31 décembre 2022

2023


« Et ceux qui dansaient furent considérés comme fous 
par ceux qui ne pouvaient entendre la musique. »
Nietzsche











L'an s'achève. Un autre pointe le bout de son nez, trois-cent-soixante-cinq jours de mystère, dont on ne sait rien. Ils s'étalent devant nous comme un horizon marin, bouché par les brumes de l'aube.
Quel sera l'avenir, cette chose étrange et impalpable qui se dérobe aux projections les plus élaborées, les plus cartésiennes ? Qui le saura jamais ?
L'avenir fait couler des rivières d'encre, on imagine, on suppute, on tire des lignes de plans sur les comètes, de celles qui dansent leur macabre ballet prémonitoire à la une des journaux.
On croit toujours que les choses se passeront d'une certaine façon, et puis elles se déroulent autrement, nous bouleversent, nous surprennent. L'essence même de l'existence est là.
On peut choisir de se laisser envahir le mental par les porteurs de malheur, qui agitent leurs noires oriflammes au-dessus de nos têtes apeurées. 
On peut choisir de se dire bien malheureux. De s'en persuader. De s'en accabler.
Ou décider que la vie est simple : à portée de coeur. La main en visière sur l'horizon, et l'âme gonflée d'espoir, en cultivant comme des roses ces forces qui nous aident à sortir de presque tout. 
C'est tout le bien que je vous souhaite en ce Nouvel An, chers lecteurs que j'aime. 
Soyez vrais. Soyez fermes sans être définitifs. Soyez joyeux, entreprenants, déconcertants. 
Emerveillez-vous. Dansez sur le fil du temps.
Que la douceur de la bienveillance baigne vos plages intérieures comme des lacs paisibles. 
Le reste viendra de surcroît.


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 ˛°*      Bonne année 202!









19 décembre 2022

Hiberner




« Rome ne s'est pas faite en un jour »
        Luca Manzoli (1331- 1411)





 


Je n'ai rien oublié de mon voyage à Rome, il y a un an. Serrée contre toi sur notre vespa d'occasion, cheveux au vent, je sentais couler sur moi des millénaires d'histoire, chargés de drames, de conspirations et de beauté figée. Je sentais ton amour se mêler à celui de ces vieilles pierres étonnées.
L'air doux du Lazio, la transparence céruléenne de ce ciel incroyable, m'accompagnent agréablement,  en ce jour où le plomb qui bouchait l'horizon de décembre fait place à un rayon de soleil, et où le givre sur mon coeur fond peu à peu. Je me surprends même à sourire aux anges.
Il en faut du temps, pour avaler, digérer et que se tiennent à carreau les as de trèfle qui piquent notre coeur.
Ma délicieuse prof de yoga, petit bout de femme souple au-dehors comme au-dedans, fait entrer la sagesse chinoise au coeur de ses cours. Je l'adore. C'est elle qui nous a parlé de la vertu de l'hibernation. Ce moment où le yin prime sur le yang, cette période où l'on a crucialement besoin de chaleur, de moelleux, de calme et de clémence envers soi-même. 
Notre folie occidentale oublie que notre corps doit se poser, annuellement, et n'être point trop sollicité. Or, au solstice d'hiver, on court en tout sens, on s'agite, on se frite, on s'étripe le coeur au nom de la tradition...On se maltraite. C'est pas bon, tout ça.
Et bizarrement, on prend des vacances en été, le moment où le corps serait le plus apte à l'action, et à l'entreprise d'un renouveau...
J'ai la chance de savoir rebondir sur les difficultés, et une belle aptitude à prendre du recul. Ce temps hiémal s'y prête. La nature donne l'exemple. Mon âme est comme le jardin, ce matin : en sommeil. Mais riche de promesses d'un printemps qui reviendra. 
Et je repense à la belle maturité de ma fille qui, du haut de ses treize ans, me dit un jour avec une bouleversante candeur : 
« Mon plus beau cadeau de Noël, c'est de regarder un dessin animé de princesses avec toi, sous un plaid, avec un chocolat chaud et le sapin qui clignote ». 
Tout est dit en quelques mots. Cette belle jeune femme que j'ai enfantée a dû être un bonze dans une autre vie.




Pour l'atelier du Goût.

08 décembre 2022

Un peu de givre sur le coeur

 

Il faut que le noir s’accentue pour que la première étoile apparaisse. 
Christian Bobin




Photo empruntée à David Casartelli, photographe.




