15 juillet 2024

J'aurais pu écrire Le goût des Choses Simples... mais ça faisait publicité Herta.

 





C'est l'été que la vie bouillonne le mieux, que ses élans prennent tout leur sens, et la tournure de torrents frais, ou d'orages soudains. Parfois aussi, d'un soleil insistant qui met le feu à ma robe. Un tapis d'aiguilles de pin craque sous les pieds, émoustillant, libérant l'odeur de nos gestes. C'est comme si l'absence de vêtements libérait aussi les âmes. 
Le ciel hier matin si calme a énoncé sa déchirure : les traits d'avion se délitent en franges douces, et mâchurent le bleu. Le vent du sud s'engouffre sous ma jupe. 
Les cris des enfants résonnent encore sur la margelle. Ils sont partis hier. Chaque joie d'enfant recèle mon enfance. Fait remonter un peu de nostalgie, telle l'écume du sucre sur la confiture chaude de ma grand-mère. C'était bien avec eux. Mais c'est bien aussi sans eux.
Les nuages par grappes jouent à assombrir le jour. 
Pleuvra-t-il sur le soir ?
Pour l'heure les cigales ont entonné leur concerto en crincrin majeur. On dirait qu'elles poncent chaque arbre avec application. On les avait presque oubliées dans le tournoiement familial.
La journée commence au jardin, parmi les cistes et les sauges qu'il faut tailler pour qu'elles refleurissent. Si tu les tailles bien, elles redonneront jusqu'en novembre. 
Arroser chaque plante en l'appelant par son prénom. Parler à l'olivier pour qu'il pousse. Humer l'air plein de rosée. Ecouter le tintement du râteau sur la pierre. Penser à mon père. Aimer ce moment.
Un repas simple, et délicieux, salade de courgette et poulet froid, pour moi un luxe bien plus précieux qu'un banquet. Il est midi six, c'est l'heure de Catherine. A midi les aiguilles se sont épousées pour un instant, ne faisant plus qu'une.
Il y aura une petite sieste pépouze dans la fraîcheur de la maison, indispensable réunion de soi avec soi, césure à l'hémistiche de la journée..
Et puis la baignade, qui aime les corps libres. L'empreinte éphémère des pieds mouillés sur le caillebotis brûlant. Le guêpier toujours là, sur son perchoir de pin. La guêpière, elle, n'est pas de mise. On est nu. 
Les abricots juteux sur la table. La citronnade qui agace les lèvres. 
La torride saison viendra-t-elle ?
Elle est déjà sous ma chemise, dans l'odeur de cannelle de tes mains, de ton cou, dans nos jeux défendus, dans la simplicité d'être. Elle entrouvre ses paradis et érige ses totems sous le soleil, exactement. Inconsciente des désirs qu'elle provoque.
La nuit allumera des falots, nous regarderons danser leur reflet dans l'eau, en sirotant ce que l'on aime, et rien ne nous paraîtra plus beau.

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01 juillet 2024

J'ai rencontré Jésus






Je vais sûrement décevoir les amateurs de mysticisme religieux. Non, votre Célestine ne s'est pas soudain trouvée transportée sur un nuage biblique éclairé d'un rayon lunaire, comme dans une illustration de Gustave Doré. Pas de vision extatique non plus. Pas de départ inopiné au Carmel ou aux Ursulines.
D'ailleurs je reste fidèle à ma conviction que les croyances devraient rester secrètes, comme je l'écrivais il y a huit ans déjà, dans ce billet. Ce serait simple... Le monde ne s'en porterait que mieux. Vous ne saurez donc rien des miennes, comme je l'ai toujours dit à mes élèves quand ils me demandaient si je croyais en Dieu.
Alors voilà. C'était à la boulangerie, ce matin. Un homme était en train de converser avec la boulangère, il ne semblait pas pressé de payer son pain. Les cheveux longs sur les épaules, la barbe, le regard doux : il ressemblait à ce Jésus des images pieuses que l'on distribuait au catéchisme. Ou aurait pu sortir tout droit du tableau de Léonard de Vinci. Il y avait comme une harmonieuse logique à le voir là, devant ces paniers de pains dorés.
Trois personnes attendaient devant moi, mais ses mots ont attiré mon attention. 
J'entendais entraide entre les peuples, solidarité, amitié fraternelle, construire, positivité. Que cette chose si précieuse qui s'appelle le bien commun ne devrait pas être confiée aux politiciens. Que ceux-ci étaient déconnectés du réel, et qu'ils ne comprenaient rien au vivre ensemble. A la chose publique. « La chose Publique,  vous comprenez, c'est le sens du mot Res Publica. Cela regarde tout le monde. » C'était appuyé sans être véhément. 
Diantre ! On assiste rarement à un cours d'étymologie latine en achetant sa flûte quotidienne.
Au milieu des conversations banales sur la pluie et le beau temps, qui émaillent à mots furtifs les rencontres matinales des petits commerces,  voilà quelqu'un, sorti de nulle part, qui n'hésitait pas à énoncer sa vérité d'une voix haute et claire, sans agressivité. Comme avec une paisible évidence. En réalité, un seul mot me venait aux lèvres en l'écoutant. Il parlait d'Amour. Celui du prochain. Celui des gens. Celui de l'étranger. L'Universel, celui qui circule depuis toujours comme une sève pour maintenir en vie l'humanité, ce vieil arbre tordu par la folie des hommes. 
Les autres clients semblaient médusés, et en même temps, opinaient du chef : on ne pouvait qu'être d'accord avec cette sagesse tranquille, utopiste et pourtant si vraie. 
Une parole profonde vaut tellement mieux qu'un verbiage cent fois entendu.
Quand il est sorti, il y a eu un blanc. Dans son sillage flottait un peu de poussière d'espoir, qui se mêlait adroitement à l'odeur délicieuse des croissants sortis du four. 

