31 décembre 2019

2020








 Sibylle levait ses mains potelées vers le plafond, fascinée par l'hélicoptère miniature qui vrombissait au-dessus de ses boucles d'or. Oh...le regard de cette enfant devenant chaque jour un peu plus éveillée, un peu plus croquante... Une candeur de blé qui lève dans chacun de ses gestes, la pureté de ses exclamations, en total émerveillement devant le monde... Oh le regard de ma petite fille ...J'en ai été bouleversée. Je suis tellement comme elle au fond... je n'ai jamais cessé d'être cette Petite Fille-là. En un instant, cet instant présent que je m'attache à capter, de toute mon âme, comme on saisit Kairos aux cheveux, j'ai été happée par l'émotion vitale. Le tourbillon que nous vivons tous. La vie est une essoreuse à salade, un tambour de machine à laver, un manège qui s'emballe. Une catapulte.
A un petit bout de la grande chaîne, satin de peau, éclat de vivre, brugnon joli, un an et demi de joie vive, et à l'autre bout, nonante ans dans un mois, ma vieille maman qui se recroqueville sur sa vie, cassée comme un fruit trop sec, brisée de trop d'épreuves...  Le début flamboyant, et la fin affligeante... Reverra-t-elle le printemps ?

Et moi, au milieu du pont, sentant les embruns fouetter mon coeur entre deux tempêtes.
Je marche, fascinée par ce mystère irrésolu. Je pense à l'amour qui m'a touchée de son aile et enchante mes jours, à mes enfants suivant leurs chemins, au mariage de ma fille en septembre, au nouveau travail du petit dernier...
Je pense à mon père : répète-t-il pour ma mère, en secret, sa chanson préférée de Bécaud 
« Je reviens te chercher » ?
Je pense à mes amis, au tournoiement des projets, des galères, des naissances, des maisons...
Tout va, tout vient...Rien n'est figé. 
La vie ressemble à cette chanson de Benabar, « Quatre murs et un toit » ...
Ou à cette publicité, vous vous souvenez,  pour la CNP, qui tournait sur la valse n° 2 de Chostakovitch...
Alors où que vous en soyez, mes lecteurs si fidèles, riez ou pleurez, c'est pareil au fond, mais surtout, Vivez ! 
 20/20 c'est la note célestinienne que je vous décerne ardemment.

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24 décembre 2019

Conte doux


A vous tous, mes amis que j'aime.
Joyeux Noël, comme on dit.



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Le soleil pencha sa grosse tête rubiconde vers le petit point bleu que les hommes appelaient la Terre. Il aiguisa un à un tous ses rayons, il les fourbit comme on apprête les couverts d'or d'une table de fête. 
Il effleura la mer d'opale pour la féconder, et faire naître ainsi de beaux nuages gris perle et blancs de lait, qui vinrent à leur tour déverser leur eau bienfaisante sur les montagnes. Les sapins frémirent de toutes leurs aiguilles et s'inclinèrent pour laisser passer les torrents fougueux. Puis la lune souffla sur la pluie de son haleine gelée, et les gouttes se muèrent en flocons ciselés comme des gemmes. C'était ainsi depuis toujours, le soleil faisait l'amour avec la terre. Tout concourait à la beauté du monde.
Les animaux en courant piquetaient les étendues de neige de petites traces étoilées. 
L'écureuil zébra l'air de sa rousseur, la biche leva son museau noir fumant doucement dans l'air glacé, et ses longs cils vibrants. Elle était à la recherche de son faon. Les lapins lui indiquèrent du bout de l'oreille son chemin. Leurs petits derrières rebondis faisaient comme des boules de coton rose dans le soir.
Un beau silence enveloppait le jour le plus court, remplacé très vite par une belle et longue nuit scintillante. Il était minuit, l'astre joufflu était allé se coucher depuis longtemps, passant la main à ses copines les constellations. Celles-ci en mettaient un coup pour illuminer la forêt de leur lumière vivante et diffuse.
A un instant, le temps s'arrêta.
 Une cloche tinta au loin. 
C'est Noël, murmura la vieille chouette en ébrouant ses vieilles plumes argentées qui en avait vu tant d'autres. Des verts, des rouges et des trop mûrs...
- Noël ? Raconte !
Et les animaux subjugués l'écoutèrent raconter, avec un éclat d'or dans ses yeux ronds, comment les hommes, chaque année, l'espace d'un instant, redevenaient des enfants, et oubliaient leurs vallées de larmes. Comment ils s'embrassaient et se remettaient à espérer. Elle n'oublia rien, ni les étincellements de bougies, ni les paquets enrubannées, ni les promesses merveilleuses. Des dizaines de petites pattes applaudirent à cette histoire, si belle qu'elle était sûrement vraie. Avec des Oh ! et des Ah ! pleins de buée givrée.
« Chut ! » dit la chouette. Laissons-les rêver.
Dans la forêt, la nuit offrit son plus beau ciel à tous les mondes. Au végétal, à l'animal, au minéral. Elle n'oublia personne.
Et attendit doucement que l'aurore l'embrase d'une clarté pleine d'amour et d'espérance.


