27 février 2013

A trois cents à l'heure

 Nous respirons dans l'haleine
Du dragon Verbaudrimlaine...
Je ne sais pas vivre autrement qu'à cent à l'heure. Encore que cela soit une expression qui commence à dater...Pour donner une idée de la vitesse tourbillonnante qui est la mienne, il faudrait dire plutôt trois cents à l'heure... Tiens, comme ce TGV qui m'a emmenée dans la capitale pour une de mes escapades comme je les aime.
Je ne sais pas vivre autrement qu'intensément, et aspirer à grandes goulées cette vie toujours pleine de magnifiques surprises. J'allais dire inattendues. Un pléonasme qui me vient comme ça, naturellement, tant je suis toujours subjuguée par la vie et ses mirifiques détours. Toujours.
Ça veut dire aussi ne jamais me coucher, en vouloir toujours plus, ne jamais être fatiguée d'ouvrir mes yeux. Rentrer de trois jours de folie et avoir encore envie de repartir. 
-Tu n'es pas fatiguée?
-Fatiguée de sourire? Fatiguée de voir de belles choses? Des couchers de soleil, des arbres et des cygnes voguant sur des lacs clairs? De rencontrer des gens passionnants? De vivre des expériences uniques? D'avoir cette chance de savoir cueillir la moindre fleur de givre au bord du chemin, comme un cadeau? Ce qui me fatigue, allez, je le sais bien. C'est le quotidien, la routine, la mesquinerie, les petitesses. Mais Vivre! ne me fatiguera jamais. 
Sentir battre la pendule, la sentir s'affoler comme un cheval qui s'emballe. Je mourrai sans doute d'un excès de vie. 


  Et nos amours
       Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
La Seine est bien sûr horriblement polluée, et puante,  mais moi j'y ai vu le gris ruban d'argent des amours éternelles sur le Pont des Arts. Le ciel était sans doute morose, mais j'y ai vu le bas couvercle baudelairien me faisant un clin d'oeil de soleil à travers des nuages effarés comme dans un tableau de  Sisley.

Je suis comme ça: pas assez de temps à consacrer au gris, au moche. Trop de beautés me meuvent, m'émeuvent chaque jour...

Plus que jamais, le sentiment d'urgence me saisit à la gorge. Chaque jour qui passe renforce ce sentiment. Ça y est, je suis entrée dans la conscience de l'urgence. Je vieillis. Le sentiment que le temps perdu ne se rattrape guère, ne se rattrape plus, que la vie c'est maintenant, qu'il ne faut jamais remettre à demain un plaisir que l'on peut s'offrir avec une seule (Rhôôô! l'humour cancer facile! comme dirait un ami à moi) euh...que l'on peut s'offrir aujourd'hui. Pendant que l'on a encore ses deux bras, ses deux jambes, un coeur, un corps, un cerveau qui fonctionnent...et cinq sens bien ouverts! 

Je regardais dans le métro tous ces gens au regard fixe, perdus quelque part au fond de leurs rêves avortés peut-être, étouffés par  leur vie qui n'a pas pris le chemin qu'ils auraient voulu. Résignés. Et puis de temps en temps, des êtres qui détonnent parce qu'ils sourient. Et que tout le monde regarde d'un air bovin. Et moi, avec ma petite musique intérieure, qui sait bien qu'on va lui dire "crise, chômage,  traites, fins de mois difficiles, patrons, hausse des prix, gauche, droite, insécurité, incertitudes, difficultés..."
Même si, comme le dit si bien Avalon dans un commentaire plein de pondération et d'humanité "La valeur d'un être humain ne se pèse pas dans un croisement de regard mais bien au plus profond du chemin de son être.

Mais Vivre! Que pensez-vous de ça? Etre pleine de gratitude pour avoir reçu ce don: un désir créateur, un souffle puissant qui éclabousse toute mon existence. (et peut-être un peu celle des autres)

Oui, je sais, quand je pars dans le lyrisme, je frise le ridicule.M'en fous, j'assume.

