26 novembre 2013

"Hédoniste!"




























"Hédoniste!" me lança un jour sous forme de boutade un Inspecteur de l'Education Nationale au cours d'un stage de formation. (Je vous parle d'un temps où la formation continue ne s'était pas encore vidée de sa substance) 
Il avait la moustache spirituelle, d'ailleurs elle se terminait en frisant par une virgule à la Dali, preuve que cet homme-là, qui ponctuait ses discours de Camus et de Blaise Cendrars, était d'une espèce désormais quasiment disparue chez les hauts fonctionnaires: un humaniste cultivé et plein d'humour. (Si ça se trouve, je le soupçonne d'avoir eu quelques états d'âme au lieu d'une âme d'état...)
Je sentis dans cette apostrophe une sorte d'admiration pour ma personne qui ne s'est pas démentie par la suite. Presque une complicité. Il avait bien compris qu'en revendiquant le droit au plaisir dans le travail, je ne faisais qu'exprimer l' aspiration générale légitime des petits, des obscurs, des sans-grades, doublée d'une interrogation existentielle et récurrente: le travail doit-il nécessairement être un supplice, de par son horrible et douloureuse étymologie de tri-pallium ? bref, doit-on vraiment se faire chier au boulot? Je veux dire, pour justifier sa paye?

Oui, monsieur le président, je suis une affreuse hédoniste. Partout, tout le temps, en tous lieux y compris au travail. Je le conçois, je le concède, je l'assume, je l’admets. Je mange toujours mon chocolat avant mon pain.Je ne mets pas d'eau dans mon vin.

J'aime les moments de pur bonheur que m'offrent mes élèves, leurs mots drôles, leurs textes touchants, les séances qui fonctionnent bien, quand le courant passe et que leurs petits yeux s'allument soudain du plaisir d'apprendre. 
Je déteste remplir des livrets de compétence, des enquêtes, des projets, des tableaux, des paperasses inutiles, me réunir quand je n'ai rien à dire, compter mes heures, recompter mes commandes, vérifier les assurances responsabilité civile et individuelle accident.

 Il n'est pas rare que j'arrête le cours de la classe pour chanter une chanson, lire une histoire, ou encore observer quelque chose par la fenêtre (de toutes façons, les élèves ne sont plus attentifs à rien d'autre si on les empêche de regarder)...J'appelle cela mes respirations. Elles me sont indispensables.
Un vol d'oiseaux sauvages, tiens, les premiers flocons qui cognent silencieusement à la vitre, le gyrophare des pompiers qui lance ses éclairs bleus sur le tableau noir, les dessins du givre, les reflets mordorés de la peinture dans le lavabo, le soleil qui s'en va tout rougeoyant. Tout prend sens lorsque l'on sait mettre des mots sur les choses. La vraie vie donne de la couleur aux apprentissages.
C'est pourquoi je suis heureuse de vous apprendre que mon projet de classe de découverte (de longue lutte, souvenez-vous) a été "validé" (l'affreux mot!) par la mère Jargonos. Je partirai donc début juin pour faire découvrir les étoiles à mes schtroumpfs. Avec un immense plaisir d'hédoniste invertébrée.



Etude no 13 by Roland Dyens on Grooveshark

23 novembre 2013

Omelette norvégienne







J’entends souvent dire de moi que je souffle le chaud et le froid. Sans doute fait-on allusion à ma légère cyclothymie. Combien de fois vous ai-je dit que je l' assume ? Certes, je suis d’un tempérament brûlant et la fougue est ma cousine. Vous avez sûrement déjà compris que je ne suis pas une tiède. Plutôt un geyser, ou un volcan… Mais attention ! si je n’ai pas froid aux yeux je n’en suis pas givrée pour autant !
Surtout n’allez pas faire des gorges chaudes de mes révélations. De toute façon, le qu’en dira-t-on ne me fait plus ni chaud ni froid. Non, je ne jette pas d’huile sur le feu, les gens pensent ce qu’ils veulent, je ne suis pas très chaude pour polémiquer outre mesure. Et si je perds mon sang-froid, ce serait plutôt pour les yeux ardents d’un bel hidalgo aux yeux de braise, vous voyez. Hé! Je n'ai pas dit un chaud lapin, dites donc!
Bon je vous cueille à froid, là, je vois bien que vous vous refilez la patate chaude, certains vont même me battre froid…Non ? Ouf ! J’ai eu chaud ! L’idée de perdre votre estime m'a fait froid dans le dos…Je ne supporterais pas d’être en froid avec vous, vos mots me font si souvent chaud au cœur !
Allez, je vous laisse, sinon  je vais finir par attraper un chaud et froid, et comme on dit, chat échaudé…



