28 juin 2014

Le Prince du Loch

(Fable moderne et néanmoins mytho. Logique!)
***
-Hola ! Myrmidon, comment céans pénètre-t-on?
-Il vous faudra, messire,  semer trois poils de mandragore dans le calice de cette fleur de pourpier, tout en récitant le Kâma-Sûtra à l’envers. Qui cherchez-vous ?
-Je cherche, vile fourmi, Nessie, prince du Loch et des landes désolées.
- D’abord la fleur de pourpier…
- Voilà qui est fait. Me donneras-tu la clé ?
- Et le Kâma-Sûtra ?
-Si fait, et à l’envers, comme demandé. Puis-je, chétif insecte, excrément délétère ?
-Entrez, messire, dans le palais improbable des créatures. Prenez garde aux colimaçons !
-Je connus en Chine il y a longtemps des ouvriers bâtisseurs de maisons, des  coolies maçons… Sont-ce ceux-là ?
-Nenni, ceux-là sont pis que des méduses et des scorpions. Ils vous emporteraient sur le Styx en un instant…
-Le Styx…n’est-ce point là que Cerbère jadis…
-Le pauvre vieux cabot mytho, hélas,  n’est guère plus bon à rien, il vend des cartouches de tabac au rabais à la frontière des Pyrénées…

-Hola ! Aimable  reptile, je cherche Nessie, prince du Loch et des terres désolées. Me diras-tu où le trouver?
-Je suis l’Hydre de Berne, monstre financier multinational aux bourses pleines. Je me nourris de stokopcheunn… Poursuis ton chemin, étranger, il est trop tôt, je préfère les princes du cas tard !

Hola ! Etrange cheval volant et nauséabond, connais-tu Nessie, Prince du Loch et des friches ventées ?
-Mon nom est Pet-Gaz de Schiste, je fais des prospections aériennes pour le compte de Total Pétro Léhomme Limited. Et je n’ai point aperçu dans mon radar celui que tu cherches.

Hola, bizarre volatile, connais-tu Nessie, Prince du Loch et des nuées embrumées ?
-je suis la Fée Nixe Dézotte Decébois, et je vends des maisons en carton, les fameuses maisons Fée Nixe. Désolée, je n’ai pas de client de ce nom dans mon listing de mailings.

-Hola, Etrange et visqueuse chose, connais-tu bien Nessie, Prince du Loch et des torrents pollués?
-Non, je retourne dans ma Lozère,  je tiens une salle à Mende, et n'ai point temps à rêvasser. Je risque une sale amende!

-Hola, homme-tronc sans tort, infâme bovidé, qui me dira où se cache Nessie, Prince du Loch et des chemins empierrés ?
-Je suis Centaure et sans reproche, en effet, et ne connais que les routes bien goudronnées, car j’organise des stages de conduite et de sécurité routière. Avez-vous votre permis ?

Mais enfin, bande d’Hippocaméléphantocamélos, salamandres, licornes et poils de chameau ! Personne ici ne connaît donc Nessie, Prince du loch et des  forêts entourbées ?
-Si fait, l’ami ! Moi je le connais !
-Ah ! Enfin ! Mais qui es-tu donc, impressionnant géant ?
-Je suis Atlas  Desmeublescanapéssalons, frère d’Axis Desassurances Dumêmenom.
 Jadis, au jardin d’Olympe, je trouvai dans ma salade un gros vers blanc, qui se coinça dans ma molaire. Dégoûté, je le crachai dans une flaque que les humains appelaient Ness. Ils en firent tout un pataquès.
-Tu m’en vois tout ébaubi ! Le Prince du Loch ? Un ver ? Un misérable asticot ?
-Eh oui, l’ami, Shakespeare, lui seul le savait : il en a écrit une pièce.
- Et quelle est-elle, pédant colosse ?
-Eh bien parbleu…« Beaucoup de bruit pour rien ! »

Pour le Défi du Samedi il fallait parler de Nessie...