Les mains dans les mains restons face à face
            Tandis que sous
       Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse




23 février 2013

Un instant d'égarement

LOGO PLUMES2, lylouanne tumblr com
Asphodèle nous propose avec bonheur le thème de la Passion

17 mots plus chauds les uns que les autres...

obsession – fruit – calvaire – égarement – film – érotique – feu – intense – gouffre – fusionnel – folie – rouge – vertige – fulgurance – danser – délicieux – dément .

***


Mademoiselle se fait des films


-A quoi rêvez-vous, mademoiselle Hortense ? Je vous vois toute songeuse.
-Mon Dieu, Lison, mes rêves ne sont pas dicibles, je serais rouge de confusion si seulement tu connaissais mes obsessions…
-Dites, voyons, Mademoiselle. C’est Monsieur Henri, n’est-ce pas ? C’est vrai qu’il est joli garçon…
-Ah, Lison, Monsieur Henri est délicieux, je ne te dis pas le contraire. Il a un sourire charmant, il m’emmène danser le dimanche dans les guinguettes du bord de Marne…
Mais vois-tu, ce dont je rêve, Monsieur Henri ne saurait me le donner, avec sa petite moustache ridicule, ses cheveux séparés en deux et gominés sur son crâne, et ses mains blanches.
-Mais alors ? De quoi rêvez-vous ? Mademoiselle, dites…
-Je rêve… Ah, Lison! Je rêve d’un homme fascinant au regard incandescent qui m’enlèverait dans ses bras forts. Ses cheveux flotteraient au vent. Il m’emporterait serrée contre lui sur son cheval dément,  de landes échevelées en calvaires dressés sur un ciel d’encre. Nous vivrions une folie fusionnelle, dans un vertige incessant qui mettrait du désordre à mon cœur. Je rêve, tu comprends, de connaître la fulgurance de la passion, le gouffre amer des nuits blanches, et le feu érotique qui dévore le corps. Je rêve…de fruits défendus, Lison. Je veux perdre la tête, me rouler dans l'herbe, impudique et lascive. Je veux vivre l’Amour...intense et épuisant.

- Eh bien, vrai, Mademoiselle Hortense…Vous êtes toute pâle ! Allez-vous tout à fait bien ?... Mademoiselle !?

-…Un instant d’égarement, Lison… Mais viens donc, donne-moi mon ombrelle, je vois Monsieur Henri qui vient…

20 février 2013

C'est pas une vie!

Moi je vous le dis, ce n'est pas une vie d'être fée à plein temps. Hé, mais , vous croyez quoi? Que ce n'est pas la crise aussi pour nous, les fées? 
D'abord, le prix de la baguette, qui n'a cessé d'augmenter en flèche depuis des années. Les pluies d'étoiles, oh la la!  ma pauvre dame, on ne peut plus les avoir comme ça, il faut faire des demandes en trois exemplaires, et attendre le récépissé B 412 avant de lancer la commande. 
Notre syndicat, le S.N.I.F* ne fait pas grand chose, Il est d'un immobilisme navrant même,  j'ai dans l'idée que les responsables sont à la solde du pouvoir en place...Mais bon, je dis ça, je ne dis rien, pour parler comme tout le monde.
 Les compressions de personnels font que l'on ne sait plus où donner de la tête! Tenez, moi, demain, je n'ai pas moins de 125 berceaux sur lesquels me pencher, vous croyez que ce soit raisonnable? Moi, je suis désolée, mais je suis une fée ancienne méthode, les cadences infernales, ce n'est pas mon truc. J'aime le travail bien fait. L'artisanat, quoi, le goût de la belle ouvrage. 
Et je ne vous parle pas des philtres au rabais que l'on trouve sur le marché, en provenance des pays de l'Est. J'ai rien contre les pays de l'Est, c'est sûrement très joli la Roumanie, mais quand même...C'est du frelaté,  vous ne me direz pas**,  comment voulez vous appliquer un sortilège correctement avec un tel produit de seconde zone? Tout bonnement impossible. Evidemment, la composition ne stipule jamais si le sang de boeuf a été remplacée par de la morve de cheval...A qui se fier? j'ai lu ça dans les journaux. 
Bon c'est pas tout ça, je bavarde, je bavarde, mais là je dois y aller. J'ai dans mon carnet de commandes un retard phénoménal. Je ne sais même pas par quoi commencer.
Vous n'auriez pas une idée?




