29 décembre 2021

Ambivalence

Quand j'eus entendu parler le savant astronome,
Quand les preuves, les calculs, furent alignés en colonnes devant moi,
Quand on m'eut montré les graphiques, les diagrammes, pour les additions, divisions et autres mesures,
J'éprouvai tout à coup inexplicablement une nausée, une lassitude,
Et m'éclipsant sans bruit m'en allai dehors tout seul,
Dans l'air de la nuit humide et mystérieux, et de temps à autre,
Levai les yeux dans un silence total en direction des étoiles.

Walt Whitman, Feuilles d'Herbe




La joie et la mélancolie ne sont jamais aussi proches que durant tous ces jours que l'on appelle Noël. Celui-là n'a pas échappé à cette règle : les mauvaises nouvelles, tapies dans la nuit étoilée, enfouies sous les bonshommes de neige ou dans les papillotes, sont toujours prêtes à bondir sur les fêtards pour leur rappeler à quel point Noël est la fête de toutes les ambivalences. 
Cette année, la bestiole infernale a encore joué les trouble-joie aux tables familiales, entravant les liens pourtant si forts qui nous rassemblent et nous aident à tenir. Nous privant de ces étreintes chaudes que d'aucuns rêvent de remplacer par le règne du « sans-contact ».
Qui, parmi vous, a réussi à oublier vraiment la pauvre tristesse de la réalité, celle que l'on tente simplement de mettre chaque année entre parenthèses, l'espace d'une trêve ? Sûrement pas mon amie Mathilde qui a vu son papa partir vers les étoiles. Sûrement pas ces milliers d'esseulés, d'oubliés, de mal-aimés qui passent les fêtes le coeur en berne ou l'estomac vide.

J'ai puisé beaucoup d'émotions différentes dans mon ventre à papillons. Du bonheur, de l'espoir, du manque, de la fierté, un soupçon de culpabilité, de la nostalgie, de la gratitude, un brin de colère aussi.
La joie pure de mes petites étoiles, Sibylle et Alba, dansant en découvrant leurs cadeaux,  ne m'a pas fait oublier l'absence d'un de mes fils et de sa compagne.  L'ambivalence est allée se loger jusque dans mon coeur de mère. Au menu, confit de canard et conflit d'amour. Devais-je me réjouir des présents ou déplorer les absents, sans offusquer quiconque ? J'ai gardé pour moi les tourbillons de la moulinette à persil qui me sert de tête. Le maelström de sentiments qui m'ont essoré le cerveau. Je suis contente de pouvoir les faire sortir ce soir.
C'était beau. Turbulent, joyeux, délicieux, étoilé, mystique, musical, familial et riant.
Avec juste cette pointe de délicate amertume qui accompagne les mets raffinés. Histoire de bien se rappeler notre condition de grains de sable broyés par le temps : nous ne contrôlons  pas grand-chose ici-bas. 

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Ah, et puis j'oubliais, mes chers lecteurs : j'ai dû modérer mes commentaires quelque temps, mon espace ayant fait l'objet de l'intrusion nauséabonde d'une trollette complètement siphonnée qui est venu m'abreuver de messages (abs)cons. Je lui conseille, si l'envie la prenait de se pointer à nouveau, de faire plutôt un large détour pour éviter ce blog parfaitement inintéressant pour elle. Dans le cas contraire,  je ne répondrais pas de moi, ni surtout de ma garde rapprochée. Dont mon cher Xoulec.

20 décembre 2021

La sorcière de la rue d'Orchampt

 


C'était une rue pleine de rêve. L'âme des poètes y errait, comme partout à Montmartre. Monsieur Martin, notre professeur d'art à l'Ecole Normale, y avait habité, et se vantait souvent d'y avoir croisé Rubinstein, Stephane Grappeli et quelques autres artistes parisiens. 
Un jour, il nous montra la litho d'Utrillo représentant, en quelques traits de crayon nerveux et précis, sa célèbre rue d'Orchampt. 
Je fus aussitôt transportée des années en arrière, chez une de nos vieilles voisines, à laquelle ma mère avait eu la drôle d'idée de me confier pour une après midi. Elle possédait une reproduction de ce tableau. Au-dessus d'une cheminée dont l'odeur âcre brûlait la gorge. Je savais bien que j'avais déjà vu quelque part ces silhouettes à faux-culs et la funeste perspective cavalière des bâtiments la bordant. Je ne sais plus par quelle mauvaise magie je m'étais retrouvée dans cette maison cafardeuse, près de cette femme revêche, et abandonnée des miens.
Le noir du tableau s'accordait bien au noir général qui régnait chez cette sorcière. Noir comme sa longue jupe de vieille Corse et son fichu. Noir comme ses yeux de corbeau qui m'effrayaient. C'est fou comme la mémoire affective, sensible, olfactive reste ancrée en soi. dans les replis de l'âme. Surtout quand on a vécu une telle frayeur, à seulement cinq ans. Je passai la pire après-midi de ma vie, à me demander à quelle sauce elle allait m'accommoder dans son chaudron. Et je m'imaginai avec un haut-le-coeur mâchée par sa bouche sans dents. 