***

Et pour ceux qui trouveraient mon conte trop doux, vous pouvez toujours vous rabattre sur mon petit conte horrible d'il y a trois ans...






20 décembre 2019

Mettre du feu







Il arrive, elle le voit, elle le veut
Et ses yeux font le reste
Elle s'arrange pour mettre du feu
Dans chacun de ses gestes
Francis Cabrel







Maître du feu ...


Mon père disposait le papier journal, le petit bois, les pommes de pin, les branches mortes. J'avais l'insigne honneur de craquer l'allumette. Je l'approchais doucement du papier, le doigt tremblotant de plaisir, jusqu'à ce que la première flamme apparût. Rapidement, le brasier enflait comme un monstre grondant et soufflant un air brûlant. Les flammèches léchant les arbres étaient autant d'étoiles filantes.
Sous les monceaux de feuilles humides, les volutes de fumée âcre lançaient des jets d'aiguilles dans la gorge, les yeux. Mais le feu triomphait à nouveau et enguirlandait l'espace. C'était beau dans le crépuscule flou de décembre, beau comme un morceau de soleil échoué sur le sol. Je n'aurais échangé ma place pour rien au monde.
C'est sans doute dans ces premiers automnes de feuilles mortes et de braises qu'est née ma fascination pour le feu. Ce frisson de lumière qui me parcourt avec toujours autant de force et de fièvre. Bélier, signe de feu. 
Symbole de l'énergie primale, et aussi du burn-out. 

Symbole de mon tempérament incandescent, de mon caractère strombolien, et de ces étincelles qui constellent ma vie.
 Ecouter vibrer la belle voix d'Olga et les guitares de Fred et Christou. Chanter en duo avec Mina, mon ancienne élève tellement émue de me retrouver. Découvrir les oeuvres d'une sculptrice splendide qui modèle la terre comme de la chair vivante. Manger dans un bouchon lyonnais avec mon fils, regarder les yeux d'étoiles de son amoureuse parler de l'Irlande et m'offrir une Claddagh Ring. Emotion encore.  Voir au musée des Terreaux l'exposition sur le drapé dans l'art. Suffoquer de beauté.
Arpenter le vieux village de La Laupie, entièrement réhabilité par la passion de ses habitants, un délice de vieilles pierres lovées contre une chapelle à la cloche d'airain. 
Décider de me perfectionner en guitare, aller boire un verre au golf, rêver des rivages turquoises de l'île Maurice, et livrer mes pieds aux mains douces d'une réflexologue. Lâcher prise.