Il s'en est allé sans bruit, comme le tire d'aile d'un oiseau voyageur. Loin des saisons chaudes du monde. Au cloître de l'hiver. 
Ses mots parfumaient la vie de cannelle, d'orange. De ces parfums qui rendent gai. Il défaisait de ses rubans le cadeau qu'est l'existence, chaque jour, à chaque phrase, à chaque pas.
Devant l'immensité du vide de nos vanités humaines, il levait vers le ciel sa plume vagabonde, et le remplissait patiemment, de ses métaphores pétries au levain de son coeur. J'aimais le lire. Christian Bobin. L'homme-joie.

J'ai appris sa mort avec retard. J'apprends les choses avec retard, à l'ancienne, au hasard d'une conversation. Puisque je n'écoute plus les infos qui nous catapultent sur le temps réel. Comme quoi, on finit toujours par savoir les choses, surtout celles qui nous importent.

Aujourd'hui...
Est-ce l'hiver, qui accroche ses glaçons aux toitures et fait claquer l'air comme un fouet...
Est-ce mon âme trop sensible ?
 Je me sens triste, d'une tristesse de note bleue, de rêves enfuis, et pas seulement de la mort du poète. 
Triste de ne pouvoir vraiment dire pourquoi je le suis. Vous savez bien, ces difficiles relations humaines, et tous ces mots qui nous blessent, ces malentendus, ces rancoeurs, ces choses si lourdes que telle ou telle personne vous envoient parfois au visage et qui vous laissent sidéré d'incompréhension et de dépit.
J'ai sur le coeur un peu de givre, une brûlure froide qui fait mal.

21 novembre 2022

Paris s'éveille

 

“Dans le silence des rues et du black-out qui tombait en hiver vers cinq heures du soir et pendant lequel la moindre lumière aux fenêtres était interdite, cette ville semblait absente à elle-même.”
Patrick Modiano







 Et on voudrait que je sourie... Et pourquoi pas éclater de rire pendant que vous y êtes ? Vous souririez, vous, dans ma position ? Remisée à gratter un trottoir à la raclette, pour que les petits vieux du quartier ne s'escampent pas la gargoulette sur le verglas ?
 Même pas eu le temps de me changer après ma nuit au Pink Paradise, à me déloquer devant des michetons exophtalmés pour un salaire à peine plus décent que ma tenue. Et je ne vous explique pas la panne de chauffage. A croire qu'ils ne savent pas ce que c'est que de se retrouver en tenue d'Eve dans les courants d'air de l'arrière-scène d'un cabaret miteux, j'avais les miches surgelées, les roberts comme deux petits icebergs émergeant de la fumée artificielle...Paradise...Tu parles ! L'enfer oui.
Les escarpins à boucles, c'est pas vraiment la tenue idéale pour déneiger. Attention, virez vos meules, messieurs-dames, la reine déneige ! La reine des pommes, oui. Qu'est-ce qui est passé dans la tête de mon psychopathe de patron, de m'envoyer sitôt arrivée me geler sur le bitume ? J'ai juste eu le temps d'enfiler le bonnet de Suzy, un affreux bonnet à oreilles qui me donne une tête de mouton égaré du troupeau. Faut dire, il est moche, mais bien chaud. Manquait plus que la neige. Enfin, ce qu'on appelle neige à Paris,  un infâme mélange d'eau glacée, de boue et d'hydrocarbures puants. Soi-disant que le climat se réchauffe...
Ça va être encore une belle journée de mince, comme dit un ami à moi qui adore les litotes. Et qui déteste avoir froid.

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Pour l'atelier du Goût, qui aime nous faire raconter des histoires.



16 novembre 2022

Soyez amoureux de votre vie...






« Soyez amoureux de votre vie et de chacune de ses minutes. »
Jack Kerouac







Photo Céleste



-Alors, Célestine, comme Jack, tu as sûrement été amoureuse de tout plein de jolies minutes ces dernières semaines, puisque tu nous as laissés si longtemps ?
-Oh oui, mes amis, des pelletées de minutes, comme autant de plumes dans l'édredon de mon existence palpitante !
-Des exemples ?
-En veux-tu, en voilà. Fermez les yeux et écoutez...

