16 janvier 2025

La mer secrète



Janvier s'étirera, aussi vite que les autres mois, et les jours auront bientôt volé des tas de minutes à la nuit. C'est toujours vers cette période, là au coeur de l'hiver,  que la mer se met à m'appeler, doucement, comme une plainte furtive au fond de la nuit. Celle qui vous tire du lit.

Mon enfance niçoise aimait la mer secrète sans les touristes,  les premiers jaillissements des mimosas qui frissonnent, poudrant de jaune les collines, et les narines des enfants qui enfouissent leurs nez dans ces boules de soleil pour s'enivrer de leur parfum.
On trempait juste le bout des orteils dans l'eau revigorante, et on tremblait de plaisir. Des fous se donnaient rendez-vous pour des bains d'hiver, et en ressortaient délicatement violacés du haut jusques z'en bas. Des fadas.
Mais la mer en hiver, c'est avant tout une ambiance. Particulière. Inimitable. 
Des plages encore vides. Des terrasses de café déjà pleines, où l'on se prélasse pour capter les premiers rayons. Alors que la saison serait plutôt aux sports de glisse sur neige, moi j'ai toujours irrésistiblement envie de me lover dans une anse sableuse, à écouter le clapotis de l'eau sur les pointus. Les amoureux de la mer savent bien qu'elle est plus belle quand le silence la nimbe de mystère. Quand le soleil l'éclaire de manière oblique. Les voiles blanches prennent des allures de tableaux à l'acrylique. Chaque goéland semble posséder l'espace sonore à lui seul. On marche sur le sable mouillé, on ramasse un coquillage, le regard perdu vers l'horizon brumeux. On est seul. On est bien.
De là à dire que je n'aime pas la foule, il n'y a qu'un pas, que je franchis allègrement. Je n'aime pas les plages bondées où l'on tente de deviner la couleur du sable sous les milliers de serviettes bigarrées. 
Et pourtant... A une époque, l'été, la plage était moins fréquentée le matin, et le soir. A huit heures on était les rois du monde. A dix-huit heures, ça commençait à se vider.
J'aimais le mélange des odeurs sur la plage : effluves d'ambre solaire, de monoï, de varech et de pralines grillées au caramel. Les fameux chouchoux de notre enfance... La mélopée des vendeurs à la sauvette : « Chouchoux ! Boissons fraîches ! Beignets aux pommes ! Ils sont là les bons chouchoux ! » 
J'aimais les cris, étouffés par le ressac, des enfants qui jouaient au jokari ou qui construisaient d'improbables châteaux forts, cernés de douves à l'eau de mer. 
Le bourdonnement d'une vedette, au large, suivie d'un long ruban d'écume. Le claquement du drapeau de baignade sous la brise. Vert ? Jaune ? Rouge ? Sa couleur donnait le ton de la journée. 
La nonchalance des maîtres nageurs aux torses dorés et au sourire étincelant. Des éclats de rire. Et ces vieux Niçois, basanés comme des loups de mer,  assis en cercle sur leurs pliants, formant une île n'appartenant qu'à eux. Que se racontaient-ils ?
Les bisous mouillés de mes enfants qui posaient, comme un trophée, sur mon ventre brûlant une coquille froide : je faisais un bond !
Les glapissements d'une bande d'adolescents jouant au beach volley dans de grandes gerbes de sable. Enfin, quand je parle de sable, il fallait aller le chercher à Villefranche. 
Parce qu'à Nice, c'étaient les fameux galets, si peu confortables pour les pieds et le reste... 
Je n'oubliais pas mon matelas. Dans le demi-coma d'une sieste au soleil, bien abritée sous un  grand chapeau de paille, flottant dans la béatitude d'un foetus dans son amnios, je me sentais  à la fois dans et en dehors de la vie. Une vraie chatte de Schrödinger des rivages...

