29 janvier 2022

Les Monts du Matin

 



  A l'est du Rhône, à la hauteur de Valence,  des falaises monumentales barrent l'horizon telles des sentinelles. Ce sont les contreforts du mythique Vercors, ce haut-lieu de combats pour la liberté dont on se souviendra longtemps, je l'espère. 
Ici, on les appelle Les Monts du Matin. 
J'aime la poésie de ces mots. On y entend la lumière rose se faufiler entre les rochers, et illuminer l'aurore comme un décor de théâtre. En toute saison, c'est un spectacle changeant et féerique dont on ne peut se lasser. Si vous êtes observateurs, (avec un peu d'imagination) vous distinguerez, vers la gauche, une forme allongée. Les gens d'ici l'appellent la Momie du Vercors. 
Allez, je vous la montre de plus près. Regardez cette mine patibulaire, ce cou décharné, et ce corps bien entamé par l'érosion. Et pourtant, les Drômois l'aiment bien, cette vieille bique.



Je vis là,  à la juste lisière entre plaine et montagne. L'air des cimes vient baigner les soirs d'été de sa fraîcheur bienfaisante, loin de la fournaise de la ville. L'hiver, en revanche, les nuages s'accrochent au relief et nimbent le village de leur brouillard tenace.
Mais qu'importe. J'aime voir, chaque jour, passer les saisons dans ce décor qui me parle au coeur.
Des centaines de sentiers s'élèvent rapidement jusqu'aux plateaux herbeux, longent des à-pics d'où l'on aperçoit toute la plaine. Parfois l'on se retrouve roi du monde au-dessus d'une mer de nuages. Et tout cela, à seulement une demi-heure en voiture...


C'est un paradis de nature, de calme, de beauté.
Les animaux s'y ébattent en liberté, chamois, vautours, gypaètes, renards, et le cerf y brame à gorge déployée chaque automne.
Au détour d'une combe, on peut découvrir une abbaye cistercienne nichée dans la verdure. 






Ou une barque bleue sur un étang gelé.




J'aime cet endroit. Je vous en parlerai encore.


Promis.













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23 janvier 2022

Cette obscure clarté ...

Pour l’atelier du Goût. Ce personnage, sur le tableau, reste dans l'ombre. Terriblement seul et comme en dehors de sa propre vie. Il a évoqué en moi un bouquet de réflexions sur cette dualité ombre-lumière si symbolique.




Vous l'avez remarqué, les personnages de fiction s'empêtrent souvent dans des galères sans nom. De macabres machinations, des combines sordides. Des impasses mal éclairées. Sans ces filandreuses aventures, où le coeur du lecteur comme du spectateur se soulève à chaque page, avec un petit frisson de peur ou de dégoût, on s'ennuierait, sans doute. 
Il n'y a pas à dire, les situations cornéliennes, les imbroglios invraisemblables, les sombres héros de l'amer ont toujours bonne presse. C'est sur ce postulat que sont bâtis la plupart des romans et des films.
Mais dans la vraie vie ? 
Dans la vraie vie, cela existe aussi, évidemment. 
Qui n'a jamais eu de zone d'ombre ? Des petits mensonges ? Un jardin secret ? Qui a traversé toute son existence nimbé d'une auréole de vérité sans jamais déraper ?
Même votre Célestine préférée ne prétend pas être, ni avoir toujours été, une sainte dans sa niche. J'ai aimé, parfois, cultiver le mystère, flirter avec la frange, sentir le doux vertige de la bascule du côté obscur de la force. Mais c'étaient les effarements imprudents de la jeunesse.

