C'est décidé, je vais repartir l'an prochain avec mes nouveaux élèves en classe de découverte. Je veux leur faire découvrir l'astronomie.
-Mais tu es folle, tu t'embarques encore pour une palanquée de problèmes! Tu ferais mieux de rester tranquillement dans ta classe.
-Oui, je sais. Je suis folle. Mais que serait cette vie sans un petit grain de folie? Sans cette fantaisie qui est mon carburant principal, et qui me donne envie de me lever chaque matin, quand d'autres traînent leur dégoût, leur ennui, leur désillusion ou leur lassitude, comme des fardeaux collants et gris, comme des ankyloses de l'âme qui les rend frileux et couards.
Moi, j'ai envie de les faire chavirer encore aux vertiges des confins de l'univers , de chuchoter dans leurs oreilles soyeuses les noms si poétiques des constellations, Andromède, le Bouvier, Céphée, Bételgeuse, la Chevelure de Bérénice, j'ai envie d'attraper des crampes à force de lever nos nez vers le ciel.
Moi je veux voir leurs yeux et leurs bouches s'arrondir devant la course du soleil, la sphère armillaire, les constellations circumpolaires, l'enfer de Mercure, l'inconsistance mystérieuse des géantes gazeuses, les réactions thermonucléaires des naines blanches expliquées par Eric. Et ce bestiaire fantastique : chiens, ourses, bélier, lion, lièvre, dauphin, dragon...
Je veux entendre encore Brice nous raconter l'histoire d'Hercule, de Persée et de Cassiopée, la Reine punie dans le ciel, Pégase le cheval ailé, et toutes les fabuleuses légendes antiques dont les Grecs ont habillé le ciel au-dessus de nos têtes, et qui nous ont un doux frou-frou...
Je veux revoir ce long cortège de petits fantômes blancs et frissonnants, lorsque, oubliant leur sommeil, on emmitoufle les enfants dans leurs couettes pour les emmener découvrir dans la nuit glacée les anneaux de Saturne, les étoiles de la ceinture d'Orion, aux jolis noms d'Alnilam, Alnitak et Mintaka, et Jupiter, énorme, et Mars la Rouge vibrant dans l'optique du télescope électronique...Ces soirs-là, le firmament est d'un bleu d'encre d'une beauté indicible.
Je veux leur faire calculer le temps qu'il faudrait pour se rendre, à la vitesse de libération de 11km/seconde sur l'étoile la plus proche de la terre, Proxima du Centaure, et renvoyer cul par dessus-tête toutes les théories fumeuses d'extra-terrestres et de possible migration de l'humanité vers une utopique planète habitable. Un simple calcul qui donne le tournis, et dont la déduction logique est que nous devons prendre soin du seul grain de sable de l'univers qui puisse nous accueillir pour quelques centaines d'années encore...la Terre.
Je veux les voir rire quand ils apprennent qu'il existe un treizième signe astrologique appelé Ophiucius , et que d'ailleurs leur signe astrologique n'est plus celui qu'ils croient, à cause du mouvement de précession de la Terre, qui fera de Véga de la Lyre notre nouvelle étoile polaire dans 13 000 ans...J'aime écouter leurs oh! et leurs ah! au pourquoi des saisons ou du temps qui passe, petits marins apprenant à se guider aux astres.
Je veux les époustoufler, qu'ils reviennent le regard scintillant d'étoiles, et que leurs rêves pour longtemps, les embarquent dans les galaxies, leur carnet de croquis à la main...
Je les aime tellement, mes petits astrognomes en herbe...