30 septembre 2019

Kirsten




Kirsten ne marche pas assez vite. Moi, j’ai besoin de vitesse, d’espace. J’aime apprivoiser l’immensité d’un bout à l’autre de mes bras. Elle pleurniche souvent, moi, j’ai la joie et la fougue chevillées au cœur. La colère aussi, qui alimente mes pensées bondissantes. Mon cerveau n’est jamais à l’ancre. Je comprends tout avant tout le monde et ça énerve les adultes. Ils disent souvent que j’ai des idées bizarres, pas de mon âge. Je suis ainsi.
Hier, j’ai trouvé deux poissons morts sur la plage. Leur ventre gonflé et leur regard vide m’ont soulevé le foie. L’air pourtant avait quelque chose d’indien, comme l’été en automne. Une transparence sans la grisaille habituelle. J’ai emmené ma sœur au bout de la plage, là où la mer envahit les rochers de toute sa force. Mes yeux lançaient des éclairs de foudre bleue. Mes mains tremblaient de rage.
Sur le trajet, je lui ai expliqué la nature, la beauté des fjords et des cascades d’eau glacée, les crépuscules orange et les aurores aux doigts de roses, les zinnias qui dansent sous l’arrosoir et le bruit de la mer,  et combien tout cela risquait de disparaître si les hommes ne retrouvaient pas rapidement un peu de raison.
Elle m’a regardé de ses yeux d’agate un peu émerveillés, presque effrayés.
Je lui ai dit qu’un jour, je laisserais éclater mon courroux, que j’irais secouer les puces à tous ces pisse-vinaigre qui font de l'inconscience une ligne de mauvaise conduite. Et que le monde entier parlerait de moi.
Elle m’a dit dans un sourire fondant: « T’es la plus forte, Greta. »
L’empreinte de mes pieds se remplissait d’eau à chaque pas. Je me suis sentie apaisée, comme cela arrive toujours quand on prend, dans la vie, une décision fondamentale. Le vent jouait dans mes nattes. Je savais, j’étais sûre de moi, j’étais bien...
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Pour le devoir de Lakevio du Goût.
Chez Olivia, il fallait placer les mots 
arrosoir – automne – trajet – ancre – retrouver – indien – cascade – orange – grisaille







22 septembre 2019

Via dell'amore



« Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux »    
Marcel Proust







Cliquez sur les photos pour les voir en grand

Ma dernière lettre vous parlait de la Toscane. J'étais lovée lascivement dans un cadre paradisiaque, et je laissais voguer mon esprit comme une feuille sur une rivière. Bercée par la douceur du temps. Me voici revenue, pleine d'usage et raison, évidemment, et prête pour de nouvelles aventures...




En apéritif de ce voyage il me faut vous parler des Cinque Terre, merveilleux petits villages de marins sertis sur les falaises, avec leurs si célèbres maisons aux cent couleurs. Ne regardez pas les photos sur la toile, elles ne sont pas fidèles à la réalité : trop criardes, confinant presque au décor de carton-pâte.

Laissez-vous saisir par la magie des ruelles escarpées, des bateaux échoués dans les rues, des odeurs de poisson grillé. Vous aimerez l'idée que ces villages sont interdits aux voitures. Ils se défendent jalousement contre l'envahissement, et se laissent approcher en train ou par bateau.



LES CINQUE TERRE












De Pise à Sienne, en passant par San Geminiano, et jusqu'à Florence et Lucca, partout la beauté vous saisit. Architecture et nature se marient en une délicieuse harmonie.
Je m'y suis sentie bien, comme si une part de moi retrouvait son berceau. C'est difficile à expliquer. Vous savez, à certains endroits, on a l'impression que la terre nous appelle. J'ai tellement aimé parler italien, me noyer dans cette musique des mots qui m'emporte. 

J'ai adoré découvrir la ville du haut des remparts, comme à Lucca, d'ailleurs. Une ville superbe et accueillante. J'ai bien pensé à toi, Blutchiamo. J'ai aimé faire la touriste devant la Torre Pendante, et me moquer gentiment des Japonaises qui s'auto-mettaient en scène dans les poses les plus drôles pour immortaliser le moment. D'autant que j'ai cédé comme elles au ridicule... Il ne m'a pas tuée.

L'Arno a cette majesté des fleuves impassibles chers au poète. Il s'étale sous le Ponte Vecchio en charriant depuis des siècles les effluves de l'histoire. La galerie des Offices et la Piazza del Duomo vibrent encore des complots de la Renaissance. Cela m'a suffi. Je n'ai pas eu envie d'attendre des heures pour entrer dans les musées. J'ai laissé généreusement le David aux Nippons
La vie étudiante mêlée à celle des touristes donne une joyeuse cacophonie jusqu'à une heure indue de la nuit, et les spaghetti sont al dente à tout moment. Le paradis pour une amatrice de pâtes telle que moi... 