Je pense souvent à mon amie Vianne, qui, elle, a construit toute sa vie sur un mensonge. Eternelle adolescente en mal d'émotions fortes, elle a eu une liaison puis est revenue auprès de son mari, tout en promettant la lune à son amant. Qui est la proie ? Qui est l’ombre ? Elle mène depuis des années une danse infernale dont elle est devenue prisonnière, ne sachant pas choisir entre ses deux hommes, ses deux maisons, ses deux styles de vie. Je me demande comment l'on peut réussir à tenir cette intenable balance, n'étant jamais bien nulle part, ni avec l'un, ni avec l'autre. Sont-ils dupes de ce ballet ? Je me le demande aussi…
Elle me fait penser à ces biches au regard inquiet, jamais posées, jamais tranquilles, toujours sur le qui-vive et les nerfs à fleur de peau a chaque froissement d'herbe. 
Quel goût peut avoir la vie quand on craint à chaque instant de se trahir, de gaffer, d'être pris(e) en flagrant délit de tromperie, de duperie ? En flagrant délire, devrais-je dire, car pour moi c'est une folie.
J'aime mon amie. Mais je ne parviens plus à cautionner ses micmacs, ses manoeuvres pour donner à ses actes une apparence de normalité. Je refuse désormais de lui servir d'alibi comme au temps où je croyais sincèrement lui rendre service. 
Regarde-toi, mon amie, tu n'as pas bonne mine. Ta vie en pointillés ne t'épanouit pas. Tu fais souffrir par tes absences et ton imposture les deux hommes qui t'aiment. Et si tu choisissais enfin celui avec qui tu veux vivre, avant de te retrouver seule dans la rue par une nuit sans lune ? Délaissée par les deux...
Rien n'est enviable dans ce miroir truqué à deux faces. Laquelle de tes vies est le brouillon de l’autre ? 
Je te plains vraiment, en vérité, d'en être toujours réduite à mentir. De n'avoir plus la force de changer. De n'avoir toujours pas compris, au bout de toutes ces années, combien il est vivant, et réjouissant, d'être en plein soleil, dans la lumière, en plein accord avec soi-même. Je te plains parce que je t’aime.


Pour l’atelier du Goût.

17 janvier 2022

Des champs d'étoiles


 


Je suis née à Barcelonnette. Mon frère fut mon premier héros. Nos jeux d'enfants couraient dans des collines roses et grises, les amandiers en fleurs se miraient dans les torrents constellés de saumons. C'était la montagne âpre du Queyras, où le ciel se fendait de gel chaque nuit d'hiver, et où les étés s'amoncelaient dans les champs en gerbes d'or.
C'est là que j'appris à aimer les étoiles. Et les blés.

Un jour pourtant, car tout a toujours une fin ...  mon père annonça une catastrophe : il était muté à la ville. Nous connûmes alors les délices doux-amers de la vie en appartement, où l'on écarquillait les nuages pour entrevoir la lune, à travers les vitres exiguës de nos chambres étroites. Les immeubles d'en face nous gâchaient la vue, nous cachaient la vie.
Il fallait marcher en chaussons, à cause des voisins. Jouer à la balle en mousse, s'entourer le coeur de peluche, pour absorber nos colères et nos cris de joie. Je me réfugiai dans la lecture, la seule activité acceptablement silencieuse qui pouvait m'emmener de liane en liane sur des galions voguant sur des mers émeraudes, à la découverte de contrées lointaines où des princes mouraient d'amour, juchés sur des éléphants.
C'est là que j'ai appris à aimer les livres. 

Aujourd'hui c'est là que je vis. La maison est juchée sur un tapis d'herbe craquante, entourée de chênes pubescents. Un fin rideau de calme frémit au moindre vent : ce sont les acacias et les pins qui ondulent. Les crocus étoilent les sous-bois.
Je joue à d'autres jeux, mais la joie est intacte.
Sur mon épaule, le bras doux et puissant de l'amour a remplacé la main de mon frère. Tes doigts forment un panier où je dépose mes mots, infini de l'instant, inaltérable source.
Les étoiles, les livres et les blés ont un pris un goût incomparable.


Tableau d'Angeles M. Pomata





Pour l'atelier du Goût.

13 janvier 2022

L'année des cygnes

 

« Un cygne, c'est comme un 2 avec des ailes » Lucas, 8 ans.


