femme. Une belle rousse.

Pour le défi du samedi, il était question d'une boîte aux lettres...


Je demande pardon à Tant-Bourrin qui m'avait mis un joli commentaire, mais j'ai dû ré-éditer mon billet pour cause de bug. Monsieur blogger m'avait tout bloqué, je devrais d'ailleurs l'appeler Monsieur Bloqueur...

12 octobre 2011

Je voudrais écrire l'ineffable

 
Je voudrais écrire l’ineffable. Je suis comme un peintre qui veut saisir sur sa toile une odeur, un désir, un élan, toutes les choses vitales et évidentes, mais inaccessibles .
                       J'aime l'ineffable. La vie en est pleine, pour peu que l'on y prenne garde. 
Cette joue , ce velouté avec laquelle joue le soleil à contre-jour, dans l'or du soir.
Le dessin brillant du trajet d'un escargot sur la vitre, qu'il a laissé, dérisoire trace de lui-même, allégorie de nos perpétuelles prétentions d'importance.
                       Un pétale de rose qui tombe sans bruit, comme au ralenti, brisant d'un coup  la belle ordonnance d'un bouquet que l'on croyait éternel.
                        Éternel...Éternité...Sentiment d'éternité.
Tiens, oui, ce sentiment d'éternité, si fugace, qui nous serre la gorge. Car inextricablement mêlé à notre sentiment de finitude. On regarde un arbre,centenaire, en contre-plongée, splendide frondaison, on se sent grand et petit, éphémère et immortel à la fois. On se demande: "Et si demain ?..." Demain...Notre voix se casse à l'énoncé de cette simple question. Vertige existentiel. 
                    La crinière au vent d'un cheval de Camargue, trois notes de guitare et mon esprit bat la campagne. Un homme. Il est beau. Il pleure. Sa grande carcasse de muscles est pliée de chagrin. Les larmes d'un homme. Indicible émotion.
                   Ce parfum de vétiver s'entête à me poursuivre. Images subliminales. Battements de paupières. Gorgées de thé à la menthe. Yeux en amandes. Ciel d'orage.
Je voudrais écrire l'ineffable.Mais il ne fait que me frôler, et j'ai à peine le temps de l'effleurer qu'il s'est changé en fumée.

La photo est de Gilbert Garcin, un photographe que j'aime beaucoup.

09 octobre 2011

De tout et de rien

Le nouveau petit félidé domestique de sexe féminin de ma fille (je dis ça parce que si je commence directement un billet par "la chatte de ma fille", ça ne va pas le faire, comme on dit, et je risque d'exciter les moteurs de recherche, voire les sbires de la Brigade des Mœurs qui traquent toute trace de pédophilie et autres perversions sur le net) ce félidé, donc, s'étant révélé après coup et après mûre observation, être un représentant de la gent masculine, a subitement changé de nom. Hop, Mango est devenu Cookie sans autre forme de procès. Pas de formalités, de longues heures d'attente devant des bureaux préfectoraux, pas de dossier compliqué, de démarches administratives,  d'indemnités, de timbre fiscal, de délais règlementaires, et autres joyeusetés inventées par les hommes pour se compliquer l'existence...
L'automne est arrivé à grand fracas, ce qui signifie chez nous baisse substantielle des températures, ciel plombé, vent déchaîné, feuilles virevoltantes.
C'est un week-end de retrouvailles familiales, qui me permet d'oublier la tempête des dernières semaines, de goûter à une sérénité qui revient peu à peu.
 Un peu éloignée des blogs, mais pas de l'écriture, j'ai trouvé un moment pour participer au concours de nouvelles organisé par mon journal de télé favori.Une nouvelle qui devait contenir 2011 signes, pas un de plus, ni de moins. Voilà un défi qui me plaît.
Un petit rayon pâlichon est venu caresser le jardin vers dix heures ce matin, pour se cacher bien vite. Comme un signe d'espoir.
Une possible alternance du pouvoir se joue peut-être ce dimanche, avec les primaires. J'irai voter sans fièvre, un peu mollement. Mais j'irai. Tant qu'un pays demande son avis au peuple, c'est qu' il n'est pas encore trop atteint dans ses fondements.
Les enfants vont et viennent, repartent trop vite.
C'est un dimanche de tout et de rien.
Les blessures pas tout à fait cicatrisées se planquent sous la pommade de l'alanguissement automnal.


02 octobre 2011

Cursed week

C'est marrant comme les sentiments négatifs éprouvent durement le cœur et le corps. Enfin, marrant, façon de parler. Je sors vidée de cette semaine. Essorée, rincée, lessivée en un mot. 
Au final, il vaudrait mieux en rire, parce que trop c'est trop, mais la fatigue émousse le sens de l'humour...
Voyons le tableau:
Lundi, inquiétude de ne pas y arriver, stress de l'énormité de la tâche, rire nerveux devant les demandes de l'administration, qui s'amoncellent, toujours plus vides de sens, toujours plus ridicules, inutiles  et chronophages.
Mardi, colère, indignation, révolte, ingrédients habituels d'une journée de revendications  fortement déprimante. Toute la journée on nous dit que tout va mal, et que l'horizon est bouché, pas la moindre étincelle d'espoir dans des discours syndicaux pessimistes et résignés.
Mercredi, deuxième couche de sinistrose à la réunion d'info syndicale. Nan mais, réveillez-vous, les gens, ce n'est pas comme ça que l'on motive le moral des troupes!
Jeudi, tristesse, impuissance, incompréhension de voir emmener par les services sociaux deux élèves en placement provisoire, deux enfants broyés par la machine judiciaire et les déchirements des adultes autour d'eux. Un moment très dur.
Vendredi, agacement,  par rapport à des parents d'élèves ayant des comportements de "clients" prenant l'école pour une marchandise, et le bureau pour un "service après-vente", certains  viennent se plaindre de X,  et  contrariété de constater malheureusement que certaines critiques sur X  sont fondées.
Effarement devant la réaction de X, qui nie en bloc, ne s'excuse pas et persiste dans son erreur.
Self-control épuisant pour dissiper un malentendu avec une autre maman, avec des tonnes de diplomatie et de pommade.
Sentiment de solitude, d'écrasement, comme si les murs et le plafond du bureau se rapprochaient lentement, vieille ficelle des films d' angoisse.
Samedi, Inquiétude, stress de l'énormité de la tâche, rire nerveux devant les demandes de l'administration, qui s'amoncellent, toujours plus vides de sens, toujours plus ridicules, inutiles  et chronophages.(Hein, je l'ai déjà dit? ah ben, oui, c'est le fil rouge de la semaine)
Déceptions tous azimuts, lassitude, fatigue générale.
Hé, psstt? t'es où, l'ange gardien?  Tu fais pas ton fier de m'avoir laissé tomber, hein?
Je vais bien vite remonter sur mon nuage, me remettre en mode optimiste, ne pas écouter les infos ou les rumeurs, parce que là, les deux pieds dans la bouse, je n'arrive pas à avancer. Si c'est ça, être "réaliste" je préfère me remettre à rêver.
Et barrer de ma vie cette semaine maudite.
Il fait beau. Demain sera un autre jour.