31 mars 2018

Etes-vous heureux ?


« Tout bonheur commence par un petit déjeuner tranquille »
Somerset Maugham








« Mais que font donc les gens heureux pour être heureux ? » 


C'était beau comme un titre de roman moderne en tête de gondole, cette question...
Un 
magazine, qui m'a attiré l'oeil au petit déjeuner, y répond avec une certaine pertinence. Des sept choses essentielles que cite l'article, je note tout de suite la première, que j'aime beaucoup :
« Les gens heureux s’entourent de gens heureux. »
Jolie vérité de la Palice, sans doute, mais vérité quand même, simple et évidente, que j'effleure chaque jour du doigt, et que je tente de vivre de tous mes sens. Exit les grincheux jamais contents, les éternelles victimes, les vampires qui me siphonnent mon énergie telles des sangsues assoiffées de moelle. Et je n'ai plus aucune honte à fuir loin d'eux.
« Les gens heureux cultivent la résilience. » Mais bien sûr, quelle merveilleuse faculté que celle qui nous permet de dépasser nos malheurs, de ne pas rester bloqués sur nos vieilles lunes qui ne tournent plus rond. De « voir le bon côté des choses » en relativisant, et « d'agir pour notre bonheur. »
J'agis chaque jour, depuis quelques mois, afin de me sortir de mes conditionnements, de mes peurs et de mes failles d'enfance. Positiver mon négatif, en une alchimie précieuse que certains d'entre vous connaissent un peu.
Et en mettant des mots sur mes maux, le bonheur jaillit comme une cerise sur un chapeau. Comme une campanule au milieu d'un pré. 
« Ils savent débrancher »  : Ah...voilà qui est important,  savoir s'octroyer des pauses au bord du monde, s'extraire du mouvement, de l'agitation pour écouter respirer le pouls intime de sa propre vie, comme celui de l'univers entier.
« Enfin, ils sont dans le don et s'ouvrent à une certaine spiritualité » Mais tout à fait ! Les interactions associatives bénéfiques entre les êtres, le don de soi à une cause, la circulation de l'énergie dans la création artistique ou manuelle, la pleine conscience de vivre ancré dans le présent, tout cela donne un sens à l'absurdité. Et rend heureux.
Un joli programme qui me redonne, chaque matin, l'envie d'avoir envie. Ah que comme Johnny, tu as raison, Andiamo...
Les pensées positives baignent nos neurones dans de la sérotonine. L'hormone du bonheur. Alors que les addictions aux plaisirs immédiats et matériels, à grands coups de dopamine, les endommageraient plutôt, selon la théorie du professeur Lustig
Tiens,  je me reprends une petite tranche d'Auguste Derrière. Parce que sourire fait partie du secret.
Et vous, lecteurs adorés, comment êtes-vous heureux quand vous l'êtes ?

¸¸.•*¨*• ☆










Musique Fernando Sor, Etude n° 5

27 mars 2018

Supplément d'âme







Lea Massari








































Il y a cette scène. Cette scène muette et sublime, dans les Choses de la Vie. 
Je vous remets l'histoire en mémoire ?
 Pierre-Michel Piccoli aime Hélène-Romy Schneider.
Auparavant, il aimait Catherine-Lea Massari.
Une histoire simple, banale: un jour, Pierre et Hélène traversent une crise de grisaille tempétueuse comme en traversent tous les couples happés par le tourbillon de l'usure. L'amour ça va ça vient...
Pierre décide de partir prendre l'air dans sa maison de l'Ile de Ré, avec son fils. Celui qu'il a eu avec Catherine. Vous me suivez ?
Avant de partir, il écrit une lettre à Hélène, qu'il projette d'envoyer de là-bas. Une lettre de rupture, pleine de mots coupants comme du diamant. Il hésite, cependant. Comme n'importe qui hésite toujours un peu avant de tailler dans le vif d'une relation. Et à force de se remémorer les pépites de leur amour, il change d'avis et décide de rester. 
Mais la lettre est toujours dans sa poche...
Il n'arrivera jamais à l'Ile de Ré. Sa voiture et le destin se carambolent et la camarde en décide autrement. 
Alors, il y a cette scène.
A l'hôpital,  c'est Catherine qui arrive la première. Elle trouve la lettre dans les affaires de Pierre, la lit. 
Et la déchire.
Quel beau geste ! Le plus beau du film. Exaltant un sentiment si extraordinaire, si peu commun, en ces temps de bassesse, de turpitudes et de petites trahisons fumeuses...
La scène de la femme délaissée, mais encore amoureuse, qui sait qu'elle aurait gagné, finalement, puisqu'il quittait Hélène, mais qui épargne à sa rivale un chagrin supplémentaire. 
Elle ne brandit pas la lettre, comme un pathétique étendard de revanche. 
Non. Elle est une vraie dame de coeur. Elle déchire la lettre.
Elle fait preuve, drapée dans sa beauté tragique,  d'une certaine grandeur d'âme.
Et moi, j'aime ça, la grandeur d'âme. Cette générosité magnifique qui reste dans l'ombre.