An Paistin Fionn by Katrien Delavier on Grooveshark

25 juin 2014

Lettre à mon étoile


Ma Chère Etoile,
Depuis si longtemps, tu es accrochée au-dessus de moi, depuis si longtemps tu scintilles sur ma vie comme un phare dans la nuit. Mon étoile, ma bonne étoile qui me donnes sans arrêt ta force et ton espoir. Depuis toujours, je me dis que tu es là, et qu'il n'y a pas de raison que tu changes de place...Depuis toujours tu m'apportes ce dont je rêve...
Cette semaine tu m'as apporté un grand bonheur qui a gonflé mon cœur comme mes cheveux au vent de la mer.
Mon joyau, ma perle, ma petite fille, si petite il y a si peu de temps, va entrer dans sa vie de jeune femme passionnée, indépendante et libre. Après des années d'efforts, de nuits courtes et sans trêve, de souffrances en prépa, à étudier sans relâche, après l'épisode Niçois, l'épisode Bostonien, après l'épisode de Rambouillet, voilà qu'enfin elle a trouvé du travail. Pour de bon. Un vrai boulot, dans une entreprise florissante (c'est le cas de le dire) et centenaire . Toute fraîche émoulue de son école. Elle va partir au pays des fleurs et des parfums, et c'est moi qui suis enivrée ce soir de tant de joie. Je comprends tout d'un coup l'émotion de ma mère, les larmes contenues de mon père quand j'ai eu mon premier poste. J'ai tellement l'impression de me revoir...Vertigineuse boucle de la vie! 



Il est des jours où l'on a le cœur qui chante sans raison. Mais aujourd'hui, il exulte et je sais pourquoi. Une page toute blanche et si belle s'ouvre pour elle, et en moi, s'insinue la grande paix de l'amour accompli.
Merci douce étoile.


L'Éveil De Rose by Khaled Mouzanar on Grooveshark







23 juin 2014

En général...

Charing Cross


Il courait comme un fou à perdre haleine sur les dalles noires et blanches du sol de la gare. Il jouait sur ce damier géant son dernier joker, tel un roi déchu de sa tour. Et les voyageurs semblaient devant lui comme des pions innombrables freinant sa route.« Bataille perdue ! Echec et mat ! » Répétaient les haut-parleurs de  Charing-Cross.
Au jeu de l’amour et du hasard, il lui semblait pourtant qu’il n’avait pas encore joué sa dernière carte, ni dit son dernier mot. Il lui fallait la rattraper avant que le train de la vie ne l’emportât à jamais.Alice ! cria-t-il en croyant apercevoir sa chevelure brune sur un duffle-coat rouge sang. Pardonne-moi! Un gigantesque lapin blanc tenait dans ses pattes l’horloge monumentale de la gare. Ses dents énormes lui faisaient un rictus ignominieux.Et la vapeur de la locomotive commençait à envahir le plateau de jeu, de son panache cotonneux. Les silhouettes paraissaient moins nettes. Tout se fondait dans une brume de silence et d’angoisse.
Alice, je t’aime ! hurla-t-il, bousculant sur le quai un nain jaune qui le menaça de son poing, les fesses aplaties dans la neige molle de novembre.Mais aucun son ne sortit plus de sa gorge étranglée.Tous ces personnages ricanant, grimaçants, n’étaient que des quilles sans importance sur la piste d’un bowling dérisoire. Pourtant il avait l'impression de comparaître devant ses juges. Le train s’ébranla. Le rideau de fer de la boutique « La Dame de Pique » retomba lourdement avec un fracas de tonnerre dans son cœur lacéré.Midi sonna, il trébucha. 
Alice…
Il regarda longuement le long monstre d’acier qui emportait sa reine.Et s’offrit à ses dents de métal hurlant, dans un long cri silencieux.



Pour le Défi du samedi , sur le thème du jeu.

20 juin 2014

Forcément


tendresse, peau, solidarité, incompréhension, mosaïque, regard, amour, handicap, souffrir, tolérance, dispute, similitude, solitude, séparation, complémentaire, richesse, éloignement, étranger, égal, déranger, combattre, hagard, herbage, horrifiant.


***



Dans une autre vie, je serai scénariste de téléfilms du samedi soir sur France Trois. A une époque on appelait ça une "dramatique".

C’est un job peinard. Pas besoin de se casser la tête. L’histoire est toujours à peu près la même.
Soit une héroïne, forcément belle et un peu mystérieuse. Avec de beaux seins, pour l’audimat.  Elle débarque un beau matin au village, de préférence un joli petit bled au fond d’une Provence ou d’une Bretagne de carte postale.
On voit dans son regard qu’elle a dû souffrir, il y a longtemps. Elle porte sa solitude comme un foulard ou un parfum. Avec classe.  Autour d’elle, dès son arrivée, s’installe un lourd climat d’incompréhension, de soupçon et de rejet. L’étrangère dérange.
On la voit rôder sur les falaises, ou traverser les herbages avec sa petite voiture citadine jaune. D’où vient-elle ? Que veut-elle ? Qui  cherche-t-elle ? On la surveille. On jase, forcément...


