29 novembre 2021

D'âme à âme

 Le tableau du jour, avec sa frêle barque esseulée sur une grève, et son clair obscur lunaire, m'a ramenée à un voyage étrange que je fis il y a trois ans. Etrange, parce que je suis partie avec un de mes frères. Celui dont ma mère disait toujours, à demi-mots :  « Non, mais lui, c'est différent » ... Traînant le fardeau d'un handicap qui ne se voit pas, mais qui est là pourtant :  la peur sociale. La phobie des autres, de la sociabilité ordinaire et son cortège de contraintes. Une grande sensibilité, un peu enfantine, un cerveau très développé,  des paroles souvent cash, sans filtre, un coeur gros comme ça, et toujours cette difficulté à s'insérer, à s'exprimer. Il y a des étiquettes pour désigner ce syndrome, mais mon frérot n'est pas une étiquette.


Bref, c'est la première fois que nous partons tous les deux. Il s'est mis en tête de voir la Bretagne, qu'il ne connait pas. Et peut-être, aussi, secrètement, de revoir une certaine Bretonne, infirmière de son état, pour qui il a eu un crush, comme on dit maintenant. Je me dis que tout est possible...

C'est à Saint Nazaire, en longeant la plage, que j'ai pris cette photo. J'en suis assez fière. Elle conte une histoire.  Un souvenir resté extraordinairement présent. 

 Personne encore sur la plage à cette heure très matinale. La frange d'écume ourlée d'argent scintille devant la statue du Sammy, une oeuvre d'art américaine surplombant la baie.
Le sable de velours mat a la couleur du désert. Le ciel coule dans la mer comme de l'encre. C'est irréel. Epantelant. Superbe. La beauté joue pour nous sa musique en silence. Et encore, je ne te parle pas du goéland qui traçait de son aile une arabesque charmante, juste au-dessus du soldat sculpté. Imagine : un éclair blanc sur l'horizon bleu sombre...mais trop rapide pour une photographe de pacotille, subjuguée par son tableau.
Cette contemplation dure de longues minutes. Je n'ose bouger de crainte de dissiper le charme.
Je regarde furtivement le visage de mon frangin : il semble transfiguré. Comme éclairé de l'intérieur. Avec un sourire apaisé que je ne lui connais pas. C'est comme un tissu qui se déchire, laissant entrevoir un nouveau paysage.


On n'a pas vu la Bretonne. La possibilité d'une rencontre, quand elle a commencé à se concrétiser, lui a fait peur. C'était trop angoissant pour lui.
Mais durant ces quelques jours, et c'est sans doute cela, l'étrangeté heureuse de ce voyage,  j'ai connu mon frère. Vraiment connu, je veux dire. Compris. Comme jamais je ne l'avais connu ni compris au cours des cinquante dernières années. D'âme à âme. 
« Non mais lui, c'est différent »... Pas tant que cela, au final.
Rien que d'en parler j'ai le coeur au bord des yeux.







 Pour l'atelier du Goût.

Et si vous voulez en savoir plus sur le Sammy.

27 novembre 2021

Jusqu'au bout

 



Vaste débat philo, l'autre jour, avec mon amie Prudence et son mari, sur la chance et le libre arbitre...L'opiniâtreté, la persévérance, le courage, l'énergie constructive, l'esprit d'entreprendre, toutes ces qualités si précieuses sont-elles des chances, des diamants posés dans un berceau, ou sont-elles données à tout le monde, et dans ce cas, pourquoi certains les cultivent-ils et  d'autres pas ? Pourquoi certains en paraissent-ils si dépourvus, comme après un mauvais tirage à la loterie ? Pourquoi d'autres, au contraire, en semblent-ils bardés (de nouilles, pour paraphraser une expression populaire un peu triviale) ? Extérieurement, cela ressemblerait assez à l'injustice du destin. Mais ne doit-on pas essayer d'aller plus loin que cette apparence un peu manichéenne ?
Bref, le débat est sans fin. Il est des êtres qui rebondissent, qui saisissent les opportunités, qui vont de l'avant, et d'autres qui se laissent submerger par les difficultés et ne trouvent pas le ressort nécessaire au rebond. 
J'ai toujours pensé que c'était une grande chance d'avoir ce caractère de tête de mule qui va au bout des choses, et qui ne renonce jamais. Depuis quelque temps, cultivant ma confiance en moi, je me dis qu'il doit bien y avoir aussi un peu de mérite personnel, dans cette force que je convoque (non sans peine) pour réaliser mes désirs, mes aspirations profondes... Un peu de chance et beaucoup de travail. Un peu d'inspiration et beaucoup de transpiration. Dans quel pourcentage, personne ne saurait le dire. 
Du coup, tout imputer à la chance, ou au contraire tout imputer au travail, ne sauraient être que des positions extrêmes, et au final paralysantes, parce que rien n'est facile, rien ne va de soi. Et que l'environnement extérieur, les encouragements, le soutien des amis, c'est peut-être cela qui fait la différence.
Toujours est-il que la satisfaction profonde de m'être dépassée, d'être allée jusqu'au bout d'un projet, quel qu'il soit, a toujours été une récompense très douce aux efforts que j'ai dû fournir. 
Et c'est dans cet état que je me trouve aujourd'hui, où un de mes rêves devenu projet vient de se réaliser. 

