Parfois, la vie nous broie juste après le petit déjeuner. On avait bien commencé la journée. On avait médité sur le sens de la vie, projeté d'aller tailler les iris avant la pluie, et souri en voyant les mésanges se taper la cloche dans la mangeoire.
Et puis la sonnerie du téléphone grésille désagréablement, et le message tombe comme un glas dans le brouillard.
C'est fini. Il n'a pas souffert. Les mots semblent toujours les mêmes, on est comme dans du coton quand on les entend.
Il n'a pas souffert, non, mais il avait l'âge de l'espoir, l'âge des printemps qui explosent en milliers de petites graines, l'âge où les rêves fusent. L'âge où on ne meurt pas. Trente-cinq ans. L'âge de mon fils aîné. Mon fils aîné anéanti, qui perd son cousin, mais c'était plus qu'un cousin, c'était un frère. Presque un jumeau.
Les souvenirs remontent, telles des bulles de joie un peu incongrue. Je les revois juchés sur leurs vélos, ou faire la bagarre dans la pelouse, comme des chiots joyeux. J'ai l'âme au bord des yeux.
Et ce cri mêlé de stupeur, de colère et de déni, coincé au fond de la gorge, parce que la Griffue emporte toujours ses proies sans prévenir, aveuglément. Bim ! On est vivant et hop, on est mort. A quoi bon protester ? A quoi bon lui dire, à cette grande Egalisatrice, qu'en partant il laisse une petite fille et une femme portant un autre bébé ? A quoi bon lui expliquer combien cela va être terrible pour ceux qui restent. La mort ne s'émeut de rien. Elle n'a pas de pitié.
Ce soir, le vent d'automne a un goût de tristesse absolue. J'avais un peu oublié le pays des larmes, le mystérieux pays des larmes.
A Nicolas