30 mars 2021

Romanesca





Cette semaine, il y a d'abord eu ce fameux chou des mathématiciens, le chou romanesque, comme moi... Celui qui cache, dans ses volutes,  une extraordinaire suite de Fibonacci, et donne un bel exemple de la théorie des fractales. Une mise en abyme vertigineuse. Je n'ai pas résisté à son appel sur l'étal du légumier.
Mais il est tellement fascinant que j'ai hésité longtemps à le jeter dans une poêle avec des lardons. 
Le contemplant longuement, empreinte d'émotion. Par quel prodige la nature parvient-elle à un tel degré de perfection géométrique ? 
Je songeais à cette perfection avant-hier, en marchant dans le grand pré en contrebas de la maison, humant les odeurs nouvelles du printemps. Je ne vous ai jamais parlé de cette prairie ? Elle est fabuleuse. Il faudra que je vous dise.
Soudain, je me suis concentrée sur ce simple fait : juste fouler le sol, sentir l'herbe se courber, s'enfoncer souplement, et puis se redresser comme une mousse à mémoire de forme, sitôt le pied enlevé. Quel mirifique mystère ! Le merveilleux, dans le fait d'être vivant, se niche dans les choses les plus anodines, les gestes que l'on fait cent fois, sans y penser... J'en ai eu un frisson de joie.
Il y a eu aussi cette odeur de terre mouillée que l'on appelle le pétrichor. « L'odeur de la pluie » comme on dit improprement.  J'ai commencé à arroser mes fleurs, le soir, quand le crépuscule devient orange, et que les merles chantent de plus belle. Les tulipes et les jonquilles donnent bien, cette année.
Là, en quelques instants, le pétrichor s'est exhalé de la terre, enivrant et fugace. Un pur instant de bonheur.
Il y a eu encore le ballet des geais amoureux dans les chênes. La splendeur de leur plumage me ravit. Ces petits damiers bleu et noir me rappellent les paquets de pâtes Lustucru de mon enfance. 

Et puis, j'ai appris à jouer Mad World au piano. J'ai créé l'album photo d'un ancien voyage. J'ai repeint un meuble. J'ai reçu une lettre d'amitié magnifique. Et tant d'autres choses que j'omets pour ne pas être trop longue...
Ces petites choses belles, amusantes, troublantes, réjouissantes, mini morceaux de rien cousus ensemble et qui forment un tissu doux et solide.

On a beau dire, faire, s'agiter, grommeler, envier, se lamenter, rouspéter, se plaindre, se battre, regretter, pleurnicher, procrastiner, protester, râler, détruire, écraser, dominer, tout est vain, surtout si l'on oublie cela : la vie est là, dans cette tension vive qui nous maintient, nous élève, nous exalte, dans ces halètements de poitrine, ces transports de sang, dans ce battement permanent de ce petit bout de nous-mêmes qu'on appelle le coeur. Dans ces frémissements de peau, ces couleurs, cette lumière, ces odeurs. Ces émotions qui ondulent nos poils comme des blés. Dans les choux et dans les geais. Et dans l'odeur de la pluie.
La vie est là. Et un jour on ne l'aura plus. 





20 mars 2021

Rue des Tilleuls



 





Il m'a donné rendez-vous au 19 de la rue des Tilleuls. Ironie des noms de rue : pas l'ombre d'un arbre le long de ce mur sale, saccadé d'affiches déchirées et de lézardes. Et ça sentait plutôt le goudron poussiéreux que le miel du renouveau.
J'ai enfourché ma bicyclette bleue. Bleue comme la fleur de mon âme, incorrigible. Je suis comme ça. Je rêve éveillée. Parfois ça m'a bien chagriné la vie, de me heurter au coin dur d'une fin de rêve. Pour autant, ça ne m'a pas guérie. Je m'envole toujours à des hauteurs déraisonnables.
Mais n'anticipons pas. J'avais pour l'heure mis un bandeau émeraude dans les cheveux, du patchouli dans le creux du cou, là où c'est doux. Et souligné mes yeux de biche d'un crayon noir, version Frank Alamo. Ah, il est fort, Alamo... 
J'ai garé ma bécane à côté de la seule porte sur cinq cents mètres de muraille. 
Dans ma tête qui mouline tout le temps comme un galet d'entraînement, j'y ai tout de suite vu un symbole : une porte, dans un mur aimable à faire peur, tel celui d'un pénitencier anglais en novembre, c'est un rayon d'espérance, une tendre ouverture où danse le soleil sur la verdure...
Je m'emballe... C'est mon côté lyrique, j'ai tendance à m'emballer, et pourtant je ne suis pas un cadeau ! 
Là je sens que je vous rase avec mes blagues à deux roupies. Au fait, poulette, au fait ! êtes-vous en train de vous dire.
J'y viens, j'y viens...
J'étais en avance. J'aime bien être en avance. M'imprégner du lieu, épousseter de mon esprit les graines d'impatience qui le grattent. Savourer l'attente.
Il est enfin arrivé, la mine fière, et large d'épaules, l'air mystérieux de Mandrake, mais sans frac ni chapeau-claque. Il a sorti de sa poche une vieille clé un peu rouillée, ménageant l'effet de surprise avec des lenteurs calculées.
 Et là, derrière la porte branlante, s'étendait le plus délicieux jardin de la terre. Un fouillis d'herbes folles, clématites, aristoloches, houblon doré, passiflores, s'ébattaient en liberté le long des taillis. Un sentier serpentait dans la mousse jusqu'à un petit étang peuplé de gerris, de  libellules et de sortilèges. Tout au fond de ce bonheur à jardiner, une cabane aux volets verts, sertie dans les rosiers. Et encore derrière, comme un géant débonnaire, un splendide tilleul, insoupçonnable de la rue. J'étais emplie de oh et de ah.