Oncle Joe m'avait chargé d'une mission d'importance : retrouver dans les jardins de Boboli un personnage bien en chair juché sur une tortue. Mission accomplie, mon oncle, après un passionnant jeu de piste dans le labyrinthe végétal du Palais Pizzi. Le temps était d'une douceur incomparable. J'avais les jambes en coton mais le coeur content.
J'ai appris que les immenses tours de San Giminiano étaient au nombre de soixante-quinze au Moyen-Age. Il n'en reste « que » treize et c'est déjà impressionnant.
J'ai musé dans les mercati où règne le cuir de Florence, donné une pièce au porcellino, dégusté des gelati et des pizze. Ecouté trois ténors dans la chiesa San Stefano.
J'ai fait tant de choses, je ne peux pas tout vous montrer de nos éblouissements, et de nos éclats de rire.  Pardonnez-moi ce (trop) petit condensé d'un voyage tellement riche.
Allez, en route !






PISE




    







SAN GIMINIANO










SIENNE









FLORENCE




















SAN MINIATO








LUCCA








Voilà un petit aperçu pour les gourmands qui m'ont réclamé des photos (n'est-ce pas, Julie) J'ai suivi avec bonheur la Via dell'amore et j'en reviens comme à chaque voyage avec des étincelles au fond du regard, joyeuse de vous retrouver. 
Avec, en prime, un joli petit sac en cuir florentin assorti à mes yeux.


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11 septembre 2019

Lettre de Toscane





Je t'écris de Toscane. Tu n'imagines pas la douceur de ce lieu. Le ciel pleure une lumière liquide, transparente, laissant l'oeil voguer à l'infini, et les fontaines nous murmurent des secrets à l'oreille. Tout est beau. Tout chante, jusqu'à ce nom si plein du riche velours de l'histoire des hommes et des rois. Renaissance. Toscane.
Une succession de dociles collines, aux dos ronds tapissés de pins et d'oliviers. Une chapelle sur l'une d'elle, blottie contre son matelas de verdure, et semblant éternelle.
Les vignes épousant les courbes voluptueuses de la terre, comme une chevelure doucement peignée.
Et partout, ponctuant le temps de leurs exclamations silencieuses, ces flammes drues, ces pinceaux aigus, ces arbres fins comme des doigts tendus vers le soleil : les cyprès. Les mythiques cyprès de Florence, seigneurs des lieux,  paissant tels des troupeaux sauvages dans leur milieu naturel. Alignés ou en arabesques aux abords des villas, ou encore esseulés dans leur splendeur tranquille au détour d'un muret de pierre.
La cloche tinte dans l'air semé d'aurore. Les maisons-tours de San Giminiano de dressent en sentinelles  comme pour veiller sur notre Dolce Vita. Tout est mieux que dans mes rêves. Tout me susurre de rester. Je n'aurais plus envie de partir, saisie par l'instant somptueux que je vis à chaque seconde. Tu avais raison, je suis en train de tomber amoureuse du plus bel endroit de la terre...






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05 septembre 2019

En catimini


Il y a quatre ans, jour pour jour, je rêvais d’Italie. Je me voyais déjà explorer de beaux jardins de marbres et de fontaines, partir à l’aventure pour une virée à deux comme dans la chanson de Lilicub. Ah…boire allegretto, ma non troppo, du Campari quand Paris est à l’eau…
C’était ma première rentrée sans école. J’avais en ligne de mire, derrière mes paupières romantiques, un fantasme de Toscane qui ne m’a jamais quittée. Croiser le regard couleur de noisette torréfiée d’un bel Italien qui nous aurait fait aimer, ma sœur et moi, les ruelles secrètes et les blanches avenues de son beau pays ourlé de mer et de cyprès. Tourner des montagnes de spaghetti dans des cuillères d’argent. Ecouter corner les sirènes de Gênes. Et redresser la Tour de Pise.
Il y a quatre ans, le voyage a été annulé, pour cause d’enchaînement ininterrompu de déconvenues, de contretemps et de résignations qui m’ont arrachée à mes songes de voisins transalpins. On peut dire que j’ai barboté dans un marigot plus que poisseux durant ces dernières années, dont je suis heureusement sortie…
Dans le cahier de ma vie, ces pages-là, même tournées, garderont à jamais un goût amer. Avec, en marge, des annotations confuses, peu lisibles, au stylo rouge-sang, rouge-colère.  En même temps, elles m'ont grandie.
Et aujourd’hui, presque sans y croire, je touche enfin à mon rêve, comme on touche au but après une traversée océane. Comme si la vie m’était redevable et honorait enfin son contrat.
Un vent léger a séché mes chagrins, mes coupures, mes griffures, il va m’emporter sur son aile tel un écuyer vers les Cinque Terre…Je pars dimanche.
Et promis, je vais essayer de ne pas vous faire un syndrome de Stendhal en découvrant Florence.

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Pour les Plumes d'Asphodèle chez Emilie, il fallait placer les mots :
CAHIER JARDIN ARRACHER BLANCHE SORTIE ECUYER TOURNER STYLO MARGE COUPURE CORNER CONTRAT LIGNE LEGER LISIBLE.

Chez Olivia, il fallait placer les mots :
NOISETTE AVENUE VOISINS REPUBLIQUE RENTRÉE AIMER RÉSIGNATION EXPLORER AVENTURE.