J'aime beaucoup cette citation d'Oscar. Il savait de quoi il parlait, le dandy flamboyant au sombre génie, conspué, emprisonné à cause de son homosexualité...
Etre soi, il le fut à en mourir...
Etre soi...encore faut-il savoir qui l'on est pour pouvoir tendre à l'être.
Longue et lente quête de sa propre liberté, de penser, de vivre, d'être.
Je suis passionnée par cette recherche, pas vous ? La mienne comme la vôtre, d'ailleurs.
L'être humain me passionne, mais je ne vous apprend rien.
Dompter ses démons, combler ses failles, ses parts d'ombre, comprendre ses faiblesses, se pardonner ses erreurs, avaler ses déceptions, suivre ses rêves, exprimer ses désirs, accepter ses craintes.
Et tout cela, dans le but d'adoucir ses relations avec autrui, pour ne pas en arriver finalement à concevoir pour l'humanité, tel un Alceste recroquevillé sur ses fractures égotistes, une « effroyable haine »...
Je me réjouissais simplement de la pluie, tout à l'heure, le visage tourné vers les nuages, buvant l'eau ruisselant sur mes lèvres comme on reçoit un baiser, en souriant.
Soulagée de ce cadeau de la terre. Sous l'oeil torve de mon voisin qui râle à longueur d'année contre le temps. Qui râle contre tout, d'ailleurs. Je lui ai dit gentiment qu'il ne comprenait rien à la vie.
Ma fibre naturelle est douce, diaphane, légère, tendue parfois à la limite de la déchirure, et pourtant à la fois d'une solidité extrême. Indéchirable.
Mes griffes sont rétractiles, je m'en sers peu, mais je sais désormais me défendre. Je me sens moins démunie. Forte de ce formidable et consolant secret.
J'ai passé tant de murs, tant de ponts et de barrières, de bâtons dans les roues, sauté tant de rivières. La vie est un concours d'obstacles.
Je me suis dit que j'avais appris à être soie, et que j'en étais heureuse.
Je vous souhaite de tout coeur de découvrir de quelle étoffe vous êtes fait(e).
« Le jardinier Moustache était un vieil homme solitaire, peu bavard et pas toujours aimable. Une extraordinaire forêt, couleur de neige, lui poussait sous les narines...
Tistou découvrit ce jour-là pourquoi le vieux jardinier parlait si peu aux gens ; c’est qu’il parlait aux fleurs...»
Maurice Druon
(Tistou les Pouces verts, 1957)
La lecture de Tistou, ce livre merveilleux dont je ne me lasse pas, confirma mon amour des jardins, et des jardiniers. N'ai-je pas choisi un métier de jardinière, en m'occupant de semer tant de graines dans les têtes de mes élèves ? Le jardinier Moustache est un vrai jardinier, comme on en fait toujours, heureusement. Tant qu'il y aura des jardins, le monde ne sera pas complètement fichu. Des oasis, des vallées qui verdoient, des fleurs fragiles qui repoussent après les bombes, sur les charniers et les ruines. Un vrai jardinier, quand on a la chance d'en rencontrer un, sème dans nos yeux des graines de passion. Il connaît des mots extraordinaires, des noms de plantes inouïes qui sonnent en moi comme des grelots. Ancolie, bégonia, capucine...ton alphabet est en couleurs, en parfums et en merveilles, ça coule et ça déroule comme un ruisseau. Le goût sensuel et profond de la terre. Le goût de l'eau. De l'air et du soleil. Quel plus beau métier ? Ecole de patience, écouter pousser les fleurs et les légumes, école de sérénité, caresser le temps des saisons dans leur ronde paisible, trouver du bonheur même dans l'hiver qui met en couveuse les promesses du printemps. Les mains calleuses, le dos en compote, tu t'en moques. Tu es droit dans tes sabots. Tu aimes la vie. Tu la cultives, en pots, en terrasses, en espalier. Partout tu promènes tes pouces verts. Jardinier, mon frère, j'aime les soleils verts, les dentelles et les théières de ton jardin d'hiver. Je déplore avec toi qu'il perde un jardin par semaine, ce p'tit coin là bas, près de la Seine qui fleure bon le métropolitain. Messieurs les promoteurs de la Chaussée d'Antin, de grâce, donnez-nous des jardins pour y faire des bêtises, d'où l'on revient des p'tites fleurs à la main, quand on a déchiré sa chemise... Des jardins extraordinaires pleins de canards qui parlent anglais et de hérissons tristes. Des jardins du ciel à Babylone, aux jardins de curé, jardins d'Eden, jardins secrets... C'est dans la cabane, tout au fond, que va se cacher le gredin qui t'a volé ton nain d'jardin. Pour le faire voyager. Tout autour de ce jardin qu'on appelle la Terre, et qui brille au soleil comme un fruit défendu. Tu verras, de tes yeux de rosée, les croisées d'hortensias, les palmiers plein les cieux ...On cultivera les fleurs du bien, tu verras.