Devant mes yeux ébahis, il a commencé une phrase dans un souffle :
« Veux-tu...

Bim ! C'est là que je me suis réveillée, caressée par le soleil du matin, et la voix tonton Georges qui grognait : « Vingt dieux tu vas manquer la messe ! »

C'est malin, je ne saurai jamais ce qu'il voulait que je voulusse...
Veux-tu, veux-tu...Mais quoi ? 
Veux-tu me passer la binette, qu'on s'y mette ?
Veux-tu voir la clause du testament de Tante Agathe qui nous lègue ce bien ?
Veux-tu un palmito ? tu n'as pas un petit creux ?
Veux-tu m'épouser ?
Ben oui quoi c'est vrai, les rêves, c'est tellement imprévisible.





Pour les plumes chez Emilie

Avec les mots à placer :TENDRE JARDINER EMERAUDE RAYON ARBRE RENOUVEAU ESPERANCE GRAINE PEUR CHAPEAU DANSER SOLEIL MOUSSE MENAGER MINE


Et pour l'atelier de lakevio du Goût.

14 mars 2021

L'intelligence du lien




Ce n'est pas sa beauté, sa force et son esprit que j'aime chez une personne, mais l'intelligence du lien qu'elle a su nouer avec la vie.
Christian Bobin.







Jean-Marc, l'homme qui parle à la spiruline...




Il est des gens qui nous apportent, et qui nous importent. 
Hier, par exemple, je suis allée voir Sophie et Jean-Marc.
En voilà deux qui se sont lancés, il y a quelques années, dans la culture de la spiruline, une drôle d'algue ou plutôt une cyanobactérie microscopique en forme de tire-bouchon, pleine de vertus médicinales étonnantes. Dont la faculté de stimuler les défenses immunitaires, et par les temps qui courent, c'est un bien précieux. 
Intéressante, la visite de la ferme aquacole et de ses bassins de culture sous une serre chaude : c'est toujours un bonheur d'écouter quelqu'un parler avec passion de son métier. Beaucoup de bonheur malgré les difficultés.
Jean-Marc et Sophie sont lumineux. Cohérents avec eux-mêmes, et pleins de cette sagesse que donne un métier quand il a du sens. 
Génial, Algoa, leur site internet : on y apprend une foule de choses, des recettes de cuisine, des détails sur la production et la culture. Et comment les Kanembous du Tchad en font des galettes énergétiques depuis des millénaires.


Récolte du Dihé (galette de spiruline) au lac Tchad


J'ai goûté. Je craignais un goût affreux. En matière d'aliment je suis courageuse mais pas téméraire. Trop gourmande pour infliger des supplices à mes papilles.
Mais là non. Ça va. Hormis la belle couleur verte qu'a pris mon bol de lait ce matin, ça se laisse avaler. Alors pourquoi ne pas faire une cure de temps en temps ?


***

La fille de mon amie Geneviève, elle, s'est lancée dans la conception de petits robots ludiques qui aident les enfants malades à bien prendre leurs traitements. On parle de maladies graves, nécessitant de lourds traitements sans interruption.
Les robots s'appellent Léo ou Joe.  Ils encouragent l'enfant, le félicitent, et soulagent l'angoisse des parents. Tous les détails sont, là encore,  dans le site internet de Ludocare.
Parlez-en, dans votre entourage, si vous connaissez des enfants diabétiques ou qui se battent contre une maladie auto-immune. Quelle chouette idée, je trouve. Une fois de plus, par les temps qui courent, où les jeunes ont du mal à s'insérer dans la société, chaque initiative mérite de l'intérêt et un petit coup de pouce.

