Refuge. Lac de montagne, verdoyants chalets de bois, herbages lumineux jonchés de mousse, de marmottes et de lupins, feu de bois. Voilà ce que m'évoquent généralement les sonorités de ce mot doucement chaleureux comme une clarine dans l'air pur.
Mais il fait nuit. C'est la ville. Le froid est grisâtre et poisseux. Il s'immisce peu à peu entre le caraco en soie et le pull en acrylique. La conjoncture est déprimée. La bourse s'effondre, la mort rôde partout, l'espoir devient filandreux.
Là-bas, dans un pays ami, des gens pansent leur plaie. Le sang a coulé pour rien.
Semaine sombre.
J'ai croisé deux femmes.
L'une pleure car elle s'est cassé l'orteil, mais elle est tellement pauvre, tellement acculée par l'existence qu'elle ne peut même plus aller voir un médecin...Elle pleure, mais je me méprends sur ses larmes: ce n'est pas du désespoir, elle a vraiment mal physiquement, et il me semble malgré tout voir le ciel clair à travers ses larmes. Elle me dit que c'est son chemin.
L'autre était en congé de maladie, mais elle doit reprendre le travail sinon elle est virée, a dit sa patronne. Son genou, pourtant, la fait tellement souffrir! Il est énorme, on dirait celui d'un éléphant, déformé par la douleur. Et sa sœur qui vient d'avoir un accident de voiture. Le coma. Trois gosses en bas âge. Je serre les poings dans mes poches, crevant de honte devant l'inhumanité de ce monde trop dur. Scènes cruellement ordinaires révélant notre impuissance.
La seule chose que je sache faire, c'est soulager la détresse par des mots. Les mots ont du mal à sortir, eux qui sont pourtant ma force. J'ai la sensation de lutter contre des sables mouvants. Le dépit, le malheur, le renoncement, l'incertitude, que voilà des émotions fatigantes moralement!
Mais elle garde le sourire, me dit de ne pas m'en faire, que ça va aller, qu'il lui suffit de penser à son fils pour avoir de la force.
Il me faut continuer à croire en la beauté des choses.
Ces deux femmes savent se réfugier à l'intérieur d'elles-mêmes pour trouver la force.
Elles m'ont donné une belle leçon de vie. Je me suis emplie à leur contact et étrangement ça m'a vidée.
Je repense à toutes ces courageuses qui m'entourent, qui luttent sans jamais faiblir, contre l'adversité, la maladie, la solitude, la mort, un destin contraire, sans jamais se plaindre.
J'ai envie de me blottir, de me distraire, de m'étourdir, de me saouler, de me pelotonner...Et je réalise que j'ai, quand je veux, du chaud, du bon, du doux, du Beau. De la douceur rayonnante, des bras accueillants, du miel, du feu, de la chaleur humaine , du rire en confiture, des rêves en cascade, de la musique avant toute chose...
Je sais pouvoir toujours trouver, en moi et à l'extérieur de moi, en gestes ou en paroles, seule ou en compagnie, de quoi me reconstruire, chaque jour. Je me dis que j'ai de la chance.
Car la vie m'a appris à trouver refuge. Car la vie m'est un refuge.
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