Allez, viens, je t'emmène au vent, viens effeuiller la marguerite de l'été de la saint Martin... Petit, n'écoute pas les grands pleurer, va-t'en courir dans le jardin, il y fait meilleur ce matin. ¸¸.•*¨*• ☆
Musique: Vivaldi, Il gardellino, adagio. Un certain nombre de chansons que vous aurez reconnues... non ? Je dédie ma funambulle à Pastelle, qui rêvait de voir des fleurs sur ma bannière. Et pour ceux qui veulent (re)découvrir Tistou, c'est ici.
On ira
marcher les pieds nus dans la luzerne, au frôlement velouteux des lapins qui,
comme au vieux moulin de Daudet, s’enfuiront à notre approche dans la nuit
tremblante de clarté. Mais l’un d’eux, peut-être, restera là, son regard étonné
en bandoulière. La lune
décidera qu’il fasse un peu jour au-dessus de la prairie. Juste un peu. Pour
rire. A la barrière de bois peint flotteront des cheveux d’anges,en oriflammes au-dessus de nos têtes. Tu
souriras quand je murmurerai dans ton cou des mots doux, des mots fous, des
mots bijoux. Tes
dents adamantines seront dans ton visage comme de petits cristaux de lumière
furtifs. Chut !
Ecoute ! Il y aura les parfums de la nuit, en avalanche, le foin, le
jasmin... et l’achillée qui nous chatouillera les narines comme un poivre. Les sons
des oiseaux et le murmure des herbes. Je serai
poupée de porcelaine et de satin, tu seras magicien aux ailes douces. Je serai
cerise de mes lèvres, pommes et framboises de mes seins, tu seras pain chaud et
doré de ton buste, de tes bras. Tu auras un goût de brioche. Nos fruits gorgés
et pressés s’emmêleront, en salade, en marmelade, en macédoine de caresses, en
salmigondis de baisers. Mon corps de lait nuage. Ton corps de café brûlant. Et
tout en haut, au zénith, Vega Deneb etAltaïr piqueront de leur grâce scintillante le plafond céleste de la
plus belle des chambres d’amour.
Non vous ne saurez pas la marque, je ne vais pas en plus lui faire de la pub, non mais des fois...
Oui alors, je sais. Je vous vois venir. Vous allez penser que ce billet s'adresse exclusivement à un public frivole et superficiel, de préférence féminin, dont le seul souci narcissique est de se mirer et de s'auto-pâmer devant la glace et tant de beauté parfaite, tout en s'enduisant d'onguents et de pommades bourrés de produits chimiques très mauvais pour la planète, et surtout pour ses habitants. Que nenni, vous objecterai-je incontinent. Il se trouve qu'en laissant errer mon regard à la recherche d'un produit doux respectant (soit-peu) ma peau de fée, mais aussi l'environnement, celui-ci (mon regard, pas l'environnement) est soudain arrêté par un mot étrange venu d'une autre planète. Micellaire. Chouette alors. Savent pu quoi inventer pour vendre... Un mot nouveau. Mékèssedon ? Aussitôt, mon esprit constamment en éveil se met en quête d'une définition immédiate, sous forme d'un clic internétique sur mon smartphone (oui je sais, ça pollue aussi) et je découvre, toute ébaubie, l'existence des micelles. Comment ai-je pu vivre si longtemps dans l'ignorance d'icelles ? Bon, au premier rabord, c'est le genre de mot dont la définition vous laisse démuni, au bord de la route, avec la désagréable impression d'être un crétin des Alpes. Micelle. Pouf, pouf. « Une micelle (nom féminin dérivé du nom latin mica, signifiant « parcelle ») est un agrégat sphéroïdal de molécules possédant une tête polaire hydrophile dirigée vers le solvant et une chaîne hydrophobe dirigée vers l'intérieur. Une micelle mesure de 0,001 à 0,300 micromètre. » Ah, ben...je suis contente de l'apprendre, vraiment. Je ne suis pas plus avancée, mais, je suis bien contente, en tous cas, parce que c'est joli comme tout à regarder, non ?