-Observez les lignes de fuite, enchaîna monsieur Martin, me ramenant dans le présent.
Mais ce jour-là, la seule ligne de fuite que je pus observer fut la mienne. Je quittai le cours, oppressée par ce souvenir d'enfance.
Aujourd'hui, quarante ans après ce cours de peinture cathartique, la rue d'Orchampt a enfin pris des couleurs. Le guide tend la main pour qu'on ne l'oublie pas. Un pâle vent d'automne secoue les micocouliers. La maison de la chanteuse semble garder la rue comme un sémaphore en hommage à son talent.
Les ombres noires de l'enfance ont été absorbée par un ciel plein de promesse. Plus Sisley qu'Utrillo, au passage.
Si ça se trouve, devant la maison de briques rouges, je croiserai peut-être le Goût et sa Lumière. Ou le Passe-Muraille de Marcel Aymé.
C'est une rue pleine de rêves.






Pour l'atelier du Goût.

18 décembre 2021

Chez Lucile







La maison est un havre paisible. Nichée dans un grand jardin un peu luxuriant. Décorée avec art, meublée avec soin. 
La maîtresse des lieux a le goût des petits détails à la britannique, et j'aime ça. 
Un bouquet d'hellébores blanches illumine la table. Tout est simple et pourtant quelque chose de raffiné surgit de ces fleurs délicates, de ces assiettes d'un rouge profond. Un bouquet de branches argentées abrite un calendrier de l'Avent fabriqué de ses mains. Des cartes ornées de nuages, de pensées et de paroles bibliques, comme des papillons posés sur l'esprit de Noël. C'est très beau.

Ce devait être juste un vin chaud, accompagné de gougères. Un apéritif dans la douce chaleur du poêle à bois. Et puis surprise, le vin chaud se prolonge par un petit repas froid, du fromage, des charcuteries et un fruitcake, des mets divinement anglais, pour le coup. Quand on se sent bien, on n'a pas envie de partir, de quitter des sourires, des yeux qui pétillent, une moustache qui frise. La moustache d'Albert, son mari, évidemment. 

Jusqu'à une heure avancée de la soirée, on devise, on échange, on papote. On repeint le monde aux couleurs qui lui vont bien, espoir, gratitude, joie. On n'est pas du genre à se lamenter, pour ce que ça sert, de toutes façons, de déplorer le gris du monde... Un voile d'inquiétude pour les générations futures, vite dissipé par la confiance qui rayonne.
Le tout sur fond de Radio Classique, ce qui rajoute une touche de « hors-temps » à cette soirée. On reconnaît, par exemple, l'adagio du concerto numéro 23 de Mozart. 

Oui, je sais, Lucile va rougir en lisant ces lignes. Et pourtant...Je ne dis que la vérité. Lucile est un soleil, avec un grand coeur. C'est une femme lumineuse, de conviction et de bienveillance. Son mari est affable, malicieux, avec un rien dans le regard qui rappelle le Major Thompson. Il pourrait presque s'appeler Marmaduke, hé hé !
 Bref, deux bien belles personnes, comme on aime en croiser. 
Lucile lisait ce blog bien avant que nous nous rencontrions. J'avais d'ailleurs immortalisé notre rencontre dans ce billet. Comme une petite flamme dans la brume d'automne, elle était apparue, discrètement, dans ma vie. Et paradoxalement, avec une grande présence. 
C'est bon de trouver de nouveaux amis sur son chemin.

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Un bouquet d'hellébores blanches...