Les Choses de la Vie, film de Claude Sautet, 1970
Musique: la Chanson d' Hélène.

24 mars 2018

Se coucher tard...nuit.




« Le but de l’homme moderne sur cette terre est à l’évidence de s’agiter sans réfléchir dans tous les sens, afin de pouvoir dire fièrement, à l’heure de sa mort : « Je n’ai pas perdu mon temps. » 
Pierre Desproges
La Minute nécessaire de monsieur Cyclopède / Éditions du Seuil




Gilbert Garcin. Le changement d'heure






Chaque soir, à vingt-deux heures vingt-deux, quatre cygnes traversent le ciel des nuits. Tout en silence et en douceur. Cela ne dure qu'une minute. Qui le sait ? Personne ne les voit, à part les poètes qui ont le nez à la pointe de l'aiguille, et cherchent la petite bête au temps, et midi à quatorze heures. Surtout aux Editions du Cherche Midi.
A midi, et à minuit, deux fois par jour, la petite aiguille se volatilise, pschhhh....et hop ! en fumerolle dans la galaxie pendant quelques secondes. Quelques secondes valent-elles moins que quelques premières ? Là est la question...
A dix heures dix, dans les vitrines, les montres neuves étincelantes nous ouvrent largement les bras : « Je vous ai compris ! » semblent-elles dire, n'étant pas sans une certaine ressemblance avec les tire-bouchons à grandes oreilles. 
A moins que ce ne soit... « Dans mes bras, vieille branche ! » nous rappelant à notre mortelle condition.
Chacun voit midi à sa porte. Et celui qui n'a pas de maison ? Et le monde appartient à celui qui le prend. Ah prendre le temps... passer le temps... tuer le temps !
Le Temps. Ce grand malheur... si long quand on le voudrait court, si court quand on le voudrait long...Elastique et capricieux. Jamais contents, nous, décidément. La trotteuse nous fait courir, tic tac tic tac, on devrait l'appeler la coureuse.
Et ce soir ? On avance ou on recule ? Comment veux-tu, comment veux tu que je m'en souvienne ? Dans le lit d'Annie c'est parti pour la litanie.
Paraît qu'on nous vole une heure de sommeil. Je vais attendre qu'il soit deux heures, je finirai bien par voir le voleur. Il faudrait porter plainte mais à qui ? J'ai vu Bételgeuse, perchée sur l'épaule d'Orion. Au creux de mon insomnie elle m'a souri. 
Il est temps de poser la question subsidiaire : pour ou contre l'heure d'été ? Pour ou contre l'heure d'hiver ?
Si j'étais présidente j'instaurerais l'heure de printemps. Des poignées de pâquerettes constelleraient les cadrans déboussolés des comtoises et des rolex. Et pendant un moment, on oublierait enfin le temps.