Quand nous quittons le brouillard tenace de la plaine pour grimper sur les contreforts du Vercors, et que la vallée disparait sous un océan de nuages floconneux. Là-haut, le soleil arrose l'espace, c'est orange, rose, bleu tendre, gris perle. Magique. Et moi, chavirée de cette cascade lumineuse, de ces chants d'herbes hautes. Une symphonie somptueuse de silence et de beauté muette. 

Quand ma petite Alba, mon angelote aux boucles blondes, du haut de ses deux ans, joue à la dînette et me verse une tasse de thé au miel. Ses grands yeux emplis de toute l'innocence du monde. Elle prononce avec application le mot miel, comme si elle en avait plein la frimousse, et j'ai le coeur serré d'émotion. Non serré, ce n'est pas le mot. J'ai plutôt le coeur qui fond. Comme un gros morceau de chocolat au soleil.

Quand Sibylle, sa grande soeur, veut me montrer qu'elle sait traverser un de ces ponts de lianes que l'on trouve dans les parcs d'attraction. C'est comme une épreuve de Fort Boyard pour elle. Coordonnant ses jambes et ses bras, son regard d'opale transparente vissé sur l'horizon, elle avance, résolue. Elle ne tremble pas. Elle avance. Quelle détermination dans cette petite tête de quatre ans à peine ! Je suis pétrie de fierté, de tendresse, mais aussi d'une grande satisfaction : il est toujours bon de cultiver,  chez une petite fille, la volonté, le caractère, et de savoir qu'elle ne s'en laissera pas conter par des peurs ou des conditionnements... 

Quand Rémi nous parle de ses recherches scientifiques, avec des étincelles dans les yeux. Une conversation de haut vol, avec un esprit brillant, voilà de quoi stimuler mes neurones toujours avides de se connecter pour apprendre. Une délicieuse ponctuation cérébrale à un repas savoureux.

Quand je chante en duo avec Mathilde, et que nos voix recréent une magie oubliée : 
Le temps de Vivre, de Georges Moustaki. Depuis combien de décennies ne l'ai-je plus chantée ? C'était hier, j'ai dix-sept ans, j'apprends la guitare et les magnolias de la cour tendent leurs énormes fleurs de velours vers ma fenêtre. Une jolie minute de nostalgie heureuse.

Et puis, toutes ces minutes avec toi, mon amour, ton retour de voyage, ce rayon de lumière furtive se faufilant dans notre chambre. Cette musique qui nous touche de son aile et nous fait frissonner. Cet orage qui gronde en gris et mauve sur le jardin. Ce déjeuner au soleil. Ce bricolage que nous avons conçu et réalisé à deux, notre joie de créer, et d'embellir la Maison sur la Colline. Pour les enfants, les amis, tous ceux qui viennent étoiler nos jours de leur présence ou de leur rire. 

Nos évidences. Notre bonheur de bâtir chaque jour du solide, du précieux. De conjuguer nos faiblesses, nos erreurs, nos hésitations d'êtres humains, pour en faire des forces. Et même si la vie n'est qu'un galet roulé sur la grève de l'histoire, serrer ce galet dans nos mains, et sentir la chaleur de l'instant jusqu'à en faire une éternité.
 
Et vous, de quelles minutes de votre vie êtes-vous amoureux ?

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29 octobre 2022

Quand l'eau monte, le bateau s'élève...

 






Par hasard, je suis tombée (sans me faire mal) sur ce proverbe japonais issu du Hakagure, le code de conduite des samouraïs.
J'aime bien les proverbes japonais. Ils contiennent, tout comme les haïkus, d'infinis sujets de réflexion dissimulés dans une simple métaphore.
Au-delà d'un bel hommage au principe d'Archimède, j'y vois, humainement, une allusion à notre formidable capacité d'adaptation aux événements. A nos forces qui s'aiguisent dans la difficulté. A une certaine nécessité de cultiver cette force intérieure pour ne pas se laisser submerger par l'adversité. J'y vois aussi la nécessité d'évoluer, plutôt que de s'arc-bouter à de vieux principes, de vieux conditionnements éculés nous entraînant par le fond.
Je rêve d'un monde où le mot force ne serait plus synonyme de violence, de contrainte,  ou d'oppression, mais de cette énergie vitale qui crée les conditions d'une belle existence. 
Où la réussite ne serait plus synonyme de compétition, d'écrasement de l'autre, de dictature ou de tyrannie,  mais seulement de victoire sur soi-même.
Je rêve d'un monde où l'on ne confondrait pas estime de soi et égoïsme, solidarité et esprit de sacrifice. Où se contenter de ce que l'on a, ne voudrait pas dire renoncer à ses rêves, ni accepter une condition injuste, mais cultiver la gratitude et la sobriété chaque fois que c'est possible.
Je rêve d'un monde où l'harmonie ne signifierait pas l'uniformité, et où les différences se seraient pas sources de discorde mais d'enrichissement.
Bref un monde où les seuls guerriers existants seraient pacifiques, lumineux, pleins d'humanité. Des combattants de paix. Et ne cherchant qu'à se commander eux-mêmes plutôt qu'à diriger les autres.
Oui, je sais, c'est pathétique, à mon âge et à l'heure qu'il est, de croire encore à un monde meilleur... Mais j'écoutais Vivaldi, ça m'a rendue mélancolique.