*SNIF Syndicat National Improbable des Fées
**barbarisme du midi de la France

17 février 2013

La Grande Implosion






Mars 2070

Quelques hommes se risquèrent au-dehors pour la première fois, quittant les abris telluriques, où ils s’étaient réfugiés lors de la grande Implosion. Leur peau blafarde et leurs maigres doigts témoignaient de leur long temps sans soleil, nourris aux éclairages artificiels et aux poudres synthétiques. Ils avaient oublié le bleu, le vert et l’ocre. Ils avaient oublié le vrai et le fulgurant, l’immense et l’éphémère. Des vies de légumineuses. Ainsi, dehors, la vraie vie avait repris ses droits…
La mer les éblouit.Ils avancèrent prudemment sur la grève, en tapotant du bout de leurs orteils le sol mouvant.
Une bouteille roulée de mer clapotait  entre sable et eau. Elle contenait une simple feuille photocopiée. Le plus vieux, qui semblait être aussi le plus courageux, lut péniblement les mots inconnus tracés à la main.


Les Sentiers, et les Blés, et  l’Herbe, et la Rosée…Ses poumons se défroissèrent comme au premier matin du monde. Tous ces bonheurs oubliés...Il lui faudrait les réapprendre aux Terriens de la  Nouvelle Ere.
Les mots roulèrent une larme sur le parchemin de sa joue.
 Le Vent, et la Fraîcheur... l’Été et la Bohème, 
Et l’Âme, et la Nature, et la Femme et l’Amour…
D’autres larmes jaillirent…Mais qu’ avait donc permis cette folie des hommes ? Dire qu ’il fut un temps immémorial et doux où cela existait…
Il se releva péniblement.
Derrière la feuille, une autre écriture avait tracé ces mots : « Pour que l’on n’oublie pas… »








Pour le défi du samedi, il fallait ouvrir la bouteille à la mer.
Merci à NuageNeuf de m'avoir fait découvrir ce beau manuscrit de Rimbaud.


15 février 2013

Pluie de météorites

Il paraît qu'une pluie de météorites est tombée quelque part sur terre. J'ai entendu ça aux infos ce matin. Je ne sais si les deux événements sont liés, mais une pluie de messages"indésirables" appelés poétiquement "Spams" s'est abattue sur mon blog. Ce matin, j'ai subi une attaque en règle: pas moins de 25 messages en mauvais anglais sur le simple billet "Manque" , mon dernier billet publié hier soir.
Je me suis dit que c'était peut-être un signe du destin...
Je n'ai pas trop envie de blinder l'accès aux commentaires. Ces codes cabalistiques où l'on s'arrache les yeux à déchiffrer des lettres et des chiffres qui ne veulent rien dire. Pour vous, mes chers lecteurs...
J'ai supprimé le billet, et puis j'ai eu un message de Walrus qui a eu le temps de lire mon billet et qui l'a aimé. Alors je retente le diable...