Après le quinze août, la plage redevenait vivable.
De nos jours, c'est le métro aux heures de pointe tout le temps, du quinze mai au quinze septembre. 
C'est sûrement pour cela que je n'aime plus Nice qu'en hiver. 
Au mois d'août, j'irai rêver devant les belles étendues sauvages et ondulantes d'Hardelot ou de Malo Bray Dunes. La mer comme je l'aime.
A moins que Bleck ne me fasse découvrir le Grand Crohot...


Hardelot 16 août 2021

Clin d'oeil pour Julie : mon frérot et sa chérie
à Hardelot, le même jour.

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La mer secrète.


Quand nul ne la regarde,

La mer n’est plus la mer,

Elle est ce que nous sommes

Lorsque nul ne nous voit.

Elle a d’autres poissons,

D’autres vagues aussi.

C’est la mer pour la mer

Et pour ceux qui en rêvent

Comme je fais ici.


Jules Supervielle


08 janvier 2025

Souvenirs sous ma frange

 « La peur, c'est l'enfant en nous qui panique. »

Tahar Ben Jelloun




 



C'est drôle la vie. De temps en temps, on tombe sur une vieille photo, et une flopée de souvenirs nous revient au visage, comme un paquet de mer par forte houle.
Il y a eu une époque de ma vie où j'avais un chien. Il s'appelait Boulou. Quel amour ce chien !
C'était une sorte de briard croisé porte et fenêtre. Un bâtard, pour tout dire, mais si attachant, si drôle, si affectueux avec ses yeux comme deux olives noires derrière sa frange de poils. Moi aussi je portais déjà la frange qui ne m'a plus quittée, ma marque, mon rempart derrière lequel j'ai dissimulé longtemps mon regard, de peur que l'on me dévoile le coeur...

C'est drôle la vie. Parce qu'à cette époque, je n'avais pas encore peur des chiens. J'ai quoi sur cette photo ? Trois ans ? Quatre ans ? Nous jouions dans le jardin, mon frère et moi. Je vous ai déjà parlé de mon frère Mike,  le compagnon de jeu préféré de mes tendres années. J'en avais parlé ICIEt une autre fois,  LA 
Nous jouions et Boulou se prêtait à nos jeux. Qu'il était mignon avec son chapeau... Et moi, je me trouve craquante avec ma poupée Bella, et mon petit menton volontaire. Avec cette émouvante innocence que je retrouve chez mes petites étoiles. 

Un jour, premier trauma, il y a eu le chien de la mère Mac Miche, une sorcière aux dents jaunes qui terrifiait tous les bons petits diables sur le chemin de l'école. D'habitude, il se contentait de montrer ses crocs baveux derrière la vitre noire de son antre. En aboyant d'une voix rauque comme un forcené. Mais ce jour-là, le dogue était sorti, il errait en liberté, et divaguait au soleil,  ivre d'avoir été trop longtemps confiné.
J'ai été terrorisée. 
Au point d'avoir développé une phobie, que je n'ai commencé à soigner que récemment. Sous hypnose. Avec de bons résultats, puisque je ne pars plus en courant quand un chien s'approche de moi à moins de trois mètres.
Mais toute ma vie, j'ai eu cette peur bleue chevillée au ventre. 

C'est drôle la vie. On développe des aversions, des névroses, des angoisses sans nom, qui puisent leur racines dans le tréfonds du berceau de l'enfance. Dans la délicate malléabilité de nos jeunes cerveaux. Et puis un jour, il arrive que l'on parvienne à les vaincre. Par un long et lent travail d'apprivoisement. Parallèlement à celle des chiens, j'ai surmonté ainsi ma hantise de l'obscurité, ma peur viscérale de l'eau, et d'autres blessures de l'âme encore que je tairai ici. 
Et ce chemin de reconquête de moi-même, j'en suis fière.