Soit un homme, au demeurant sans tendresse, bourru mais à la mâle beauté sauvage, qui est le seul à penser qu’elle n’est pas là par hasard. Lui aussi, il en a bavé. Il croit la reconnaître. 
Leurs familles respectives se sont haïes, combattues, on raconte sous le manteau les choses les plus horrifiantes. On a étouffé l'affaire. En tous cas, par le passé, il y a eu un schisme. Une séparation. Sans doute aussi du sang. Beaucoup de sang versé. Elle, a choisi l’éloignement après un sombre drame, une dispute mortelle ou un truc du genre. A moins que l’une des deux familles n’ait dû sa richesse qu'à une ignoble spoliation de l’autre. Qu'est-ce qu'on en sait? Lui est resté mais traîne son lourd secret sous des dehors misanthropes.
Toute  une mosaïque de portraits patibulaires et louches complète le tableau. Ah, ça ! Une sacrée bande de bras cassés, les seconds couteaux !  Le maire véreux, le tenancier du bar, l’épicière frustrée et bigleuse, l’idiot hagard à la peau boutonneuse, qui se sert de son handicap pour attirer la compassion et passer inaperçu dans ses coups fourrés. Chacun tire à lui la couverture, ni tolérance, ni solidarité sauf bien entendu pour bouter  l’étrangère hors des lieux en lui flanquant la pétoche.
Ça lui est égal, à elle, tous ces regards biaiseux, toutes ces perfidies piégeuses, elle veut trouver un sens à son passé. Elle veut aller au bout de sa quête. Reconstituer le puzzle de son histoire personnelle. Malgré l’hostilité ambiante.
Au début, les deux, là, ils  ne peuvent pas se saquer, forcément. Un vague relent de Montaigu et de Capulet modernes flotte autour d'eux comme une émanation toxique.
Mais vous l’avez deviné, comme par hasard (et pour satisfaire la ménagère de moins de cinquante ans) le ténébreux et la solaire, que tout sépare, se révèlent soudain complémentaires. La tension monte et les peaux se hérissent quand elles se frôlent. La similitude de leurs destins parallèles et ambigus, ça crée des liens. Faut bien un peu d'amour...Forcément.
Pétard, chuis trop forte: j'ai envie de le voir, maintenant, mon téléfilm et de savoir comment il va finir. Bien ou mal? J'en sais rien. Ça dépend de l'audimat. Forcément.


Photos de mon casting :  Ingrid Chauvin et Thierry Neuvic. 
Musique de mon téléfilm: violoncelle un peu glauque.

Adagio Pour Violoncelle by Saint-Preux on Grooveshark



18 juin 2014

Des instants d'éternité


photo internet














Il y a dans la vie des moments absolument magiques. Des moments de frêle harmonie qui ne durent que l'espace d'une respiration. Ces moments-là portent en eux leur éphémère fragilité, et en même temps la certitude que non seulement ils ne dureront pas, mais qu'en outre ils ne se reproduiront plus jamais exactement à l'identique.