13 décembre 2021

Saut de puce

  

Photo Céleste


Les crépuscules d'hiver sont sublimes ici, dans la Drôme des Collines. Le ciel reste lourd et bas toute la journée, et soudain devient poète à seize heures. Musicien des couleurs. Enflammant l'horizon, et projetant une lumière étrange, presque surnaturelle, sur le chêne aux maigres feuilles. C'est beau, non ?
J'ai pris un temps d'inspiration derrière la vitre. Le moment m'a saisie. Tiens, j'y pense...aujourd'hui, c'est la sainte Luce. 
L'étincelle de joie des jours qui avancent du saut d'une puce. La fête des optimistes impénitents.  L'ingénieur son et lumière céleste a produit, pour la célébrer, un de ses plus beaux spectacles. 
Tout est déjà dit, du vivant, de ce mystère insondable du noir, du blanc et de l'arc-en-ciel. Et tout est pourtant à redire, chaque jour, parce que c'est un miracle.

Quand je pense que nos lointains ancêtres avaient peur chaque soir que le soleil ne reviennent pas le lendemain. Apeurés par ignorance.  J'ai perdu mes peurs une à une.
 J'ai appris à vivre en clarté. Les ombres mauvaises m'ont quittée. J'aime allumer des chemins de ma nuque à mes reins. Tracer du bout des doigts l'amour et le désir, qui tendent le ciel et les étoiles. Ouvrir l'horizon de mes bras. Et poser comme une framboise ma bouche sur ton coeur.
Le mien fait des sauts de puce en écoutant tomber la nuit. Dans tes bras elle sera douce et chaude comme un édredon de plume.

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09 décembre 2021

L'âme des pierres

Notre-Dame de l'Ermitage, Deux-Sèvres

        Les petites chapelles m'ont toujours procuré une joie profonde. Et depuis le temps que je les cherche, que je les visite, que je les épingle comme des papillons dans mon album photo, je ne m'explique toujours pas cette attirance. C'est mystérieux, l'attirance. 
Ce qui est certain, c'est que je n'ai que de doux souvenirs de ces petits temples pleins d'humilité, souvent nichés dans la verdure, ou perchés sur des hauteurs imprenables. 
Chateauneuf sur Isère
Saint Hugues, Châteauneuf sur Isère
        L'âme des pierres murmure des histoires incroyables au coeur des visiteurs qui égarent leurs pas près d'elles. Il faut parfois marcher longtemps. Grimper des chemins arides ou escarpés. Ou chercher un point, tout petit, sur un plan mal indiqué, au détour d'un bosquet. 
        Et puis, il faut s'asseoir, simplement, sur le seuil, avec un rayon de soleil sur la joue, pour goûter à l'extraordinaire de vivre. 

Un plaisir solitaire, ou en partage. Mais attention,  ne pas être trop nombreux, ou le charme se rompt. 
        C'est là, dans cette toute petite chapelle qui m'avait tant troublée, illuminée de l'intérieur par le couchant, que muni de son pendule, Blutchy m'apprit à sentir la vibration tellurique de ces lieux pleins de symboles. Ce fut un moment inoubliable, un instant de grâce.




        Avec Chinou, nous partageons cette même passion, elle les croque avec bonheur dans son carnet d'aquarelles. Elles ont une douceur presque vivante sous son pinceau. 




Où était-ce , Chinou? Je ne m'en souviens plus...


- C'est la chapelle de la Madeleine à Pezens.
- Ah ! merci Chinou. J'avais un trou de mémoire...

Et ce mur-clocher si particulier ?






La chapelle du Val Des Nymphes, à la Garde-Adhémar, m'inspira ce billet sur l'inattendu
Un lieu magique où l'on s'attend à voir surgir des elfes et des trolls sous chaque brin d'herbe...je suis sûre que Petrus s'en souvient.


La Balme, à Montvernier

        



        Parfois, depuis des années, on voit une chapelle tout là-haut,  dominant une route que l'on prend par habitude. 
        A chaque fois, on se dit : « Tiens, un jour, il faudra que j'y monte » Et puis un jour, allez savoir pourquoi, on emprunte un chemin de traverse pour, enfin, aller la voir de plus près...
        C'est ainsi que j'ai découvert cette petite merveille, au bout des célèbres lacets de Montvernier. (Connus surtout des amateurs de bicyclette)

    
    


Celle-là est sans doute une des plus haut perchées que j'aie visité. 
Comme un refuge après la mort de mon père. Un moment empreint d'une grande émotion.