 "Elle avait déjà tellement dit le manque...Ce sentiment orphelin qui emplit le cœur de vide. Cette injuste langueur d'attente d'on ne sait quoi, qui empêche d'avancer vers un meilleur, et bloque les rouages de son sable crissant.
C' était une vrille qui lui transperçait l'âme. 
Elle savait que le manque était inéluctable à la vie. Dès que l'on frôle, dès que l'on effleure, dès que l'on tisse un lien, on s'accorde le maléfice du manque. On s'expose à sa morsure. A sa brûlure. Il lui fallait admettre que les êtres vont et viennent. Et que rien n'est acquis, ni figé.
Le poète avait écrit: "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé"...une phrase forte et sublime, qui peu à peu s'était vidée de sa substance par un emploi tous azimuts. Elle en faisait presque rire certains, maintenant, de ce rire cruel qui ne sait pas de quoi il se moque. Qui ne connaît pas les aiguilles qui s'enfoncent dans le coeur d'une trop sensible, d'une trop aimante. 
On ne se moque pas d'un manque. On le prend au creux des mains, on le comble par des mots...
Il ne faut pas trop user de certains mots. Sinon ils deviennent transparents comme des soies élimées trop étreintes, trop lavées, trop portées.
Certains mots ont besoin de rester un peu sauvages et solitaires sur la plage des pensées.
Elle ne voulait pas trop y penser.
Mais certains jours de faible lune, le manque devenait coup de poing, nausée, céphalée, souffrance. 
Son estomac semblait vouloir sortir, et ses poumons se ratatinaient.
Elle prenait alors le chemin de la dune, et là, dans l'infinie douceur des vagues épousant le sable, elle reprenait vie à se laisser conter par l'océan les renouveaux et les oublis.
Mais elle n'essayait plus de lutter contre le manque. C'était inutile. Lutte-t-on contre une contraction utérine? Contre un spasme ? contre un sanglot ? 
 Mieux valait s'allonger sur la grève tiède, sous la voûte stellaire et attendre que le flot arrive, l'envahisse, la submerge, et puis décroisse jusqu'à s'en aller pour un temps.
En tenant une main amie. 
Elle tentait alors de s'accrocher à la lumière des étoiles. De filer le satin du temps pour d'autres joies en devenir. Le manque revenait. C'était trop tôt. Un jour, plus tard, la houle sombre qui courait sur les  flots de son âme s'apaiserait. Et ce manque-là ne serait plus qu'un poing violet sur l'horizon turquoise.
Mais dans combien de temps?  "

12 février 2013

Interrogation orale

Dans la cour, j'aurais été de service avec Mélodie, ma jeune et sémillante collègue. Elle m'aurait posé des questions sur le métier. 
Je me suis toujours fait une règle de répondre aux questions des jeunes collègues. L'éducation est un art qui se transmet, c'est mon côté Compagnon du Tour de France...J'ai raconté une fois comment mon métier me faisait penser à l'art du luthier...dans un billet intitulé Performance ou exigence...

Alors voilà quelques unes de ses questions. Assez intéressantes pour me faire parler de ce métier que j'adore.
Et d'abord, quand cela s'est-il imposé à moi? Être "maîkresse" ça s'est imposé à moi depuis toujours, je crois...Et je n'ai jamais regretté ce choix une seule minute...Pour reprendre une de tes excellentes phrases, Mélodie, je dirai que ce métier me permet de dorloter, de m'occuper de la petite fille qui est en moi...

Quelle est la première chose que tu  fais en arrivant à l'école?  Je regarde le ciel au-dessus du bâtiment. Je regarde les arbres de la cour, j'écoute le bruit du temps. Je m'emplis d'énergie pour ma journée. Et la dernière chose, le soir?  J'éteins les lumières. Je dis au revoir à mon bateau, un peu émue.

Quelle manie de tes élèves te hérisse le poil? Je vais sans doute te paraître étrange, mais aucune. J'ai définitivement compris que l'on ne peut pas demander à un enfant d'être autre chose qu'un enfant. Les enfants bavardent, ils se bagarrent, ils trichent, ils copient sur le voisin, ils fabriquent des lance-pierres, ils ne font bien que ce qu'ils aiment, ils changent d'avis, ils mentent pour se protéger, ils croient qu'il suffit de penser très fort quelque chose pour qu'elle arrive...Sont-ils si différents des adultes?
Mon rôle consiste à les faire grandir ... Et on ne grandit bien que dans l'amour.

Quelle petite manie de tes élèves  t'attendrit? Leurs dessins spontanés. Les « Tu es la meilleure maîtresse de toute ma vie»...si je les avais tous gardés, j'en aurais des milliers...Je pourrais en tapisser tous les murs de la maison.

