30 novembre 2017

S...M...S

Photo B.



Ce matin

Il me dit qu'il est en train de boire son café, devant ce paysage merveilleux.  On papote un moment sur l'évidence de la simplicité. Ou la simplicité de l'évidence, je ne sais plus. J'adore.

Elle nous dédie à toutes deux cette citation : « Heureux soient les fêlés, car ils laissent passer la lumière »  C'est un peu nous, non ?  Nous ? Bien sûr que c'est nous, un peu, beaucoup, passionnément nous, coquilles fragiles et transparentes, mais pleines de soleil... 
J'approuve.

Il m'envoie une video tellement charmante... Il a filmé sur sa commode un petit père noël qui joue de l'accordéon. Adorable et tendre comme son âme d'enfant. Et pourtant il est arrière-grand-père. 
Je fonds.

Elle me dit qu'elle est aux urgences, qu'elle a le coeur en écharpe. Oh my gode ! Tant de malheurs se sont abattus sur elle depuis quelques mois. Je me demande pourquoi le sort s'acharne parfois sur un sourire et une joie de vivre...
Je tremble.


Cet après-midi

Il fête ses cinquante ans. Je lui envoie un « bon anniversaire » enrubanné de smileys gâteau et bougies. Quoi ? Un an déjà ? Comment fait le temps pour accélérer ainsi ? Allez, champagne, répond-il, pour oublier que l'on vieillit à chaque coup de gong... 
Je plussoie.

Elle m'apprend que notre ami Gégé vient de mourir, terrassé par le crabe.  C'était un être formidable, Gégé. Erudit. Charmant. Délicat. Clo va être dévastée...Clo, c'est sa femme. 
Je pleure.

Il chante dans un choeur d'hommes et m'envoie le programme de son concert de Noël. Il va faire un froid de gueux dans la chapelle. C'est un peu loin. Mais ce sera beau. Ce sera sublime. 
J'hésite.

Elle m'invite à boire le café, avec une surprise. Et quelle surprise ! Mais chut ! 
Je biche.

Il m'envoie des mots pour rassurer le silence. Des mots d'espoir. Des mots de paix. Des mots forts. 
Je cherche le sens.

Ce soir

Elle m'envoie un poème qu'elle a écrit, et elle cite Einstein: «  La folie c'est de faire tous les jours la même chose, et de s'attendre à un changement » ... 
Je souris.

Mon frère m'apprend que Papi Paul est mort. Papi Paul, c'est son beau-père. C'est le grand père de ses enfants.  
Je suis bouleversée. 

Elle me parle d'un livre, merveilleux hasard, « Quatre temps du silence » de Marie Rouanet. Un livre qui parle de temps présent, de la récolte des pommes, de la lumière frissonnante dans les peupliers, de la lecture d'un roman, du plaisir d'un bon repas avec presque rien, des petites conversations avec de rares voisins, du tic-tac trop fort d'un réveil qui empêche parfois de dormir... 
Je suis émue.

Enfin, il me dit que cette chanson de Jeanne Moreau, « l'enfant que j'étais » lui fait penser à moi. 
Je suis touchée au coeur. 






Tous ces « ils » et toutes ces « elles » , des amis, des lecteurs, des êtres humains que j'aime ou apprécie,  se sont donné rendez-vous aujourd'hui  dans ma vie, sur le tapis volant des sms... A chaque son de grelot de mon téléphone, j'ai vibré comme lui. 
Tristes ou gais, toujours surprenants, quand on les lit avec le coeur. Une journée  ordinaire, mais tellement extraordinaire. La vie, la vie, la vie...





¸¸.•*¨*• ☆

28 novembre 2017

Un polar

Chez Lakevio il fallait placer dans un texte l'illustration ci-contre et les dix mots suivants:
soierie, excellent, éliminer, explication, tranchant, 
éclaireur, douceâtre, dominer, effet, hostile.