23 octobre 2022

Aujourd'hui, à Angers


Ma lointaine tante Rose habitait à Gigaro, une incroyable maison environnée de pins parasols géants. Leurs troncs noueux et leurs larges ramures semblaient la protéger de tout, telles des mains gigantesques.
La maison de Rose n'était pas au bord de la mer, non, elle était comme posée dessus. Les flots venaient lécher sa façade de granit blanc, et il n'était pas rare, par gros temps, que Rose dût s'armer d'un balai brosse pour refouler les laisses de mer jonchant le carrelage de l'entrée. Rose aimait la lumière, surtout le soir quand le ciel du couchant nimbait de pourpre les Iles du Levant. Elle ouvrait alors en grand la « porte de la mer ». Rose avait l'immensité pour jardin.

La vie m'a légué un peu de Rose au fond de moi. Comme elle, il me faut de l'espace, du vent, croiser le chemin fougueux des éléments, et me relier à la nature.
Comme elle j'aime la mer, et les fenêtres largement ouvertes sur un bel ailleurs. Les rêves sans limites et la force des soleils intérieurs. Ces feux qui nous rendent ardents et espérants. 
Voilà pourquoi ce tableau me parle. Surtout aujourd'hui, dans le cocon tissé-serré de ma famille retrouvée pour les vacances. Autour de ce besoin urgent de reconstruire la joie après le drame.
La ronde des jours cavalcade autour de nos têtes étourdies, le temps déroule son ruban imperturbable, et rien ne ressemble à demain. Puisque l'on ne sait rien.
Tout ce que l'on sait, dans ce manège, c'est que tout passe, tout change, tout virevolte et nous échappe. Il faut s'agripper au bastingage des bons moments, pour supporter les coups de vents force dix. Et puis le calme revient,  comme si rien, jamais, ne s'était passé d'inquiétant ou de tragique.
J'aime ce côté changeant de la vie, qui souffle, tel un ciel de traîne, des nuages noirs et des embellies radieuses.
Je les entends étaler les cartes d'un jeu de société, avec des rires de connivence, cependant que j'écris, un peu à l'écart de leurs joutes. Il y a mes fils, deux de leurs cousines, leur père et ma belle-fille. Les petites sont couchées. Le vent de l'océan bat aux carreaux, plein de fougue et de fraîcheur.
Toi, tu es loin, là-bas, dans ton lagon bleuté aux franges de corail.
Mais je sais que tu es là, tout près, dans l'infinie respiration du ressac. Et que dans l'air chargé d'écume, par la magie des ondes, une merveilleuse nouvelle a déjà franchi les huit mille kilomètres qui nous séparent. J'en suis toute estransinée : une petite graine de bonheur supplémentaire éclora en avril, plume d'ange en son berceau. 
Souvent, il suffit d'ouvrir les bras pour redessiner l'horizon et le ciel.






Pour l'atelier du Goût.

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11 octobre 2022

A Sète, hier.




Photo Céleste




Je reviens doucement à la vie. Comme émergeant d'un long rêve filandreux, où les pensées s'entrechoquent. Ne pas vaciller. Garder la tête droite, malgré les milliers de choses venues la percuter telles des vagues furieuses contre un récif.
Le soleil brillait sur Sète hier. Le cimetière ressemblait à un jardin, calme et ombragé. Les pins semblaient bienveillants. 
La tristesse était dans les pas des gens, crissant dans le gravier blanc. Dans le frôlement furtif des mouchoirs sur les joues humides. Dans ces corps penchés, comme abattus par la destinée. Dans ces visages dévastés. La maman anéantie, la jeune veuve hiératique et droite comme un i, à la dignité quasi surnaturelle. La grand-mère sidérée par cette erreur de la fatalité, qui aurait dû l'emporter, elle. Les amis éplorés, la famille effondrée. Le pasteur cachant mal ses larmes.

