22 juin 2019

L'homme qui marche

Photo Céleste


Où va donc cet homme de son pas désinvolte et déterminé ? Nul ne le sait. Quelle que soit la météo, il arpente le port de long en long. Il est tout le temps là, comme si la force occulte d'un hasard étrange le maintenait attaché à cet endroit. Il était déjà là en janvier, il était encore là en avril. Il sera sûrement là en septembre. Et pendant combien d'années encore ?
Il peut sembler extravagant à certains. Voire fou. D'aucuns diraient qu'il n'a pas l'électricité à tous les étages, ou qu'il a l'intelligence d'une huître ou d'un papillon.
Mais que savent-il de la confusion des sentiments qui l'ont destiné à rester là ? Que savent-ils de sa psychologie intime ? 
Il vit dans sa tête, cet homme-là. Il suit sa ligne, pas lunatique pour deux sous. Il se donne de grands airs affairés, des effets de bras, il parle seul, il brasse de l'air. Soudain il s'arrête, gesticule, une vraie boule de nerfs, la voix haute, apostrophe un serveur ou un pêcheur. Puis il repart, pour sa deux cent quatre-vingtième longueur de port, en grommelant dans sa barbe. 
Il accompagne le soleil dans sa course, du petit matin frais au crépuscule flamboyant. Il danse au bord des mâts et des voiles, et pose son mystère. Complet. Etonnant. Il n'a pas l'air malheureux. On peut se dire : « Zut ! Dommage qu'il reste là, sans jamais avoir envie de découvrir autre chose ». Mais ce serait le juger en fonction d'un filtre qui n'est pas le sien. Si ça se trouve, il est le plus heureux de la terre.

D'où vient-il ? Que fait-il ? Où va-t-il ? A lui seul, il représente la somme des questions existentielles de l'humanité et en cela, j'ai comme une certaine tendresse pour lui.









Pour les Plumes d'Asphodèle chez Emilie.
HASARD LUNATIQUE INTELLIGENCE METEO CONFUSION SOUDAIN PAPILLON EFFET EXTRAVAGANT ZUT BOULE DESTINER DOMMAGE DESINVOLTE

18 juin 2019

Danser pour dire




« Celui qui danse chemine sur l'eau et à l'intérieur d'une flamme. »
Garcia Lorca.










Des femmes. Fortes. Frêles. Des femmes qui dansent pour dire les femmes, toutes les femmes, leurs combats, leurs espoirs, leurs attentes.
Leurs révoltes. Leurs victoires.

Des femmes libres, légères et bien dans leur corps, qu'elles soient minces ou voluptueuses...
Mais lourdes parfois de chagrin ou de peur. De souffrance aussi.

Une chorégraphie splendide et juste. Entrecoupée de vidéos explicatives sur le féminisme, graves ou drôles. Mais très bien faites.

C'était hier soir, dans la grande salle du casino de Cagnes-sur-Mer. J'avais reçu une invitation spéciale et mystérieuse à m'y rendre. La soirée sentait l'été, le chèvrefeuille et la transpiration dans les coulisses. Celle du trac qui serre le ventre..

La prof s'agitait avec grâce, soucieuse du moindre détail.






J'ai retenu mon souffle hypnotisée par une belle jeune femme qui évoluait sous mes yeux ébahis.

Envahie d'émotion, j'ai pensé que pour en arriver là, à cette perfection d'élégance et de technique, il avait fallu en user, des petits chaussons Repetto, des cache-coeurs en satin rose, des tutus blancs, des guêtres de laine sur les jambes de sauterelle.

Et des heures de répétitions, d'inscriptions, de cours, de trajets après l'école, de couture de costumes, de trac et d'angoisse...



Elle est belle. Elle est libre. Elle brandit sa féminité comme une oriflamme, mais sans ostentation. Sans colère. Sans cette colère que j'ai éprouvée tant de fois. 
Naturelle. Comme évidente.  Elle ne laisse personne marcher sur ses orteils ni sur son coeur. Elle s'affirme. Elle a cette force depuis toujours, quand il m'a fallu des années pour la conquérir. 

J'en suis tellement fière. 
Hier soir, elle avait le premier rôle, mon étoile. Ma fille.







           

13 juin 2019

Le mas des chênes





 Imagine. C'est un endroit où tu ne pourras sans doute jamais aller. Je ne dis pas ça pour t'ennuyer. Je te dirai pourquoi bientôt, ne sois pas impatient. Tu peux seulement, à l'instant, ce n'est pas interdit, te laisser bercer par le parfum magique de ce rêve éveillé. Ce rêve auquel j'ai eu droit. Quelle chance !
La maison ouvre ses paupières de bois vert sur un jardin naturel de toute beauté. Abritée derrière le paravent des chênes-lièges, et des pins arrachant au vent leurs branches torturées qui nous font la révérence. La grille grince un peu. L'eau arrive par citernes, livrée par les pompiers. L'électricité vient du soleil.
On est seuls au monde. Loin des turpitudes. Seuls avec ce sentiment d'éphémère et d'éternité à la fois qui donne au vin l'éclat de l'or, et un peu d'eau dans les yeux. 
La maison est refaite à neuf, confortable. Meublée avec goût.