01 janvier 2025

2025






Dis donc, Celestine, on dirait bien que le Nouvel An est là… Tu nous as sûrement préparé un de tes billets de voeux si personnels, non ?
- Peut-être bien... Sais-tu, jeune Padawan, que tes cinq sens sont les plus beaux cadeaux que la vie t'ait jamais offerts ?
Cinq sens, oui, cinq fenêtres ouvertes en grand sur le monde sensoriel. Notre monde. Le seul vivable, n'en déplaise aux élucubrations de quelques fous qui croient à la planète de rechange...
Par eux, tu détiens un pouvoir inédit, celui de tout connaître, si tu en as la curiosité : la saveur d’un fruit mûr cueilli à même l’arbre et sitôt dégusté. 
La beauté d’un village perché offrant au soleil couchant son ventre rebondi d’oliviers, dans une de ces vallées secrètes encore préservées.
L’odeur de la pluie, que l'on nomme pétrichor, exhalée des pierres brûlées par l’été. 
Le bruit de l’océan, grondant comme un remous de géant, un matin d’hiver sur une plage grise d’embruns. 
Le grain d’une peau hérissée de frissons dans un rai de lumière.
Chaque jour tu trembles de tous tes cils vibratiles, de tes papilles gustatives, olfactives, de tes pores, de tes poils qui se dressent, de tes tympans qui se tendent, de tes cônes, et de tes bâtonnets qui te font voir la vie en couleurs. Un vrai festival de particules. 
Cela te paraît si normal, si banal… y prêtes-tu vraiment attention ? 
Mais qu’un seul de ces sens vienne à te faire défaut , et le manque se fera cruel, tu verras. Ou plutôt tu ne verras plus, si tu perds le plus précieux d’entre eux. Il te faudra réapprendre à vivre avec le souvenir amer de ce que tu ne ressens plus. 
Ainsi va la vie. 
Quand les choses nous échappent, on réalise leur importance.
Alors n’attends pas : célèbre, jour après jour, au long de cette nouvelle année qui se profile, la joie de posséder tous tes sens. Pose tes mains partout, de l’écorce d’un vieil arbre à la joue d’un bébé. Goûte le froid, le chaud, l’amer, le salé, le doux.  Savoure chaque bouchée avec des mines ravies, avec une faim d’esthète, en parsemant ce que tu manges de saveurs inconnues : risque-toi sur la nouveauté. Sors de tes sentiers balisés. Il est des épices étranges qui ont le goût d’une musique.
Et des sons qui te transporteront comme un voyage. 
Fais de ta vie un bateau aux mille escales surprenantes. 
Apprends à aimer même ce qui pique, ce qui sent fort, ce qui blesse l’œil, et même ce qui donne le tournis ou la nausée. C’est encore de la vie. 
Ouvre tes yeux écarquillés pour ne rien louper de la séance, elle dure si peu…Une poignée de secondes dans l'éternité cosmique. Et ce qui est encore plus bluffant, c'est de les conjuguer, dans ce maelström de correspondances chères à Baudelaire. 
Souris à ton miroir. Souris à ton prochain. 
Ne deviens pas aveugle de l’âme, sourd au malheur d’autrui, enrhumé du bonheur ou manchot du cœur. 
Mon sixième sens me dit que tu ne devrais pas le regretter... 
Je te souhaite, et à vous aussi mes chers lecteurs, de toute mon âme, une année riche de sens. 
Très bonne année 2025 !

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 C                                    e¸¸.•*¨*• ☆ 


22 décembre 2024

La dictature du bonheur

 