C'est inscrit: ils se donnent, gracieusement, dans toute la beauté et la générosité dont sait faire preuve la vie quand on peut l'accueillir. Et la cueillir. Je dis quand on peut, parce que je sais que ce n'est pas toujours possible.
 Ils se donnent...et  ils se reprennent aussitôt, et toutes les tentatives désespérées de les reproduire, de les retrouver, de les enfermer dans une boîte noire ou de les épingler comme des insectes  ne font que se heurter à cette réalité. La magie n'opère qu'une fois.
C'est dire combien il faut les saisir, quand ils se présentent, sans se préoccuper d'autre chose que de les vivre pleinement. Les yeux grands ouverts et la bouche arrondie comme un gobie. En oubliant ses freins, ses entraves, ses impossibles, ses douleurs d'âme.
Souvent, l'on aperçoit un arc-en-ciel, une couleur inédite dans le ciel, comme une conjonction de plusieurs faisceaux de lumière et de matière. Le temps de se retourner pour attraper l'appareil photo, et tout s'est évanoui, comme un songe.
Cette toile d'araignée constellée de gouttes de rosée, belle à couper le souffle dans un éclair de matin, profite de la conjonction d'une lumière particulière, d'un taux d’hygrométrie particulier, et surtout de l' état d'esprit particulier de celui qui la regarde à cet instant précis: en soi, une telle conjonction est un miracle. Il en va ainsi de certains couchers de soleil qui illuminent de rose les névés en rendant le ciel mauve au-dessus des montagnes. Il en va ainsi du premier sourire d'un bébé, ce moment de grâce où l'on sait qu'il devient l'un des nôtres. Il en va ainsi de certaines rencontres, fugaces et merveilleuses. 
Comme des leçons uniques de vie. Des instants d'éternité. 
Recréer cela? Une chimère. La magie est faite d'essence naturelle, pas d'ersatz. 
Chaque fois que j'ai voulu recréer artificiellement la magie d'un de ces instants parfaits, ou la prolonger inconsidérément ( j'allais dire sans permission) , je me suis lourdement déçue et leurrée moi-même. J'ai tiré de ces fâcheuses expériences une sorte de fatalisme joyeux et en même temps une infime certitude, coquille de noix dans l'océan de doutes qui forme le substrat de ma pensée. La certitude que l'on ne peut rien contre le temps qui transforme en un instant la neige grise en glace rose, puis à nouveau en neige grise. Il faut juste avoir la chance de se trouver là au moment du rose. Enfin, penser que c'est une chance de s'être trouvé là. Et remercier la vie de ce cadeau.


Tout l'art de vivre, et le dilemme qui peut sembler injuste, et nous faire passer à côté de l'essentiel, résident alors dans la manière de prendre ces instants-là tout en sachant que l'on n'est pas capable de les retenir.

For the Love of a Princess by James Horner on Grooveshark


14 juin 2014

Bilan énergétique











Ambre m'a encore refilé un de ces délicieux et spirituels amusements blogosphériens qu'on appelle tags. Mais ce tag des "onze choses à dire sur soi", je l'ai déjà fait ICI. Si vous voulez apprendre des scoops inédits sur moi, c'est le moment de cliquer sur le lien d'un geste assuré et auguste. 
Me voilà devant le mur tel le maçon - c'est d'ailleurs au pied du mur que l'on voit le mieux...le mur, comme dit le proverbe! Pleine de cette énergie fabuleuse qui me caractérise... (ahem, les fleurs ne sont pas chères) et encline à ne rien refuser à une copine qui me le demande si gentiment. Et justement, en parlant d'énergie,si je faisais le point sur ces choses qui me donnent la pêche. Pour tous ceux qui me demandent "mais comment fais-tu?"
  Attention, si cet exercice vous paraît trop  insoutenablement narcissique, en sortant d'ici, pour vous défouler, je vous autorise à mettre ma photo sur une boîte de conserve pour le chamboultou de la prochaine kermesse de l'école. 
Alors voici, puisque vous insistez, les sept secrets de mon énergie renouvelable. 

En un, j'ouvre grand les yeux, et je tente de garder, envers et contre tout, mon regard d'enfant (d'où l'image un peu bidouillée qui sert d'illustration à ce suréminent billet... 
quoi ? vous n'avez pas reconnu mon regard inénarrable de ravie de la crèche?)

En deux, je ris et je souris. Armes fatales qui désamorcent le moindre malotru remonté comme un ressort et venu pour en découdre. Et le transforment en pâte de chamallow. Ça ne m'empêche pas de pleurer par moments, mais généralement mon humour est plutôt une force.

En trois, je respire. J'aime l'air de toutes mes alvéoles. (Bon, je préfère l'air pur des cimes ou du large, au pauvre air carboné de la ville, mais ce n'est pas toujours possible de partir loin des hydrocarbures) Alors je sophronise, j'intériorise et j'ouvre mes chakras. Et je me shoote aux parfums, en ce moment, le tilleul et les genêts me font grimper aux rideaux. (C'est une image, hein! J'entends déjà les comités de défense des rideaux s'agiter dans les stalles...)

En quatre, je médite. Ne vous payez pas ma tête, ça marche. Tel mon ancêtre le Sar Rabindranath Duval, (mais avec davantage de cheveux, tout de même) dès que j'ai un moment pro-pice, (et surtout dans les moments anti-pices d'ailleurs)...j'entre en moi-même pour un petit coup de blush mental. 