(Griffonné à cent à l'heure pour me réchauffer dans une salle d'attente glaciale)

20 novembre 2013

L'alchimiste


Quel est donc ce sentiment qui m'a coupé le souffle, ce soir, alors que je m'attardais à ma fenêtre ? Pourquoi ai-je eu l'impression de l'éprouver pour la première fois?  Comme une sorte de longue brise fraîche qui m'a parcourue de frissons, comme si toutes les forces cosmiques et telluriques s'étaient donné soudain rendez-vous sur mon plexus solaire...
J'ai cherché un moment, tout en contemplant l'éternelle beauté céleste. 
Et au bout d'un long moment, j'ai trouvé: c'était, je pense, un accès fiévreux de gratitude.
Difficile à décrire, n'est-ce pas, cet étrange sentiment? qui vient choquer comme une boule de bowling les quilles vacillantes de notre raison. 
Ceux qui le connaissent ne diront pas le contraire. C'est une jubilation  muette et hurlante en même temps.Le besoin de chanter, de rire et de pleurer tout à la fois.
J'ai regardé mes mains se tendre vers l'infini, touché du doigt cette caresse, cette immense délicatesse de la vie qui m'a prodigué tant de bienfaits.
J'ai dressé ma liste silencieusement. La formidable liste de  tout ce qui fait que je ne souhaiterai jamais, à la réflexion, être quelqu'un d'autre. Et que je ne jalouse personne. 
J'ai énuméré ces merveilles avec le regard incrédule d'un enfant, au matin des étrennes: "Tout ça pour moi?" 
J'aime m'asseoir sur le rebord du monde et remercier je ne sais trop qui ou quoi au juste. Mes parents ? l'Univers ? Le hasard ou la nécessité ? Qui remercier de cette chance? Car je me rends bien compte que c'est la chance de ma vie, ce don d'alchimiste que j'ai de transformer le plomb en or...
Il est de mon devoir de continuer à faire exploser ce fin bonheur en  particules pour en asperger chaque être autour de moi. Je suis en quelque sorte un aérosol de joie. Amenez- vous, belles plantes,  que je vous pulvérise un peu les feuilles contre la cochenille des mauvaises pensées et le mildiou du découragement. 
-N'importe quoi! Célestine! Tu prends des substances illicites ou quoi?
-Mais non, c'est très sérieux!Ecoutez...
Vous l'entendez cette petite musique enivrante et miraculeuse, ténue et entêtée comme le souffle des étoiles?
C'est votre coeur qui bat.

16 novembre 2013

Télé Réalité




























Kevin :  Aaaah ! J’ai dormi comme un noir ! mais…Qu’est-ce que tu as, Ashley ? Tu fais une tête de six pieds et demi !
 Ashley : Oh, Kevin, tu sais quoi ? Steven me trompe avec Stéphanie.
Kevin : Ça alors, c’est la cerise sur le chapeau ! Tu es sûre ?
Ashley : j’en mettrais ma langue au chat !
Kevin : Chut ! parle moins fort, les murs ont des orteils !
Ashley : Je savais que c’était la décatombe, cette émission ! Mais là, c’est l’étincelle qui fait déborder le vase.
Kevin : C’est vrai qu’il n’y est pas allé avec le dos de la main morte !
Asley : Tu me diras que les goûts et les couleuvres...Mais, bon, qu’est-ce qu’elle a de plus que moi cette bimbo ? Elle a pas inventé le fil à couper le plomb, tout ce qu’elle cherche depuis le début de l’émission, c’est à courir le billet doux avec tous les mecs…mais c’est vieux comme mes robes, sa technique !
Kevin : Ouais, c’est connu comme le houblon. Je voyais bien qu’il y avait anguille sous cloche…
Ashley : Mais il va voir de quel doigt je me chauffe ! Il ne va pas longtemps me faire prendre des WC pour des latrines ! S’il croit que je vais attendre les calanques grecques pour réagir, il se fourre le doigt dans l’oreille !
Kevin : c’est vrai qu’il est fier comme un bar tabac, il faudrait lui rabattre son baquet… Quand je pense qu’il t’a juré le grand amour, il dépasse les borgnes ! Mais moi je suis là, si tu veux que je te console…
Ashley : Oh, t’es gentil, toi, Kevin…Tu vois, tu crois que tu as une amie, mais se faire des amies, ici, c’est la croix et la galère…Autant chercher une anguille dans une meute de chiens…
Kevin : t’as raison ! Moi aussi je suis déçu par les autres. Avant qu’ils soient  réglos, les moules auront des gants !  Mais toi, Ashley, tu n’as pas la langue dans ta bouche, je te fais confiance, 