Léo et Joe


***

Et puis, il y a ce jardin, tout près de chez moi, que je n'avais jamais visité. Un enchantement. 
Ici, il y avait jadis un champ en friche. Un de ces endroits voué aux vents,  à la folle anarchie naturelle des adventices, ces herbes que l'on dit mauvaises...
Un homme en a fait un jardin. Toute une vie consacrée à semer, planter, bouturer, élaguer, et soigner avec amour des espèces venues parfois de très loin. Des noms bizarres et exotiques.
Une bibliothèque d'arbres...







 C'est un crépuscule cendré qui descend sur la plaine, ce soir. A l'est, la cime des Monts se noie déjà dans la brume qui deviendra la nuit. 
Mais à dix-neuf heures, le jour est encore là, en longues traînées blanches déchirant les nuages comme des coups de ciseaux dans de la toile de jeans. On n'est plus en hiver.
Les jours rallongent. Enfant, je me demandais qui tenait les aiguilles de ce tricot qui raccourcissait ou rallongeait au gré des saisons.
Est-ce qu'on va repasser pour la quarante-sixième fois à l'heure d'été ? Et surtout, est-ce qu'on va arrêter de changer ? Voilà bien une de ces futilités auxquelles s'adonne l'humain. Se croire maître du temps... Chaque année le même suspense : allez, cette fois-ci, c'est la dernière fois. Dix ans qu'on nous fait le coup. Ça me fait sourire.
Les amandiers pleuvent leurs pétales au vent du sud. Les mésanges rentrent au nid.
Je crois que plus le temps passe, plus la nature prend d'importance dans mes journées. Son silence, son rythme immuable, sa simplicité merveilleuse.
Et bien sûr, les gens qui tissent de vrais liens avec la Vie.

01 mars 2021

Eau paisible





La vie s'écoule, la vie c'est cool. 
Mars, déjà, et son cortège d'oiseaux. Mars et sa promesse de beau sous les giboulées, vibrant sous chaque feuille, sous chaque bourgeon éclatant avec son petit "pop" miraculeux... 
Les tulipes et les jonquilles étoilent la mousse.
Et ce vertige qui prend toujours aux tripes quand on mesure à quelle vitesse les saisons courent. Deux semaines sans vous lecteurs adorés. Mais entourée d'enfants, joyeux, bruyants, et pleins d'existentielles questions. Celles qu'ils posent de leurs yeux ronds, de leur bouche gourmande, et celles qui nous viennent aux lèvres, immanquablement, quand on les regarde vivre, se chamailler pour des broutilles, pleurer, bouder, rire aux éclats. Sept enfants à nous deux. 
Alors, les vieux réflexes de maîtresse d'école, les gestes de jardinière d'enfants, inscrits en moi à la craie de l'amour, à la craie du temps, toujours affûtés. 
Organiser. Les repas, les jeux, les toilettes, les réveils. 
Prendre du temps avec chacun. Du bébé de quatre mois, de lait et de miel, à la grande préado de onze ans qui regarde ses petits seins pousser avec inquiétude et fierté. 
Cuisiner des gâteaux, jouer aux échecs, au rami, à plouf-plouf, à chat, au frisbee, courir dans la colline, monter à la Tour, observer les aigrettes dans les champs, la douceur du blé en herbe, les clématites et les roseaux, expliquer la rondeur de la lune et montrer Orion et son bouclier magique. Lire, lire beaucoup, parce que ce sont les livres qui ouvrent, qui font grandir, qui stimulent. Discuter de tout, avec passion. Et puis, gérer les conflits, panser les bobos d'âme et de corps, montrer les priorités, enseigner l'empathie, la bienveillance, la solidarité, sans relâche,  avec l'infinie patience d'un maître zen.
Remiser pour un temps l'attirail virtuel si pratique des enfants d'aujourd'hui, tablettes, téléphones, jeux videos, ordinateurs. Pour se plonger au coeur des sens, au coeur de ce qui fait vraiment sens. Rester vigilants sur le vrai goût des choses. Autoriser seulement quelques dessins animés regardés et commentés ensemble.
Comme, par exemple,  Eau Paisible, le sage et bon gros Panda qui enseigne aux enfants comment accueillir la vie, les émotions, les difficultés relationnelles, les grands problèmes humains, et la consolation universelle de la nature. Eau Paisible dans son beau jardin japonais, avec son pont de bois, son bassin aux carpes koï, ses massifs lumineux et les volutes de sable de son karesansui. Un bonheur pour petits et grands. Je ne peux que le conseiller à tous ceux d'entre vous qui sont en charge de chères têtes blondes, brunes, rousses ou arc-en-ciel. 
J'en ai oublié pour un temps la folie sanitaire, les atermoiements, les errements de l'avoir contre l'être, les consignes idiotes de messieurs les ronds-de-cuir qui, sous prétexte de préserver la vie, veulent la mettre en bocal étanche. Mais nous ne sommes pas des cornichons, que diable !
Vivre, c'est décidément bien autre chose. 


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