20 mars 2018

Deux histoires d'amour










Rencontre






Le soleil de mars jongle avec la grêle. De longues traînes orange, de drôles de nuées filandreuses enflamment l’horizon ouest, tandis que le ciel au large se fait noir de Chine. J’aime cette plage grise, loin du monde. Un grain s’annonce. Et j’ai froid. Une silhouette apparaît soudain, comme un songe, sur la frange mousseuse entre sable et vagues. Une femme, nappée dans une robe de sucre d’organdi, une femme à la démarche étrange,  comme flottant au-dessus du sol.
Je dois partir. Avant qu’elle ne me voie. Je suis trop laid. Mes cicatrices vont l’effrayer, c’est certain. Je ne suis pas de ceux qui peuvent enjôler les filles. Mon accident a fait de moi un monstre grimaçant. Un pitoyable Quasimodo, au visage ravagé comme un champ de mines.
Mais je trébuche en heurtant un rocher et je hurle à la mort de mon ongle de gros orteil. Et voilà Esmeralda qui s’approche. Je panique. Bon sang, ma cheville ! J’ai le cœur en bataille.
Bonjour, ça va aller ? dit-elle en souriant. Le lagon turquoise de ses yeux me fascine. Leur éclat me perce de part en part.
Moi c’est Angel, sans e. Et vous ?
Bon sang, pourquoi ne fuit-elle pas avec cette mine épouvantée et ce haut-le-cœur que mon apparition déclenche toujours ?
Euh…moi c’est Léo. Sans espoir.
Devant son sourcil froncé, je n’ose pas lui raconter ma vie, la voiture en flammes, le basculement en un instant, les mois d’hôpital, ma vie de paria. 
Angel regarde la mer en souriant toujours. Sa main rose et douce glane machinalement les grains de sable sur mon bras. Son parfum m’étourdit. Son corps parfait…Elle est belle comme un tableau de Monet, une corbeille de fruits défendus, pommes rouges, poires sucrées, grains de raisins juteux…je défaille. Un éclair fait craquer le ciel.
C’est une longue histoire…Mais parlez-moi plutôt de vous, belle dame…
Oh, moi, j’essaie simplement de lutter …
Lutter ?
Oui, lutter dans un monde qui n’est pas vraiment fait pour les aveugles…


*





Naufrage

  
Que valent nos souvenirs tendres, roulés, calfeutrés dans le satin flou de tes draps ? Que valent tous ces mots susurrés, dans ce rai d’or et de verdure qui faisait trembler ta peau par l’échancrure de ton pull ? La poussière voletant dans la lumière marquait comme une frange de rêve, frontière ineffable entre nous et le monde. Ta chambre ouvrait sur le jardin dans la pâle clarté de l’amour tu. De l’amour géant. Ses bras de pieuvre nous enserraient dans un cocon. Nous ne nous sommes pas méfiés. Deux enfants sur un bateau qui ne savent rien des hurlants et des rugissants.
Toutes ces miettes de nous, ces fragments d’éternité, ces parfums poivrés d’ambre et de basilic, ces fruits savourés à même les doigts, à même le cœur, que valent-ils désormais dans la balance de tes certitudes ? Dans ce cabas plein à ras-bord de tes reproches, de tes soupçons, de tes colères, je n’ai plus la force de chercher ce qui nous a unis.
  Ton désamour a dégonflé mon âme comme un pneu piqué par une aiguille. Tout doucement. Insidieusement. Entrée interdite. Tu as collé sur ta porte une étiquette trempée de mes larmes grises. Il y est écrit le mot fin, moi qui pensais que nous l’avions aboli du dictionnaire.





*





« Rencontre » : pour les Impromptus littéraires
« Naufrage » : pour Treize à la Douzaine
Musique : Erik Satie, Gnossiennes
Photos : La Pie (tous droits réservés)

15 mars 2018

Le goût de l'inattendu


« Tout le bonheur du monde est dans l'inattendu »
Jean d'Ormesson.