Sainte Marie, Névache, Vallée de la Clarée

Notre Dame de Pitié, Noves


Ici, je sens encore sur ma peau la douceur de la brise provençale, et vibrer le chant des cigales, si présentes. J'y connus un joli rêve, une parenthèse d'évasion à un autre  moment bien compliqué de ma vie.
Peut-être le mot consolation donne-t-il une idée assez fidèle du sentiment éprouvé auprès de ces vieilles pierres ?






Dans celle-là, j'accompagnai une amie vers sa dernière demeure. Dix ans déjà...

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Et devant la beauté de celle-ci, je fus prise de pensées philosophiques sur l'absurdité des guerres et autres conneries humaines alors qu'il serait si simple de...

Chapelle du Pic, Saint Romain de Lerps



Je pourrais continuer longtemps... La dernière dont je vous parlerai tient davantage de la grosse cabane de berger que de l'édifice religieux. Et pourtant, mes parents aimaient y monter, car elle dominait toute la vallée de La Vésubie. On y avait une vue superbe. C'est sans doute là que, depuis l'enfance, j'ai senti en moi cet attrait mystique pour ces monuments hors du temps. Sur la photo, en 2005, je suis devant la chapelle, avec mon fils, et ma mère. 

Avec, en trait d'union de trois générations, l'âme des pierres.

La chapelle de la Trinité Saint Martin Vésubie.










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06 décembre 2021

Saisons



Subitement il fit très froid. Antonio sentit que sa lèvre gelait. Il renifla. Le vent sonna plus profond; sa voix s'abaissait puis montait. Des arbres parlèrent; au-dessus des arbres le vent passa en ronflant sourdement. Il y avait des moments de grand silence, puis les chênes parlaient, puis les saules, puis les aulnes; les peupliers sifflaient de gauche et de droite comme des queues de chevaux, puis tout d'un coup ils se taisaient tous. Alors, la nuit gémissait tout doucement au fond du silence. Il faisait un froid serré. Sur tout le pourtour des montagnes, le ciel se déchira. Le dôme de nuit monta en haut du ciel avec trois étoiles grosses comme des yeux de chat et toutes clignotantes.
Giono. (Le Chant du Monde)





Je me suis mise à aimer l'hiver, c'est fou comme on change, je me suis mise à aimer le froid, le vent, la neige, la fine dentelle de grésil qui souligne le chemin au petit matin. Moi la fille du soleil, l'adoratrice de Rhâ, je fais les yeux doux à Tefnout, la déesse de la pluie, de la rosée et des nuages. 
Ah les nuages, les merveilleux nuages, qui écrivent le temps mieux qu'un journal, en pleins et déliés au-dessus des falaises du Vercors. La bise noire, le brouillard qui drape ses voiles sur l'horizon. Et l'eau, si précieuse, source des sources, sous toutes ses formes. Le givre sur les sapins, les perles sur chaque brin d'herbe comme autant de diamants.

Je me suis mise à aimer toutes les saisons, bien marquées. Celle qui fait chanter les cigales et jaunir le gazon, et celle qui met l'or et le pourpre aux forêts. Celle qui déshabille les arbres, et celle qui les rhabille de vert tendre, dans une explosion de bourgeons. 

Certains se lamentent sans cesse, derrière leurs carreaux, en attendant que le « beau » temps revienne. 
Il y aurait des thèses à écrire sur la prétendue beauté du temps sec, l'été « belle saison » comme s'il y en avait de moches....
Ceux-là, les rageux, vivent comme dans une sorte de long transit inconfortable entre deux étés.  
Venez à moi, saisons mal aimées. 
J'aime déguster, à chaque minute, votre menu du jour.
Et ne croyez pas à une résignation devant l'inéluctable. Non, j'aime vraiment, de plus en plus, le gros temps cher à Brassens.  Je rends grâce simplement, d'avoir un toit, et des yeux pour admirer la nature quand elle change de vêtements.
J'aime le glouglou de la pluie sur les tuiles,  les dessins noirs des branches se découpant sur le ciel gris. C'est beau comme une estampe. J'aime les jours tellement courts qu'ils semblent timides, les nuits si longues qu'elles emmitouflent le monde dans leur ombre épaisse, piquetée parfois d'étoiles glacées.
Et c'est réjouissant, chaque jour, de ne rien attendre d'autre du temps qu'il fait, que le bonheur de ses variations. 