La nature, elle, frémissait de vie et de joie indicible. Etrange paradoxe. 
Et moi, comme un esquif, bradassée par les courants contraires, cette force vitale extraordinaire qui m'attire vers les hautes lumières et cette autre, maléfique, soufflant de la sombre tombe ouverte comme une haleine chargée de pestilence.
Et puis il y a des lieux qui portent en eux cette contradiction : vous y avez été heureux, et vous y avez été malheureux. Vous connaissez sûrement ce sentiment...Un endroit où chaque tournant vous rappelle un souvenir joyeux et douloureux à la fois. Sète est de ceux-là. J'y ai connu beaucoup d'émotions. Un pan de mon passé m'est revenu au visage comme un paquet de mer, salé et suffoquant.
Dans le port, le ballet silencieux d'énormes méduses déployait leurs fascinantes corolles dans l'eau claire. Les barques dansaient au soleil. Les accents chantaient aux terrasses. L'insouciance. L'indécence de la joie diffuse, innocente du malheur d'autrui.
Rien autour de nous ne laisse jamais deviner le drame quotidien que vit chacun d'entre nous, à son tour, quand il est confronté à la perte.
Le plus difficile a été, pour moi, de voir pleurer mes enfants. Ces jeunes adultes pleins de fougue et d'espoir... Le cadeau précieux que nous leur faisons est entouré d'un ruban mortel. Pour apprécier l'existence, il leur faudra dénouer patiemment ce ruban. Apprendre à vivre, c'est avant tout apprendre à mourir.

30 septembre 2022

Le mystérieux pays des larmes









































Parfois, la vie nous broie juste après le petit déjeuner. On avait bien commencé la journée. On avait médité sur le sens de la vie, projeté d'aller tailler les iris avant la pluie, et souri en voyant les mésanges se taper la cloche dans la mangeoire.
Et puis la sonnerie du téléphone grésille désagréablement, et le message tombe comme un glas dans le brouillard.
C'est fini. Il n'a pas souffert. Les mots semblent toujours les mêmes, on est comme dans du coton quand on les entend.
Il n'a pas souffert, non, mais il avait l'âge de l'espoir, l'âge des printemps qui explosent en milliers de petites graines, l'âge où les rêves fusent. L'âge où on ne meurt pas. Trente-cinq ans. L'âge de mon fils aîné. Mon fils aîné anéanti,  qui perd son cousin, mais c'était plus qu'un cousin, c'était un frère. Presque un jumeau.
Les souvenirs remontent, telles des bulles de joie un peu incongrue. Je les revois juchés sur leurs vélos, ou faire la bagarre dans la pelouse, comme des chiots joyeux. J'ai l'âme au bord des yeux.
Et ce cri mêlé de stupeur, de colère et de déni, coincé au fond de la gorge, parce que la Griffue emporte toujours ses proies sans prévenir, aveuglément. Bim ! On est vivant et hop, on est mort. A quoi bon protester ? A quoi bon lui dire, à cette grande Egalisatrice, qu'en partant il laisse une petite fille et une femme portant un autre bébé ? A quoi bon lui expliquer combien cela va être terrible pour ceux qui restent. La mort ne s'émeut de rien. Elle n'a pas de pitié. 
Ce soir, le vent d'automne a un goût de tristesse absolue. J'avais un peu oublié le pays des larmes, le mystérieux pays des larmes.




A Nicolas

19 septembre 2022

Mes étincelles

L'amour maternel est avant tout un acte de résistance contre la férocité du monde.
Françoise Lefèvre