Chez les Impromptus, il fallait faire figurer:
un acupuncteur ou acupunctrice désorganisé(e)
un salon de beauté
un caleçon
la venue d'un gendarme dans le quartier
un coup de fil anonyme

J'ai bien aimé mêler les deux consignes. Et je tire mon chapeau à tous les organisateurs de défis d’écriture et de concours de photos qui ensoleillent les jours des blogueurs. 




*** 


A « La Dragée Rose », l'excellent et réputé institut de soins et de massages, les clients viennent éliminer leurs graisses superflues, mais aussi trouver, dans la soierie froufroutante des kimonos et sous les mains expertes des hôtesses, l’oubli fugace de leurs soucis.
Kim Lou y travaille comme acupunctrice.
D’habitude, elle plante ses aiguilles dans les corps qui s’offrent à elle, avec un raffinement très professionnel. Pourtant, depuis le matin, elle n’est pas dans son assiette et multiplie les erreurs, arrachant même des cris de douleur à certains clients sensibles.
Et même le caleçon ridicule, orné d’un gros Mickey,  du gros monsieur étalé devant elle à l’instant, ne parvient pas à lui arracher un sourire.
C’est qu’un coup de fil anonyme et assez tranchant, reçu la veille, d’une voix à la fois douceâtre et hostile, lui a annoncé une affreuse mauvaise nouvelle qui a eu pour effet de la bouleverser, elle qui a la réputation de savoir dominer ses émotions à la perfection.
Kim prévient la police en tremblant, de l’imminence d’un drame au salon de beauté de la rue des Rosiers. Un gendarme arrive en éclaireur, à la recherche d’une explication à cet étrange jeu de pistes. Pourquoi le mystérieux meurtrier a-t-il annoncé son crime ? Quel rôle la jeune acupunctrice va-t-elle jouer dans ce drame ?
Voilà le point de départ du nouveau roman haletant de Bad Gateway, le célèbre auteur de polars déjantés.

Les Carottes Sont Cuites Pour Kim Lou, de Bad Gateway, 2017. 
175 pages.
Dans toutes les bonnes librairies de l’imaginaire...




¸¸.•*¨*• ☆



26 novembre 2017

Une lettre pour te dire








Cher Papa





Hier, si tu savais comme, d'un coup, tu t'es mis à me manquer ! Ça te prend sans crier gare, ces choses-là. Without shouting station, comme tu disais en te marrant.
Tes grandes mains larges semées d'étoiles brunes, et ton cou épais dans lequel, petite,  j'enfouissais mes chagrins. Et tes grandes chemises à carreaux, ton vieux survêt' bleu marine et tes pantoufles qui faisaient traîner ton pas.
J'avais peur d'avoir oublié ta voix, alors je me la suis remémorée dans le silence du soir et cela a fait jaillir mes larmes. Elles étaient chaudes et salées comme la mer de juillet  à Villefranche, tu te souviens ?
Tu te demandes sans doute comment va le monde depuis ton départ. Si tu parles du monde avec un grand M tout cabossé, je préfère te le dire tout de suite, il ne va pas bien. La folie des hommes est toujours là et elle n'a pas de limites. Ça m'escagasse le tempérament rien que d'en parler, tiens.
Mais je peux te donner de bonnes nouvelles de notre petit monde, celui dont mes deux bras tendus font l'horizon, et le ciel. 
Maman a enfin trouvé la paix dans son nouveau havre, environnée de calme et de tendresse. Elle parle souvent de toi. Elle regarde tes photos. Ses cheveux lui font une couronne qui n'a jamais été aussi blanche. Et ses démons se sont éloignés, quel soulagement ! C'était tellement une déchirure de la voir comme ça, agitée comme un roseau tremblant de stupeur et se cognant à des murs d'épouvante.
Le jardin, ton jardin, vibre encore de ton pas. Rien n'a changé. J'ai laissé tes outils dans le cabanon, sous de belles ronces couvertes de mûres bleues. Les tomates et les haricots ont un peu moins donné, cette année. Pourtant, il a fait très chaud, peut être un peu trop...Mais les roses t'ont fait honneur, tu les aurais vues au coeur de juin, faire des minauderies aux premiers rayons de l'aube empaquetés de brume ! 
Par contre, le lézard vert n'est plus revenu. Je crois qu'il s'est vexé de ne plus te voir. 
On a vendu ton carrosse à un moustachu de l'autre vallée, au-delà du col des tempêtes. Il a dit qu'il en prendrait soin. 
A la maison, il faudra que l'on repeigne le débord de toit, les planches de rive et les cache-moineaux avant qu'ils ne s'abîment au vent d'hiver. Ah, et puis on a dû changer la chaudière aussi. Et couper l'ampelopsis qui devenait envahissant.
Ton banc est toujours là, sous le tilleul.
Tes huit petits-enfants, tes petites graines, s'égayent aux six coins de l'hexagone et embellissent de jour en jour, solides comme des rejetons de saules. Ils ont tous ton humour décapant et ton optimisme. Tu peux être fier.
Et moi, dois-tu penser ?
Moi, ton petit soldat de plume, je suis toujours sur le pont, à contempler le rafiot de la vie filer sous le ballet des étoiles filantes. Je me sens l'âme d'un capitaine, puisque tu m'en as confié la tâche. J'ai l'habitude tu sais. Ça ne me change guère du paquebot rempli de mioches que je pilotais naguère.
Mais ce soir encore, roulée par la houle écumante et glacée de novembre, je pense à toi, et tu me manques au fond de la gorge.