03 décembre 2021

Kyan

 






 J'avais acheté les billets pour ce spectacle il y a deux ans. Et de rebondissement en rebondissement, de report en report, Kyan nous a finalement donné rendez-vous mercredi. Peut-être connaissez-vous son visage un peu lunaire de petit garçon grandi trop vite, avec ses deux grands yeux d'écureuil tendre. 
Il s'est illustré, il y a quelques années déjà, dans une série appelée « Bref ». Le principe était simple : résumer en une minute une journée de la vie trépidante et morose d'un célibataire trop romantique et trop sensible pour ce monde. Le comique résidait notamment dans un flot de paroles ultra rapide impossible à comprendre pour un étranger apprenant la langue française.
Bref, j'adore Kyan.
Et le spectacle a tenu ses promesses. Une performance d'acteur seul en scène. Une très belle finesse d'écriture. Une heure et demie de rire, avec souvent le même débit que dans « Bref ».
Et puis, par moment, des touches de tendresse et d'émotion, à travers les souvenirs d'enfance. Ou dans l'hommage discret à son père, un vieil iranien bourru et plein de sagesse. Et rempli d'aphorismes solennels, aussi, comme tous les pères.
« Mon fils, au lieu de voler une orange, il vaut mieux planter des graines » disait-il. 
Ou encore : « Dans la vie, il faut être courageux et honnête ». 


« Quand on est ado, toutes les phrases que l'on nous répète deviennent des phrases-cultes » dit Kyan dans son spectacle.
Et c'est vrai, on s'est tous construit sur certaines phrases entendues, ressassées comme des mantras. Des phrases qui peuvent nous avoir donné confiance, ou au contraire affaiblis à jamais. J'ai repensé à mon père et à ses phrases. 
Lui qui disait souvent : « L'humour sauve de tout »...
 J'ai souri, et en même temps j'ai pleuré. Parce que le rire et les larmes ne sont jamais bien éloignés.

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Kyan Khojandy, 
Une bonne soirée

29 novembre 2021

D'âme à âme

 Le tableau du jour, avec sa frêle barque esseulée sur une grève, et son clair obscur lunaire, m'a ramenée à un voyage étrange que je fis il y a trois ans. Etrange, parce que je suis partie avec un de mes frères. Celui dont ma mère disait toujours, à demi-mots :  « Non, mais lui, c'est différent » ... Traînant le fardeau d'un handicap qui ne se voit pas, mais qui est là pourtant :  la peur sociale. La phobie des autres, de la sociabilité ordinaire et son cortège de contraintes. Une grande sensibilité, un peu enfantine, un cerveau très développé,  des paroles souvent cash, sans filtre, un coeur gros comme ça, et toujours cette difficulté à s'insérer, à s'exprimer. Il y a des étiquettes pour désigner ce syndrome, mais mon frérot n'est pas une étiquette.


Bref, c'est la première fois que nous partons tous les deux. Il s'est mis en tête de voir la Bretagne, qu'il ne connait pas. Et peut-être, aussi, secrètement, de revoir une certaine Bretonne, infirmière de son état, pour qui il a eu un crush, comme on dit maintenant. Je me dis que tout est possible...

C'est à Saint Nazaire, en longeant la plage, que j'ai pris cette photo. J'en suis assez fière. Elle conte une histoire.  Un souvenir resté extraordinairement présent. 

 Personne encore sur la plage à cette heure très matinale. La frange d'écume ourlée d'argent scintille devant la statue du Sammy, une oeuvre d'art américaine surplombant la baie.
Le sable de velours mat a la couleur du désert. Le ciel coule dans la mer comme de l'encre. C'est irréel. Epantelant. Superbe. La beauté joue pour nous sa musique en silence. Et encore, je ne te parle pas du goéland qui traçait de son aile une arabesque charmante, juste au-dessus du soldat sculpté. Imagine : un éclair blanc sur l'horizon bleu sombre...mais trop rapide pour une photographe de pacotille, subjuguée par son tableau.
Cette contemplation dure de longues minutes. Je n'ose bouger de crainte de dissiper le charme.
Je regarde furtivement le visage de mon frangin : il semble transfiguré. Comme éclairé de l'intérieur. Avec un sourire apaisé que je ne lui connais pas. C'est comme un tissu qui se déchire, laissant entrevoir un nouveau paysage.