  Ma prunelle. Ma merveilleuse étoile. La voilà, le jour de son mariage, si belle et si pleine d'amour. Deux ans déjà, c'était hier. Une jolie fête, comme une parenthèse de grâce au milieu du tintamarre covidien, de cette lancinante grisaille médiatique qui n'a pas réussi à entamer sa joie de vivre.
Cette photo m'emplit d'une émotion indicible. Un flot de souvenirs joyeux et nostalgiques en même temps.
Je ne sais pourquoi, je suis toujours terriblement émue, remuée, brassée par ma progéniture. Quel est cet étrange fil qui me lie à eux ? On a beau avoir coupé le cordon, ce lien est indéfectible. Solide comme une racine de chêne. 
Quand ils vont bien, une douce paix m'envahit et je respire plus large. 
Quand ils ne vont pas bien, le soleil brille moins. Telle une perle ternie par la buée. 
Ils me manquent souvent. Je les aime sans conditions. 
Je donnerais tout pour eux, même ma vie. Parfois je pense qu'un jour je ne les verrai plus et la tristesse s'insinue en moi comme un sirop amer.
Mais le plus souvent je suis heureuse et fière de les avoir mis au monde. Et j'exulte quand je les vois, que je peux passer un peu de temps avec eux. 
C'est banal, direz-vous. C'est cliché.
C'est que l'amour maternel ne s'exprime que par phrases toutes faites. Intemporelles. Universelles. Des phrases de mère, de toutes les mères, des phrases qui jaillissent du coeur en étincelles.

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29 août 2022

Un gamin d'Paris

« Ce terrain faisait l’angle de deux rues. Il y poussait un magnifique cerisier qui donnait, chaque année en abondance, des cerises un peu aigrelettes que l’on nomme ici Montmorency, ailleurs c’est peut-être bien des guignes. C’est bon la Montmorency quand, après une chaude journée d’été, encore gorgée de soleil, vous la faites craquer sous la dent, puis en faisant la bouche en cul de poule, vous envoyez valdinguer le noyau dans la tronche du copain ! »
Jean-Louis Ferrera 

(extrait de « Un Gamin de 39 » éditions Librinova-Autres Mondes, 129 p.)








Au cours d'une de mes nombreuses et passionnantes vies, j'ai connu une joyeuse bande de drilles qui sévissaient sur un navire nommé « Blogborygmes ». J'en avais touché deux mots ici. C'était un temps déraisonnable où j'étais sans doute plus Troussecotte que Célestine. 
Dans cet espace irrévérencieux et sulfureux,  je pouvais laisser aller ma plume à des débordements tant sémantiques que lexicaux. Le ton général de l'équipe était léger et souvent coquin, ce qui n'empêchait pas en même temps une belle profondeur, et pas seulement de bonnets.
Tiens en m'y baladant j'ai retrouvé cet article « méridional » que j'avais écrit avec une certaine délectation. 
Bref, c'est à cette époque que je rencontrai Andiamo, vieux loup de mer menant le rafiot avec assurance vers des contrées toujours plus incertaines et infestées de pièges.
Il se trouve que ledit Andiamo, en collaboration étroite avec Françoise Simpère, une auteure talentueuse, vient de rédiger ses mémoires de titi parisien, un petit tour d'horizon savoureux de la vie d'un enfant au lendemain de la guerre. 
Le tout forme un opuscule agréable à lire, que vous trouverez facilement en trois clics adroits, pour la somme astronomique de 4,49 €. Bien situé, le prix, entre un kawa bien serré et une binouze bien fraîche. A vot' bon coeur, m'sieurs dames.
Eh oui, mon poteau fait dans le numérique, comme quoi, on peut dater de l'an quarante et naviguer moderne. Sauf ton respect, mon capitaine ! 
Alors, je compte sur vous, répandez la bonne nouvelle, et mouillez votre chemise, noble aréopage de mes lecteurs chéris, afin de propulser Andiamo sous les feux de la rentrée littéraire. Son livre est drôle et truffé d'anecdotes, il se déguste comme un vieil album photo dégotté dans un grenier.
Même s'il ne vise pas forcément la Pléiade, ce serait dommage de le laisser dans la panade...

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22 août 2022

Ce qui fait sens




« L'amour est une eau fraîche qui coule aux fontaines de l'âme »
Christian Charrière









L'été s'étire comme un chat sur une margelle. Les ombres s'allongent, et les jours commencent à prendre cette somptueuse lumière de septembre si aimée des artistes.
Même l'eau dans la fontaine du village fait un bruit différent, dans le silence de l'après-midi. Un son plus familier, comme un ami qui te salue de loin. Tu reconnais sa voix. Tu l'avais perdue dans le brouhaha de la canicule. 
Le chalumeau céleste s'est arrêté. On revit. Les arbres ont soupiré de soulagement sous les pluies tant attendues. Les forêts meurtries fument encore doucement, comme sur les pentes des volcans. Le soir, on rajoute une petite laine pour réchauffer la peau.