Revoilà Noël. 
Chaque année, le 25, à minuit précise, sous le clocher givré, imperturbablement, les douze coups sonnent, quel que soit ton état d'âme et de coeur, et de corps. 
Et il revient de plus en plus vite, en plus, au fur et à mesure des années. Ah, tu as remarqué, toi aussi ?
C'est la joie. L'espoir, la trêve des confiseurs, un peu de poésie et de rêve dans un monde brutal, et les paillettes dans les yeux des enfants.
Mais rien ne t'oblige à être joyeux à tout prix. Ni sur commande.
Pour toi, Noël, ce sont peut-être de mauvais souvenirs qui reviennent, insidieusement, se glisser dans tes papillotes. Leur chocolat a un goût amer, et tu es seul à le savoir, à le vivre. 
Il est né le divin tourment, pour toi qui as perdu un proche, un parent, un enfant, une amie. Pour toi, qu'un mari a quitté(e)sans laisser d'adresse à la fin du réveillon.  
Pour toi, qu'un patron a licencié(e)sans préavis. Pour toi qui viens d'apprendre que tu as une maladie incurable. Pour tous ceux qui se retrouvent seuls fin décembre, ou dans une famille déchirée par des haines intestines. Pour toi dont la voiture a dérapé sur le verglas il y a dix ans, en allant à la messe de minuit. Pour toi dont la maison s'est pris un arbre déraciné qui l'a coupée en deux. 
 Il ne se passe pas davantage de choses tristes ce jour-là, que les autres jours de l'année. Mais celles-là sont marquées à jamais, parce qu'elles arrivent au moment de la joie programmée. Elles ont un côté indécent, déplacé. Elles éclaboussent les guirlandes et les ortolans de leur gênante incongruité.
Noël catalyse les émotions, les rend plus cruelles, en tout cas plus intenses. Noël est un savant creuset de mélancolie et d'exultation. De bonheur et de détresse. C'est une fête à double sens. 
Alors oui, il y a les liens, familiaux, amicaux, amoureux, et les enfants, leur innocence, leur émerveillement. Pour eux, cette année, tu vas peut-être te forcer un peu à sourire sur les photos. Mais rien ne t'oblige à simuler un bonheur parfait. Tu as le droit de te sentir triste sans savoir pourquoi. Ou de te laisser envahir par la pensée de tous ces gens qui, dans le monde, n'ont pas droit au moindre Noël. De te laisser submerger par ce sentiment d'injustice. Oui, tu as le droit de trouver ça injuste. Tu as le droit de vivre un Noël différent des images de papier glacé des magazines. 
Tu as le droit de stresser pour tout organiser parce qu'on sait bien que c'est la quadrature du cercle chaque année...
Tu as le droit de détester les huîtres, le foie gras, et les montagnes de chocolats en papier doré.
Bref, tu as le droit de ne pas céder à la dictature du bonheur commercial. 

Mais je te rassure : tu as le droit aussi de te sentir pleinement heureux, simplement parce que tu vas voir ceux que tu aimes, partager des moments forts avec eux. 
Parce que ton coeur bat à l'unisson de ton âme, que tes démons s'éloignent et que, pour une fois, tout va bien dans ta vie.

Allez, on va dire que c'est le Noël de tous les droits.

Alors contre vents et marées, du plus profond de mon coeur, je vous souhaite, mes chers lecteurs, un merveilleux Noël essentiel, de tendresse, de solidarité, et d'amour.

Votre Célestine

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(... • .. )









13 décembre 2024

Etre simple

 

Après une conversation avec mon amie Mathilde Doublétoile, il me revient en mémoire un de ses mots, qui m'interpelle profondément. Me parlant d'une de ses amies, elle me dit soudain : 
« Elle est comme toi, elle est simple ».  
Moi qui me suis toujours trouvée compliquée, je serais donc quelqu'un de simple. Soit. Admettons. Encore faut-il s'entendre sur le sens de ce mot... pas si simple à définir !
Dans les relations humaines, simplicité égale, sans nul doute, franchise, sincérité. Ce serait bien  le contraire de la duplicité, la ruse, l'esprit retors, la tromperie, la manipulation. Il est certain que toutes ces qualités me manqueraient pour faire de la politique. Ha ha ! J'exècre les compromissions, les reniements, les paroles non suivies d'actes.

Etre simple, c'est aussi, à mon sens, sur le plan humain, faire preuve d'humilité. Ne pas se la péter, pas plus haut que son postérieur en tout cas. C'est accepter l'autre dans sa différence, sans la lui faire sentir. C'est peut-être à cette qualité-là que faisait allusion mon amie. Cela demande patience, tolérance, un certain recul, beaucoup d'humour, et de don de soi. J'ai appris à cultiver cette simplicité-là.