Une chapelle étonnée et cyclopéenne, nichée loin de tout



Ah ! La douceur de porter sur les choses un regard neuf ! 
De les découvrir par soi-même... D’éprouver ce sentiment fabuleux de totale surprise, d’être cueillie, chipée, émerveillée par l’inattendu…Ça m' écarquille les yeux de félicité, ça me fait du bien tout là-bas, en dedans, ça me titille les ventricules...
Tiens, par exemple, cela devient bien difficile de nos jours, de ménager de vraies surprises aux amis. Prononcez un ou deux mots-clés par inadvertance, et bim ! voilà la personne que vous auriez aimé épater qui s'arme de sa loupe de Sherlock en quête d'informations sur la toile qui vont tuer tous vos effets d'inattendu.
Déflorant le mystère et faisant tomber la jubilation que vous auriez eue à être son guide.
Quelle  époque épique, que celle qui rend les gens pressés, impatients et intolérants à toute frustration. Nous voilà pris dans les rêts du « tout, tout de suite » qui nous névrose et nous angoisse, et dans notre développement on shunte les étapes, c'est fâcheux !
Je crois au besoin vital de projection et de mystère. 
J'aime mon jardin secret, cette part que l’on garde de soi, qui provoque l’étonnement de l’autre. Surprendre, même après des années, quel joli défi ! Entendre cette si belle phrase : « Tu m'étonneras toujours  ! »
Oui. Etonnez-moi, Benoît !
Car tout dire de soi, c’est perdre de sa densité, devenir transparent, attendu, prévisible et le désir n’y résiste pas. 
Le désir, cette force qui nous tient debout vers le soleil, est une fleur précieuse et délicate, une étincelle fragile. Vouloir le combler dans l'immédiat, c’est un peu comme si on la noyait d’un coup sous des trombes d’eau. Un déferlement de plaisir trop rapide, vite oublié, blasant et néfaste au final qui ratatine le désir.
 L’attente du plaisir est un plaisir, disait ma grand mère.
Ce qui est bon, c’est de rêver à partir de rien : une seule photo, pas très nette, un mot trouvé dans un livre, un coin de peau dévoilé entre les cheveux et le col de la chemise, une silhouette…Attendre comme on attendait quand j'étais enfant. Avec aucun moyen de devancer les choses. Tout le contraire du tour operator qui ne laisse au hasard que la portion congrue…
J'aime les mise-en-bouche qui font saliver,  mais sans trop révéler, les dentelles qui suggèrent plutôt que montrer… 
 Voilà aussi pourquoi je préfère les lieux secrets nichés dans l'oubli, aux grands-messes touristiques vues et revues jusqu'à la nausée.  
Voilà pourquoi je préfère décidément  le Val des Nymphes au Taj Mahal.
Je peux comprendre que certains préfèrent se rassurer, tout programmer pour ne pas avoir de surprise, ni bonne ni surtout mauvaise...
Mais peut-on jamais vraiment tout prévoir, dans le road-trip de la vie ?


¸¸.•*¨*• ☆




10 mars 2018

Fantaisie proustienne



A mon oncle Walrus, qui voue à Proust un sentiment assez complexe, balançant entre détestation cordiale et agacement mal dissimulé  sous sa jovialité légendaire.
A tous les anciens lycéens qui ont souffert dans des commentaires composés et des analyses littéraires de ce bain de thé existentiel...

Vous vous souvenez du texte  ?

 «  Je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine. » ... c'est beau...

Le mien est un peu moins beau sans doute, mais c'est pour rire.

Bon après, promis, j'arrête de parler de thé pendant au moins deux ans.






A Combray, à la nuit tombée




A Combray, à la nuit tombée, tout était calme
Je me pelais le jonc en rentrant du boulot
Ma mère prit un bol et y versa de l’eau
Pour faire un thé fumant, et sans huile de palme
En un mot c’était un thé bio.

Tout comme le gâteau dont elle agrémenta
La douce tasse de porcelaine de Sèvres
Où elle avait versé le liquide. Apostat,
Je me décidai donc à y tremper les lèvres
Moi qui n’aimais pourtant pas ça.

Aussitôt mon palais éclate en étincelles
Et tout un monde insoupçonné se crée en moi
Un ouragan de sensations existentielles
Me transperce le bulbe et je tremble d’émoi
Poule devant un opinel

Les souvenirs affluent comme un vol de flamants
Qui rasent de leurs cris le champ de ma mémoire
Mais déjà ils s’enfuient, et les gorgeons suivants
Agrandissent hélas les trous de la passoire
De mon cerveau batifolant

Au prix d’un grand effort je reviens au début
Quand le gâteau mouillé de thé a percuté
Ma langue et mon palais, surpris, épantelé
Me disant en mon for « Tu t’es vu quand t’as bu ?
Essaie donc de te rappeler ! »

Et puis soudain, ça y est ! Me revient, délétère
Olfactif et goûtu, ce souvenir de songe :
Ce thé, ce gâteau sec trempé comme une éponge
Ce sont ceux que m’offrait de ses doigts de sorcière
Ma vieille tante atrabilaire.



¸¸.•*¨*• ☆




Pour l'atelier de La Licorne, il fallait transformer le texte en poème.