28 septembre 2013

Damien


photo net





Damien écrivait mal. Son graphisme incertain s’étirait en pattes de mouche ne suivant pas forcement les lignes violettes de ses cahiers d’écolier. Des cahiers toujours pleins de taches. Sa frimousse et ses mains aussi étaient toujours pleines de taches. D’encre et de peinture. Cela se mélangeait avec les minuscules points de rousseur qui étoilaient son visage autour de ses yeux verts. Entre sa main droite et sa main gauche, il n’était pas bien fixé, ne voulant faire de peine à aucune, il les utilisait en alternance.
Damien empilait chaque jour un bric-à-brac épouvantable sur son pupitre. Quand je passais entre les rangs, j’avais toujours peur de déranger le bel ordonnancement de ses constructions hétéroclites.
Damien était un rêveur.  Son casier était un incommensurable foutoir où une vache n’aurait pas retrouvé son veau… Il échafaudait ses règles, ses stylos, ses gommes et ses crayons comme il échafaudait ses rêves. Ceux-ci se promenaient au fond des galaxies, ils poursuivaient des destructeurs atomiques à coup de réflecteurs spatio-temporels. Un autre jour, avec sa boite de couleurs et un carnet d’orthographe, il avait érigé un temple maudit au fond de la forêt amazonienne. Il bricolait avec trois fois rien les trésors de son imagination embroussaillée. Il collectionnait les bouts de ficelle, les billes, les boutons, les petites boîtes d’allumettes. Je le laissais faire avec un œil mi-amusé mi-bienveillant. Certes, les conjugaisons et les règles de mathématiques lui échappaient parfois, tout occupé qu’il était  se retrouver dans la jungle de son désordre, et ses résultats scolaires n’honoraient pas son intelligence pratique et son génie de l’invention. Mais j’avais confiance dans ses capacités. Et puis il me prouva que l’on peut écrire comme un cochon, être « bordélique »en diable, ne pas être « scolaire » et devenir pourtant artiste et professeur aux Beaux Arts de Lyon.
De nos jours, un enfant comme celui-là est "en difficulté" ; on convoque une équipe éducative, on saisit la MDPH*, on met l’enfant dans les mains de spécialistes de tous poils, ergothérapeutes, orthoptistes, on diagnostique une dyspraxie, une AVS*  assise à côté de lui,range ses affaires et copie ses leçons à sa place. A moins qu’il n’ait droit à un ordinateur. Plus de place alors pour les bricolages inventifs, ceux qui développèrent les facultés créatrices de Damien.
Oui, de nos jours, la vie est dure pour les bricoleurs en herbe aux yeux rêveurs et aux doigts sales...
Je repense souvent à Damien et à sa tignasse de foin séché. Et je me demande si le progrès a toujours du bon.


*MDPH  Maison des Personnes Handicapées
*AVS     Auxiliaire de Vie Scolaire

24 septembre 2013

Eh, vous! heures propices...



Dans les films (romantiques de filles), il y a souvent une séquence où, soudain, l'on regarde la vie des héros se dérouler en accéléré. Le son est coupé, l'on voit simplement des scènes de la vie quotidienne se succéder. En général la musique qui accompagne est belle et douce, et encline à la nostalgie heureuse...Un peu comme celle que vous entendez si vous avez laissé le son. 
C'est un moment du film où tout va bien, le couple s'installe dans la maison, le bonheur rougit les visages, les enfants se poursuivent dans le jardin, les ventres s'arrondissent, il y a des gâteaux qui gonflent tout dorés, des polochons et des batailles de plumes. Les projets prennent forme, se réalisent, les bougies se soufflent, et, toujours, le bonheur.
Et le tout, sans un bruit, sans une parole. Juste la musique.Cela donne à la séquence une magie cotonneuse. Je suis sûre que les experts ou les amoureux de cinéma voient ce que je veux dire, même si ce n'est pas très facile à expliquer...J'adore ce genre de séquence. Je noie mon regard dans la rêverie. J'ai un sourire béat. Ça me fait du bien. Pendant ce temps-là, j'ai un ami qui, lorsque sa femme fait comme moi,  en profite pour aller...enfin, vous voyez, quoi. C'est un poète.Il dit que c'est l'heure "pro-pisse".