Intellectuellement, simplicité égale clarté, netteté, précision. Esprit logique, cartésien. Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. C'est sans doute pour cela que j'aime appeler un chat un chat, utiliser le mot précis pour chaque chose, et que j'ai toujours exécré le vocabulaire ampoulé et pédant de l'éducation nationale. Faisons simple, que diable ! disais-je toujours à ma supérieure hiérarchique quand elle se gargarisait de barbarismes emphatiques et de solécismes pompeux, croyant m'en mettre plein la vue. A bas les nœuds au cerveau et la rate au court-bouillon ! 
En réalité, cette pauvre madame Jargonos me faisait presque pitié, à force d'être pathétique. Comme tous ces rois, ces géographes, ces businessmen, qui pensent que parler nébuleux leur donne de l'importance, et qui se raccrochent au superflu parce qu'ils ont perdu le sens de l'essentiel.

Simple est aussi le contraire de difficile, qui lui même a deux sens : complexe, ardu, tel un problème de mathématiques ou une ascension montagneuse, mais aussi capricieux, ombrageux, jamais content, pinailleur, ergoteur ... J'aime la difficulté des mathématiques et leurs lumineux cheminements vers la (ré)solution, le dépassement de soi, les choses qui se font désirer au lieu de tomber toutes cuites dans nos assiettes. 
Mais j'ai aussi des goûts simples, naturels, le contentement et la gratitude à fleur de plexus. 
L'émerveillement n'est-il pas la plus simple façon de regarder le monde ? Une nature fabuleusement riche dans sa diversité et sa complexité, et pourtant si simple. Quand en en saisit l'intime et unique rouage : la Vie.

Alors oui, si j'ai longtemps pensé être une fille compliquée, ce n'est pas uniquement parce que je ne voulais pas être une fille facile, avec toute la connotation sulfureuse du mot.
Ni une simple d'esprit, même si le royaume des cieux est à eux.
C'est surtout à cause de cette personnalité foisonnante, multifacettes, protéiforme, hypersensible et surefficiente que j'ai longtemps portée comme un lourd ballot de foin, tel un handicap.
Désormais, je sais que l'on peut être à la fois d'une fascinante complexité et d'une simplicité biblique.
C'est pourtant simple, non ?

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Il manque la Célestine dans ce jardin de simples







Merci à Mathilde** pour son inspiration du jour.
Quelques billets sur le sujet, pour ceux qui aiment me lire encore plus :


04 décembre 2024

Au Français

 
Place Colette


L'air vif de décembre piquait mes joues en sortant du cinéma, l'autre soir. Des joues humides de quelques larmes, je venais de voir l'émouvant film « En Fanfare », avec Benjamin Lavernhe, de la Comédie Française.
Il est merveilleux ce Benjamin Lavernhe. Vraiment. Comment ça, j'abuse des superlatifs ? Je vous dis qu'il est merveilleux, fondant et confondant. Je pourrais parler de la même façon de Laurent Lafitte, formidable dans chacun de ses rôles, même s'il a quitté le fabuleux théâtre pour d'autres aventures. Ou de Léonie Simaga, moins connue mais tout aussi talentueuse. 

A quinze ans, j'adorais le jeu de Georges Descrières dans Arsène Lupin, tout en désinvolture et avec une classe folle, celui de Jean Piat tout en force et regard d'acier, de Francis Huster, en émotion contenue et l'oeil étincelant, de Danielle Lebrun en perfide ingénue dans Vidocq, ou encore de Catherine Samie, à la carrière-fleuve impressionnante. Ayant joué tous les rôles du répertoire, de Molière à Beckett. 
Et combien d'autres acteurs, fougueux, drôles, tendres, convaincants.
Bref, sociétaire (ou pensionnaire) de la Comédie Française, ce n'est pas juste pour de la mousse. C'est un vrai pedigree de talent hors norme. Toujours accolé au nom de l'acteur dans les génériques de cinéma ou de télévision. Comme le poulet de Bresse, le métier d'acteur a son « Label Rouge ».
En classe de première, avec ma chère Amadéi, je découvris  Tartuffe ou l'imposteur joué par Robert Hirsch. J'en sortis éblouie. Et je m'inscrivis à l'activité théâtre du foyer.
 