Et chez les collègues? Ce sont leurs différences qui m'attendrissent. Leurs personnalités si riches et si différentes. Leur humanité. Et le fait que, malgré tout ça, nous formions une équipe.

Une bonne journée d'école, c'est quoi pour toi? C'est une journée où je me dis que j'ai transmis. Où j'ai entendu "ah!!!j'ai compris!!!" au moins une fois. Où je sais que j'ai accompli ma mission.

Et si un parent te dit, agressif : "Moi, monsieur, si j'avais un tel nez"...euh,non je m'égare...s'il te dit  "Mais enfin, ils ne sont pas surveillés!" Je lui réponds: "C'est vrai, je ne surveille pas,  je veille!  Je préfère la bienveillance à la surveillance. Question d'éthique."
En général, dit comme ça, avec un sourire fondant, ça calme.

Une révolution dans ta façon d'enseigner, ce serait quoi? Là encore, je vais sûrement t'étonner, mais 
je nage à contre-courant depuis si longtemps, en continuant à croire à ce métier, à l'aimer, à le porter haut et à défendre mes convictions...j'ai vraiment l'impression d'être dans une révolution permanente.  J'ai un cap, il est immuable. C'est cela, ma révolution, dans un monde de "changisme" aigu. Une révolution pacifique, tranquille, sereine et évidente comme celle de la terre autour du soleil, tu vois. 
D'où mon impression, bien souvent, d'être une extraterrestre dans la profession.

Et pour "décrocher", tu fais quoi? Je profite sans honte des vacances. (Tant que l'on en a encore!) Je me donne tellement à fond, dans ce travail, je n'ai aucun scrupule à me reposer quand c'est le moment. Mais cela n'empêche pas que, lorsqu'un beau matin de juillet, j'entre dans un musée, une galerie d'art ou une librairie, je me dise en moi-même la phrase culte "Tiens, ça pourrait servir en classe..." 

Est-ce qu'on décroche jamais d'une seconde nature?

Voila, ce qu'à peu près, ma chère Mélodie
Je t'aurais répondu, dans la cour, ce mardi.

***

1.Pour mes livres, j'en avais déjà parlé    ici.....
2.Merci à Véronica pour m'avoir fait découvrir la musique merveilleuse que vous écoutez.
3. Je dédie ce billet à Petit Belge, Adrienne, Oizo Jaune, Chabada, Cathnounourse, Berthoise, Zenondelle, Margotte, Joye, Avalon, Sabine, Hélène, Epistyle, Mammilou, Marie-Madeleine, Catherine, Jack, FD, Croukougnouche, Teb, Antiblues, Coumarine, Jeanne et bien sûr à Mélodie, qui m'a gentiment taguée. Bref, tous ceux qui savent ce que c'est que de se retrouver en face d'être humains avec la délicate mission de les former sans les déformer...Et pardon à ceux que j'aurais pu oublier...

10 février 2013

Rupture







Je crois qu'il vaut mieux
S'aimer un peu moins
Qu'on s'aimait nous deux
C'était merveilleux
Ton cœur et le mien



C'était un grand feu
C'était une flamme
Jusqu'au fond de l'âme
Jusqu'au fond des cieux


C'était un programme


Très ambitieux.



Aujourd'hui le drame
Pour toi et pour moi
C'est que notre émoi
C'est que ce mélange


Du diable et de l'ange
De chair et de cœur
De rires et de larmes,
C'est que ce bonheur
Soit monté si haut
On a eu si chaud
Là-haut dans l'espace
Que le temps qui vient


Que le temps qui passe
Le tien et le mien,
Ne nous promet plus

A sa table ouverte
D'autres découvertes
Nous sommes tout nus...


On n'est pas déçus


On n'a pas déchu
Nous sommes honnêtes
Ni marionnettes
Ni comédiens



On sait qu'un mensonge
Parfois fait du bien
Mais celui qui plonge
Jamais n’en revient
C'est une autre vie
Il faut tout revoir...