Ashley: C'est vrai, Kevin,  je suis têtue comme une moule. Et la vengeance est un poulet qui se mange froid.

ndlr: toute ressemblance avec des cerveaux en coquille de noix ne serait que pure coïncidence.

12 novembre 2013

Quand j'Ubu, j'eus plus soif...

Je te salue, ô toi le blogueur innocent qui te commet peut-être en ces lieux pour la première fois! Ô toi qui es convaincu depuis longtemps des immenses avantages de la cybernétique (sinon, tu ne serais pas là, en train de te promener sur ces espaces virtuels fabuleux qui s'offrent à toi, et notamment celui-ci, où tes pas t'ont mené.) 
Sache pourtant que la violence de ce qui suit te dégoûtera peut-être à tout jamais d'utiliser un ordinateur.Je t'aurai prévenu.

Il est un domaine (où l'amour n'est pas roi, où je ne suis pas reine) un domaine dans lequel ce qui se conçoit bien ne s’énonce point clairement, hélas.
Il s'agit d'une grosse machine, une usine à krypton, une énorme bête hybride appelée jadis "mammouth" par un ministre alors conspué, mais à qui il faut bien concéder finalement à notre grand dam l'immensité de sa clairvoyance. Les gens censés diriger ce "Machin", que je dénommerai ci-après par l'élégant vocable d'Eduknatte, ont une conception assez étrange de l'efficacité et de la rapidité. 
Mais je sens que tu t'impatientes, à me laisser ainsi partir dans des circonvolutions langagières, sache néanmoins que mes détours ne sont rien à côté des embrouillaminis sortis tout droit de l'âme retorse des technocrates zélés censés nous simplifier la vie.
Tu as devant toi une sémillante directrice d'école qui n'a point trop l'habitude de se laisser intimider par les soubresauts tâtillons de la bête sus-nommée. 
Mais là, le combat fut rude. 
Car Eduknatte a décidé de dissuader les valeureux instits de partir en classe transplantée 
(Euh... oui c'est le nouveau nom des classes de découverte, ça fait un peu greffe d'organe, mais bon, ne pinaillons pas, il est vrai que l'école est en état de mort clinique imminente)  
Comment les dissuader, ces crétins qui veulent s'embêter une semaine entière à supporter les mioches 24/24? 

C'est pourtant simple: en faisant du dossier de demande un affreux parcours du combattant tout empli de pièges. Pour les dégoûter à vie de se lancer dans l'aventure. Eduknatte n'aime pas que l'on emmène nos élèves dans la montagne, découvrir les étoiles. Non, elle n'aime pas ça. 
Tu imagines bien, lecteur, que le transporteur autocariste, le Centre d'accueil, les animateurs, les moniteurs sportifs et les astro-physiciens,  tous sont déjà agréés, estampillés, diplômés,  brevetés par Eduknatte. Eh bien, non, il nous faut quand même réunir les diplômes, les brevets d'états, les numéros d'agrément, les permis de conduire, les casiers judiciaires, de tous ces braves gens. Au cas où un dangereux repris de justesse se cacherait parmi eux.
Nos emplois du temps étaient lumineux. Ils ne conviennent pas. A la place, on nous fait remplir des grilles fastidieuses par demi-journée et par demi-groupe, dans lesquelles on remet une énième fois les renseignements que l'on a déjà inscrits à trois endroits différents.Quatre classes, cela fait huit demi groupes, multipliés par 10 demi journées, je vous laisse calculer, j'ai la migraine. 
Pour le projet pédagogique, c'est le pompon : on se dit (mais on est bête) qu'il va être accepté, vu qu'il a déjà été accepté six fois par le passé.Ce serait logique. Eduknatte n'aime pas la logique. Ce projet n'est pas assez "innovant".
-Mais ce ne sont pas les mêmes élèves!
-Non, non, il faut changer. 
Après quelques remaniements judicieux bien qu'inutiles, consistant à truffer notre texte de quelques mots de la novlangue pédagogole (la réécriture, ça me connaît, même si ça me fait un peu mal au foie),intervient l'ubuesque phase informatique du système. Le gros morcif. Car toutes ces pièces, il va falloir les numériser pour les faire entrer dans une "application" caprichieuse, qui refuse certains formats, certaines pièces étant trop lourdes, bref on s'énerve, on transpire.On imprime le projet, on le signe, et on le refait rentrer dans la machine. Enfin, on essaie. 
Eduknatte nous regarde en coin avec un petit air sournois, en se disant qu'on va lâcher le morceau. Mais que nenni. Au bout d'une dizaine d'heures, on vient à bout du truc. Un truc qui nous aurait pris une heure à peine si l'on avait simplement placé  le tout dans une enveloppe avec deux timbres. Allez, même trois, au pire. On est dans les temps, c'est l'essentiel.
Et là, on apprend que la date butoir a été repoussée. D'une semaine.