Je vous entends, vous allez me redire que les films, ce n'est pas la vraie vie.
Heureusement! Vous imaginez si  la vie s’accélérait d'un coup, sans prévenir? Si tous les bons moments se concentraient en trois minutes, au son d'une musique suave et envoûtante?
Remarquez, c'est un peu la sensation que j'ai, parfois, en ce moment, quand je regarde en arrière. L'impression que les vingt dernières années ont filé comme dans un rêve. 
Ce qui m'a rassurée, aujourd'hui, c'est que Charlène m'ait dit:" Oh la la!  Ce que ça passe vite! je n'en reviens pas d'être déjà en CM2!" (à la réflexion, je ne suis pas sûre qu'elle ait respecté la négative).
Je croyais pourtant me souvenir qu'à dix ans, je trouvais le temps affreusement long...mais le temps est un ruban de guimauve et la mémoire un vrai marshmallow.
Ou alors, il n'y a plus d'enfants.


19 septembre 2013

Gym tonique

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tableau, E. Batier-Genève

Passé mon accès de nostalgie maternelle, due au départ incontournable de tous mes oiseaux hors du nid, et après avoir versé les larmes d'usage et neanmoins irrépressibles, moi, vous me connaissez (comme dit un ami à moi) j'ai décidé de ne pas me laisser gagner par le marasme existentiel et la mélancolie supputatoire.
De reprendre en main mes muscles légèrement avachis par l'abus du farniente estival et des glaces au caramel. 
Je me suis inscrite à la gym. 
Premier cours d'essai, lundi soir, je choisis, dans le menu au large éventail que propose le club, entre la zumba et le stretching postural, un petit cours tout simple, très indiqué pour commencer la semaine pas trop fort: "gym douce et étirements." 
Je me vois déjà prendre des poses de chatte au réveil, arrondissant le dos et tirant sur mes biceps sur une musique lénifiante et un petit tapis de mousse synthétique. Je laisse errer mon regard flou vers les nuages, signe évident de joie intense et diffuse de celle qui en reste rêveuse. Toute excitée, telle une puce, j'enfile ma tenue flashy et girly, noire et fluo, et mes chaussons de danse élimés que j'ai toujours gardés par devers moi. Au cas où.
Je prends place parmi les autres rats en collants, et là, d'entrée, je sens bien qu'il y a...comment dit-on déjà? Un testicule dans le minestrone, une valseuse dans le consommé...ah oui! une couille dans le potage: dès les premières mesures, la musique fait éclater des boum-boums de sauvage dans tout le gymnase, version soirée disco mais pour sourds et malentendants, ou défonçage de cloison à coups de masse. ( On est loin du tube aerobic des années quatre-vingts "Toutouyoutou" ou de sa version décalée " l'aperobic" , à elle la gym, à moi le tonic) 

 Je me dis "Ce doit être l'échauffement, ne cédons pas à un découragement inopiné et intempestif, et appliquons-nous à satisfaire ce charmant professeur qui sait si bien compter jusqu'à huit ". 
Au bout de trente minutes d'un enchaînement ininterrompu de mouvements cadencés, avec ou sans bâton, et d'un nombre incalculable de séries octosyllabiques, il faut me rendre à l'évidence: c'est beaucoup trop long pour un échauffement. Et mes jambes tremblotent, tétanisées par cette soudaine sollicitation exagérée de leurs possibilités. 

Au bout de cinquante minutes, j'ai enfin droit à quelques uns des fameux étirements que j'attendais...piètre récompense.Je suis lessivée sur mon tapis.
"Ah! me dit la prof quand je lui demande des explications, il y a une erreur sur le planning. Moi, je fais "gym dynamic" . Je me dis que le fait de l'écrire avec un "c" ne le rend pas moins fatigant...( Au passage, je me demande si cette folie de tout angliciser n'est pas irrémédiablement inéluctable, mais je me garde de confier mes états d'âme linguistiques à la jeune personne qui visiblement n'est pas concernée par la décadence de la langue)
Quoi qu'il en soit, je comprends mieux maintenant.  J'ai vraiment été très forte:  Sur ce #@%&☻ de programme hebdomadaire,  j'ai choisi directement la seule erreur parmi les trente-trois créneaux proposés. 
Je vais aller jouer au bingo, ça me paiera sûrement les cours de toute l'année...


16 septembre 2013

Ciao, l'ami, je t'aimais bien

Il était, je peux le dire, mon plus ancien et plus fidèle commentateur. Un ouvrier et fils d'ouvrier qui avait acquis une grande culture et une belle ouverture d'esprit. Doublées d'un sens de l'humour et d'une  gentillesse formidables.  Sa collection de timbres était une encyclopédie à elle seule. Il y a trois ans, je lui avais consacré un billet...
C'était mon "papiblog" préféré. Il est parti rejoindre Jean Ferrat, Léo Ferré, tous ses potes qu'il aimait tant, les anars, les communards, tous ceux qui s'en laissaient pas compter par les patrons. A la grande époque. Au temps d'avant.
Il s'appelait Walter mais dans la blogo, il était Patriarch.