...


...

On a été fous


On redevient sages
On a pris de l'âge
On s'est beaucoup dit
Très peu contredit
Nos rêves plafonnent
Le pied au plancher




Ils se téléphonent
Sans être branchés

Il faut être artiste
Jusqu'au bout des doigts
Pour sculpter des joies
Quand la chair est triste...


...



...



...




Pourtant je redoute
Donne-moi la main
L'endroit où la route
Part en deux chemins



Que nous allons prendre
Et, chacun le sien
Chacun va reprendre
Chœurs et musiciens...
Car nos vies s'arrachent


Nos corps se défont





Nos cœurs se détachent
Notre rêve fond.
On n'a plus de prise
On ne triche pas
Sur la neige grise
Chacun va son pas
On va décrocher
Au gré des caprices
D'un trop grand bonheur


Qui s'est amoché
Dont la cicatrice
Plus tard dans nos cœurs
Marquera la place
Car le souvenir
Va l'entretenir
Aviver sa trace
Avec en secret
L'immense regret


Que cette aventure
Ce moment parfait



Soit déjà défait
Et que rien ne dure.



Serge Reggiani




















La semaine dernière, ce cher Antiblues m'a gentiment taguée sur son billet "le musée des coeurs brisés"...Un drôle de musée où les gens apportent leurs souvenirs d'amours enfuies. Moi je ne sais garder que des mots...les miens, les siens, des lettres rangées au fond d'une boîte grise...ceux des poètes qui chantent les sentiments mieux que soi-même quelquefois...Rupture, ça rime avec blessure, fracture, déchirure. Ça fait toujours mal. Après, avec le temps, on s'habitue...Enfin, c'est ce qu'on dit...

07 février 2013

La clé

Maman est sortie dans le jardin. Tôt le matin. On est quelque chose comme début mars. A la montagne. Sur le gravier du parc, s'accrochent encore ça et là des croûtes de neige translucide qui n'ont pas fondu. Dans les zones d'ombre. Celles que le soleil ne parvient pas encore à atteindre Mais les crocus pointent leurs corolles violettes hors de la terre noire, vers les premiers rayons pâlichons de la fin d'hiver. Maman est sortie respirer l'air du matin, ou peut-être cueillir quelques fleurs.
Je suis restée dans la maison, une de ces vastes demeures construites au XIX° siècle par les Barcelonnettes, ces colons partis faire fortune au Mexique. J'ai trois ans. Je joue à la poupée. Soudain, un claquement bref me fait sursauter. La porte de l'entrée s'est brusquement refermée, mue par un courant d'air intempestif. 
Maman accourt, juste assez vite pour constater qu'elle s'est "fermée dehors" par imprudence. C'est une de ces vieilles portes en chêne qui pèsent deux tonnes, et dont le mécanisme d'ouverture est bien compliqué. Le choc a décroché le loquet: ma mère tourne la poignée dans le vide. Dans ces cas-là, on ne peut ouvrir qu'en tournant la clé dans la serrure. Elle m'appelle avec une voix qu'elle s'efforce de calmer. Mais au fond d'elle-même elle doit paniquer. 
-Va chercher la clé dans la cuisine! Elle est pendue au clou.
Je pleure. Je veux sortir, je lui dis que je veux sortir.Je veux maman! 
-Va chercher la clé, chérie. La clé!
Je pars en pleurant dans la cuisine. Mais le clou me semble à trois mètres du sol. 
Je retourne dire à maman que je ne peux pas attraper la clé.
-Prends une chaise, chérie, monte sur la chaise.
Je repars. La chaise n'est pas assez haute. Je retourne en pleurant toujours lui dire que la chaise ne suffit pas. Elle me dit de poser sur la chaise le petit tabouret. Elle doit imaginer le pire en pensant à sa petite fille perchée sur son échafaudage de fortune. Cette fois, j'arrive à décrocher la clé. Je ris à travers mes larmes, pauvre petite chose, je crois serrer un trophée. Je viens d'inventer Fort boyard.
Je redescends précautionneusement. Je reviens vers l'entrée. 
-Ça y est, maman, j'ai la clé.
-Mets-la dans la serrure,chérie. 
Je n'y arrive pas. La serrure est trop haute. Je retourne chercher la chaise dans la cuisine.
Après un ou deux essais laborieux, du fait de mes mains fébriles et des larmes qui me brouillent la vue, la clé entre dans la serrure. Mais je ne parviens pas à la tourner, c'est bien trop dur pour mes petits doigts. Je pleure de plus belle, je panique. Je veux sortir, je ne veux pas rester enfermée toute seule dans cette immense demeure.
Maman a fait le tour de la maison.Malheureusement, tous les volets du rez de chaussée sont encore fermés. Elle revient me dire derrière la porte qu'elle m'aime, et qu'elle va aller chercher un monsieur qui va ouvrir la porte.
-Reste bien sage. Attends-moi!
Je me mets à hurler, je ne veux pas rester seule, je pousse des cris de cochon qu'on égorge. Les voisins doivent se demander ce qui m'arrive... Et là, je ne sais pas comment, la peur décuple mes forces. En tremblant, le visage rouge et les mâchoires serrées, avec l'air résolu d'un gladiateur plantant son glaive dans le coeur d'un lion, je parviens à deux mains à tourner la clé dans la serrure et la porte s'ouvre... Maman!!!!
***