¸¸.•*¨*• ☆


22 novembre 2017

La grâce







J'aimais bien le patinage artistique, avant. Dès les premiers frimas je guettais à la télévision, le coeur battant,  l'épreuve des « libres dames », deux mots qui, déjà, me paraissaient bien accordés.  Evidemment qu'elles étaient libres, à mes yeux, ces belles fées à paillettes, aux cuisses si galbées, aux décolletés si audacieux. Des symboles.
C'était un envol doux et précieux. Une parenthèse divine, un monde un peu irréel, suranné, guindé dans des principes et un protocole abscons qui semblaient immuables. 
Surtout sublimés par les commentaires de Leonid Zitronovitch.
Puis, plus tard,  par Nelson Montfort, l'émotif, le dithyrambique, l'excessif, que mon père appelait affectueusement « mets l'son moins fort ». 

Bizarrement, ces frêles libellules étaient menées à la baguette par des matrones à l'air revêche, surtout certaines babas russes à la carrure d'haltérophiles. Comment ces catcheuses pouvaient-elles montrer des mouvements si gracieux à leurs poulines, voilà qui était pour moi un mystère aussi obtus que la pierre de Rosette avant Champollion.
Les juges sévères donnaient des notes improbables, en litanies de cinq neuf, cinq neuf, six zéro...Comment pouvait-on sauter de joie en obtenant six zéros ? 

On attendait sa favorite, fixant la glace immaculée, au bord de l'ophtalmie des neiges, et soudain, la grâce surgissait. Elle nous surprenait, par sa délicate empreinte, à peine perceptible. Par ses mouvements harmonieux, ses gestes adorables, ses arabesques crissant sur le miroir gelé de nos songes. Epousant la musique avec le charme d'une danseuse. Légère et court vêtue telle Perrette en ses sabots, des sabots à la lame acérée, dont je me demandais toujours : mais comment font-elles pour tenir là-dessus ? 
Une déité superbe descendant de son nuage laiteux pour nous effleurer de son doigt. 
La Grâce, quoi.


Aujourd'hui,  il m'arrive d'être touchée par d'autres grâces, sans l'ombre d'un tutu et ne rimant plus avec glace.
Comme le merveilleux François Morel chantant un baiser aussi bien que Souchon,  ou Depardieu, le colosse aux pieds fragiles, rendant hommage à Barbara son amie de toujours. 
Plus je les écoute tous deux,  plus je suis émue par leur grâce.







Merci à mes amis Suzame et Patrick Mandon.

