Pourquoi ces rivières
Soudain sur les joues qui coulent
Dans la fourmilière
C'est l'ultra moderne solitude
Je m'appelle Peter. Je me souviens du jour où j'ai rencontré John au cours d'art moderne. Il était peintre. Moi je m'essayais au fusain, à l'huile, à l'aquarelle, mais j'étais un nain à côté d'un géant.
Il peignait avec une sorte de fièvre des personnages solitaires écrasés par la ville, perdus dans un entrelacs menaçant de pierre, de macadam, de verre et d'acier, dans de subtils jeux d'ombres et de lumières.
Notre ami Mike n'était pas d'accord avec cette analyse. Il aimait ces tableaux. Il ne ressentait pas cette lutte entre l'homme seul et l'entité citadine, ce désespoir citadin qui pue si fort le goudron et la sueur dès l'abord des premiers faubourgs. L'air vicié des mégapoles.
Il ne voyait là que des gens épris de liberté badine, des affairés joyeux, des solitudes paisibles et choisies, là où je lisais l'échec cuisant d'une civilisation qui réduit en poudre l'individu et le prive de sa liberté.
Moi aussi, j'aimais ces toiles. Je dois reconnaître que son talent me fascinait, mais de façon morbide. Peu saine. A côté de lui, je n'étais qu'un barbouilleux, une ébauche, une esquisse d'artiste, un brouillon à la mine de plomb. Je lui faisais allégeance inconsciemment. Il était un maître.
Encore aujourd'hui, je contemple son oeuvre avec admiration et effroi. Sa profondeur. Sa puissance.
Ces gens sans liens, enfermés dans leurs peurs, criant silencieusement, abandonnant peu à peu leur espérance en resserrant frileusement leurs bras sur... rien, me laissent toujours tremblant. Je scrute des heures durant ces paysages urbains qui me glacent. J'attends qu'il se passe quelque chose, ce quelque chose qui s'annonce subtilement dans les tableaux de John.
Mike dit que je devrais consulter.
Mais regardez-les, bon sang ! Ils cherchent tous un sourire, une main tendue, l'ombre d'une caresse. Un peu de chaleur humaine. Un regroupement. Un rapprochement. Ils n'ont même pas de chien. Leurs yeux sont morts. Il ne leur manque qu'un hideux masque de papier bleu pour finir de se barricader à la vie.
Bien avant Souchon, John avait inventé l'Ultra moderne solitude. Celle de notre monde qui part en brioche. Ou en pain rassis, plutôt. On ferait bien d'y réfléchir...
Pour l'atelier du Goût
Merci à toi et à Pivoine qui m'avez fait découvrir ce peintre magnifique. John Salminen.
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