On n'a pas vu la Bretonne. La possibilité d'une rencontre, quand elle a commencé à se concrétiser, lui a fait peur. C'était trop angoissant pour lui.
Mais durant ces quelques jours, et c'est sans doute cela, l'étrangeté heureuse de ce voyage,  j'ai connu mon frère. Vraiment connu, je veux dire. Compris. Comme jamais je ne l'avais connu ni compris au cours des cinquante dernières années. D'âme à âme. 
« Non mais lui, c'est différent »... Pas tant que cela, au final.
Rien que d'en parler j'ai le coeur au bord des yeux.







 Pour l'atelier du Goût.

Et si vous voulez en savoir plus sur le Sammy.

27 novembre 2021

Jusqu'au bout

 



Vaste débat philo, l'autre jour, avec mon amie Prudence et son mari, sur la chance et le libre arbitre...L'opiniâtreté, la persévérance, le courage, l'énergie constructive, l'esprit d'entreprendre, toutes ces qualités si précieuses sont-elles des chances, des diamants posés dans un berceau, ou sont-elles données à tout le monde, et dans ce cas, pourquoi certains les cultivent-ils et  d'autres pas ? Pourquoi certains en paraissent-ils si dépourvus, comme après un mauvais tirage à la loterie ? Pourquoi d'autres, au contraire, en semblent-ils bardés (de nouilles, pour paraphraser une expression populaire un peu triviale) ? Extérieurement, cela ressemblerait assez à l'injustice du destin. Mais ne doit-on pas essayer d'aller plus loin que cette apparence un peu manichéenne ?
Bref, le débat est sans fin. Il est des êtres qui rebondissent, qui saisissent les opportunités, qui vont de l'avant, et d'autres qui se laissent submerger par les difficultés et ne trouvent pas le ressort nécessaire au rebond. 
J'ai toujours pensé que c'était une grande chance d'avoir ce caractère de tête de mule qui va au bout des choses, et qui ne renonce jamais. Depuis quelque temps, cultivant ma confiance en moi, je me dis qu'il doit bien y avoir aussi un peu de mérite personnel, dans cette force que je convoque (non sans peine) pour réaliser mes désirs, mes aspirations profondes... Un peu de chance et beaucoup de travail. Un peu d'inspiration et beaucoup de transpiration. Dans quel pourcentage, personne ne saurait le dire. 
Du coup, tout imputer à la chance, ou au contraire tout imputer au travail, ne sauraient être que des positions extrêmes, et au final paralysantes, parce que rien n'est facile, rien ne va de soi. Et que l'environnement extérieur, les encouragements, le soutien des amis, c'est peut-être cela qui fait la différence.
Toujours est-il que la satisfaction profonde de m'être dépassée, d'être allée jusqu'au bout d'un projet, quel qu'il soit, a toujours été une récompense très douce aux efforts que j'ai dû fournir. 
Et c'est dans cet état que je me trouve aujourd'hui, où un de mes rêves devenu projet vient de se réaliser. 

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24 novembre 2021

Quand le temps s'arrête



 


Ce matin.
La fenêtre ouverte sur le jardin laisse entrer l'odeur d'un vieil automne qui craquèle la terre. Une odeur de mousse et d'écorce humide, de lichen et de feu de bois.
Le rideau se soulève sous la houle d'un léger vent frais. Il faut bien aérer, même quand il fait froid.
Soudain... une feuille craque. Un ombre passe...

Ooooh ! Mais que tu es mignon ! D'où viens-tu, toi qui ne sait rien des hommes et de leur monde fourbu ? Que fais-tu là, si près de notre maison ? 
Tu grignotes avec précaution, à côté du rhododendron. Un brin d'herbe ? Un gland ? Tu n'as pas l'air très goulu...

Tes oreilles sont deux paraboles qui captent le moindre son. Ta babine blanche te donne un air espiègle. Tu n'oublies pas de te mettre aux aguets., régulièrement, comme te l'a appris ta maman.  Ne t'inquiète pas : ici aucun chasseur ne pointe vers toi le feu de la mort.  Il y a juste deux imbéciles heureux qui te contemplent sans rien dire. La joie sait se poser sur les coeurs, quand le temps s'arrête. Elle n'a pas besoin de paroles. Le prodige est là, dans l'instant.