Eduknatte, mon petit, comme disait tonton Lino, je ne voudrais pas te paraître grossière ni encore moins vieux jeu, la femme de la Pampa, parfois rude, reste toujours courtoise, mais la vérité m'oblige à te le dire, tes errances bureaugratteuses commencent à me les briser menu! 
Heureusement, par une manifestation de la justice immanente ou de l'esprit frappeur, j'apprends de source sûre que les décideurs n'ont plus accès à l'application depuis vendredi, et qu'ils nous "tiendront au courant".Ce qui est une façon de faire croire qu'ils ont la situation bien en main, alors que c'est la panique à bord.
D'ici qu'ils nous demandent une version papier du dossier, il n'y a pas des kilomètres. 



(à suivre)

08 novembre 2013

Légèreté

plume, épistolaire, échange, relation, courrier, essoufflement, assortiment, liaison, amoureux, carte, rencontrer, lettre, souvenir, distance, train, couleur, pétrifier, pantin, perpétuel.





Chère Légèreté

Il semblera étrange, sans doute (ces derniers mots pris dans leur sens du XVII°, c'est à dire assurément) étrange que je t'écrive cette lettre, à toi, un simple mot abstrait …
Toi le mot diaphane aux couleurs irisées, toi dont la simple évocation fait se soulever les voilages et les dentelles comme des poumons emplis d'air frais.
Toi qui fais tourner les jupes des filles et palpiter les ventricules...Tu as en toi quelque chose de cotonneux comme le ventre d'une abeille qui se serait roulée sans permission dans le pollen.


Ne vois-tu pas que ta pire ennemie, la Lourdeur, te livre un combat perpétuel, à propos duquel j'ai bien peur qu'elle ne soit en train de le gagner,  elle te distance en tous cas, d'ailleurs regarde comme je m'empêtre dans mes mots et mes tournures épistolaires alambiquées dès que je parle d'elle !...Partout, ton essoufflement ressemble à ces ailes de papillon froissées qui battent le vide, tu ferais presque pitié. Pauvres poètes, pauvres fous, pauvres rêveurs rencontrés dans un train, pauvres souvenirs d'années volages et insouciantes...Vous avez pris cher, ces temps-ci, !
Et pourtant, c'est bien toi qui mènes le monde naturel de ta grâce mystérieuse, tu es l'envol du cygne, la plume qui virevolte, la douceur des fleurs et la caresse du vent. Tu es le ballet sans pesanteur des planètes et les étoiles qui tiennent dans le néant sans jamais tomber, le friselis des feuilles mouillées de pluie, le mot de liaison éternel des amoureux qui se rencontrent toujours sur la vieille carte du Tendre...
Regarde un peu ce que mes contemporains ont fait de toi : ils t'ont chassée de toute relation professionnelle. Etre léger au boulot? tu plaisantes! Désormais, vous comprendrez qu' il s'agirait d'être sérieux ! Ô cieux éblouis !Si immanquablement, si tristement sérieux...
La pichenette, la galipette, très mal vues ! le trait d'humour ? forcément assassin et mal venu. Les Tartuffe et les Diafoirus, ces maudits professeurs Nimbus, ont peint un monde unicolore avec leur assortiment de "défenses de" et leurs interdits poisseux. On ne peut plus rire de rien. De tout, on se fait des montagnes ! On assure, on produit, on analyse, on procède, on soupçonne, on intente, on pèse, on jauge, on réfléchit, on juge, et on condamne. On ne rit pas, monsieur, c'est très grave ! Les mots sont lourds, les mots sont gras.
Écoute donc les échanges télévisés, empreints de cette emphase insupportable de pédants et de doctes pantins, pétrifiés dans leurs certitudes et leurs cravates trop serrées...

