26 août 2018

Le petit fil par dessus les nuages

« Qu'est-ce qu'un vrai ami ? » m'a un jour demandé un ami. Un de ceux qui, l'air de rien, t'aident à avancer, en te posant toujours de vraies questions, celles qui vont chercher plus loin que le bar-tabac d'en face.
  J'ai réfléchi longtemps à sa profonde et épineuse interrogation.
Et un soir de pleine lune, où je vagabondais dans mes nuages, j'ai pondu ça. Au-delà de mon lyrisme célestinien, vous en retiendrez l'essentiel, j'en suis sûre.






L'amitié vraie est un pont, solide, aérien mais puissant.
L'amitié nous aime pour nous-même, sans calculs ni faux-semblant. Elle ne triche pas, elle dit les choses sans détours. Elle se réjouit du miracle qui nous cueille un matin à l'angle d'une rue. Eclatant dans un rire franc de fontaine bondissante, elle nous félicite le jour où l'amour nous embarque sur son aile, car elle n'est ni possession, ni jalousie. Elle est pardon et bonté. Elle repeint de joie vive les jours tachés de gris.
Elle participe à nos bonheurs, ses tickets sont toujours gratuits pour son manège de lucioles qui tintinnabullent au vent.
Elle sait tout de soi sans qu'on ait besoin de se dire, et elle écoute pourtant, des heures durant, sans s'énerver. A peine agacée de temps en temps, quand on charrie un peu trop, mais un agacement mâtiné de tant de sollicitude...
L'amitié apaise les remous de l'âme, les éruptions volcaniques du coeur qui tressaute. Elle sait se faire discrète et présente à la fois.
C'est très difficile et pourtant elle le fait, tel un acrobate qui tient son fil du bout de ses orteils : avec l'apparente facilité que donne le sourire et la confiance.
Beaucoup de mes amis sont venus des nuages, dit la chanson de Françoise.
Toi, tu viens du soleil. Tu te tiens là, sur une branche vive de mon arbre de paix. Ton regard d'écureuil me couve de tendresse. Tu m'accroches des sourires, des fous-rires, comme on décore un sapin. Tu ouvres tes bras sans rien demander en retour. Tu es comme une clairière. A jamais. C'est doux, c'est chaud !
Rien à voir avec les faux-amis à la face de bouc qui t'écorchent et te chausse-trapent à coup de fiel.
Tes mots posés en équilibre sur le bord de tes lèvres, on dirait qu'ils attendent toujours le bon moment pour s'envoler vers moi. Ils font mouche, ils font cascade, ils font fleur. Ils savent panser quand ça saigne, et parfumer quand ça sent trop mauvais, parfois, dans le caniveau des malheurs.
L'amitié vraie est un phare. Un banc. Un moulin paisible qui rythme le temps sans pesanteur.
C' est une jolie salade de fruits, qui donne la banane, et la pêche, quand la vie nous colle des châtaignes et des marrons, et qu'on se retrouve en marmelade.
L'amitié vraie, c' est comme de l'amour véritable, en version pudique, un souffle d'ange qui nous enveloppe sans nous contenir. Un cadeau.
Et même de très loin, elle tend son fil d'airain par-dessus les nuages.



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21 août 2018

Eclectrique






(Lettre ouverte aux monomanes.)



Chers spécialistes monomaniaques,
Je sais que vous n'avez qu'un seul et unique centre d'intérêt, un hobby chronophage, une passion dévorante qui occulte tout le reste, et vous transforme souvent en bloc légèrement psychorigide. Je sais que vous cherchez sans cesse à vous dépasser dans votre matière, à atteindre le Nirvâna de votre dada, le contre-ut de votre violon d'Ingres.
Je sais combien d'heures vous consacrez à votre passe-temps, combien de plaisirs vous choisissez de ne pas vivre pour vous concentrer sur le seul qui vous agrée.
Je sais surtout que jamais je ne vous arriverai à la cheville question performance, compétence et autres rimes en anse.

C'est que moi, tout m'intéresse, et depuis toujours. Une vraie dilettante. Une amatrice. Une petite joueuse.
Oui tout me va et me fascine. La poudre nacrée des ailes de papillons, les souffleurs de verre, l'odeur du café quand on le torréfie, le moteur à explosion et la tourniquette pour faire la vinaigrette. Les saules pleureurs, les soles meunière, les grandes allées de palmiers et même les petits géraniums, là, au coin d'une fenêtre, pourvu qu'elle soit ouverte sur le monde.
J'aime la fabuleuse diversité que nous offrent à la fois la nature et la culture. Incapable de préférer l'une ou l'autre, de choisir, entre la mer et la montagne, entre un chalet niché dans la verdure au milieu de nulle part, et un marché aux épices, coloré et bruissant de monde.
J'aime tout, tout le temps, et plus encore. Je suis boulimique de cette richesse-là.
Mon hobby, c'est la vie. 
Je suis une fille éclectrique, vous le savez bien...
Et là, mystère et boule de vanille, je ne vous dis que ça, je reviens d'un voyage aux mille saveurs, j'en ai la rétine et les papilles toutes émoustillées, dites donc. Je ne saurais dire ce que j'ai préféré, de la blondeur d'un vin ou de la caresse d'un sable d'or sous les pieds. De la fraîcheur des cimes à la moiteur d'une ville en fête.
Ouvrez votre éventail des possibles, ne laissez nulle place où vos sens ne passent et repassent  : vous sentirez passer le train de la découverte devant vos yeux éblouis, et la douce brise de l'inédit embaumer vos joues. 
Non ? Je m'emballe ?
Vous préférez jouer la même carte, et dans votre même cour, toujours la même partition, certes de haut vol, mais jamais différente ? Jusqu'à devenir pointus et affûtés comme des lames ?
Moi, j'avoue, je ne serai jamais spécialiste de rien. J'ai trop à voir encore de ce vaste monde, et le temps me presse, c'est un vrai bonheur.


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08 août 2018

Cette fille qui marche







Cette fille qui marche
et qui ruisselle
a des abeilles autour du coeur
qui frissonnent
des voix de papillons mauves au bout de sa rue
le thé à l'amour et le goût du rêve 
glissent dans son cou

Cette fille qui marche sur les pavés bleus
a le coeur enflé d'un air de tango
qui environne
sa peau d'un nuage de sel et de fièvre

Le soleil rasant sur les tuiles chaudes
et l'odeur du café 
qui dresse ses fruits confus sous son chemisier pâle

Cette fille qui danse sur l'aube des jours
cette fille qui tangue sur le fil du temps...

Elle tient dans ses mains un précieux rubis
qui coule en marmelade sur les passants pressés
 et allume des éclairs dans ses yeux éblouis
Alors
les vapeurs d'essence sur le trottoir
les bruits qui claquent et les autos qui bruinent 
Pour ôter la poussière de leurs vitres noires
les marchands de rien et les voleurs de tout
Elle s'en fout

Le coeur brandi en oriflamme
elle sautille sur les pavés
devenus mous
L'air joue du violon à la Contrescarpe
Paris devient une rivière
 de pourpre et d'oiseaux fous
les marchands de rien et les voleurs de tout
Elle s'en fout

¸¸.•*¨*• 








Musique: Chet Baker, almost blue