Salut, toi! Tu ne viendras plus poser ton petit mot du matin, me parler des montagnes que tu voyais de ton balcon, d’Éliane qui te faisait des bisous dans le cou, et de tous tes enfants et petits enfants et de l'air frais du matin, que tu affectionnais , parce qu'il y a moins de pollution à ces heures-là, pour tes poumons, que l'asbestose avait fragilisés.
Elle a eu raison de toi, cette saleté de maladie, mais si tu as fini par griller ton disque dur, tu resteras pour toujours dans ma mémoire vive.

14 septembre 2013

Contrôle technique

-Tout va bien, Célestine?
-Oui l'Ange, oui, tout va bien! 
-La rentrée?
-Derrière moi. L'humour me sauve, comme toujours. Partir dans les petits matins gris, après des vacances de rêve,  pour retrouver un monceau de problèmes, mieux vaut en rire. Et c'est ce que je fais...
-Le bateau est parti?
-Fin comme un oiseau, hisse et ho!



-Les élèves?
-Bavards. Hétérogènes. Hyperactifs. 
Dyspraxiques. Déconcentrés. En perte de repères.Déstructurés. Pleins de lacunes. Insolents. Perturbés. Paresseux. Immatures. 

Mais tellement attachants! 
Un vrai défi que de les faire progresser, d'en faire de vrais élèves...gentils et autonomes.
Et le doux plaisir sans fin des copies à corriger...
L'humour me sauve!






-L'administration? 
-Pontifiante
-La mairie?
-Affligeante
-Les parents?
-Énervés
-Les collègues
-Sauvés comme moi par l'humour...
Et puis tu sais, mon ange, tu sais, j'ai une vie en dehors de l'école! Une vie belle, riche, passionnante, pleine de découvertes, de rencontres, de bonheurs petits et grands, pleine d'amour.
 "Institutrice mais pas que" tu te souviens?
-Oui,oui, apparemment, donc, tout va bien pour toi...je suis au chômage, quoi!
-Euh...l'Ange, ne t'éloigne pas trop quand même! L'humour me sauve mais je ne suis pas à l'abri d'un coup de mou dans la corde à nœuds...



10 septembre 2013

La pierre

Photo empruntée à mon cher Alain X































La pierre est chauffée par le soleil. J' aime m'asseoir là quelques minutes, quand je le peux, pour respirer. Une pause méditative et méridienne. J'ai senti, avec mes petits cils vibratoires, l'imminence de l'automne. Pour d'autres, ce seraient leurs rhumatismes qui se réveilleraient. Moi, je sens, simplement,  les yeux fermés, l'odeur de chaque saison avec précision. L'air n'a jamais le même goût. Je n'ai pas de mots pour décrire la saveur de celui de septembre, quand les ombres s'allongent et que les matins fraîchissent.

Aujourd'hui, sur la pierre, je me suis penchée sur ma vie, comme accoudée à un balcon sur la mer. Les tempêtes des derniers mois se sont apaisées. Je ressens comme un grand calme puissant. Le tumulte s'est tu.
Désormais, mes trois enfants sont devenus trois prénoms qui illuminent à intervalles réguliers l'écran de mon  téléphone et font battre mon coeur.
C'est mon dernier fils, à la voix si douce "Tout va bien, Moune! Ne t'inquiète pas. Je t'aime."... Et celle, grave et profonde de mon fils aîné " Salut Mum! comment tu vas? Ca fait un p'tit bout d'temps! " Et puis... "Euh, coucou ma p'tite maman, il me faudrait un peu d'argent..."ma prunelle, ma libellule, mon américaine envolée si loin...
Quelques mots, un sourire et je repars d'un pas léger, remplir ce grand vide qu'ils ont laissé, petit à petit, à force de projets, de caps, de déménagements, de réussites, de voyages d'études, de faux retours, de vrais départs...A force de grandir.
A force de temps. A force de vie.

Je le savais, depuis le début,  en regardant leurs petits bras blancs et doux et parfumés  dans leurs langes qu'ils me feraient ce coup-là. Je ne suis pas triste. Juste abasourdie que cela soit venu si vite. En un éclair. En un éternuement. 

 Je vous ai tant aimés, mes bébés! Mon coeur est tout gonflé de ce doux et amer sentiment du devoir accompli. J'essuie mes yeux de lapin myxomatosé par l'ambroisie. Mais non, je ne pleure pas!

J'ai encore mille vies à vivre, tant de projets, tant de bonheurs à découvrir, tant de saisons devant moi.
Tant d'amour à donner. Tant de rêves. Et le ciel est si bleu. Et je suis si bien entourée.