18 novembre 2017

D'un chat et d'une tourterelle





Alors que j'ouvrais la fenêtre, ce matin, pour reprendre pied avec le nouveau jour, j'ai eu la chance de recevoir en cadeau, à mes yeux encore tout enchifrenés de la nuit, un spectacle pour le moins insolite. Sur la faîtière cendrée du toit de la maison d'en face, le gros chat beige du voisin scrutait l'horizon. Il ne dormait pas. Même pas d'un oeil, comme tous les chats. Non. Ni à pattes fermées. Ni sur ses deux oreilles (ce qui est très difficile, je n'y suis jamais arrivée)
Mais même aux aguets, l'équilibre tranquille des chats force toujours mon admiration. Vous vous imaginez, vous, vautré en faction sur une corniche d'une main de large, entourée de deux à-pics de tuiles bleues ?
Mais la chose la plus magnifique, la plus impressionnante, la plus formidable, c'est qu'une tourterelle s'était posée juste à côté de lui. A le toucher. Courageuse, la gamine ! Et rien ne se passa, rien que le vent qui faisait trembler les plumes de l'une et les oreilles de l'autre. Pas de drame. Pas d'agression. Pas de village écoutant désolé le chant d'un oiseau blessé*. Juste un immense et court moment de paix intense. Comme un miracle de trente secondes dans cet océan d'heures sales et de choses tristes que l'on nous dit et redit jusqu'à la nausée.
Et soudain, l'alphabet de la nature, ces fragments d'alphabet ancien dont parle Bobin**, ces ruisselets d'italiques, ces morceaux de capitales en espaces de silence me sont apparus clairement. Ils ont formé une phrase. Tout à coup, j'ai lu à livre ouvert, à corps ouvert, le coeur au bord des yeux, le message millénaire des blés, des saules, des boutons d'or, des pétrels, des écureuils, des salamandres, et de tous ces innombrables êtres si divers qui peuplent notre monde, des immensités aplaties et sauvages aux étroites gorges entre deux murailles. 
Et j'ai senti la joie me déborder de toute part, m'envahir, m'investir comme le sable qui se glisse dans chaque interstice de la peau. La joie ne fait pas les choses à moitié.
Oui, j'ai senti la joie m'emplir d'air neuf. Evidente et inexplicable. 
Mais au fait,  pourquoi chercherait-on à expliquer la joie ?

¸¸.•*¨*• ☆







* Jacques Prévert, Le chat et l'oiseau
**Christian Bobin, L'homme Joie.



Edit.de 15.00
Mon ami Andiamo me fait parvenir sa vision de la scène. Je lui laisse toute la responsabilité de ses dires. Comme quoi, la manipulation de l'information, ce n'est pas un vain mot... ;-)


14 novembre 2017

Journal intime




Sous-titre : Briques de l'ego.




Ma fièvre de l'écriture ne date pas de la dernière pluie, savez-vous...En retrouvant ce vieil agenda, parmi tout un tas d'autres, je me suis étonnée, à relire ce que j'écrivais à quinze-seize ans. Mes fondamentaux étaient déjà là.

Humour, passion de la vie, goût d'apprendre, optimisme, mais aussi des choses plus enfouies, plus crues, des scories d'enfance, des intransigeances de jeunesse, des arêtes vives de diamant brut. J'en ai noirci des centaines et des centaines de pages...
En somme, une adolescente dans toute sa splendeur, romanesque, emportée, contemplative, mystérieuse, exaltée, sombre un jour, et lumineuse comme un chant de source, le lendemain. Mon monde tournait autour de trois pôles: le lycée, l'amour, et ma mère qui m'empoisonnait la vie. Forcément. Et je m'adressais à un ami imaginaire, à la façon d'Anne Frank. D'où le tutoiement.