Remercier Mathilde qui m'a fait ce beau cadeau. Ouvrir de grands yeux quand la praticienne me dit qu'elle sent de la tristesse dans mes pieds. Repenser au petit Prince parti trop tôt. Penser à ma mère qui est entrée à l'hôpital, dans la nuit de samedi. M'inquiéter tout bas. Penser à mon ami Hugues qui est parti deux jours avant, sans que j'aie pu le revoir. A la douleur de sa famille.
Mais sentir tes bras autour de moi comme une écharpe d'amour, écouter tes mots de tendresse et sourire. 
Remettre du feu dans mes gestes. Sourire toujours. 
Tristesse et joie nouées comme des lianes inextricables. 
Comme l'eau, comme la terre, comme le vent, comme toute chose ici-bas, le feu c'est la vie, et c'est la mort aussi. L'accepter. Sourire encore.

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Le vieux village de La Laupie
Pour l'atelier d'Olivia.
flou – caractère – tendresse – burn out – lâcher – cloche – enguirlander

09 décembre 2019

Lumière et ombres



J'ai rendez-vous avec mon amie Chinou. Dans quelques minutes, je vais entendre son rire déchirer le grand hall du Musée d'art comme une fontaine dans le calme du matin. Cette pensée dessine un sourire sur mon visage et m'illumine de l'intérieur.
En attendant, je contemple d'une moue distante une toile de Caspar David Friedrich, intitulée Rivage au clair de lune, 1835, huile sur toile.
Un rigolo, ce Caspar... j'essaie de trouver du sens à son tableau. 
Une toile sombre, très sombre, où j'imagine un pigeon gigantesque dont le plumage serait en nuages et dont les voiles raides de ces deux voiliers austères figureraient les pattes. Tellement gros qu'il ne tiendrait pas dans le cadre...
Des pattes engluées dans la vase glauque d'une plage inquiétante. Allégorie sans doute de sa vision du monde, obscur et sans espoir. 

Et soudain je repense à ce film vu hier du réalisateur Elia Suleiman. 
Suleiman... Soleil Man...quel homme brillant dans sa simplicité même !
Un petit chef d'oeuvre d'humour, de poésie, d'inventivité décalée, ou comment un artiste peut dire des choses fortes, profondes, et même tragiques sans pinceau noir, sans notes mineures, sans rouge sang....Juste avec un regard d'enfant mutin et drôle sur l'incompréhensible et l'absurde de notre époque. Une sorte de Tati palestinien. Elia, mon frère citoyen de la Terre...
Parmi les oliviers de Terre Sainte, sur un chemin brûlant de poussière blanche, une femme altière et sublime dans son abnégation, marche. Elle porte une cruche sur sa tête, et par ce geste, elle abolit le temps. Elle porte l'eau, elle porte la vie. Elle est de celles qui ne s'arrêtent jamais de porter le monde à bout de bras. On dirait qu'elle a croisé Jésus au détour du sentier. Et bien d'autres scènes belles, intelligentes, étranges...
Un film solaire comme j'assume de l'être, depuis que je sais tenir à distance ma part d'ombre pour qu'elle ne me grignote plus le cerveau. 
Solaire comme le flamboiement turquoise de la mer à Haïfa.







Et je retrouve Chinou en train de contempler un étincelant Turner.  
Le Maître de la Lumière me fait oublier Caspar et sa nébuleuse névrose. Un neuf décembre, j'ai vraiment besoin de soleil, moi...



Pour le devoir du Goût de Lakevio.
Les montages photos sont sortis de ma baguette magique.
La photo du milieu est extraite du très beau film d'Elia Suleiman « It must be heaven »

