Ce matin, j'ai reçu des nouvelles d'un ami que je n'ai plus vu depuis très longtemps. De bonnes nouvelles.
Je suis partie au travail en chantant. Un papillon s'est posé sur mon épaule. J'ai souri.
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A midi, dans la cour il faisait 25 degrés. L'air sentait encore le miel comme en été le soir.
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Cet après-midi, en classe c'était un moment de pur bonheur comme je les aime.
Mes élèves ont découvert Matisse.
Cet instant où chaque enfant est complètement investi dans son travail, au point que les respirations semblent se suspendre. Où je regarde ma ruche qui bourdonne en souriant. J'ai mis le paquet : Mozart en filigrane pour que les sons et les couleurs se répondent, une préparation béton, avec des dizaines de reproductions savamment sélectionnées pour les faire entrer dans l'univers du peintre.
Je regarde ces enfants peindre, découper, coller, et voir naître de leurs doigts la beauté...et je n'ai rien à dire. Tout coule, tout roule, je roucoule, même Kevin est concentré, c'est pour vous dire!
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Ce soir, ma fille m'a annoncée qu'elle était prise pour son stage aux USA. Et devinez où? A Harvard, Boston, Massachussetts! Oui, vous avez bien lu. HARVARD mesdames messieurs.
En Amérique.
-Oh bonne mère! mais c'est loin l'Amérique!
-Eh oui, Escartefigue, à Boston, il y a au moins quarante Canebières!
-Quarante Canebières...ha ha ha !et on dit que c'est les Marseillais qui exagèrent!
Je galèje, mais c'est pour cacher mon émotion. Je suis comme Jacques: trop fière!
Tu marcheras dans le matin poudré de givre, et le soleil naissant fera briller tes yeux.
Tes doigts auront toute la nuit tracé des vitres et des coeurs de buée brillante pour apaiser tes tam-tams intérieurs .
Tu ne comprendras pas très bien ces sursauts tremblants de ton corps, cet envol de tes pieds sur le chemin, ces si petites ailes invisibles accrochées à tes chevilles...
Tu ne comprendras pas pourquoi le monde ce matin te semblera aimable et scintillant. Pourquoi les blés paraîtront d'or au milieu du mois de novembre.
Mais à quoi bon analyser tes sensations, tes sentiments? Tu te laisseras porter par une silencieuse jubilation.
Bien sûr le doute empoignera tes os, te transira comme une pluie glacée. La lente valse hésitation te saisira dans ses bras gourds, et soufflera sa musique fade. Bien sûr, tes pieds bégaieront un retour, ralentiront ton pas.
Mais tu penseras à sa lumière. Tu imagineras ses yeux. La dernière étoile de la nuit jettera sur ta trace une poudre d'airelle et de cumin fleuri pour donner un parfum à ton envie de bonheur éphémère. Les arbres se pencheront vers toi pour te pousser de leurs longs bras grisâtres, et toi, tu les verras opalescents.
Les boutiques auront froid et toi, tu transpireras de ce sentiment flou qui te malaxe et qui t'étreint. Le monde s'arrêtera, tout entier suspendu à tes lèvres impatientes, à ton ventre palpitant. Au fond d'une salle qui vibrera de ta hâte, et résonnera de murmures et de bruits de fourchettes, tu apercevras ton rendez-vous. Alors, ton regard aura l' éclat du diamant, juste pour ces quelques heures volées à l'absurdité.
A tous ceux dont le coeur bat en allant à un rendez-vous.
A la pause de midi, Chloé et Thalie, six ans, discutent sous mes fenêtres. Trop-mi-gnon!
-T'es déjà rentrée dans la salle des maîtres, Chloé?
-Non, on a pas le droit! C'est que pour les maîtresses.
-Moi j'aimerais bien savoir ce qu'il y a dedans...c'est la seule pièce que j'y suis jamais "y allée"dans toute l'école.
-Eh ben moi, la chambre de mes parents, j'ai pas le droit d'y entrer tu sais pourquoi?
-Non?
-Eh ben parce que mon papa il fait des bisous à ma maman tout nu. Hi hi hi! I font l'amour en fait, ça s'appelle.
-...ah! ben... Moi mes parents ils sont divorcés, alors...
-Tu crois qu'i font l'amour dans la salle des maîtres?
-Mais non, les maîtres et les maîtresses eh ben, c'est pas des parents quand même!