Bien plus tard, j'ai eu la chance de pénétrer dans ce saint des saints du théâtre, ce lieu mythique que les initiés appellent simplement Le Français. Au bras d'un prince de hasard, l'une de ces rencontres éphémères et que l'on n'oublie pourtant jamais. On jouait Cyrano, ce joyau absolu de la littérature française. Ah ! Cyrano... Entendit-on jamais pièce aussi bien troussée ? Deux mille six cents vers, pas un seul de médiocre, de loupé, de moins bien. Comme autant de diamants qui forment un collier scintillant et unique. Frénétique et fulminant, comme dit son héros (Scène 7 Acte I) 
Le panache, quoi... La beauté de cette langue que j'ai défendue toute ma vie auprès des têtes blondes.
Le prince avait, en m'en parlant, de minuscules étoiles d'or dans les yeux.
Dans le rôle-titre, un Michel Vuillermoz époustouflant. Didier Sandre était De Guiche, Hervé Pierre, Ragueneau. Mais peu importe le nom des comédiens, le spectacle était parfait.
D'une perfection rarement égalée : pas un souffle mal placé,  une hésitation,  un trébuchement sur un vers, un écorchement de syllabe. 
Une mécanique céleste. Une quintessence, sublimée par ce lieu empreint d'histoire.

Tout cela pour vous dire que j'ai gardé mes yeux d'enfant, le talent m'émerveille toujours.

Il n'est pas merveilleux,
avec sa petite tête de gendre idéal ?

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24 novembre 2024

Ces tâches que l'on dit ingrates

 


Un beau merle brillant est venu se poser sur le bord de la bassine en fer blanc, sous les chênes. Après quelques gorgées d'eau fraîche, il a sauté tout entier pour s'ébrouer à grandes éclaboussures joyeuses.
Nous en discutions récemment, avec Françoise, les animaux passent de longues heures à leur toilette. Ils s'épouillent, se lissent, se lavent, s'aspergent, barbotent, s'enrobent de boue, comme dans les cures de thalasso, comme si la nature pourvoyait intelligemment à sa propre hygiène.
 Ils arrangent aussi leurs antres, nids, terriers, tanières, de façon à ce qu'ils soient confortables, et propres. A l'abri de l'eau, du vent, du froid... Réservant un endroit à part pour leurs excréments, les seuls déchets qu'ils produisent... Qu'ils sont ingénieux, nos amis que l'on appelle les bêtes ! Et écologistes pour de vrai, de surcroît. 
Le merle a terminé ses ablutions. Je le regarde s'envoler, pensive. Calme. Ravie. Ce matin, je suis restée en tenue de nuit, pour être à l'aise, et sexy, parce que j'aime bien lier l'agréable à l'utile, et que ça ne déplaît pas à qui de droit... Avec un peu de musique, et en se partageant le travail,  nous avons mis du bonheur dans nos gestes, de la joie à nettoyer, à ranger, à briquer, à faire étinceler la maison de la colline.  
Les purs esprits, ceux qui sont au-dessus de ces basses contingences,  ne font sans doute jamais le ménage, mais dans la vraie vie, la poussière, les microbes se nichent avec ténacité dans les moindres recoins (de l'espace). C'est leur rôle de poussière et de microbes. Le nôtre est de les déloger. 
Tâche ingrate ? Revenons à l'étymologie du mot, que diable !
 In-grat, « signifie littéralement privé de gratitude, se dit d'une chose qui ne dédommage guère de la peine qu'elle donne, de l'effort qu'elle coûte. »
Mais c'est tout le contraire ! Ce contentement que l'on éprouve quand on a entretenu son lieu de vie, rendu aux vitres leur transparence, tendu des draps frais et parfumés, chassé les transhumances de moutons sous les meubles, et joué les soubrettes un plumeau à la main, ce contentement béat nous remplit de gratitude. 
Je repense au film « Perfect Days » dans lequel un Japonais trouve sa sérénité et son équilibre dans l'entretien quotidien des toilettes publiques. Quelle leçon ! J'ai adoré.
Je propose que désormais, l'on parle plutôt de tâches gratifiantes. C'est important, la couleur que l'on donne aux choses.