En poursuivant cette passionnante lecture, je finis par entrevoir comme une lueur que cet agrégat serait un peu comme une sorte d'aimant moléculaire, qui attire à lui d'autres molécules, et que Coluche immortalisa dans son sketch sur la lessive anti-redéposition. Qui soulève la crasse avec ses petits bras musclés et l'empêche de se redéposer sur les fibres... Voilà, c'était ça, l'explication. Persil anti-redéposition était bourrée de micelles et nous ne le savions pas...D'ailleurs, le wiki-pédiatre nous le confirme: « Les lessives lavent le linge grâce, notamment, à l'action des tensioactifs qui permettent de former des micelles avec les salissures, qui restent ainsi en suspension dans l'eau. » Ben tiens...Le démaquillant doit donc agir de même : en retenant la crasse de la tronche avec ses biceps micellaires...On n'arrête pas le progrès. L'article expose ensuite une collection jouissive de mots formidablement suréminents. Il est question par exemple, de solvatation, de solutions colloïdales, de polarité, d'extrémités lipophiles ou hydrophobes, de tensio-actifs organisés en phases lamellaires, anioniques ou cationiques, et de molécules amphiphiles... Que du bonheur poétique ! Et que pensez-vous de ces « sphères de taille définie par la nature du tensioactif avec les queues lipophiles regroupées à l’intérieur. » ...et qui ne sortiront que par la force des baïonnettes ?... Ou encore de ce monument : « Les protobiontes sont des polymères entourés d'une micelle de lipides.» Viens, Amphiphile, mon gros protobionte, que je t'entoure de ma micelle ! Et vous aurez tout ça dans un simple flacon pour la modique somme de six euros quarante-cinq (modique, modique...faut le dire vite ! ) Ah ! Il se passe décidément des choses merveilleuses dans le monde de l'infiniment petit. Infiniment petit comme un cerveau de consommateur, par exemple.
Au fond du jardin de la maison ancestrale, dans une vieille jardinière de pierre grise un peu défoncée aux entournures, émergeant d'une friche de plantes rebelles, un rosier défie le temps.
Aux dires de mon frère, qui est une encyclopédie vivante, il a été planté en 1938. Quand je pense à tous ces pans d'histoire, la « grande Histoire », qui se sont déroulés devant lui et qui l'ont vu imperturbablement pousser ses roses vers le ciel...
Il a survécu aux Allemands en 1944 qui criblèrent la maison à la mitraillette (ou mitrailleuse, je n'ai jamais su la différence et je m'en tamponne)
Des croquants bien intentionnés avaient dénoncé mon grand-père d'avoir aidé des Juifs à s'enfuir par la montagne vers l'Italie.
Il a survécu au tremblement de terre de 1963. A la sècheresse de 1976. Aux pucerons, aux chenilles, aux limaces et au mildiou. Et aux ballons de foot venus s'écraser sur ses feuilles poussant malencontreusement sur leur trajectoire.
Car le rosier fut le témoin paisible des épisodes mouvementés de notre petite histoire familiale. Combien de naissances, de mariages, de fêtes ? Combien de chagrins, de jours du bac, de cris d'enfants et de larmes de joie ?
Il a aussi abrité un temps un lézard vert presque apprivoisé qui venait manger les petits bouts de jambon ou de fromage qu'on lui donnait. On ne savait pas trop ce que ça mange, un lambert. Alors on lui donnait n'importe quoi.
J'aime aller m'asseoir près de lui, ces jours-ci où je me retrouve seule pour la première fois dans la maison. La tête encore pleine des démarches et des paperasses qu'occasionne l'entrée de ma mère à la résidence Saint-Antoine. Le coeur en écharpe et l'esprit soulagé pourtant, mais toute fin ne nous agite-t-elle pas de sentiments contraires ?
Combien de temps ça vit, un rosier ?
Il ne fait plus beaucoup de roses, il doit commencer à se fatiguer des épines et du pistil, le pauvre vieux, mais celles qu'il nous offre sont toujours très belles. Comme une consolation à la nostalgie muette qui hante les lieux depuis que mon père est parti.
C'était drôle et émouvant d'entendre, à un moment, dans la chorale d'enfants, ces deux bouts de choux entonner la vieille chanson de Dalida et Delon: « Paroles, paroles ».
Lui, frimousse de gavroche et oeil polisson, plein d'assurance feinte pour cacher le trac. Elle, haute comme trois pommes, aux cheveux vermicelles, l'air de celle à qui on ne la fait pas.