J'ai toujours aimé la ressemblance du cygne avec le chiffre 2. La majesté de ce cou joliment façonné par la nature prend toute sa beauté, chaque soir, à 22h22, où je ne puis m'empêcher de voir, sur le cadran numérique, une procession parfaite de ces volatiles gracieux. Effleurant doucement la surface du temps. 
Cette année, quelle chance, ils vont nous accompagner un court instant, si l'on veut bien considérer qu'une année terrienne n'est qu'un souffle, un soupir dans le cosmos. Ces trois cygnes-là ne reviendront plus avant...2122 si je ne m'abuse. Quant à l'alignement parfait de 2222, je crains que notre engeance ne soit plus là pour voir ça...
Et c'est justement en pensant à tout cela qu'hier soir, j'ai eu une conversation passionnante avec une de mes nièces chéries. Cela portait sur les signes (ah, l'heureuse homonymie !) que la vie place subrepticement sur notre route, et que nous décidons de voir ou non. Je serais assez baudelairienne sur ce coup-là : «La nature est un temple où de vivants piliers, laissent parfois sortir de confuses paroles, l'homme y passe à travers des forêts de symboles, qui l'observent avec des regards familiers»...
Je trouve tellement plus amusant d'y prêter attention, tellement plus poétique  d'ajouter un peu d'irrationnel dans ce monde robotisé et si peu drôle.
Le grand Albert Einstein, ne disait-il pas que « les coïncidences sont une manière pour Dieu de rester anonyme » ? Einstein, quand même... Un mathématicien avec de l'humour, c'est délicieux...J'ai repensé à mon prof de maths de cinquième, celui qui m'a fait aimer les maths, avec son regard bleu et ses petites fesses qui bougeaient joliment sous son patte d'eph quand il écrivait ses équations au tableau d'une main assurée. Mais je m'égare...
Bref, ma nièce me confiait les subtiles coïncidences qui émaillaient sa rencontre avec un garçon en qui elle a tout de suite reconnu l'Amour.  Le vrai. 
Nous nous sommes mises à nager en pleine synchronicité. A vibrer à la même fréquence. Je faisais des parallèles avec ma propre histoire.
-Tu te rends compte, ma Tia, (oui c'est comme ça qu'elle m'appelle), combien la vie est merveilleuse, si l'on prend garde à tous ces signes ? 
S'ensuivit une longue liste de concordances et de simultanéités incroyables. Que les cartésiens auraient aussitôt classés dans les purs hasards sans signification statistique. Peuh ! les pleutres...
-Et tu ne devineras jamais quel livre lui a été offert, ma Tia, alors qu'il ne te connaît pas : « The Celestine Prophecy » un livre qui parle justement...des signes. 
Quoi qu'il en soit, y réfléchir permet de développer son intuition.
Qu'on les attribue à la providence, à l'univers, au destin, à Vichnou,  à toute forme d' intervention surnaturelle, ou à l'influence de la masturbation des crabes sur le recul des falaises, peu importe. Personnellement, je crois simplement à l'hypersensibilité en tant que don magnifique. Les intuitions sont surtout d'excellentes balises de vie, à condition de savoir les écouter et les déchiffrer. Ça m'a plutôt bien réussi jusqu'ici.


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10 janvier 2022

Volutes de souvenirs






 En ce temps-là, j’étais un peu bohème, et je chantais le soir dans un sombre pub de Little Italy, à l’angle de Mulbery et de Hester Street. Le cabaret s’appelait l’Alouette bleue.

J’avais la hanche gironde, et mes seins blancs, moulés dans des robes évanescentes à la Jean Harlow, transformaient la gent masculine en pauvres loups de Tex Avery, les yeux exophtalmés et la langue pendante. C’était du délire dans la salle quand j’attaquais une pole-dance lascive autour du pied de micro, tout en chantant « C’est si bon ».

J’apparaissais dans un nuage de fumée rose, et je baguenaudais sur des rythmes suaves de blues et de smoothy-jazz, cependant que les mâles du premier rang s’agrippaient à leur verre de old bourbon comme à des bouées de sauvetage. 
C’est à ce moment précis de mes incertaines errances américaines que je fis la rencontre du Gentleman des plaines. Nos flâneries noctambules nous avaient amenés sur la même rive de l’Hudson, à contempler les mêmes eaux noires, un soir de mai.

Lui, chien de prairie, prisonnier d’un passé nébuleux, ivre de route 66, de country music et de grands espaces, jaunis par la chaleur et le sel, où William Cody faisait pacager ses mythiques troupeaux de cornes.

Moi, libellule de comptoir, aux yeux de poupée agrandis par le rimmel fondu et les cernes des nuits sans sommeil. Deux parias de la vie. Nous nous payâmes un road movie en liberté digne de la MGM dans un remake de Kerouac. Il m’offrit avec enthousiasme un aller simple pour une love story céleste et unique, plaquant sur ma bouche un baiser de circonstance, mi-Bogart, mi-Brando. Je fondis comme un ice-cream hollywoodien.

Je ne l’ai jamais revu…Certains disent l’avoir aperçu un jour sur un trottoir de Brooklyn. D'autres affirment  qu'il tiendrait un blog. Mais rien n'est certain.
Moi je sais qu'il se reconnaîtra toujours dans mes lignes, même des années plus tard.



