Depuis la nuit des temps, on dit, on chante, on chuchote, on raconte, on écrit le bonheur, la douceur d'être mère. Oh oui, qu'il est doux de sentir la vie en soi,et qu'il est heureux de contempler l'œuvre de sa propre vie, de suivre pas à pas ces petits êtres frêles et de les voir s'accomplir, devenir grands et forts ! La fierté d'une mère rosit ses joues bien mieux qu'un blush.
Mais lorsqu'on entre en maternité, comme on entre dans les ordres, qui nous prévient du tour que vont nous jouer notre cœur et notre raison? Qui nous raconte ce qu'une mère endure dès le premier cri du nourrisson, dès même la rencontre triomphante ou hasardeuse du spermatozoïde avec l'ovule?
Qui nous met en garde contre ce sentiment dévorant, insidieux, rongeant, obsédant, et qui s'appelle la CULPABILITE ?
Non, personne ne peut nous dire à l'avance combien être mère, c'est se sentir coupable, quoi que l'on fasse. Coupable de ne savoir répondre à cette simple mais irréfragable question: "Suis-je une bonne mère?" Ah Saint Freud, Saint Lacan, Sainte Françoise Dolto, Saint Jacques Salomé, venez à mon secours! Suis-je une bonne mère?
Suis-je une bonne mère justement parce que je me sens coupable?
Coupable, oui, d'avoir des enfants alors que certaines n'ont pas eu cette chance, coupable d'avoir des enfants en bonne santé alors que certains se débattent contre la maladie, pauvres anges blessés. Coupable d'avoir de beaux enfants, alors que certains sont difformes ou franchement laids. Coupable d'être fière de leur intelligence, alors que d'autres semblent avoir été oubliés à la distribution de neurones.
On les couve, on les protège et nous voilà coupables de les étouffer.
On les engage à se débrouiller seuls, on les responsabilise, et aussitôt on se dit qu'on les délaisse, qu'on les néglige...et ça nous ronge.
On s'accorde un moment de tranquillité, on relâche un peu la pression, on s'abandonne au plaisir d'être simplement une femme, et soudain, on s'aperçoit qu'on a oublié Jules au judo et le biberon de Marie dans le micro ondes! Culpabilité maximum!
C'est ma faute s'il s'est enrhumé, c'est ma faute s'il a raté son match, s'il s'est trompé en jouant sa partition, si elle a arrêté la danse, si elle n'aime pas les salsifis...Mea culpa, mea maxima culpa!
Rien ne s'arrange lorsqu'ils grandissent, et que les voilà devant des choix de vie.
On les conseille, on les pousse dans une voie: nous voilà coupables de les influencer, de ne pas leur laisser leur libre-arbitre. Et si ce n'était pas la bonne voie?
Alors on ne dit rien, on les laisse choisir, et la petite voix revient à la charge: " Et s'ils n'arrivaient pas à se décider? S'ils nous reprochaient plus tard de ne pas les avoir guidés?..."
C'est bien simple: être mère, c'est se sentir coupable tout le temps, toujours vaguement coupable même de n'avoir rien fait, et le pire, ce sont les (rares) moments où l'on essaie de se raisonner, de s'évader de cette culpabilité et de penser enfin un peu à soi. Alors, il arrive , oui je sais, cela peut sembler tordu, que l'on culpabilise de ne pas se sentir coupable...
Enfin, bonne fête quand même à toutes les mères, et à notre mère à toutes, Eve...