Alors, chère et insoutenable légèreté, reviens, si possible par retour de courrier, je t'en prie, reviens me frôler de ton aile,  me faire gonfler comme une bulle, me faire frissonner. Je veux être brume, fumée, nuage, libellule. Je veux jouer à la marelle, sauter dans les flaques,  frivole, versatile, inconstante et gracile, imprudente, rêveuse, éthérée, funambule !
En bref, tu l'auras compris, je veux me marrer, me fendre la poire, me bidonner jusqu'à plus soif.
Et plutôt que me prendre au sérieux, je préfère me prendre à ton jeu. Parce que, je le disais encore hier à mon ours en peluche,  Zazie avait raison.  Sérieux, mon cul.

Célestine

 
Merci, Miss Aspho pour ces plumes que j'adore.


06 novembre 2013

So far away...

C'était un dimanche clair et doux. Comme je les aime...Rien de mieux qu'un dimanche de novembre qui ne se prend pas pour un dimanche de novembre. 
Mon marronnier à moi, c'est ma haine de ce mois. Un condensé de tout ce que je déteste. Je me demande ce qu'il m'a fait...Assurément, dans une autre vie, en novembre, on a dû me faire rôtir les pieds en croyant que c'étaient des châtaignes, sur la place de Grève. (Oui parce que les supplices, c'était toujours en place de Grève...de nos jours, ce serait plutôt la place de la Nation, la place de grève...mouais, bon hum, je sais, c'est facile...)
Comme je l'ai dit en d'autres temps, lyrique, que l'on prononce novembre et aussitôt se dessinent devant mes yeux, je n'y peux rien, un champ morne et gris, au petit matin, des vols de corbeaux grinçants et cacochymes  et deux silhouettes fantomatiques, bottes noires et chemise blanche aux manches retroussées, mains gantées prolongées par une excroissance métallique crachant la balle fatale, le projectile ultime: une antique pétoire, un combat en duel, le mort qui s'écroule, un trou rouge au côté droit, comme dirait l'autre, fauché dans l'absurde et impérieuse intransigeance de sa jeunesse. Mort pour l'honneur, la gloire, l'amour. Huit heures au champ des corbeaux. Avec un bruit mat, le perdant est tombé dans l'herbe constellée de cristaux de givre, de longues écharpes de brouillard se traînent d'arbre mort en arbre mort comme des filaments de haillons déchirés.Et toujours ces croassements lugubres et transperçant les os jusqu'à la moelle.
Bref, c'était quand novembre malgré tout m'inspirait encore...désormais, je n'ai que mépris pour ce mois affreux. Et ne me parlez pas du plaisir des grandes ballades en forêt, des feux de cheminée et des couleurs flamboyantes de l'automne.Et patati et chabada... J'échange mon baril de super-novembre contre deux barils de n'importe quel autre mois ordinaire.
Mais je m'égare, puisque je parlais de dimanche. Et qu'il faisait beau. Le soleil caressait mes cheveux à cette heure alanguie où l'on digère les agapes d'un repas de fête.Sur la nappe, il reste les verres presque vides et l'on apporte le café, en enlevant délicatement les miettes pour faire plus joli. 
Je me saisis de ma guitare, et je commence à descendre quelques arpèges (bien qu'il me manquât un chêne-liège, clin d’œil cabrelien) et là, contre toute attente, mon futur gendre idéal me dit: "Jolie cette chanson! C'est de qui? je ne connais pas..."
Ô temps pourri! Ô mauresque*! Nicolas Peyrac...l'amour de mes quinze ans**...
Mais il aime, et cela me ravit à double titre: d'abord, il a du goût, mais cela, je le savais déjà puisqu'il aime ma fille, et surtout mon interprétation n'était pas trop mauvaise...ce qui prouve que, quand on aime, on est souvent transcendé.