C'est vrai, quoi, quand même! Ça se saurait si on était des parents! Heureusement, d'ailleurs, j'y pense, parce qu'il s'en passerait de belles dans la salle des maîtres...
Petit matin froid d'automne. L'été indien s'escape, comme on dit chez nous. J'arpente mon jardin vivifiant de plantes légères. Elles vont brunissant à vue d'oeil. Le bouleau se couvre d'or dix-huit carats. L'herbe perd son vert ripoliné, dans deux mois elle sera grise. Les ombres hanteront la pelouse glacée, et les moineaux grelotteront dans le vent aigre, la plume hirsute.
L'heure n'est pas encore aux tourments de l'hiver. Mais il fait déjà frisquet, c'est la bande-annonce du programme qui nous attend. "On se les gèle" dirait mon père. En restant comme toujours équivoque sur ce que remplace le pronom personnel complément d'objet direct de cette phrase... En attendant, les après-midis nous consolent encore, de leurs tiédeurs d'octobre. "On va le payer" dirait ma mère, toujours suspendue au bras vengeur d'une quelconque et étrange justice immanente...
Je me penche sur un spécimen de joubarbe "sempervivum". Celle qui vit tout le temps. L'éternelle... Elle me tend sa corolle charnue et somptueusement ordonnée. Elle oriente aux rayons du matin sa petite tête frêle, comme si elle était heureuse de projeter la vie hors de ses feuilles, et de m'en éclabousser. Comme si elle possédait une pensée propre.
Et je sens tressaillir quelque chose au plus profond de moi-même. Une sorte de soupir primal, comme si toute la beauté universelle se retrouvait tout à coup concentrée dans cette simple et parfaite combinaison végétale. Comme si tous les mystères du monde m'étaient apparus furtivement, l'espace d'un clignement de paupières.
Submergée par l'émotion, je laisse couler d'inexplicables larmes. Il me semble la voir frémir sur sa tige comme un encensoir (Ah non, flûte, c'est déjà pris, cette métaphore...sorry, Charles)
Puis la petite voix de la raison me susurre "Non mais ça va pas, ma vieille, de t'extasier ainsi sur une plante grasse?"
Mais je m'en fous: pour un instant, dans mon jardin, la terre a ralenti, doucement le temps s'est arrêté, rien que pour moi.
Sa douce petite musique a résonné comme une salutaire sonnerie de récréation.
Il était 22 h 29 et je comatais* entre la télé et mes copies à corriger... Qui dira la solitude du prof devant son tas de copies doubles, le soir au fond des bois?
C'était un texto de Jeanne. Nous nous sommes mises à essemesser* comme des petites fofolles. Echanger des riens, échanger des tout...
Un jour, je lui ai donné mon numéro de portable en semant des indices sur son blog. Et comme elle est malicieuse, elle a trouvé tout de suite ma géniale astuce: les numéros des départements...Un truc que je tiens de ma chère grand-mère...
Soi-disant qu'il y aurait une vie "virtuelle" et une vie réelle! Ce n'est pas vrai: à ce moment précis, Jeanne est bien plus réelle que certaines personnes qui se disent de mes amies et qui ne donnent signe de vie que lorsqu'elles ont besoin de moi... Magie des nouvelles technologies! Je suis en train de papoter avec quelqu'un qui se trouve à...814 km si l'on en croit Sir Google Earth*, et j'ai l'impression qu'elle est assise à côté de moi sur le canapé. A moins que je ne sois sur le sien... M'enfin, la vie virtuelle nous ferait trembler, nous ferait palpiter, nous ferait rêver, et ce ne serait pas la vraie vie, ces battements de cœur?
On rit, on s'échange des photos, des applis* de smileys*. On parle de nos points communs: trois enfants dont on est si fières, le même genre de boulot (pompant mais passionnant), nos chats, notre sens de l'humour...Ah! l'humour, ce remède imparable au désespoir!
Et comme une femme peut faire plusieurs choses à la fois, nous tchattons* en même temps, avec nos filles respectives... J'essaie juste de ne pas m'emmêler les pinceaux entre les lol* et les mdr*, et de ne pas répondre à Jeanne que je lui ai viré 200 euros pour payer son trimestre de danse. Nos filles sont étudiantes, belles et loin du nid. Trois points communs de plus.
Et on décide d'écrire ce billet à deux mains...Une idée subtile de Jeanne! J'ai hâte de voir comment elle a vécu ce moment de partage... Je trouve qu'elle me ressemble. C'est une fille avec un coeur énorme.
Elle s'appelle Jeanne et on s'est promis qu'un jour on se rencontrerait...