L'Estérel laisse affleurer ça et là, dans les blessures du sol, sa roche rouge éclaboussée. 
Tout à l'heure, en montant les deux kilomètres qui séparent la barrière de la maison, sur un chemin poudré de lavande et de cistes, mon frère m'a dit : 
« Tu verras, la vue n'est pas terrible ». 
Il a toujours eu beaucoup d'humour, mon frère. Loin d'être un agélaste. La fréquentation des arbres l'a même bonifié au fil du temps.
Je suis soufflée. Le Mont Aigre et le Mont Vinaigre hérissent leurs cailloux brûlants et leurs ravines désolées. La forêt triomphe sur chaque colline. Pagnol et Giono me caressent de leurs ailes.
Tout en bas, la mer clapote le long du golfe. Clair bien sûr,  comme il se doit. Les vallons bruissent et vibrent des premiers insectes, mais la fraîcheur descend au crépuscule et leur clôt les élytres. On n'est pas encore en été. On met la laine.
La nuit, sublime perspective, les lumières de Fréjus clignotent, telles des étoiles échouées sur le sable. Un rossignol lancinant et joyeux blesse le soir de sa langueur océane.  Je sors mon laser à pointer les étoiles. Les vraies. Antarès flamboie à l'horizon sud, le coeur du Scorpion, la géante. Les Ourses sont à leur place. Cassiopée casse les pieds à se cacher derrière un nuage.
On prend les guitares, on est bien. 
Le lendemain on part sur les traces de notre enfance, et de nos vacances à Agay. Boulouris, le Dramont, la plage du Débarquement, les noms chantent à ma mémoire, diabolo menthe et sable blanc, bronzette et pieds mouillés dans les tongs, bermuda et bouées-canards en plastique. Mes souvenirs se voilent de l'ombre de mon père. Les gorges se serrent un peu. Mais c'est doux. Le carré du temps a arrondi ses angles.
L'amour exulte et coule, dans le basilic, les tomates, les rires et l'huile d'olive et le bonheur d'être là. Et plus tard, sur les draps blancs. Derrière les persiennes au jasmin odorant, les gouttes de rosée perlent à l'herbe et à mon front. Je clos mes yeux comme pour mieux goûter le miel de ce moment. Celui d'être éveillée quand on croit que nous dormons.
Je serais bien restée très longtemps dans ce vert paradis réservé aux agents de l'O.N.F... 
C'est chouette d'avoir un frère garde-forestier.



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Les mots de l'atelier Treize à la douzaine ont trouvé leur place dans mon texte, après coup. Magie de l'écriture ...

01 juin 2019

Bulles d'espoir

A Alain. 
A Pierre-Benoît.








Photo ffnssm








Toi... Toi à qui la vie a donné un si merveilleux sourire et un coeur gros comme ça. Mais qui a oublié de te donner des jambes, ou un bras, ou l'un de ces précieux sens qui la rendent sonore ou lumineuse. 
Ou alors elle te les a arrachés dans un de ces accidents que l'on dit stupides, comme s'il y en avait d'intelligents. Elle t'a déformé le corps, les mains, elle a torturé tes muscles et tes nerfs. Elle t'a ôté une part de toi-même. Elle t'inflige jour après jour un âpre combat contre la pesanteur, les rythmes sociaux, et la difficulté des simples gestes quotidiens auxquels nous ne pensons pas, nous pour qui tout va bien. Mais ton plus dur combat, tu dois le mener contre la bêtise, les préjugés et la méchanceté de certains regards ou paroles. Ou simplement l'inconscience des concepteurs d'escaliers, de rues, de bâtiments...




Photo ffnssm





Bref, tu as dix ans, seize ans, vingt ans, et tu es né, ou devenu « handi ». Et nous, les valides, nous ne pourrons jamais savoir vraiment ce que cela signifie. Tu le sais, et ta sagesse nous impressionne, parce que tu ne nous en veux même pas. Pourtant tu n'es pas résigné.  Tu as décidé de te jeter dans l'action. Tu luttes, et tu veux vivre comme un jeune de ton âge. Tu veux monter sur un podium, et brandir les lauriers de ta persévérance, de ta ténacité.




Photo Céleste

Ce week-end, tu as pu montrer tes immenses qualités dans un grand rassemblement sportif qui s'appelle « Les Jeux de l'Avenir handisport ». Un courage, une joie de vivre, une détermination qui m'ont réjouie et épantelée. 
Je m'étais inscrite comme bénévole à l'atelier « Plongée-découverte ». J'y ai rencontré des gens formidables. J'ai plongé dans l'espoir d'un monde solidaire, battant, allant de l'avant. 
Mais surtout je t'ai vu toi, petit oiseau,  apprivoiser le matériel, le détendeur, le masque, le bloc, la stab, je t'ai vu dépasser ta peur, je t'ai vu apprécier de te sentir flotter dans le silence apaisant du bassin, oubliant quelques instants ce corps qui te fait si mal, oubliant,  pour certains, leur fauteuil garé sur la margelle. Je vous ai tous vus sourire aux anges après votre baptême, et même en redemander. 



Photo Céleste



Vous m'avez donné une sacrée leçon de vie, Léa, Gaspard, Dimitri, Tilotama, Virgile, Joris,  Nawfel, Laurine, Alexandre, Bryan, Fantin, Milan, Shawn, Tony, Lilou, Théo, Kilian et Bilal.
Et surtout toi, Mehdi, joyeux, positif, brillant, toi et ta formidable énergie, toi dont les mains accrochées à tes épaules battaient comme deux petites ailes d'ange. 





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