Pour l'atelier du Goût

Et Sarah Vaughan pour la musique d'ambiance

04 janvier 2022

L' écume des jours

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 L'écume des jours, c'est ce qui reste de nous comme digne d'être dit, partagé, raconté, et enfin placé sur les étagères du souvenir. Ce sont les petits riens qui tissent les grands liens.
L'écume des jours se ramasse délicatement, chaque soir, avec une épuisette extraordinaire, celle de l'attention à l'autre. Une écumoire retenant le fort, l'important, le magique, et laissant filer le dérisoire à travers ses trous bien réguliers.
S'il était une seule résolution de janvier, dans mon panier d'intentions pour l'année naissante, ce serait celle-là : partager chaque jour, avec mes aimés, un détail, une photo, un message. Une phrase tirée de lectures, une toile d'araignée surprise dans la rosée de l'aube. Un appel spontané et sans attente.
Le Noël dernier m'a donné l'occasion de réfléchir à tout cela.
Ne pas attendre de se revoir. On croit qu'on aura tout le temps de dire tout ce que l'on a loupé depuis deux mois, mais rien ne vient. On ne rattrape jamais ces moissons quotidiennes de petits bonheurs, d'anecdotes délicieuses, ils s'envolent tels des phalènes dans une nuit chaude. Dissous par le temps, ils ne supportent pas d'être mis en conserve, ils se dégustent dans la pleine fraîcheur de l'instant.
Nous ne sommes plus au temps des correspondances épistolaires de Madame de Sévigné, bien sûr. D'aucuns le regrettent. Mais poster une lettre par jour, qui le fera ?
Heureusement, les moyens de communiquer fleurissent sous nos doigts, à nous de les saisir. 
Gardons le lien, soyons des diaristes, tissons ce petit fil de chaîne en organsin, léger, mais solide et torsadé, cultivons l'amour en distanciel, faisons du présentiel une éclaboussure de joie. 
Et, pour n'avoir pas perdu le fil,  goûtons à la délicieuse impression, quand on se revoit, de s'être quittés hier, riches de nos expériences mutuelles.



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Pour l'atelier de Filigrane, merci à la Licorne.

01 janvier 2022

2022











A tous les paresseux du sourire, les étiolés du zygomatique, les désaimants, les blasés, les désabusés, les désespérés, les réalistes, les pessimistes, les pauvres en humour, les sous-doués du bonheur, les bâillonnés, les sourdes oreilles, les haineux, les arrogants, les grinçants, les sarcastiques, les ambitieux, ceux qui savent tout, ceux qui prônent, ceux qui n'ont plus d'envies ni de désirs, ceux qui pontifient, ceux qui proclament, ceux qui exhortent. 
A tous ceux qui pensent qu'il est vain, pusillanime, enfantin ou idiot de formuler des voeux au jour de l'an, j'ai envie de dire :
Et si vous regardiez autour de vous ? Mais vraiment. Du fond des yeux, du fond du coeur ? En oubliant ce que vous croyez savoir ?
Si vous empruntiez des chemins détournés, si vous buviez aux fontaines et faisiez couler du sable entre vos mains comme de l'or ? Si vous vous remettiez à sauter dans les flaques ?
Combien le monde, soudain, dans les mille miroirs qu'il nous tend, vous paraîtrait plus beau ! Si vous vous mettiez tout doucement à croire, en ce que vous voulez, mais avec force et ardemment ? Si vous arrêtiez de heurter du bout du pied les mêmes cailloux, les mêmes seuils, pour changer d'horizon, de focale ?
En ce premier jour de l'An, mes lecteurs adorés, vous qui n'entrez, bien sûr, dans aucune de ces cases étroites que je cite au début de mon texte, je vous souhaite, plus que jamais, de respirer large et beau en cette nouvelle année.
Je vous souhaite des chemins de fourmis sur des terrasses blanches, des déjeuners de soleil sous des ciels éclatants, des torrents enivrés, des forêts d'eucalyptus et des montagnes de fruits mûrs. Des ruelles obscures et des concerts de jazz. Des sauts à la corde et des cascades d'ambre. Des nuits d'encre et des étangs de fées. Des sourires d'enfants, des mains chaudes, des pieds de nez, des yeux de Chimène et des joues de velours.
Je vous souhaite des rires, des larmes et du sel, du bonheur, de la fièvre et du miel.
Tout ce qui rend la Vie unique et habitable. 

Bonne année 2 0 2 2  !!!

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