11 mars 2025

Lettres du Kenya (4) Prodigieuse diversité

 


Ce qui étonne et transporte, ici, c'est cet incroyable jaillissement de la vie, sous toutes ses formes. Le minéral, le végétal et l'animal se combinent comme pour étonner l'œil du voyageur. On ne s'attend pas à une telle richesse, de formes, de paysages, et même de climats. 
La savane sèche, arbustive, laisse place à des zones plus escarpées, où les volcans modelèrent jadis la terre de leurs fureurs fumantes : ainsi, l'immense coulée de lave de Shetani, dont le noir Soulages contraste avec le sable ocre de la piste.

Aux alentours de certains points d'eaux, on trouve une profusion de plantes équatoriales, un entrelacs de lianes et d'arbres géants aux feuilles larges comme un paréo, des insectes étranges, libellules rouges, araignées à ventre doré. D'autres mares, en revanche, sont comme un miroir d'espoir au milieu d'une sèche immensité.

La savane s'étend à perte de vue sous l'oeil majestueux du Kili. Ponctuée de ces acacias en forme de parasol terriblement photogéniques. Plus loin, on trouve des étendues d'eau bordées de papyrus, dans lesquelles se prélasse le seigneur du fleuve, l'animal si placide et pourtant réputé un des plus dangereux du monde : j'ai nommé l'hippopotame. 
La diversité explose surtout à travers la faune. 
Ici, quand j'aperçois un chevreuil, voire deux, c'est un événement qui me plonge dans le ravissement. 
Là-bas, des troupeaux entiers traversent les pistes sous nos yeux médusés, à dix mètres de nous. Girafes, gnous, zèbres, antilopes, gazelle de Grant et de Thomson (ne pas les confondre !) éléphants, phacochères, zébus, bubales, autruches, buffles, hyènes, vautours, et tous vivant en harmonie, loin de la foule déchaînée...

Faire le voyage avec des fondus d'oiseaux, dont un maître de conférence dans une grande université du nord, excusez du peu,  m'a permis d'apprendre quelques spécimens aux noms poétiques et au plumage photogénique que je n'avais jamais vus. 
Les charmants tisserins, grands bâtisseurs de nids suspendus, aux plumes jaune orangé du plus bel effet. La grue couronnée, une merveille de délicatesse. Et aussi le dendrocygne, le jacana, l'ouette d'Egypte, l'ibis noir, le merle électrique, (à cause de ses plumes bleues s'allumant au soleil), l'ibis falcinelle, l'œdicnème, et l'alcyon pie. Sans compter le francolin à cou jaune, le rollier, le serpentaire (appelé aussi secrétaire) et le dacnis.

J'en oublie évidemment. Il ne s'agirait pas de transformer la magie du voyage en énumération fastidieuse. 
Regarder. Admirer. S'émerveiller. 


à suivre 





























06 mars 2025

Lettres du Kenya (3) Les gris et les ocres

 


La plaine est immense, dominée par la Montagne qui donne la Vie, sa majesté Kilimandjaro. Heureuse première surprise : les neiges sont bien là. La saison des pluies a été particulièrement généreuse en eau. Couronnant de blancheur le sommet du toit de l’Afrique, elles scintillent dans la lumière rose de ce matin. Magique. 
Altitude 5895 mètres pour ce volcan pharamineux marquant la frontière naturelle entre la Tanzanie et le Kenya. Même si les hommes ont décidé bizarrement qu’il appartenait tout entier à la Tanzanie. Polé polé, s’exclame Vincent notre guide. Il est chez eux mais c’est nous qui en avons la plus belle vue.




Et c’est vrai qu’il est beau. Au premier rayon de l’aube, à travers les arbres, je l’aperçois. Avec l'émotion tremblante que j'avais éprouvée devant le Fuji, je contemple ce géant émerger de ses brumes, doucement. Amboseli est un condensé de tous mes rêves de brousse. Une herbe rase mais verdissante à proximité des marécages et des rivières. De longues pistes toutes droites. Des envolées d'oiseaux. Et en toile de fond, le Kilimandjaro et sa magnificence tutélaire. Tout est à peindre. 

C'est surtout le royaume absolu des éléphants, indifférents au manège des 4X4. Savent-ils qu'on les aime ? Ont-ils compris que les hommes les protègent ici, désormais, et n'en veulent plus à leur précieux ivoire ? Les rhinocéros, eux, sont parqués derrière de hauts grillages. Nous ne les verrons pas. Le mythe de leur corne aphrodisiaque continue d'exciter la testostérone des abrutis de ce bas monde, hélas.

Il faut se lever très tôt si l'on veut apercevoir les animaux. La savane est rythmée par le soleil. Les points d'eau s'emplissent de vie à l'aube et au crépuscule. Ensuite, sous l'écrasante chaleur du milieu de la journée, chacun cherche l'ombre et il devient plus difficile de les photographier.