Tout à fait dans le rôle, les mioches. Comme s'ils comprenaient la portée de la chanson...
Mais que disait-elle donc cette bluette qui fit les riches heures des années soixante-dix ? Voyons...comment dire ? C'est l'histoire d'une fille qui a trop entendu de belles paroles. Alors elle n'y croit plus. Les beaux parleurs lui flanquent des gerçures, les poètes l'ennuient, les brasseurs de mots la fatiguent.
Et lui, il en rajoute, et ça l'agace, et il en rajoute, et plus il en rajoute, plus elle est agacée...
Comment ça commence, déjà ? Ah oui... un grand classique, qui marche pourtant bien normalement. Richard Anthony en avait fait lui aussi un texte sublime, « c'est drôle aujourd'hui je suis amoureux de ma femme... »
Lui : C'est étrange, je n'sais pas ce qui m'arrive ce soir
Je te regarde comme pour la première fois.
Comment ça ? Il y aurait des hommes qui s'apercevraient tout d'un coup qu'ils ont une femme merveilleuse à côté d'eux, alors qu'ils ne l'ont pas regardée pendant des années ?
Elle : Encore des mots toujours des mots,
les mêmes mots...
Les mêmes mots ? Eh bien, s'il se croyait original, le joli coeur, c'est râpé.
Cependant, c'est mal connaître le bel Alain, il ne se décourage pas facilement...
Lui : Mais tu es cette belle histoire d'amour
que je ne cesserai jamais de lire
Tu es d'hier et de demain
De toujours ma seule vérité
D'hier et de demain...c'est beau, non ? Elle pourrait craquer, là, l'Italienne. Mais non.
Elle : Des mots faciles, des mots fragiles, des mots tactiques qui sonnent faux, c'est bien trop beau...
Faciles, faciles...il fait pourtant des efforts, Alain !
Lui : Tu es comme le vent qui fait chanter les violons
et emporte au loin le parfum des roses...
Tu es pour moi la seule musique...
qui fait danser les étoiles sur les dunes
Bon, là, je ferais dire à Rocco le Guépard que les violons ne sont pas des instruments à vent, mossieur, mais à cordes. Mais aussitôt, on me soupçonnerait de manquer cruellement de poésie, si ça se trouve.
Elle : Caramels, bonbons et chocolats, merci pas pour moi mais tu peux bien les donner à une autre qui aime le vent et le parfum des roses et les étoiles sur les dunes...Moi, les mots tendres enrobés de douceur se posent sur ma bouche et jamais sur mon coeur...
Oui, elle ne veut pas prendre des kilos, c'est surtout ça...C'est gros comme une camionnette de pains Poilâne, cette affaire.
Paroles, paroles, paroles, et encore des paroles que tu sèmes au vent...
Il y a beaucoup de vent, quand même dans cette chanson, c'est une chanson aérée...Ecoute, la réponse est peut-être dans le vent justement...
Lui, irrésistible : Voilà mon destin, te parler,
te parler comme la première fois.
Comme j'aimerais que tu me comprennes
Que tu m'écoutes au moins une fois
Tu es mon rêve défendu
Mon seul tourment et mon unique espérance
Tu es pour moi la seule musique qui fait danser les étoiles sur les dunes
Si tu n'existais pas déjà, je t'inventerais, écoute moi, je t'en prie, je te jure...
Que tu es belle...
Que tu es belle...
Que tu es belle...
Elle, portant l'estocade, trouve la rime fatale au mot espérance :
Si tu savais comme j'ai besoin d'un peu de silence...
Ça fait mal ! C'est piquant et définitif...Il est évident que cette fille s'en fiche comme de sa première paire de moufles.
***
Mais tout bien réfléchi, c'est un vrai sujet de bac-philo, cette chanson.
Ou à tout le moins, en cette veille d'élection, un sujet de réflexion politique.
« Les paroles engagent-elles autant que les actes ? »
« Je demeurais quelquefois une heure dans une compagnie sans qu'on m'eût regardé, et qu'on m'eût mis en occasion d'ouvrir la bouche. Mais, si quelqu'un, par hasard, apprenait à la compagnie que j'étais Persan, j'entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement : « Ah ! ah ! Monsieur est Persan ? C'est une chose bien extraordinaire ! Comment peut-on être Persan ? »
Montesquieu, Lettres Persanes.