* qui est comme chacun sait un délicieux cocktail à consommer avec Madère à Sion...

**Euh...Jeanne, contrairement aux apparences, c'est un billet musical,  et non sur le temps qui passe...  ;-)

01 novembre 2013

Ceux qui ne dansent pas








 Les Plumes  nous font faire deux petits tours bien agréables pour les vacances. Asphodèle nous propose le thème de la solitude...un thème de Toussaint.Qui m'a inspiré deux textes qui se répondent, comme des fanaux dans la nuit.



angoisse, silence, assourdissant(e), rue, paix, musique, exister, ténèbres, se ressourcer, naviguer, espace, bienfaisant(e), errance, vide, partager, austral(e), assis(e), ambivalent(e), manque,  obsidienne, orage, onde.






Elle, sidérée

Il est minuit. Je ne dors pas. C’est une nuit d’errance et de lune sombre.  L’orage s’éloigne, ses zébrures fugaces ont laissé au ciel la couleur d’obsidienne et de plomb que prennent les nuages sur les terres australes. Les ténèbres  sont encore emplies d'un lointain tonnerre, couvert par la plainte des bandonéons...
Ma peau est trop petite. Un  manque d’amplitude, soudain,  il me semble que si je respire trop fort, elle va se craqueler, se fissurer, et soudain exploser, assourdissante, projetant vers l’onde mes angoisses, mes vides, que dis-je?  mes gouffres intérieurs comme des scories.Je ressens un élan vital vers Vous, vers Lui, ce type fascinant qui me regarde d'en bas comme s'il avait vu un fantôme. Bref, vers l'Autre. Mon ego me serre, il me faut partager mes mots. Il me faut bouger mon corps. Sentir le monde.  
Et en même temps, je voudrais combler l’espace infime entre moi et ce monde, et sentir s’insinuer dans mes interstices un isolant naturel  bienfaisant, un mastic à base de paix, de silence et d'oubli.
Dites , ça vous arrive, de naviguer ainsi sur la frange écumeuse de vos doutes, d’écouter la musique qui monte de la rue , d’avoir les jambes qui fourmillent de l’envie de danser, et d’avoir simultanément l’impression de ne plus exister, de vous replier sur vous même comme un serpent dans une nasse?
Drôle de sensation que d’être assise à côté de soi, et de se voir se débattre dans cette équation à deux inconnues: se ressourcer dans la solitude ? Ou s’enivrer de foule sentimentale ? Certains soirs de lune sombre et de tango brûlant, j’en ai ma claque d’être ambivalente.
***
Lui, Cid errant

Assis devant un quatrième verre de Cuba Libre, je traîne un vieux spleen, je ne vous dis pas l'angoisse. Le vide sidérant de mon existence me revient dans la tronche, comme une claque, une onde de choc, un truc pas bienfaisant du tout, un coup de poing au plexus, je me sens en manque...mais de quoi? Il faudrait te " ressourcer" m'a dit Albert, mais ce mot m'exaspère. Il sent l'article pseudo-psy d'un magazine féminin acheté au kiosque de la gare de Juvisy, un matin poisseux d'orage. Tiens, d'ailleurs, l'orage de ce soir n'a pas empêché cette bande de crétins décérébrés d'agiter leurs obscènes tas de graisse sur une musique assourdissante ou mièvrement pathétique, tour à tour.
La paix! Le silence...Je n'aspire qu'à ça. Mais mon inertie ambivalente m'ôte toute volonté de me lever, je suis comme lobotomisé, anéanti, privé d'énergie; il faut dire que depuis des années, je navigue à vue sans exister vraiment dans des ténèbres molles et éthyliques , du ciel austral au ciel boréal, sans trouver à partager mes errances.
Une vie de solitude.
Je tourne la tête pour épargner un peu mon tympan gauche et j'aperçois sur un balcon une fille seule. Elle a l'air d'hésiter, un voile mélancolique rend flou son regard bleu  et ses cheveux aux reflets d'obsidienne obsèdent mon regard gris. Je m'accroche à son sublime mystère comme à une bouée. Elle scrute la rue et l'horizon et sa main en visière sur l'infini vient d' élargir subitement mon espace...