25 février 2019

A la Bastide


« C'est un trou de verdure où chante une rivière »
Rimbaud, le Dormeur du Val





Un petit coin d'eau et d'ombre serpente sous le pont de pierre. C'est un endroit calme qui me raconte son histoire, toujours la même et pourtant nouvelle à chaque pas. Vous l'aimeriez, je crois.
Je prends la route poudreuse qui monte à la Bastide. Le village s'accroche au roc, blotti sous le vent. L'air frais de février commence à buissonner de mésanges, qui sifflent leur joie dans les amandiers. Ça claque comme un tableau aux couleurs saturées. Un ciel bleu roi, sur les prés qui verdissent.
C'est un endroit où l'on boit l'air comme de l'eau, les yeux fermés de plaisir, les poumons dilatés par la joie.
Les odeurs d'herbes enivrent mes narines.




Les ânes si doux de l'enfance gardent toujours de la place pour les secrets, aux creux de leurs oreilles veloutées. Dès qu'ils sentent une présence humaine, ils rappliquent. Leurs regards brodés de noir ont toujours compris tous les mots. Tous les maux aussi. Les douleurs mal ficelées, les langueurs de la nuit, les doutes tenaces, qui allaient s'ébrouer dans le ruisseau comme poussés par un charme mystérieux. Aujourd'hui je leur ai dit mon bonheur. Ils ont souri de leurs grandes dents jaunes, avec le tendre et l'émouvant au bord des yeux.



Les maisons tirent leur force des volcans, dont elles ont pris les pierres noires. Elles offrent leurs fissures à la pluie, au vent, au soleil des quatre saisons, et tiennent pourtant debout comme on veille un malade. Sans jamais fermer l'oeil, sentinelles minérales du ciel. 




Doucement, les brumes du matin ont capitulé à l'avancée du jour. Le soleil a gagné la partie. La lumière a gravi les murailles sans se soucier du temps. L'ombre ne triche pas. La campagne toute entière bruisse de silence. Les seuls sons audibles montent de la nature qui s'éveille, comme un battement de coeur de la terre. Chant d'oiseaux, murmure de l'onde et craquements des brindilles.
Après ma journée de yoga, hier, c'est un complément d'objet essentiel que cette balade m'a offert aujourd'hui. Une vraie méditation. 
Et cette grammaire céleste a de quoi me séduire.






Musique Fiona Joy, Earthbound

21 février 2019

Le chant des femmes





A Rachel et à Kahina







Et l’ombre ignoble de la haine
Sur les bras armés, qui s'étend
Jamais lassée, jamais lassée
Sème le vent et le désordre
Attise le venin des flammes 
La blessure du souvenir
La salissure du sacré
Et dans les jardins de Jaffa
Pleurent les oranges sanguines
Sous un ciel plombé de cobalt
Oh Bethsabée relève-toi
Baise les lèvres de Leïla
Les broderies de tes dentelles
Sont les sœurs de ses voiles bleus
Eclaboussées du même sang
Une collision d’ailes d’anges
Au dessus d’un désert d’acier
De pierres et d’ombres tristes et sales
Et de folles morts inutiles
Arrachez au néant sa plainte
Allumez l’étoile nouvelle
Rêvez d’un souffle conciliant
Le chant des femmes à la fontaine
Est le seul espoir de la terre
Et l’odeur chaude du pain cuit
Combien de printemps de Prague
Combien de septembres noirs
Et de ghettos de Varsovie
Avant que les hommes n’arrêtent
De se haïr de se haïr
Mon cœur pleut des larmes de sel
Le souffle court je désespère
 Devant les tombes profanées
La bêtise en activité
Jamais lassée, jamais lassée
Et dans les jardins de Damas
Pleurent les oranges sanguines
Sous un ciel de cobalt plombé
Oh Leïla relève-toi
Et prend la main de Bethsabée
Ouvrez vos bras
Ouvrez vos bras









Pour l'atelier d'Olivia, il fallait placer les mots
activité – soleil – nouvelle – jardin – souvenir – sacré – broderie – pain – collision – printemps – souffle – rêver


Musique : Avishai Cohen
Arab medley

20 février 2019

Elle l'appelait, Concepciòn...





Attention, histoire très très vraie...