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04 décembre 2019

La vraie vie


C'est peut-être l'enfance qui approche le plus de la vraie vie.
André Breton







 La vraie vie... Ah ! la vraie vie...On emploie souvent, dans notre monde saturé d'images virtuelles,  cette expression étrange. Mais chacun a sûrement une idée différente ce concept un peu fumeux... Il y aurait donc une fausse vie ?
Dès l'enfance, j'ai le sentiment que l'on m'a agité « la vraie vie » comme un épouvantail. Il y aurait les rêves, les désirs, les aspirations profondes, les souhaits...l'art, la poésie...et puis, la vraie vie arriverait, armée d'un long balai fourchu pour envoyer valser tout cela... et nous ramener les pieds sur terre, ma p'tite ! Allez, sors de tes livres, arrête de rêver ! Non tu ne seras pas danseuse étoile, ce n'est pas un métier, on est dans la vraie vie, là, pas dans un conte de fées...Il faut être rationnel, et suivre le sacro saint principe de réalité !
Et souvent, cela ne sentait pas très bon, au ras du sol, là où les chiens oublient parfois d'odorants cadeaux prompts à se glisser sous nos chaussures et à nous faire déraper...
En un mot, la vraie vie, c'est caca, c'est dur, c'est pas rose tous les jours. Faut en baver. Faut en chier. La vraie vie, c'est la maladie, les accidents, le malheur, avec de temps en temps, si on est bien sages, des petites parenthèses de bonheur. 
Et si c'était le contraire ? Une longue file de joies interrompues parfois par des parenthèses qui nous jettent hors de la vie, comme dans un mauvais rêve ? ...
Il en a fallu du temps à la Petite Fille rêveuse pour assumer sa vraie vie : celle où elle se sent tout simplement vivante. Avec le coeur battant en bandoulière souvent, mais vivante !
Tout dépend de la couleur que l'on donne aux choses. De la saveur qu'elles prennent avec le temps. La vraie vie, c'est quand on vibre. Quand on sourit sans raison. Quand on se sent en accord profond avec soi. Même si c'est en lisant, en écrivant un blog, en épluchant des patates ou en se baladant nez au vent sur un quai de brume...
La vraie vie, c'est quand on peut dire : « J'aime ma vie. Je la crée chaque jour.  Et je ne laisse personne me la dicter. »


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28 novembre 2019

Ultra White









Ne vous excusez pas, ce sont les pauvres qui s'excusent.
Quand on est riche, on est désagréable !
Louis de Funès dans la Folie des Grandeurs.









Certains murmurent à l’oreille des chevaux. Elle, c’est à l’oreille d’un président qu’elle chuchote. Un « grand » de ce monde. Elle n’a cure que ce soit une vieille rosse à la perruque jaunasse. Un agité du bocal incarnant le cauchemar américain.
Pour elle, c’est un « ami de toujours », qu’elle suit pas à pas dans sa fascinante aventure politique. Elle le conseille et l’amène vers le Seigneur. Si si. En toute humilité. Elle s'appelle Paula White
Ah oui, je ne vous l’ai pas dit ? Elle est pasteure. Oui, avec un e comme auteure (ou comme horreure, si vous préférez). Depuis vingt ans, elle prêche partout sur talons hauts, elle arpente les States surmontée d’un brushing blond hollywoodien et autres attributs de la femme d’église : rangs de perles, décolletés profonds, sourire Ultra Brite et rouge à lèvres glossy à souhait. Elle défend sans zézayer son grand projet : la théologie de la prospérité. Elle a une interprétation très personnelle de la société : si vous êtes riches, c’est que Dieu a récompensé financièrement votre foi. Si vous êtes pauvres, c’est que vous avez tout simplement mérité la punition divine. Bouh, vilains pauvres, qui devez quand même contribuer à augmenter le capital de sa congrégation sous peine de voir « vos rêves mourir, et aussi vos enfants » Brr ! Elle a des arguments massus, la Paulette. Je serais pauvre, je n’hésiterais pas une seconde. Je craquerais mon codevi pour sauver ma progéniture…
Mais dis donc, Dieu, c’est pas très régulier, ces méthodes, si? Un peu extrêmes, non ? Je sais bien que les voies du Seigneur sont impénétrables, mais là ce sont d’indicibles méandres qui me plongent dans une insondable perplexité…
Dans mes lointains souvenirs de caté, il me semblait que la pauvreté était une vertu cardinale (enfin, si l’on peut dire, les cardinaux n’ayant jamais été très pauvres, il faut l’avouer, mais le langage a souvent de ces pirouettes…) 
Quid de ce bon Saint Martin qui avait coupé son manteau en deux pour réchauffer un nécessiteux ? (Bon, ce n’était pas un Burton of London en loden, mais quand même, le geste fut fort apprécié et symbolique…)
Quid d’Esaïe qui exhorta le peuple d’Israël à « partager son pain avec celui qui a faim et à couvrir d’un vêtement celui qui est nu ? »
Alors, Paula, chère pasteure multimillionnaire, qu’est-ce que c’est qu’ce binz ? WTF ? 
On en est où, là ? 
Et quand on est comme moi, ni riche ni pauvre, vous prévoyez quoi ? Le purgatoire ? Ou l'attente des soldes éternels sur le trottoir dans le froid et le vent ?