« 31 Août 1976
Je viens de claquer la porte pour mettre fin à la discussion qui, ce soir encore, a envenimé la soirée. J'en ai proprement assez, cela a beaucoup trop duré.
Comprends moi, je ne voudrais pas avoir l'air d'une fille ingrate, je reconnais mes torts. Mais maman fait preuve dans tous les domaines d'une obstination et d'une intolérance qui dépasse les limites.
Pour te résumer en un mot, la cause de tous les problèmes qu'elle nous cause, inconsciemment, peut-être, je crois qu'elle vit dans une autre époque : la sienne. Elle refuse la nôtre qui est encore la sienne - je ne la considère pas comme tout à fait croulante - elle la refuse, dis-je, intégralement.Comme elle refuse, d'ailleurs des tas de détails: le fait que nous grandissons, que nous changeons, que JE change. J'accepte, moi, beaucoup de sa part, jusqu'à un certain point. Quand cette cote est dépassée, je ne peux plus répondre de moi.Il faut que je réagisse, que je crie qu'elle ne m'intéresse plus, que je ne l'aime plus. Dans ces moments-là, je la déteste...»


Ah...le conflit des générations...On dirait Sophie Marceau dans La Boum !
Et cette difficulté de sortir de la chrysalide. Comme ça coinçait aux entournures...Avec le recul, ces textes me font sourire, mais à l'époque j'étais d'un sérieux...




« 9 décembre 1976
Après une dissertation de quatre heures en philo, en compagnie d'un dénommé Descartes, j'aurais aimé aller me promener sur la lande. Mais il a fallu encore travailler, faire de la gymnastique, du latin, de la géographie...J'ai un exposé à faire pour lundi sur la défense nationale au Japon. 
Si tu savais comme nous nous sentions bien, à six heures, quand nous avons terminé la journée. Je ne tenais plus debout, mais je regardais le ciel plein d'étoiles et de nuages, et j'étais bien, tellement bien. Nous nous sommes payé des gâteaux, comme si les grammes perdus en gym nous manquaient, nous avons bavardé de tas de choses. -Qu'est-ce que tu comptes faire si tu as ton bac ? Pour moi, je crois que tu connais la réponse, n'est-ce pas.
Ces derniers jours de décembre ont été très réussis. Bien sûr, il y a toujours les mêmes obstacles, les mêmes inconvénients, des disputes, des devoirs, des polémiques. Même de l'incompréhension. Mais la vie est belle, très belle.  »


Là aussi, il y aurait à dire ! Tiens c'est vrai, quand je parlais de mes petits copains, je disais juste « nous »,  laissant flotter un flou artistique sur ce pronom mystérieux. Au cas où ma mère aurait eu l'idée de violer mon intimité...
Je me souviens aussi que j'avais d'ailleurs inventé un code secret pour écrire certaines choses très très secrètes, mais que j'avais écrit ledit code en dernière page du journal...Quelle naïveté confondante ! Et même plus con que fondante, en réfléchissant. La jeunesse quoi.
Mais ma dernière phrase, c'était déjà du Célestine craché.
¸¸.•*¨*• ☆











10 novembre 2017

L'inconnu du bus 83

Un court texte de Cortazar...


Un monsieur prend l’autobus après avoir acheté le journal et l’avoir mis sous son bras. Une demi-heure plus tard, il descend avec le même journal sous le bras.
Mais ce n’est plus le même journal, c’est maintenant un tas de feuilles imprimées que ce monsieur abandonne sur un banc de la place.
A peine est-il seul sur le banc que le tas de feuilles imprimées redevient un journal, jusqu’à ce qu’une vieille femme le trouve, le lise et le repose, transformé en un tas de feuilles imprimées.
Elle se ravise et l’emporte et, chemin faisant, elle s’en sert pour envelopper un demi-kilo de blettes,
ce à quoi servent tous les journaux après avoir subi ces excitantes métamorphoses.



...qu'il fallait agrandir et étoffer sans en déflorer la trame :


