Sous-titre : indécrottable...
J'ai une image de l'enfance.
Je suis dans la cour de l'école. Je ne me rappelle plus le temps qu' il peut faire. Peut-être une de ces journées d'automne où le ciel coule comme de l'encre délavée sur les feuilles roussies.
Ou bien un matin de printemps avec un soleil en auréole sur les marronniers en fleurs.
Bref, peu importe. C'est la récré, j'ai sept ans, et j'essaie de me faire des amies parce que mes parents viennent juste d'emménager, que je suis encore la petite nouvelle, et que pour l'instant les filles se moquent de mon accent et conspirent entre elles avec des gloussements de pies.
L'une d'elle me fascine, avec ses cheveux coupés comme un garçon et son air conquérant. Elle s'appelle Gabrielle. Je la vois encore. C'est fou comme un souvenir peut rester net, après tant d'années...Elle me dit viens, on va jouer. Elle se place derrière moi et me donne la règle du jeu: il s'agit de me laisser tomber en arrière, les yeux fermés, et que je ne m'inquiète pas: elle me rattrapera...je dois avoir à peu près la tête de la petite fille de la photo, les fleurs en papier en moins...
Gabrielle ne m'a pas rattrapée. Je me suis étalée comme une grosse merde molle sur le macadam de la cour, sous les rires idiots de ses copines. Lâchée par une fille au prénom d'ange en qui j'avais mis toute ma confiance. Je n'ai jamais oublié la douleur qui a transpercé tout mon être à cet instant-là. Mon amour-propre, ma naïveté, ma candeur laminés en en une seconde. Des étincelles dans le coeur. Comment pouvait-on être si méchante ?
J'en ai gardé une fragilité, bien sûr, qui a sans doute influencé en partie mes relations aux autres. Mais aussi, paradoxalement, une force inoxydable.
Bien sûr la trahison m'est toujours difficile à vivre et l'ombre de cette peste revient me picoter à chaque fois que je me sens blousée. Ah ! Gabrielle, tu brûles mon esprit...
Son geste, qui relevait de l'inconscience d'une enfant, aurait pu avoir de fâcheuses conséquences en me laissant à jamais paraplégique. Ou faire de moi une misanthrope aigrie et méfiante.
Mais en me préservant du pire ce jour-là, je me dis que le destin m'a comme indiqué la voie, et donné le goût absolu de ce miracle permanent, ce havre, cette consolation magnifiques.
Elle est là, ma force: je fais encore confiance à l'existence. Vous vous rendez compte...Indécrottable...A mon âge et à l'heure qu'il est. Je me relève, et je repars la fleur au fusil. Oui, malgré tout, la Vie, c'est ma terre happy...
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Musique : Solas.