Il est tant de secrets, de personnages singuliers, de failles inavouables, de dettes non payées, d'événements étranges ou tragiques, qui constituent la trame de l'histoire d'une famille ! 
Chacun peut en dire autant de la sienne, j'en suis certaine. Vous aussi, sans doute.
Sans accorder un crédit exagéré aux thèses de la psycho-généalogie, il est troublant d'en discuter, d'observer des similitudes, des coïncidences, des dates, des noms, des faits même, pour tenter d'expliquer certains maux que nous ont peut-être transmis les générations antérieures. Ou simplement pour mieux se connaître.
Il est passionnant et parfois vital de dénouer l'écheveau embrouillé des liens filiaux et des enfances de ses propres parents, pour mieux comprendre d'où l'on vient, et comment l'on fonctionne.

Et puis il y a les découvertes que l'on fait incidemment, au hasard d'une conversation.
C'est de cette façon que, grâce à ma cousine très versée dans la constellation de nos ancêtres, et qui prend des tas de notes dans de petits carnets,  j'ai appris un épisode fulmineux de l'épopée familiale.

J'avais un oncle d'Amérique, un « tonton Cristobal » qui n'est pas revenu, un grand-oncle exactement, et je ne le savais pas. Comment n'ai-je jamais entendu parler de lui jusqu'à aujourd'hui ? Pourquoi ma mère n'en a-t-elle jamais rien dit ?
Paolo était, au milieu de quatre sœurs,  l'unique frère de mon grand-père maternel. Un beau jour, il a disparu corps et biens, du jour au lendemain. Volatilisé comme une météorite brûlante entrant dans l'atmosphère.  Laissant une femme éplorée, qui d'ailleurs en mourut de chagrin, et un bambin de trois ans, Raimundo, pour qui la vie dut être bien cuisante après ce double drame...
Mon grand-père tenta de retrouver sa trace en vain, durant des années. 
Jusqu'à ce que le pendule d'un radiesthésiste de ses amis s'arrêtât sur le long et maigre serpent vert qui, sur la mappemonde, s'appelle le Chili.
Plus précisément au-dessus de Concepciòn, une ville au nom sulfureux pour moi. Mais allez donc retrouver une aiguille dans une botte de cactus...
Et si c'était vrai ?
Quelle chimère poursuivait donc l'oncle Paolo ? Ou bien quel terrible secret devait-il fuir pour s'exiler si loin à jamais ? Comment était-il mort ? Aurais-je une tripotée de petits-cousins ayant été conçus à Concepciòn ?
Et toute cette sorte de questions que se pose toujours mon esprit curieux et romanesque, à l'évocation d'un mystère lointain...
Voilà en tout cas un pan nébuleux de ma filiation que je n’éluciderai jamais.


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 Musique Cuore cosa fai / anonimo veneziano
Pour les impromptus

16 février 2019

Vive le ski !




« A quoi bon soulever des montagnes quand il est si simple de passer par dessus ? »
Boris Vian










Et si je vous parlais de mes vacances d'hiver idéales ?
Je sais qu’il est de bon ton, de nos jours, de s’imprégner de l’air du temps et de s'inclure dans le mouvement général. Ce mouvement ascendant vers des altitudes déraisonnables et des bouteilles isothermes à zéro degrés à  2000 mètres au moins. Lunettes jaunes et doudoune en gore-tex.
J'aimerais bien vous dire que je me fais la malle direction les grands espaces blancs et les cimes étincelées de givre, que je savoure à l'avance, coincée dans les bouchons de la Maurienne, mes futurs exploits sur deux planches ... et que j'ai hâte de dévaler des pistes noires en faisant crisser mes carres sur une neige craquante et poudreuse. 
Mais foin des moufles et des bonnets, fi des combis et des chaussures de cosmonautes.
Rien qu’à cette pensée, je blêmis. La couleur particulière d'une neige molle par temps gris vous donnera une idée précise de mon teint... Quelque chose de la lividité blafarde, décomposée, de Morticia Addams, ou d'Amélie Nothomb, vous voyez ?
Vous me direz : « Tu ne sais pas ce que tu manques » et vous aurez raison...
Mais malgré la merveilleuse élasticité de mon corps de rêve, je me suis toujours inventé, à cette saison, des origines vaguement polonaises, puisque mon nom est « mademoiselle Nullenski ». J’assume parfaitement. Je n'aime pas skier. J’ai toujours skié comme un bilboquet. Je n’ai obtenu, au prix d'un effort colossal, qu’une seule misérable étoile en toc doré véritable, qui dort dans une boîte à chaussures depuis mes dix ans. 
Je sais que je loupe des spectacles grandioses, des sensations grisantes...pardon aux amateurs de sublime.
 Mais qui dit neige dit froid, et présentement, ( ce n’est pas mes amis Le Goût et Blutchy qui me contrediront) j'avoue que je manque furieusement de chaleur. De printemps. De petites fleurs. Enfin de trucs humains, quoi. Au bout d’un moment, le froid, c’est inhumain. C’est cruel. C’est dur. Et très agressif pour ma superbe peau de fée en cachemire naturel. Ce n'est pas pour rien que l'on parle de la
« froidure »... 
Alors, pour apaiser mon mal d’hiver, au moindre petit début de commencement de chant d’oiseau, à la moindre petite plume qui volette gracieusement dans l’air matinal, il me prend des désirs irréfragables de lézarder au jardin, de me caler sur une terrasse ensoleillée, avec un bon livre et une tasse de thé, ou de gratter ma guitare en sentant les rayons me caresser doucement les moustaches. Oui, parce qu’avec ma lune en soleil, ascendant chatte sur un toit brûlant, j’aime m’étirer avec volupté devant l’astre de mes jours, et me taper des  siestes indécemment longues et lascives. Au soleil. Au bord de la mer. Eh oui, même en février. Surtout en février.
Et par-dessus tout, j’aime n’en ramer pas une. Ça me repose. 
Le farniente élevé au rang d'un art majeur.