J'ai remis mes chaussures à brides. L'air est doux pour une fin novembre, je vais faire un tour dans le jardin, avec ce sentiment du devoir accompli qui donne la banane. Puis je rentrerai trinquer à l'amour, à la vie, et au balai à franges.















Pour l'atelier du Goût.


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18 novembre 2024

Eternelle impermanence

 


Cette statue du Square Nadar m'a rappelé (s'il en était besoin) que l'on a plusieurs vies. Dans une de mes nombreuses anciennes vies aventureuses, le Chevalier de la Barre fut le témoin muet de quelques délicieux égarements. Dans les bras d'une personne du sexe opposé, c'qu'on était bien ! C'était un jour où j'avais grimpé les escaliers de la Butte d'un pas léger de gazelle, le coeur gonflé à l'hélium, sous un ciel baignant Montmartre d'une sublime lumière à peindre. 
Les peintres, justement, étaient serrés comme des oiseaux sur un fil autour de la Place du Tertre. Une foule compacte, touffue, se pressait partout. Nous nous réfugiâmes, pour un moment hors du temps, sur un banc, peut-être même celui de la photo, je ne sais plus.
J'ai toujours aimé les bancs. Je ne sais pas non plus si le pigeonnier était déjà là, ou pas encore. 
La vie floute un peu les souvenirs, comme sur un vieux cliché du fameux Nadar. Mais les plus beaux n'en restent pas moins vifs, scintillant dans une jolie boîte en organdi. Avec de petits compartiments secrets, tendus de velours. Et des rubans. 
Ce passage-là était bien.
Durant toute notre existence,  c'est en vivant intensément le présent que l'on se fabrique des souvenirs bijoux, des souvenirs bonbons. Sans remords ni regrets.
A quoi sert de regretter ce qui n'est plus ? Tout peut tellement basculer en un instant... et le bonbon prendre soudain un goût de fiel.
Dans le village de mes parents, ravagé par la tempête Alex, des pans entiers de mon enfance se sont engloutis dans les flots furieux et boueux de la rivière. Le stade où mon frère passait la tondeuse (il est jardinier municipal), les courts de tennis où j'allais la bouche en coeur voir jouer mon amour transi de quinze ans, ( il en avait 27) la scierie et son enivrante odeur de bois, le pont du cimetière, et le chalet d'Edmée, l'amie d'enfance de ma mère. Le Clos Joli, une maison ravissante datant des années 20. Et le grand immeuble appelé l'Ecureuil, avec ses balcons en mélèze et sa jolie vue sur la rivière... Tout a disparu. Tout a été broyé, laminé, recouvert.
Bien sûr, la première fois que j'ai marché dans ce chaos désolé de pierres et de ferrailles, à l'emplacement exact où quelques semaines auparavant se trouvait encore la maison de ma cousine, j'étais si bouleversée que j'ai trébuché dans les cailloux, m'écorchant (ou devrais-je dire m'épluchant ?) tout le côté gauche, de la cheville à l'épaule. L'effet papillon de la tempête Alex venait de prendre un tour cuisant et inattendu sur mon épiderme. 
Mais cette mésaventure m'a appris, une fois de plus, à relativiser, et qu'il ne sert à rien de s'attacher aux choses. Accepter cela, ce n'est pas se résigner, c'est vivre. 
Non, ce n'était pas mieux avant. C'était juste différent. Ce n'est jamais la même eau qui coule dans la rivière. 

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Pour la 200ème de l'atelier du Goût