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Pour l'atelier d'Olivia, il fallait inclure les mots
régulier – interprétation – indicible – méandres – souvenir – aventure – projet – zézayer – soupir

25 novembre 2019

Les tuiles



 Faites des bêtises, mais faites-les avec enthousiasme.
Colette







Photo Céleste


J'avais dix ans. Un été, nous sommes partis en vacances en famille dans un petit village d'Ardèche, accroché aux remous d'une rivière capricieuse,  turbulente en hiver et presque asséchée à la belle saison. C'était une époque où un couple modeste avec quatre enfants pouvait passer trois semaines en pension complète sans faire exploser son budget mensuel. Oui oui, ça a existé, je vous assure... Comment ça, je suis vieille ?
Par le privilège absolu conféré aux « deux grands » d'une fratrie,  mon frère et moi avions le droit d'aller jouer dans les ruelles pierreuses que nous avions baptisées pompeusement le Labyrinthe. Un jour, au terme d'une énième palpitante aventure, nous trouvâmes une corde qui traînait là sans but : aussitôt jaillit en nous l'idée de l'accrocher à la branche d'un pommier pour en faire une balançoire. Mais au bout de deux balancements,  ladite corde se mit à nous scier méchamment la peau sur le côté des cuisses, tant il est vrai qu'il y a, dans toute corde, une propension naturelle à la méchanceté, voire à la cruauté gratuite.
Avisant alors une réserve de tuiles qui nous souriaient,  installées là comme par un fait exprès par une main magnanime, nous en prenons une et la posons en équilibre sur la corde pour en faire une assise ma foi assez confortable. ö joie ! Cela fonctionnait à merveille. Hélas ! les lois de la physique se rient des enfants joueurs et inventifs. 
Que dis-je ? Elles se liguent contre eux. Ne voilà-t-il pas que la tuile, par l'effet conjugué de forces concomitantes et occultes, se casse net par son milieu ? Ne manquant pas d'à-propos, nous saisissons une autre tuile, puis encore une autre, et bientôt ce sont vingt tuiles, ou plutôt quarante demi-tuiles,  qui finissent dans le fossé. 
Ce jeu pourtant formidable s'arrêta net quand la propriétaire, une sorte de Mère MacMich de Comtesse de Ségur sortit en glapissant de dieu sait où,  et nous amena par l'oreille subir les foudres et l'ire paternelles. Cela se solda par une journée entière de privation de sortie, avec lignes à copier par paquets de cent. Nous qui avions rendu une dignité à des tuiles qui ne servaient proprement à rien, puisqu'elles n'étaient même pas sur un toit, cela nous sembla abusif et parfaitement injuste. Pendant que nous ruminions notre déconfiture, mon père régla la facture d'une main blanche, pâle comme la mort.
Aujourd'hui, des dizaines d'années après, je suis retournée dans ce village pour la première fois depuis cette tragique erreur judiciaire. J'ai repris le labyrinthe. J'ai retrouvé le lieu du crime. Et au fond de ce jardin sans clôture, envahi d'herbes folles et de lichen, laissées à un sort misérable, les tuiles étaient toujours là ! Non mais sans blague, par quelle diablerie de faille spatio-temporelle étaient-elles donc passées pour me narguer à ce point ...
Immortalisant ce fait incroyable par une photo, de retour chez moi je me suis empressée d'envoyer un message à mon frangin.
- Tu en as pris une, au moins ? me dit-il goguenard (Ne me demandez pas comment j'ai senti qu'il était goguenard dans ce simple texto, je l'ai senti, c'est tout. )
Eh bien, croyez-le ou pas, à mon grand dam dépité, je n'y ai même pas pensé...Mais ce n'est que partie remise.