Je peux à nouveau m'installer sur la terrasse et feuilleter le livre de vos vies. Me baladant de blog en blog, je tombe sur cette belle phrase que mon amie Chinou me dédie spécialement. 
« L'amour est une eau fraîche qui coule aux fontaines de l'âme » Quelle jolie attention...
Chinou, c'est mon amie aquarelliste. Je vous l'avais présentée il y a sept ans déjà.
Son dernier billet sur les fontaines, dont elle sait retrouver l'âme dans ses dessins,  m'a rappelé combien je les aime. 
Peut-être parce que j'aime toutes les choses porteuses de symboles. Les choses qui font sens. 
La nature est un temple où de vivants piliers...etc, etc. Correspondances... Le poème de Baudelaire est en moi depuis toujours, oscillant comme un pendule, il a donné un sens à mes perceptions particulières, si difficiles à exprimer, si subtiles, fugaces, et pourtant faisant l'essentiel de mon être. Je suis comme ça. Ma pensée passe d'abord par mes sens.
L'eau. Les arbres. Les blés. Les chevaux. Les étoiles. Voilà quelques exemples d'objets naturels porteurs de symboles, dont la musique chaude, rouge et sonore, entre en résonance avec les mailles serrées de mon cerveau surefficient. Je lis en eux à coeur ouvert.
Parmi les choses humaines, outre les fontaines, comment ne pas penser aux moulins, aux ponts, aux chemins, aux puits, aux portes. Tous ces objets intemporels qui relient, qui rassemblent, qui élèvent, ou qui contribuent à la vie depuis l'aube des temps. 
A vrai dire, la liste est infinie, des choses qui me parlent. On est dans la forêt de symboles chère au poète. 
Quand j'étais enfant, j'avais sans doute déjà cette perception symbolique des choses, puisque j'imaginais toujours la maison de mes rêves de la même façon : il y aurait un escalier, un piano, une bibliothèque et une cheminée. Un amoureux.
Et dans un jardin plein de fleurs, un chat qui s'étire sur une margelle.
Il ne me manque plus que le chat.

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13 août 2022

Les gens







 La maison sur la colline vibre doucement des nombreux passages qui ont émaillé l'été. 
Le bruit reste encore suspendu entre les feuilles, tels des acouphènes légers.  Cris d'enfants sous les arroseurs dans les maïs, sourires et pleurs de bébés, verres qui s'entrechoquent, éclats de rire et de fourchettes. Confidences et confitures. Ami ricoré. Et cette importance des repas, quand on est nombreux, comme si la vie n'était plus rythmée que par la valse des assiettes et des victuailles colorées englouties par des estomacs jamais rassasiés. Des montagnes de melons,  de tomates,  de poulet froid, de sorbets et de basilic. Des rivières de boissons glacées, des stères de pain. Des monceaux de tian de légumes et de salade de riz aux crevettes.

Le calme est revenu. Les cigales arrachent le sec de l'herbe, l'air est tremblant. Le chaud s'est insinué partout. Les après-midi retrouvent la fraîcheur des persiennes closes, on gît sans énergie comme des lions avachis sous leur baobab. Devant quelque épisode de série policière que l'on suit d'un oeil torve.
On repense à tous ces gens qui ont fait de belles escales sous le chêne centenaire. Les amis, les enfants, les cousins, les neveux, les frères et soeurs. Toutes les générations de 3 mois à 99 ans.

C'est fascinant, les gens. Les observer. Creuser leurs particularités, trouver ce qui les meut, ce qui les émeut, et ce qui les laisse indifférents.
Je me régale à étudier les personnalités, affirmée ou en devenir. Avec une passion d'entomologiste. A découvrir, par exemple, comment de jeunes couples pourtant proches peuvent avoir des conceptions  si différentes sur l'éducation. Les écouter échanger, en se gardant d'intervenir. Ou alors juste pour apporter un éclairage différent, discret, tout en nuances, de la part d'une qui a un peu cerné le sujet pendant quarante ans...
Suggérer sans affirmer, proposer sans imposer, car les gens sont chatouilleux quand il s'agit de leur progéniture. 
C'est fascinant, les gens. Un rien fatigant, aussi.
Mais entre deux passages d'oiseaux migrateurs, retrouver la solitude choisie et le silence, la tendre complicité d'un seul être, tel le murmure du ruisseau qui s'enroule sans fin autour d'un galet, c'est un luxe. Et c'est ce luxe qui me fait aimer les gens. 

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