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24 novembre 2021

Quand le temps s'arrête



 


Ce matin.
La fenêtre ouverte sur le jardin laisse entrer l'odeur d'un vieil automne qui craquèle la terre. Une odeur de mousse et d'écorce humide, de lichen et de feu de bois.
Le rideau se soulève sous la houle d'un léger vent frais. Il faut bien aérer, même quand il fait froid.
Soudain... une feuille craque. Un ombre passe...

Ooooh ! Mais que tu es mignon ! D'où viens-tu, toi qui ne sait rien des hommes et de leur monde fourbu ? Que fais-tu là, si près de notre maison ? 
Tu grignotes avec précaution, à côté du rhododendron. Un brin d'herbe ? Un gland ? Tu n'as pas l'air très goulu...

Tes oreilles sont deux paraboles qui captent le moindre son. Ta babine blanche te donne un air espiègle. Tu n'oublies pas de te mettre aux aguets., régulièrement, comme te l'a appris ta maman.  Ne t'inquiète pas : ici aucun chasseur ne pointe vers toi le feu de la mort.  Il y a juste deux imbéciles heureux qui te contemplent sans rien dire. La joie sait se poser sur les coeurs, quand le temps s'arrête. Elle n'a pas besoin de paroles. Le prodige est là, dans l'instant.

Tu regardes vers moi. Le clic-clac de l'appareil ne te fait pas fuir, mais il t'interpelle par moment, il me semble... Ce que tu restes longtemps ! C'est un vrai cadeau que tu nous fais. Ça doit faire cinq bonnes minutes que tu as investi ce coin du jardin, et ta présence lui a donné comme une lumière différente, sous le ciel plombé de novembre. 
Et puis soudain. Pfft ! Tu repars dans la colline. Comme tu es venu. Furtivement, tel un feu follet. Inconscient d'avoir semé tant de gratitude sous ses pattes frêles.

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A Miss Zen, qui se demande ce qui met en joie ses lecteurs en ce moment.

22 novembre 2021

On est bien


 



On est bien, bien, bien, mais alors ce qui s'appelle bien. Avec trois grands B. Je t'entends soupirer d'aise. On vient de planter des bambous. Cinq bambous superbes qui étofferont ce coin du jardin, dépouillé par la dernière tempête de neige qui a sévi il y a deux ans. Par la baie sans rideaux qu'on appelle l'aquarium, fenêtre large ouverte sur la verdure, on contemple notre travail. Encore emplis de l'odeur de la terre, des feuilles, des champignons, de cette belle pourriture noble qui ensemence et nourrit, le cycle de la vie, le terreau noir, les racines...
On a beau jardiner en amateurs, l'émotion est la même : au contact de la nature, les bleus à l'âme, les ecchymoses du coeur, tout s'envole. On oublie tout. On oublie à quel point on est pris pour des jambons par le flux ronronnant de la parole médiatique, qui nous harcèle de tant de bons conseils sirupeux pour prendre « soin de soi » : rester bien loin les uns des autres, surtout ne pas se toucher, ne pas s'embrasser, ne pas respirer autrement qu'à travers un filtre synthétique...Pauvre époque. Je le dis sans équivoque : on perd le sens. Vivre, ce n'est pas s'abstenir de prendre des risques. Surtout le risque majeur, celui dont on ne dit pas le nom, par pudeur idiote ou par peur mesquine. Vivre est une maladie mortelle. 
Le vrai sens de la vie, c'est les peaux qui se frôlent, boire dans le même verre pour lire dans les pensées de l'autre, sentir le roulis et le tangage de l'aventure humaine, sur un long fleuve fluide de sueur, de sang,  de lait, de larmes, de salive, de sperme, de cyprine. L'aventure de la vie, c'est de se mélanger, comme le sel à la mer, l'algue à la rivière et la graine à la terre. 
Alors on est bien. 