Ma grand-mère maternelle descendit un jour à dos d'âne de son village piémontais pour s'en aller épouser un étranger de la grande ville. Un monégasque, pensez...quelle honte. Ils s'installèrent à l'étranger, en France, dans un village de montagne où ceux d'à côté étaient appelés en patois local des « estrangers ». Ma grand-mère paternelle avait quitté sa verte Erin natale pour partir étudier à l'étranger comme jeune fille au pair, elle épousa un Stéphanois qui s'était expatrié à Paris dans le quatorzième.
En se regardant dans les yeux, tous ces étrangers allaient se mettre à se reproduire dans des concerts de soupirs et d'anges radieux. Cela donna mon père et ma mère, qui à leur tour se rencontrèrent par un de ces miracles fortuits dont la vie est friande, et que l'on appelle parfois le hasard, et parfois (quand on n'a pas de poésie) la nécessité.
Forts de ces secrets, et sachant trop bien d'où chacun venait, dans la famille, comme ébloui sans doute par ce prodige, on nous éleva dans l'amour de la différence. De toutes les différences. Un jour, à l'école, ma copine Joséphine se fit traiter de « négresse » et de « cacao » par des garnements qui lui rajoutèrent d'aller « boire du lait ». Je découvris alors ébahie que Joséphine était noire, je ne m'en étais jamais aperçue.
Elle est à toi cette chanson, toi l'étranger, qui sans façon, d'un air malheureux m'a souri, avec ta gueule de Métèque, de Juif errant, de pâtre grec, et quand la mer se ramène avec des étrangers, homme ou chien c'est pareil : on les r'garde naviguer et dans les rues d'Lorient ou d'Brest, pour les sauver, y a toujours un marin qui rallume son voilier... Brassens, Perret, Moustaki, Ferré, Hugo...on chantait en bagnole pour oublier qu'on avait mal au coeur dans les virages, et rappelez-vous qu'on est toujours l'étranger de quelqu'un, disait mon père, qui entonnait son poème favori avec le ton de Jouvet et de Sacha Guitry à la fois: « C'était un espagnol de l'armée en déroute, qui se traînait, sanglant, sur le bord de la route, et vise au front mon père en criant: « Caramba! » Le coup passa si près que le chapeau tomba
et que le cheval fit un écart en arrière. Donne-lui tout de même à boire, dit mon père.»
Et l'enfant qui naîtra un jour aura les couleurs de l'amour contre laquelle on ne peut rien.
J'aime me sentir à ma juste place dans l'univers, petite goutte de rien dans un grand tout.
- Tiens, revoilà Célestine, la fille qui parle comme une revue ésotérique...
- Ah ! mais tu ne sais pas...tu ne sais pas ressentir combien l'air devient transparent quand on éprouve de la joie, cette joie profonde et indéfectible de faire partie du cosmos...
Chaque bruit de cuiller fait un son de grelot dans les bols et dans l'air du matin. Partager un petit déjeuner entre amis, par exemple...C'est comme si tout conspirait soudain à rendre certains moments uniques.
Marinello m'a dit que j'avais beaucoup de fluide. Marinello s'y connaît, en magnétisme. Il a senti tout ça en posant sa main au-dessus de la mienne. Sans même la toucher je sentais des picotements. Je n'avais jamais réalisé que je pouvais faire du bien aux gens seulement en posant mes mains sur eux. Je vais peut-être envisager un stage cet été, du coup...
En sortant de chez le coiffeur, j'étais heureuse de la couleur de mes cheveux. C'est idiot comme c'est bon de se contenter de choses simples, finalement. Vous allez trouver ça futile, peut-être...
Mais c'était très réussi, exactement ce que je voulais. J'avais demandais l'Irlande de mes ancêtres. La tourbe, la bruyère. La bière et la musique des « Uilleann pipes » . Un roux cuivré, lumineux. Je l'ai félicité, il était ravi de me voir satisfaite. C'est très difficile à obtenir le roux, il m'a dit. Ça vous va bien, ça met un coup de soleil dans la tête, il a rajouté.
Il a le goût de la chose bien faite, mon coiffeur.
Il a le goût des gens, surtout, je crois. Et c'est dans mon coeur qu'il m'a mis un gros coup de soleil.
Et puis j'ai repensé au château que je dois toujours aller voir, tu sais, celui avec le fantôme.
Je me suis dit que je devrais avoir le temps, quand même, avant que le fantôme ne casse sa uilleann pipe. Ou toi. Ou moi. Ou n'importe lequel d'entre nous. Ou vous, lecteurs adorés...Parce que mourir fait partie de vivre. Et quand on a enfin compris ça, on éprouve un sentiment d'éternité.