23 septembre 2024

Le beau jardin, là-haut

 




 Le beau jardin, là-haut, celui que l'on explique aux chères têtes blondes, au regard si plein de candeur. On l'imagine, on l'espère, on le voit. Comment leur dire autrement ce mystère insondable, impensable ? 
Elle ne sont que des enfants qui jouent, insouciantes et gaies, parmi les tombes, sous le soleil d'automne après la pluie grise du matin. Observant de leurs yeux pâles les yeux rougis des adultes.
Que répondre quand elle demande, avec une confondante fraîcheur d'âme : « Mamie ne pourra pas venir à mon anniversaire, puisqu'elle est dans le beau jardin là-haut, mais elle me fera quand même un cadeau ? » 
Ce n'est pas du déni. C'est juste l'expression naturelle, de la vie qui pulse. La belle innocence que voilà. Un enfant ne sait pas encore. Toute notre existence, on ne fait que chercher au fond de soi comment s'accommoder de cette chose que l'on apprend toujours trop tôt.
Comment dire l'indicible ? Une fois de plus, la vieille Camarde a fait son funeste office. Fauchant l'autre mamie de mes petites étoiles. De manière si inattendue qu'on en reste pantois.
Une fois de plus, on pleure un être parti trop tôt. On accroche aux nuages des ribambelles de mots, des musiques qui serrent le coeur, on se prend dans les bras, on s'effusionne pour faire circuler la vie en nous, et dissiper ce courant d'air glacé d'effroi qui nous épouvante. On resserre fort les liens d'amour et d'amitié.
Une fois de plus, on tente de consoler comme on peut le chagrin de deux grands enfants qui ont perdu leur mère. Leur phare, leur repère. 
Et une fois de plus, on se retrouve au soir de ce jour de tristesse, à penser à sa propre finitude. L'âme au bord des yeux. En se disant que le plus dur, quand on meurt, c'est de savoir la peine que l'on va faire aux gens qu'on aime.


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11 septembre 2024

Encaustique et vieilles dentelles

 



Ce qui m'attire l'oeil dans ce tableau, c'est la chaise. Que fait-elle là, au bord de l'eau ? Il est pourtant bien plus agréable de se poser le cul dans l'herbe tendre comme dit la chanson. Et pourquoi une seule chaise ? La fille reste debout pour pêcher, quand le gars est assis. Il se la joue, avec sa gaule deux fois plus grosse. Une représentation des rapports homme-femme qui sent un peu la naphtaline, n'est-il pas ?
Certains tableaux impressionnistes ont gardé un charme puissant à travers les âges, j'en suis la première émue. Celui-là ne me procure aucune émotion. La chaise m'obnubile. Comme si elle était en réalité le personnage central du tableau.
Enfin, tout cela pour dire que cette chaise, sans aucun doute, a dû se retrouver un jour ou l'autre dans un bric-à-brac de vieilles choses, pieds vermoulus et cannage percé. 
Je dois vous avouer, lecteurs chéris, que j'ai toujours eu une aversion prononcée pour les magasins d'antiquités, et les brocantes.  Les Puces me donnent des démangeaisons, et chiner est pour moi un supplice chinois.
 L'odeur de ces vieux meubles, généralement marron foncé, mélange de cire à la térébenthine et de moisissures dues à des séjours prolongés dans de sombres caves ou greniers, cette odeur m'est insupportable. En les voyant, je me prends à imaginer systématiquement leur donner un coup de peinture, un coup de moderne. Un bon relooking, comme on dit maintenant au grand dam des adorateurs de l'armoire normande en orme massif. (Qui, soit dit en passant, ne vaut plus tripette, selon l'implacable loi de l'offre et de la demande)
Il reste que les livres jaunis, les tissus élimés des sofas, les tentures miteuses, les parquets qui craquent, les pots en étain, les napperons, les lampes à huile, tout cet attirail suranné et empesé des siècles passés me donne la nausée. Je ne m'explique pas (si ce n'est par cette hypersensibilité olfactive à l'odeur de renfermé) ce dégoût pour les vieux objets. Peut-être faudrait-il remuer le tréfonds de mes souvenirs enfouis, et même refoulés, pour trouver réponse. L'enfance est le creuset bouillonnant de nos émotions d'adultes. Il s'y forge nos goûts et nos dégoûts, aussi forts les uns que les autres.
Les bestioles empaillées des musées d'histoire naturelle me provoquent le même sentiment de malaise. Comment s'extasier devant des dépouilles de bêtes mortes, je vous le demande ? 
Moi ce que j'aime, c'est le parfum subtil des cahiers et des livres neufs, des tissus bien blancs, de la peinture fraîche, de la lessive qui a séché au grand vent. J'aime les meubles clairs, les plantes vertes, les carnets encore vierges d'écriture, qui sont comme des pages ouvertes sur l'infini de l'avenir. Et les tableaux qui m'émeuvent. Dans mes propos, aucun jeunisme ou racisme anti-vieux. Je serais mal placée, moi qui balance entre deux âges au point de basculer bientôt dans le suivant...
A plus de quatre-vingt-dix ans, ma grand-mère avait la télé en couleur, « parce que la vie, c'est la couleur, et que le noir et blanc c'est vieillot » Elle aima jusqu'au bout s'apprêter, se coiffer, s'acheter des vêtements neufs et vivre dans un intérieur propre et clair. Elle disait que c'était un respect qu'elle devait aux autres comme à elle-même. Ses cheveux de neige sentaient l'ambre et ses joues la poudre de rose. Et elle n'aimait pas les vieilleries. « Déjà que je suis une vieillerie moi-même » disait-elle avec un éclair d'humour dans son oeil toujours vif.
Elle était à part, ma grand-mère.


Pour l'atelier du Goût.