En cinq, j'écoute. J'ouvre mes esgourdes et j'emplis mon coeur de musique. C'est comme une ponctuation. Comme un ourlet, un feston, ça enjolive la vie.Ça lui donne du relief.

En six, je caresse. Je suis une tactile.  Le contact du doux, du vivant, du tremblant, du chaud, du tendre, du sensuel, ça vous donne une patate! 

Et en sept, j'aime. J'aime la vie. J'aime l'amour Avec un grand Aime.  What else? comme dirait George C.

Il y a des jours , quand même, pour être tout à fait honnête avec vous, mes lecteurs chéris, je me sens comme un vieux paquet de biscuits périmés et bouffés aux mites alimentaires, oublié par erreur sur la deuxième étagère du placard de la buanderie. Mais c'est quand même assez rare, finalement. 
Tout ça grâce à mes sept secrets gratuits et à la portée de toutes les bourses (ce qui ne veut strictement rien dire étant parfaitement contradictoire mais c'est mon blog et je dis ce que je veux) 
Mais non, laissez donc, ne me remerciez pas, ça me fait plaisir (comme dit mon boucher quand il me rajoute une escalope).
Si après tout ça vous n'avez pas la pêche, je veux bien être changée sur le champ en moulinette à persil.


Minuet - Bach by Bach on Grooveshark

08 juin 2014

J'ai perdu une maille...





Maman tricotait beaucoup.
Pendant près de quarante ans, des centaines de pulls, gilets, chandails, twin sets, brassières sont sortis de ses aiguilles en constante activité. C'était un truc de dingue. Une vraie usine...Point mousse, jersey, côtes doubles, point de riz, rien ne l'effrayait.
Maman ne savait pas regarder la télévision sans tricoter. Elle commandait ses pelotes chez Bergère de France, et j'aimais toucher les échantillons bien rangés le long de la page, les grosses laines écrues pour les pulls irlandais, les fils tissés d'or pour un effet lamé ou scintillant, les angoras d'une douceur proportionnelle au prix exorbitant de la pelote...Je choisissais mon modèle, rien n'était jamais compliqué pour ma mère, ni les torsades, ni le jacquard...Je savais à l'avance que je ne ressemblerais jamais aux petites filles blondes et sages qui posaient sur le catalogue.
J'étais plutôt Zazie dans le métro que Shirley Temple! Mais peu importe. Le moment de l'essayage était un grand moment plein d'émotion, tu te souviens, petite maman?

Je la regardais, fascinée, choisir sa grosseur d'aiguille, monter ses mailles, faire ses augmentations, ses diminutions, ses jetés et ses côtes anglaises...Tout un lexique aussi compliqué que les explications nébuleuses dans lesquelles elle se baladait les doigts dans le nez comme Champollion dans la pierre de Rosette. J'aimais le petit cliquetis rassurant des aiguilles et j'admirais surtout sa dextérité à rattraper les mailles perdues, parfois de quatre ou cinq rangs...Là, ça me dépassait.
Et pourtant, je crois qu'à défaut de me transmettre sa passion pour le tricot (je reconnais mon incommensurable nullité en ce domaine...) elle m'a fait prendre conscience de toute la symbolique de ce simple geste: rattraper les mailles échappées de l'ouvrage...

Je l'associe, dans les relations humaines, à cette capacité que j'ai de réajuster sans cesse les choses, d'exprimer les désaccords, de faire la lumière sur les zones floues afin de ne pas laisser les situations s'envenimer ou pourrir. Ou se miter.  Les non-dits, les accrochages, les malentendus, les incompréhensions sont autant de mailles perdues dans le tricot de la vie, et c'est un art d'aller gratter, récupérer avec dextérité une parole déformée, une idée mal dite, pour essayer de comprendre, pour rabibocher,  pour redonner de la cohérence et de la solidité à la relation. 

Bien sûr, certaines mailles ne se rattrapent jamais, et nous font comme des trous à l'âme ou au cœur. Pour celles-là, même les doigts de fée de ma mère n'auraient servi à rien.
Mais dans l'ensemble, c'est une chance de savoir rattraper les mailles. Une grande chance je crois.Et si je n'ai pas donné à mes enfants le goût du tricot, au moins leur ai-je donné celui du dialogue éclairé et constructif, ferment de toute vie relationnelle.