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19 novembre 2019

Sacrée nature !

Photo Céleste




En l'espace de quelques jours, la région où je vis a subi deux événements naturels violents. Un séisme de cinq et demi, provoquant des victimes et de sérieux dégâts, et une tempête de neige mouillée et inattendue paralysant sévèrement toute activité humaine. 
C'était jeudi soir. Je revenais d'une escapade entre amis aux Baux de Provence, les yeux encore pleins de la magie des Carrières de Lumière, et je ne m'attendais pas à ce qui allait nous tomber sur le râble.
La température chuta en une demi-heure de neuf à un degré. Nous mîmes des heures, roulant au pas, l'oreille rivée à la radio,  à regarder se former une file interminable de poids lourds, bloqués par arrêté préfectoral. Nous réussîmes à nous extirper de cette galère et prîmes les chemins de traverse. La pluie se mua soudain en neige, ou plutôt en gros oiseaux mous et collants dès le passage du col de Puy. 
A l'arrivée, le chemin d'accès à la maison était envahi de branches ployant jusqu'au sol pour former une barrière infranchissable, style château de la Belle au Bois Dormant. 
Un château bien moyenâgeux, on peut le dire, puisque plongé dans le noir, sans chauffage, sans eau. Et bien sûr, sans aucune connexion ni téléphonique, ni internetique.
C'est dans ce genre de mésaventure que l'on s'aperçoit à quel point nous sommes tributaires de la fée Electricité, et de ses lutins Enedis, Engie, Alterna et j'en passe. Et combien nous nous en servons pour occuper nos soirées. Ah Blutchy....l'autonomie énergétique est un rêve pas toujours réalisable...
La nôtre, de soirée, fut donc aux chandelles, avec guitare, feu de bois et tartines de pâté. Mes doigts se réchauffèrent à enchanter ainsi le silence et mon auditoire captif. Enfin, captivé, veux-je dire... Et gardant ma joie devant ce qui n'est que désagrément matériel, somme toute, je me pris à rêver soudain à l'incontestable supériorité des guitares sèches, mais aussi des livres, des magazines, des crayons, des jeux de cartes, des damiers, des échiquiers, sur leurs équivalents virtuels ou électriques...Je me pris à penser qu'un jour, qui sait, cela deviendrait peut-être notre quotidien...Ce fut le quart d'heure philo dont le sujet aurait pu être, par exemple, Vanitas vanitatum omnia vanitas...Ce n'est pas Andiamo qui me contredira, dans sa grande sagesse...

Au matin, une autre mauvaise surprise nous attendait.
Le vieux chêne que (pour ceux qui suivent) je vous présentai naguère, avait été martyrisé par une neige lourdasse. Toute la nuit, plusieurs de ses branches tutélaires avaient craqué sinistrement dans l'obscurité laiteuse. 
Il gelait à fendre l'âme. Des branches grosses comme des cuisses d'éléphant, déchirées, étaient tombées pesamment sur le sol. Quel spectacle consternant ! A serrer la gorge. L'automne le bel automne dont je chantais les couleurs la semaine dernière, sans doute à cause du réchauffement climatique, n'a pas eu le temps de dépouiller les arbres de leur feuillage. Les feuilles retinrent les flocons en un piège parfait. Dans toute la forêt, en ville, partout la même affligeante vision.