Tu regardes vers moi. Le clic-clac de l'appareil ne te fait pas fuir, mais il t'interpelle par moment, il me semble... Ce que tu restes longtemps ! C'est un vrai cadeau que tu nous fais. Ça doit faire cinq bonnes minutes que tu as investi ce coin du jardin, et ta présence lui a donné comme une lumière différente, sous le ciel plombé de novembre. 
Et puis soudain. Pfft ! Tu repars dans la colline. Comme tu es venu. Furtivement, tel un feu follet. Inconscient d'avoir semé tant de gratitude sous ses pattes frêles.

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A Miss Zen, qui se demande ce qui met en joie ses lecteurs en ce moment.

22 novembre 2021

On est bien


 



On est bien, bien, bien, mais alors ce qui s'appelle bien. Avec trois grands B. Je t'entends soupirer d'aise. On vient de planter des bambous. Cinq bambous superbes qui étofferont ce coin du jardin, dépouillé par la dernière tempête de neige qui a sévi il y a deux ans. Par la baie sans rideaux qu'on appelle l'aquarium, fenêtre large ouverte sur la verdure, on contemple notre travail. Encore emplis de l'odeur de la terre, des feuilles, des champignons, de cette belle pourriture noble qui ensemence et nourrit, le cycle de la vie, le terreau noir, les racines...
On a beau jardiner en amateurs, l'émotion est la même : au contact de la nature, les bleus à l'âme, les ecchymoses du coeur, tout s'envole. On oublie tout. On oublie à quel point on est pris pour des jambons par le flux ronronnant de la parole médiatique, qui nous harcèle de tant de bons conseils sirupeux pour prendre « soin de soi » : rester bien loin les uns des autres, surtout ne pas se toucher, ne pas s'embrasser, ne pas respirer autrement qu'à travers un filtre synthétique...Pauvre époque. Je le dis sans équivoque : on perd le sens. Vivre, ce n'est pas s'abstenir de prendre des risques. Surtout le risque majeur, celui dont on ne dit pas le nom, par pudeur idiote ou par peur mesquine. Vivre est une maladie mortelle. 
Le vrai sens de la vie, c'est les peaux qui se frôlent, boire dans le même verre pour lire dans les pensées de l'autre, sentir le roulis et le tangage de l'aventure humaine, sur un long fleuve fluide de sueur, de sang,  de lait, de larmes, de salive, de sperme, de cyprine. L'aventure de la vie, c'est de se mélanger, comme le sel à la mer, l'algue à la rivière et la graine à la terre. 
Alors on est bien. 





Pour l'atelier du Goût, il fallait placer les mots
Pourriture, amateur, jambon, ecchymoses, tangage, rideaux, équivoque, harceler, s’abstenir.

19 novembre 2021

Citadine intermittente









 Je t'ai dit mon rapport quasi amoureux à la ville ? Les petits matins brumeux sur Paris, ma mégapole préférée, avec juste un léger rayon floconneux et timide pour illuminer la cime des platanes... L'odeur du café et des croissants dans les petits bars de quartier...Les reflets des lumières sur les pavés mouillés, le soir. Le ballet incessant de cette foule de gens si divers, si colorés, si attachants dans leurs différences mêmes,  comme on peut en voir fleurir les trottoirs un jour de printemps. 
Et cette surprenante rencontre d'époques qui te saisit parfois au détour d'une place, d'une avenue...
Et les toits...La canopée géante des toits d'une ville, sur lesquels il se passe tant de choses...
J'ai toujours des yeux littéraires pour me repaître de ces amoncellements de bâtiments, de ces entrelacs de rues, de murs, de réverbères dans lesquels toute âme poète sent battre le coeur des villes. Un peu d'Hemingway, un peu de Modiano, un peu d'Anaïs Nin. J'ai adoré, à une époque, laisser traîner mon coeur entre béton et bitume juchée sur mon Chappy, enivrée des plaisirs adolescents qui firent de moi pour longtemps une citadine. 
Et depuis quelque temps, pour autant, je vis à la campagne. Je l'ai choisie en pleine conscience. J'aime cet écrin de chênes et d'écureuils dont je t'ai parlé souvent. J'en ai besoin. Je m'y sens moi-même.
La ville, ses théâtres, ses musées, ses ponts, sa foule, sa fièvre, m'attirent toujours, mais comme ces amants que l'on voit par intermittence, qui nous exaltent de plaisirs, mais dont on ne saurait partager la vie en permanence. 
C'est vrai, parfois, la grande ville me manque. Mais juste comme une amie qu'on ne voit plus, parce que nos chemins ont divergé.