Why Worry by Dire Straits on Grooveshark
A Alain X et Mammilou: chacun reconnaîtra sa partie... ^^
Et à Marie Madeleine, qui sera, je pense, sensible aux deux parties du texte.







07 juin 2014

Magie étincelante





















fesse, attendre, richesse, dent, refuser, doute, vieillesse,  vertu, crépuscule, lune, philosophie, âge, vanité, sérénité, psalmiste, paix, graver, gracile, grenadine.


***


Je me suis calé les fesses dans l’herbe tendre, avec deux trois épaisseurs quand même.
Tous mes schtroumpfs autour de moi.
L’air de la montagne est frais, le soir, même en juin. On claque vite des dents à attendre le spectacle stellaire. Un voyage saisissant, qui change à tout jamais celui qui a la chance de le faire.
Une demi-lune splendide monte à l’est. Toute en ombres et lumières, en nuances et en cratères. Le crépuscule s’effondre, remplacé par symphonie de diamant et de velours.
-Maîtresse, maîtresse ! Regarde !  La reine Casse-les-Pieds !
Je souris…c’est ainsi que l’animateur d’astronomie leur a présenté  Cassiopée. Difficile d’imaginer une reine dans ce simple W !
  
-Maîtresse, maîtresse ! La grande Casserole !
Mais où ça, une maîtresse d'école ? Je suis la fée des étoiles, voyons, et je répands ma magie blanche dans vos yeux, par la vertu de mon stylo-laser. La couleur grenadine d’Antarès la Rouge annonce déjà le Scorpion et sa forme gracile qui raviront les observateurs de l’été.

Au-dessus de vos têtes, presqu'au zénith, le Bouvier a la forme d’un gigantesque cerf-volant, et la Couronne Boréale est à ses côtés un diadème précieux.

A leur âge, les enfants, s’ils ne sont pas encore sensibles à la magique fureur étincelante et glacée de l’univers et à sa dimension philosophique, se laissent emporter par les légendes qu’ils se récitent comme des psalmistes. Des histoires de reines déchues, de héros mythologiques aux pouvoirs insensés, de bêtes étranges ou monstrueuses, dragon, centaure, cheval ailé.
-Maîtresse, maîtresse ! Montrez-nous le Cygne !   le Dauphin ! Et le Triangle des Belles de l’été, Altaïr, Vega et Deneb!
Et la fée des étoiles reprend inlassablement sa baguette, pour graver dans le coeur de ses élèves un peu de la passion qu'elle éprouve, et de cette étrange sérénité qui l'envahit.
En même temps que la conscience soudain très aiguë de la vanité de toute chose sur terre.  Comme nous sommes seuls, éperdument seuls dans un univers hostile de gaz, de glace et de poussière. Perdus et si petits sur notre point bleu pâle...
Elle voudrait tant trouver la paix dans la contemplation de ses nuits somptueuses et ardentes, pour refuser avec énergie la vieillesse, la peur, la mort  et l'oubli et toutes ces petites idées bizarres qui viennent parfois lui grignoter l'âme comme des termites!

Alors elle lance un grand cri silencieux à ses doutes,  et retourne en riant vers la joie des enfants. Comme une fée.













Merci à Asphodèle pour le très beau thème de la sagesse.

Adagio by Fernando Sor on Grooveshark




02 juin 2014

Pause étoilée


« Il faut toujours viser la lune, car même en cas d’échec on atterrit dans les étoiles »,

 Oscar Wilde




Pour ceux qui suivent mes pérégrinations depuis le début, ce ne sera pas une surprise.
Cette semaine, je pars dans les étoiles, avec ma troupe d'astrognomes.
J'ai  raconté mes précédentes aventures en  2010 et en 2012.
Ça me reprend, tous les deux ans (puisque c'est le délai obligatoire, sinon, je partirais bien chaque année...) comme une fièvre régulière...il faut que j'aille taquiner les constellations du bout de mon stylo laser, et que je fasse découvrir ces merveilles naturelles à mes schtroumpfs...
Cette année,  le visa pour les étoiles s'est obtenu de haute lutte. Mais ça y est. Nous appareillons ce matin. Retour sur terre vendredi.



Gardez la maison en mon absence et ne jouez pas (trop) avec les allumettes. Je vous aime, mes lecteurs chéris. Mille baisers étoilés. 

Main Title by Clint Eastwood on Grooveshark
Merci à Jack pour ses merveilleux dessins