La Nature nous rappelle régulièrement à sa loi implacable. On est peu de choses, aurait dit ma grand-mère. Devant sa force aveugle, on est même peanuts. Mieux vaut en sourire tant qu'on n'est pas obligé d'en pleurer. 















12 novembre 2019

Sonate d'automne




Ce n'est pas encore le vent d'arrache-froid, celui qui serre le coeur sous les fourrures. Les feuilles sont toujours là, dans la majesté déclinante du couchant, elles frémissent d'or aux commissures du ciel. La lune gelée n'a pas encore grisé les labours et les terres dures de sa clarté de givre. Ce n'est pas encore l'hiver accrochant ses étoiles blanches aux toiles d'araignées. Non, c'est cette saison intermédiaire, une saison de feux et de lieux, semant dans l'air ses bruits de champignons qui poussent et de fumées qui crépitent, sous les mains des fendeurs de bûches. Hiver sera-t-il rude?  Un bel arbre a surgi de la verdure, comme un défi. Ses feuilles resplendissent de leur finitude prochaine, comme un acteur au soir de la dernière.

Les oiseaux convoquent leur faim, de leurs
 trilles pathétiques.
En rentrant, on mettra les doigts en coquillage autour de la tasse de thé fumante, pour oublier le froid coupant. On écrit le soleil plus qu'on ne le voit. La nuit tombe à grand bruit. Novembre. On en avait peur, on l'apprivoise. C'est la saison emplie de brumes où l'on se retourne sur son passé, en cheminant de souffle et de fraîcheur. La rosée perle. Les jardins soupirent. On a le temps de faire le point. Les peurs de l'enfance s'éloignent,  se dissipant comme buée sur les vitres. 


Au mur, l'ampelopsis revêt mille couleurs. Le vert perd du terrain. On est bien, entre chien et loup , tout emmitouflé de pourpre. On pense à la nature, si constamment étonnante et belle. On pense que la mort pourrait nous cueillir là, comme ça, en toute confiance, avec un livre ouvert sur les genoux. On n'en est pas triste. On aime penser que la sérénité vient sans bruit remplacer l'inquiétude.
On se serre davantage. On pense au clairon qui sonna l'Armistice, à la folie rouge garance et bleue des Vosges. Aux grands trous rouges au côté droit, à la boue des tranchées. On avance. On contemple sa chance à travers chaque brindille, à chaque pas que l'on fait pour essayer de devenir meilleur.
Le vinaigrier compose un tableau de bon élève de la forêt. Il étale ses polychromes comme un paon faisant la roue, avec la fierté innocente d'un enfant. On pense aux enfants, à leur langue tirée quand ils s'appliquent, au regard du cancre par la fenêtre, pour regarder passer l'oiseau de lumière et de plume. Aux craies qui dansent sur le tableau noir. On pense à l'enfant, celui qui s'est évanoui au coeur de l'été, sur l'aile d'un ange, en laissant derrière lui la tristesse infinie. On a envie de croire qu'il nous fait signe par ces teintes enfantines.
C'est la fin de la promenade. Mozart joue dans les feuilles les dernières notes de sa symphonie de lumière. On pense à l'amie qui souriait au marché ce matin, aux mots positifs, à l'arcade de son sourire. On va rentrer, allumer la cheminée, penser à la Terre qui bat faiblement sous les arbres, comme un coeur un peu malade de la bêtise des hommes. On va penser au bonheur d'être, quelque part sur ce coin de planète où il fait si bon vivre malgré tout. On va oublier la cendre et la brûlure, la limaille du négatif qui ronge les doigts, on va oublier les agitations, les discours creux qui ricochent. Et prendre sa place dans le concert troublant du monde. Craquant comme une châtaigne.

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