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17 juin 2024

Dans l'air tremblant de l'après-midi

Photo internet René Dumoulin






Cet après-midi vibrait de cette douceur surprenante de l'été qui tente une approche, se frayant un chemin parmi les perturbations dues à des causes diverses, année de treize lunes, année bissextile, passage de la comète du diable, et j'en passe. 
J'abandonne la lecture de Frederic Lenoir pour écouter un extrait de la messe en ut mineur de Mozart. Page soixante-quatre, il indique quelques musiques qu'il aime, et celle-là en fait partie. Les yeux mi-clos, je vois les branches hautes du pin, tendues comme des doigts gantés de velours vers le ciel. Elles oscillent doucement au vent.
Soudain, un drôle d'oiseau se pose en équilibre au sommet de l'arbre voisin. 
C'est un guêpier. Un oiseau extraordinaire, difficile à observer. Une farandole de couleurs parcourt son plumage brillant.
Il reste là, de longues minutes, bougeant sa tête en tous sens et alors... le temps s'arrête. 
Je ressens fortement, sans pouvoir expliquer pourquoi ni comment, une forte connexion entre l'arbre, l'oiseau, le ciel, Mozart et moi. L'harmonie de ce tableau vivant me transperce, c'est le sentiment dont parle justement mon livre : La Puissance de la Joie. Comme si nous étions les cinq éléments d'un ensemble mystérieux, une toile où rien ne manque, en cet instant. 
Je retiens mon souffle. Pas question de rompre le charme en allant chercher l'appareil photo. Je m'applique à imprimer l'image derrière mes paupières, et dans chaque fibre de mon corps. Une joie profonde, muette, sublime, me traverse.
Certains n'auraient vu là, sans doute, qu'un piaf posé sur une branche, sur fond musical, un jour où il fait un peu moins moche que les autres. 
La perception des choses est tellement personnelle. J'en serai éternellement étonnée.


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06 juin 2024

Lettres du Japon (13) L'âme japonaise. Fin.




Me revoilà au bercail. La tête et le coeur emplis d'impressions et de souvenirs. Il me reste à trier, ordonner et mettre en page des milliers de photos pour en faire un bel album, comme à chaque fois. Rappelez-vous ce billet. J'y parlais de l'Irlande, de Venise...

Ce fut un beau voyage. Parfois un peu dystopique, dans les méandres des mégalopoles surpeuplées. Souvent plein de magie, dans les hauts-lieux spirituels. Mais toujours empreint de ce parfum mystérieux de l'ailleurs, de l'étrange, de l'exotique au sens premier : ce qui est étranger, en-dehors de soi. Différent.
Je n'ai vu qu'une toute petite partie du Japon. Connait-on jamais un pays ? Je sais qu'en quinze jours, on ne peut voir que l'écume de son âme. La surface des choses.
Je sais que c'est loin d'être un paradis pour la condition féminine, que le taux de suicide y est élevé, que le monde du travail est impitoyable et très hiérarchisé, que le système de retraite est inexistant, ce qui fait que l'on trouve beaucoup de personnes très âgées encore au travail...
En bref, la beauté des jardins et les lignes audacieuses de l'architecture cachent sans doute de tristes réalités. Et le fait de vivre constamment sur une poudrière volcanique, sujette aux séismes, typhons et autres tsunamis, sans parler des accidents nucléaires, n'est pas le moindre des inconvénients. La consommation y est effrénée, le mode de vie artificiel des jeunes épris de mangas et de haute technologie a de quoi inquiéter. Tout comme l'obsession de l'hygiène et la frilosité des rapports humains. On ne se touche que très peu au Japon.
Malgré tous ces points noirs, notre guide semblait très attachée à son pays, à ses racines, son histoire et sa particularité îlienne. Et très fière. Elle ne saurait vivre ailleurs que sur la terre de ses ancêtres. 
Oui, parce que les Japonais sont avant tout des Îliens, tels les Anglais ou les Australiens, d'ailleurs comme eux adeptes de la conduite à gauche.
J'ai aimé vous faire partager mon périple, et je vous remercie de m'avoir suivie, pour certains très fidèlement, dans ces pérégrinations du bout du monde. 
Allez, pour vous, une jolie collection de portraits. Puissent-ils vous donner une image de l'âme japonaise telles que je l'ai perçue.
(Cliquez sur les images pour les agrandir)