* si vous ne connaissez pas la signification de ces mots, tant pis. Désolée, vous n'aurez pas votre Brevet Informatique et Internet, (B 2 I) appelé aussi bédeuzi. Et donc, bien que vous ayez plus de douze ans, vous redoublerez votre CM2. Na!
Il faisait une chaleur à
crever. Nous attendions, Brigitte et moi, depuis des heures, en plein
soleil, les lèvres sèches de soif et de fébrilité. Il y avait des
fleurs dans nos cheveux et nos jeunes corps vibraient sous la soie
indienne.
La file d'attente n'en
finissait pas. Mais rien n'aurait pu nous atteindre. Nos quinze ans
avaient triomphé de nos parents, de leurs appréhensions, de leurs
peurs de la drogue, des garçons, des mauvaises rencontres. Nous
avions nos billets « for heaven ».
Nous pénétrâmes enfin
dans le chaudron incandescent, le cœur battant. Un incroyable
couvercle de fumée âcre flottait au-dessus de la foule en délire.
Des substances plus ou moins licites qui piquaient les yeux et
enrobaient nos pensées d'un voile flou. Enfin, quand je dis nos
pensées...le peu de raison qui nous restait s'avanouit dans la
rumeur sourde de ce creuset infernal.
La tension était
palpable. La scène restait désespérément vide. Les énormes
enceintes grésillaient dans l'attente. Des filles se pâmaient au
premier rang, étourdies de leur douce folie et de longues heures de
jeûne forcé.
Une brume artificielle
tenace et opaque avait investi les moindres interstices de l'espace.
Brigitte se ferait sûrement une élongation des mollets à force de
se hisser sur la pointe des pieds. Moi, j'appréciai pour la première
fois mon mètre soixante-quinze qui me permettait d'apercevoir les
projecteurs sous lesquels Il ne tarderait plus à apparaître.
Les sifflets se firent
plus stridents, la rumeur enfla, un tremblement agita les gradins
derrière nous. Des milliers de pieds frappaient le sol en cadence
comme des marteaux-pilons. L'air s'emplit d'adrénaline.
Et soudain, au paroxysme
de la surexcitation, les premières notes de guitare s'élevèrent...
Il apparut, mythique,
dans son halo de brouillard qui le nimbait d'une sorte de divine
aura.
Sur la grève.
Enluminée, envahie, investie par les cris des mouettes blafardes, elle marche en respirant la mer.
Il y a juste elle. Et la mer.
L'automne a éclairci le sable, les couleurs vives de l'été, les matelas, les parasols rouges verts bleus jaunes, sont remisés pour la morte saison. C'est le temps des grisailles fades, où les embruns reprennent leurs droits, piquants, salés, et froids. Le temps est unichrome.
Elle marche droit devant, la plage imprimant à son corps un rythme ondulant, elle se sent échassier, elle se sent mammifère marin échoué, coquillage, araignée. Elle est cette algue mauve et verte, elle est ce rocher apaisant mais furieux sur lequel gronde l'eau. Elle est la ligne imperceptible entre l'onde et le ciel.
Elle ramasse un couteau, une praire qu'elle glisse à son oreille. Elle a toujours ses gestes d'enfant, des rires perlés, des cheveux rebelles qui lui fouettent les joues. Elle grandira plus tard.
Là, pour l'heure, elle médite, seule et calme et lumineuse.
Elle sait qu'elle ne sait rien, elle est sûre de n'être sûre de rien. Tout ce qu'elle voit, c'est sa vie se dérouler, éphémère, interrogative, mystérieuse.
Elle connaît les fêlures, les plaintes, les défis, les prudences, les envies, les descentes, les traits, les désirs, les sommets, les révoltes, cette pâte à modeler des jours qui se ressemblent, et d'autres uniques et précieux comme l’Elixir.
Elle a appris à apprivoiser ces sautes d'humeur du destin.
Elle a appris à faire fondre lentement sur sa langue les instants de bonheur comme des berlingots.
Elle sait qu'il ne faut rien attendre, juste cueillir, ouvrir les bras, donner, aimer.
L'air fraîchit. Le soleil s'effondre sans un bruit.
Elle sait que l'eau effacera la trace de ses pas. Elle sait que ses os deviendront un jour ce sable, que son corps mugira son dernier cri dans l'hiver sidéral.
Après tout, elle préfère en sourire:
Il fait bon, il fait bleu. Il fait or.
Tout baigne.