Pour l'atelier du Goût, il fallait placer les mots
Pourriture, amateur, jambon, ecchymoses, tangage, rideaux, équivoque, harceler, s’abstenir.

19 novembre 2021

Citadine intermittente









 Je t'ai dit mon rapport quasi amoureux à la ville ? Les petits matins brumeux sur Paris, ma mégapole préférée, avec juste un léger rayon floconneux et timide pour illuminer la cime des platanes... L'odeur du café et des croissants dans les petits bars de quartier...Les reflets des lumières sur les pavés mouillés, le soir. Le ballet incessant de cette foule de gens si divers, si colorés, si attachants dans leurs différences mêmes,  comme on peut en voir fleurir les trottoirs un jour de printemps. 
Et cette surprenante rencontre d'époques qui te saisit parfois au détour d'une place, d'une avenue...
Et les toits...La canopée géante des toits d'une ville, sur lesquels il se passe tant de choses...
J'ai toujours des yeux littéraires pour me repaître de ces amoncellements de bâtiments, de ces entrelacs de rues, de murs, de réverbères dans lesquels toute âme poète sent battre le coeur des villes. Un peu d'Hemingway, un peu de Modiano, un peu d'Anaïs Nin. J'ai adoré, à une époque, laisser traîner mon coeur entre béton et bitume juchée sur mon Chappy, enivrée des plaisirs adolescents qui firent de moi pour longtemps une citadine. 
Et depuis quelque temps, pour autant, je vis à la campagne. Je l'ai choisie en pleine conscience. J'aime cet écrin de chênes et d'écureuils dont je t'ai parlé souvent. J'en ai besoin. Je m'y sens moi-même.
La ville, ses théâtres, ses musées, ses ponts, sa foule, sa fièvre, m'attirent toujours, mais comme ces amants que l'on voit par intermittence, qui nous exaltent de plaisirs, mais dont on ne saurait partager la vie en permanence. 
C'est vrai, parfois, la grande ville me manque. Mais juste comme une amie qu'on ne voit plus, parce que nos chemins ont divergé. 

18 novembre 2021

Etre ange, c'est étrange, dit l'ange*



 


Cher vieux blog de Célestine,   




Ça fait un moment que je tourne autour de toi, voyant comment tu te tapis sur toi-même au point qu'on en arriverait presque à t'oublier. Oh, je sais ce qui se passe en toi. Tu te dis que ta vieille enveloppe est devenue trop étroite pour la nouvelle Célestine. Que tes zones de confort ont besoin d'être quittées, et de nouveaux territoires foulés.

Tu n'as pas tort. Tu as déjà subi des transformations dans ta vie de blog. Des rafraîchissements d'apparence, des petits désincrustages de points noirs...

Mais aujourd'hui, c'est plus sérieux : il va te falloir prendre un virage bien sec, mon vieux.  Oublier tout ce que tu as pu représenter par le passé, et repartir d'un souffle nouveau. D'une énergie inédite.
Ou alors mourir de ta belle mort. Ou de chagrin, peut-être. 
Mais ce faisant, tu ferais de la peine aux lecteurs de Célestine, si ça se trouve. Sont tellement chouettes ses lecteurs ... ( mais non, être ange n'empêche pas un peu de démagogie...)
Tu sais, de là-haut, j'observe les Z'humains avec attention. Beaucoup fuient le changement, l'évolution. Ils se figent dans leurs habitudes, se cristallisent en elles comme des insectes pris dans de l'ambre. Mais l'inertie, c'est la mort lente. Et la vie c'est comme le vélo : si on s'arrête de pédaler on tombe. 
J'observe surtout beaucoup Célestine. Je suis payé pour ça. Et je vois qu'elle n'hésite jamais, elle, à bouleverser sa vie en profondeur. A envoyer valser cul par dessus tête de vieilles accoutumances, avant qu'elles ne lui grignotent complètement le bulbe. Et à toujours avancer, avancer sur son beau chemin pavé de joie et d'imprévu.
Tout cela pour te dire, vieux blog, qu'il va falloir te réveiller parce que tu files vraiment un mauvais coton depuis quelque temps.


Signé Gudule, l'ange gardien de Célestine









* Citation de Jacques Prévert