Un lézard s'est posé un instant sur la pierre. Il m'a semblé qu'il me souriait. Il ne sait pas, lui, ce que vit le coeur d'une mère.








07 septembre 2013

Rêve de fringues





J’ai fait un rêve idiot et amusant.
-Tiens, d’habitude, les rêves sont plutôt étranges et pénétrants…
-Oui, mais celui-là était vraiment saugrenu et poilant. Enfin, je crois que c’était un rêve…en fait je ne sais plus trop…J’étais dans ma chambre et je regardais mon armoire entrouverte avec cet air de songe vague et distant que l’on prend quand on ne sait plus ce que l’on est venu faire là, tu vois…
-Ah oui ! Ça m’arrive souvent : il suffit de revenir à son point de départ…
-Là n’est pas la question. Le fait est que j’ai entendu distinctement mes vêtements parler. Ils tenaient un étrange conciliabule.
-Ils te passaient un savon ?
-Non pourquoi ?
-Eh, con, s’il y a bulle, y’a savon ! Ha! ha!
-Bon si tu m’interromps tout le temps ! Tu ne veux pas savoir, pour mes fringues ?...
-Ah! oui , alors, qu’est-ce qu’elles disaient ?
-Voila, tout a commencé comme ça, avec le pull en cachemire, tout rose de plaisir, qui disait d’un ton feutré : «  J’aime l’envelopper à même la peau. Elle est si douce ! J’aime mouler ses petits seins ronds et pointus au bout
-Hé hé ! Il commence bien, ton rêve !
-Attends, laisse-moi raconter la suite !
« Peuh ! Disaient les chaussettes, tu as le beau rôle ! Si tu crois que c’est drôle pour nous…Elle nous sort d'un tiroir pour nous enfermer aussitôt dans les chaussures ! Sans compter que, enfin…vous voyez bien… à la fin de la journée…hum…nous ne sommes plus dans de la première fraîcheur! »
« Moi, dit une petite robe noire décolletée en panne de velours, j’adore l’accompagner car elle m’emmène dans des endroits brillants et colorés, pleins de bulles et de musique. Mais je finis souvent roulée en boule sur un tapis… »
Puis les tee-shirts ont râlé que je ne les portais pas assez, et que je n’en avais que pour les petits hauts à bretelles, les robes à fleurs qui virevoltent et les chemisiers en satin.
Les jeans ont pris ma défense en affirmant qu’ils étaient indissociables des tee-shirts en question…Bref, le ton est monté, les manteaux s’en sont mêlés…Plus le ciré pleurait, plus les mitaines applaudissaient, les foulards s’agitaient, les caracos caracolaient, c’était un joli bazar dans mon armoire… Un corsaire haranguait les pantalons, pendant que le bustier bombait le torse.
-Et alors ? Et alors ?
-Alors…je me suis réveillée, et j’ai retrouvé pourquoi j’étais là, plantée devant mon dressing : j’avais une soirée, il fallait que je m’habille. Et  je me souviens aussi de ce que j’ai pensé à ce moment-là !
-Ah oui ? Quoi ?


-J’AI RIEN A ME METTRE !


02 septembre 2013

Un peu de poussière de craie...

Photo empruntée à un blogami
Elle rêvait d'une école toute fleurie de pervenches et de liserons bleus. Aux fenêtres des rideaux de mousse blanche flottaient au vent du matin. De petits chemins herbus serpentaient dans le jardin, et les balançoires transformaient aux récréations les enfants en métronomes.
Elle rêvait que les professeurs s'appelaient Jean Rivet, Pierre Gamarra, Jacques Prévert. Des bouquets d'hirondelles poussaient sur les arbres de la cour, les couloirs sentaient la myrtille et la châtaigne en automne, et sur le poêle, l'hiver, chaque flaque d'eau était un bonhomme de neige évanoui. Au printemps le jasmin y embaumait.L'été incendiait les soirs.
Sur le tableau, un coeur était tracé dans un peu de poussière de craie. Toute sa vie...
Elle rêvait que les cahiers et les leçons avaient des noms étranges. Livre d'étoiles, cahier de bonheur simple, leçon de rosée du matin, petit carnet de résolutions courageuses, manuel de  rouge aux joues.
Elle rêvait en préparant son cartable.
Elle ne comptait plus ses rentrées des classes. 
 Quand on aime, on ne compte pas...disait sa grand-mère.
Mais rien ne l'empêcherait de compter les battements de son coeur quand elle se retrouverait pour la énième fois devant eux. Ses élèves.