Moments de grâce hors du temps. Un bébé éléphant protégé par trois mères farouchement défensives. Le spectacle se déroule à dix mètres de nous. 

Des hyènes, des vautours et des marabouts se disputant une carcasse d'éléphant. Celui-là aura fait les frais de la sélection naturelle... Plus loin un gros mâle nous barre la route, et quand je croise ses yeux, il me semble y décerner des sentiments. C'est assez troublant. Je retiens mon souffle. Nous attendons son bon vouloir pour continuer, observant ses pieds : s'il commence à gratter le sol, c'est qu'il est en colère et va charger. Mais il semble se battre l'oeil de ces drôles de bestioles armées de téléobjectifs, et qui retiennent leurs ah! et leurs oh!

Il est aussi fabuleux de suivre un grand troupeau dans ses déplacements. Un ordre bien établi procède à la bonne marche du troupeau, qui se hâte avec lenteur. Les bébés éléphants sont craquants avec leurs petites trompes qui s'entraînent à faire comme les grands. Les mères sont vigilantes.

Le plus beau moment éléphantesque fut le bain de ces émouvants pachydermes, que nous eûmes la chance d'observer du haut du rocher de Mudanda, dans le parc de Tsavo

Merveilleux de les voir s'asperger de boue ocre et devenir ocres à leur tour.

La je n'ai pu m'empêcher de songer, devant ces gros colosses, innocents de ce qui se trame hors de leur espace, à leur paradoxale fragilité dans notre monde si beau. Et à ce précieux équilibre que notre engeance s'applique à détruire avec obstination.


à suivre




Spéciale dédicace à mon Babar qui se reconnaîtra…💋





  




















05 mars 2025

Lettres du Kenya (2) Le sourire et la blessure

 






Des sourires, partout, tout le temps. 
Allez on va laisser de côté les remarques du genre « ce sont des sourires commerciaux ». En partie, certainement, on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Dans certaines régions de France très touristiques, certains feraient mieux de s'en souvenir...
C’est surtout une philosophie, ici, cette façon de prendre la vie polé polé. Ce qui signifie à peu près dans la vie faut pas s’en faire. Un vieux refrain que mon père chantait souvent. Ou encore le célèbre Hakuna matata. Pourtant il y aurait de quoi s’en faire, car la vie est loin d’être facile pour les habitants.
Je me remémore le trajet entre Nairobi et Amboseli, le premier parc naturel que nous avons visité il y a une semaine.
La route semble être la colonne vertébrale, l’axe de vie. Les maisons s’entassent des deux côtés, hétéroclites, souvent très rudimentaires. On aperçoit des églises catholiques, des mosquées, une université, des écoles privées de filles, des usines, dont certaines semblent désaffectées.
 Les écoliers élégants portent l’uniforme britannique des sujets de sa majesté. On les croirait sortis d’Eton ou de Cambridge. Vestige de la colonisation anglaise, de même que la conduite à gauche. Ici on les appelle étudiants de la maternelle à la fac.
A côté d’eux, marchent des femmes en longs boubous colorés, avec cette belle démarche très digne de celles qui portent un bébé sur leur dos ou une amphore sur la tête. L’image a quelque chose de biblique dans ce paysage aride.
On y voit aussi des équipages improbables, deux hommes et deux chèvres sur le même scooter,  ou encore un homme portant un canapé sur une moto. Des charrettes emplies jusqu’au ciel de maïs, de bois ou de sac de céréales. Des dépassements hasardeux où l'on se retrouve face à face avec un camion : frissons garantis... Polé polé ! dit le chauffeur.
Bon, ben polé polé, alors... Et on croise les doigts en fermant les yeux. Ouf ! c'est passé.




Les marchands de fruits et légumes empilent les pastèques, les tomates, les concombres,  les mangues sur leurs étals, en de savantes pyramides. Certains n’hésitent pas à braver le trafic pour proposer leurs oignons aux automobilistes. Des marchés bondés de monde voisinent avec des camions si vétustes qu’ils semblent sortir tout droit du « Salaire de la Peur ».
Hors des villages, la vie continue, toujours au bord de la route : des bergers mènent leur troupeau de zébus ou de chèvres, armés d’un long bâton. Certains font la sieste, d’autres méditent sous un arbre pour s’abriter du zénith qui commence à cogner dur. Parfois on aperçoit un Masaï avec sa belle tenue rouge sang, et ses bijoux, arpentant le bas côté d’un pas conquérant. Mais le point commun, c’est ce sourire éclatant, comme un trait d’union,  un rempart contre la vie dure. 
Quand il disparaît des visages, comme caché par un nuage, on voit apparaître alors des tourments et des souffrances, que l'on tait mais qui sont là.
Une fêlure à l'image du Rift, cette profonde faille sismique qui entaille l'Afrique.

à suivre