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Pour les Plumes d'Asphodèle, chez Emilie
Il fallait placer les mots LEZARDER DUR LIVRE S’IMPREGNER CORPS ELASTICITE
ENSOLEILLE APAISER PLUME GUITARE BILBOQUET MANQUE MOINS MALLE







13 février 2019

Tous en rond




Du fond de la nuit des temps polaires, les manchots ont développé une extraordinaire technique de survie aux températures extrêmes : la thermorégulation sociale. Afin de résister contre le froid, ils se serrent les uns contre les autres, et forment une sorte d'amas compact que les scientifiques appellent la « tortue ».
Un mouvement semblable à la houle déplace imperceptiblement chaque manchot, de sorte de remplacer continuellement ceux qui sont sur le bord.
Au centre de la tortue, plus un souffle d'air : la température avoisine les 37 degrés.
Et aucun manchot ne meurt de froid.
Tous en rond, c'est une extraordinaire leçon de vie en groupe qu'ils nous donnent.
La solidarité est la seule condition de la survie. Mais les hommes atteindront-ils un jour la sagesse des manchots ?


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11 février 2019

Pause-philo






A mon père.







photo Céleste
« Trouve la clé » m’avait dit mon père. Il était là, dans son petit jardin de ciel et d’ombre, appuyé sur sa bêche. On y accédait par quatre petites marches sur lesquelles il aimait s’asseoir. Le portillon grinçait sur ses ergots de métal rouillé. C’était le parloir des oiseaux, l’antre du lézard vert, la pause-philo du matin sous les seringats odorants. Etourdie, éperdue, j’aimais l’y rejoindre pour étudier avec lui. Etudier la vie, le mouvement du minuscule et du grandiose. La course du soleil et la germination des graines. La règle d’or des haricots et des tomates. Et les liens secrets entre toutes les choses.
Là, sur la bordure solitaire du monde, il écoutait la symphonie de la nature, les crépuscules grenats explosant par-dessus les tonnelles, et les petits levers frileux sur la montagne, étirant leurs mauves et leurs orangés sur les pins noirs.
De sa grosse main tranquille il arrachait toujours quelque mauvaise herbe qui se serait risquée à pousser entre les pierres de l’escalier. Pour que tout fût propre et bien correct.
photo Céleste
Une chose qu'il adorait, c’était entendre la rivière se fracasser sur les piles du pont, après l’orage.
 « Ecoute l'eau… » Me disait-il, et ses yeux riaient de leur éclat bleu-vert d’éternel jeune homme.
Le pont était comme lui : solide, résistant à tous les assauts, les orages, sans jamais faiblir, arc-bouté contre l'adversité et paraissant ne jamais forcer pourtant.
Mon père effaçait les barreaux des cages, et peignait l’espoir en lettres bleues sur un vieux cahier de comptes. Il traçait l’influence des saisons et le poids du temps comme on pèse le blé.
« Trouve la clé ». Il aimait parler par énigmes, je ne l’ai compris que tardivement.
Sa dernière tempête a été plus forte que lui et l’a emporté. Le pont que l'on croyait immuable a cédé.

Mais il serait content, sûrement, car voilà, j’ai trouvé la clé.

***




Pour l'atelier de Lakévio, il fallait placer les mots :
Tardivement Symphonie Eclat Bordure Ergot 
Influence Grenat Correct Fracasser Parloir


Music: Bernward Koch, Passing Clouds