- Te souviens-tu du type que j’avais repéré à l’exposition Rodin au Grand Palais cet été ?
- Ah oui, le beau ténébreux aux yeux de braise ? Le jour où il faisait si chaud ?
- Tout juste, même que tante Rose avait fait un malaise dans l’escalier…
- Le grand, avec les mains de pianiste ?
- Tout à fait !
- Et ce sourire énigmatique…
- Oui, celui-là-même.
- Ah, oui, bien sûr, que je me souviens, quelle question ! Alors, ce type ?
- Je l’ai revu la semaine dernière.
- Ah bon ? Où ça ? Raconte !
- Dans le bus, tu sais, la ligne 83, celle que je prends pour aller voir ma mère le mercredi. Tu n’as pas oublié quand même que je vais voir ma mère tous les mercredis, et que je me tape le résumé de ses parties de bridge avec Huguette, Louise, et puis…la morte, là, je ne me rappelle jamais comment elle s’appelle…
- Ah bon ? Elle est morte et elle joue au bridge ?
- Mais non, c’est une expression du jeu…Pfff ! Laisse tomber.
- Oui, bon, admettons. Et je sais que tu vas voir ta mère, ne t’inquiète pas je n’ai pas encore des failles de mémoire.
- Eh bien, je ne pensais pas revoir ce type. Dix millions d’habitants, et je retombe sur lui…
- Et alors, et alors ?
- Et alors c’est dingue, quand même, un tel hasard…
- Non, je veux dire : et alors, le type ?
- Rien. Nada. Queue d’pomme. Je l’avais aperçu en train d’acheter son journal  au petit kiosque de l’avenue Secrétan, et…
- Celui tenu par le bonhomme qui ressemble à Depardieu, mais en plus mince ? Non parce que quand même Depardieu a vachement grossi, on ne pourra dire le contraire…
- Oui, mais… bon tu m’écoutes ? Enfin… je l’ai vu monter dans le même bus que moi, c’était un miracle…Eh bien, malgré mes efforts pour attirer son attention, il s’est planté le nez dans son journal tout du long, sans même un regard pour moi.
- Ah le pleutre ! Le goujat ! Une si belle fille ! C’est vrai, tu es superbe, surtout avec ce petit caraco bleu pâle qui met tes yeux en valeur…
-… Merci. Et ce qui est encore plus fou, vois-tu, c’est qu’il est descendu au même arrêt que moi, place Emile Goudeau. J’avais le cœur qui chamadait…
- Ça existe, comme mot, ça, chamader ?
- Ecoute si tu m’interromps tout le temps…
- Oui, mille pardons. Mais quand même, chamader, ça n’existe pas…Et donc ?
 - Alors arrivé là, il a posé son journal sur un banc, et je me suis demandé si par hasard il n’aurait pas laissé un indice, quelque chose pour moi, quoi, tu vois…un numéro de téléphone…
- Comme c’est excitant ! Et romanesque…
- Tu parles, je n’ai pas eu le temps de vérifier… Une espèce de vieille bonne femme acariâtre s’est assise sur le banc et a pris le journal de toute autorité, comme s’il lui appartenait…
- Ah la rombière! La vieille bique ! La carogne ! Euh…pardon. …Comme c’est dommage ! Et ensuite ?
- Ensuite elle est partie en laissant le journal sur le banc. Un très beau banc, repeint de frais…Au moment où j’allais mettre la main sur ce tas de feuilles éparpillées qui contenait sûrement la clé du reste de ma vie, elle a rebroussé chemin et elle me l’a subtilisé sous le nez. Tout de go. Tu avoueras que ce n’est pas de chance…
- Tu ne l’as pas suivie ?
- Pardi, bien sûr ! Jusque chez le marchand de légumes à l’angle de la rue des Abbesses et de la rue Aristide Bruant.
- Ah ! Je vois, ils font de bonnes blettes, un peu chères mais c’est très rare à trouver les bonnes blettes alors on peut y mettre le prix ! Euh… mais je m’égare…
- Grrr ! Oui mais si peu !
- Et alors, la virago ?
- Tu ne crois pas si bien dire en parlant de blettes. La voilà qui en achète une bonne livre, qu’elle emballe sans aucun respect dans MON journal… Tu te rends compte de l’impudence de cette femme ?
- Remarque, c’est à ça que servent les journaux, c’est quand même mieux que ces sacs en plastique qui étouffent les tortues dans l’Océan Pacifique.
- Je ne le reverrai plus jamais mon bel hidalgo… bouh hou ! …
- Oui, sans doute…mais, au moins, tu as sauvé une tortue d’une mort atroce !
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