Cette scène de cauchemar est longtemps venue hanter mes nuits. Par bribes. Jusqu'à ce que le souvenir m'en soit revenu d'un coup. J'ai compris d'où me venait mon dégoût obsessionnel des clés, le rapport très conflictuel que j'entretiens avec ces objets hautement symboliques en général, et mon trousseau en particulier, que j'égare régulièrement, et le fait que je déteste plus que tout qu'une porte soit  fermée, ou que de me sentir prisonnière quelque part .
 Nos terreurs d'enfance sont le terreau qui nourrit  nos phobies d'adultes. 
Il y a encore du taf pour les psys...

05 février 2013

Fière

La fierté d'une mère, c'est complètement subjectif et pas du tout scientifique. Ça ne se met pas en équation, ça ne s'explique pas vraiment, ça se vit de l'intérieur, c'est comme une vague chaude qui envahit le coeur, qui rend les yeux brillants, les mains douces et qui donne l' envie de chanter. Ça commence un beau matin d'avril, quand on tient pour la première fois un bébé dans ses bras, que l'on se dit que c'est nous, cette petite chose que l'on a été capable de créer, et que l'on tremble en se demandant si on arrivera à l'élever. La fierté d'une mère, ça grandit en même temps que les jambes de pantalon, et les pointures de chaussures, et un autre beau matin de février, on est conviée à une belle cérémonie, où l'on voit cet enfant que l'on a porté et élevé, être devenu un homme, beau, intelligent et gentil, et recevoir son diplôme d'architecte des mains d'un vieux professeur ému, qui prononce un discours plein de larmes rentrées parce que c'est son dernier tour de piste. 

La fierté d'une mère, c'est du miel et du coton, ça vous tisse un manteau tout chaud, un mélange naturel de reconnaissance, de gratitude, de bienveillance, et d'amour, c'est comme se blottir dans un nid tout rempli de plumes et fermer les yeux,  environnée de douceur, et entendre au-dehors le vent furieux et s'en moquer. Parce que rien, en cet instant, n'est plus important que ce bonheur qui dure depuis si longtemps...

01 février 2013

Eclaircie

Je vous avais promis que je vous raconterais. 

J'ai cheminé dans un long couloir sombre. Les trois semaines qui viennent de s'écouler furent une épreuve. La vie a parfois des exigences étranges, qui nous obligent à une pause forcée alors que tout allait bien et que l'on se croyait éternellement protégé. Mais il faut bien se résoudre à l'évidence: " Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force, ni sa faiblesse etc... etc..."
Au départ, un simple choix professionnel, simple mais cornélien: une direction d'école plus grande, mieux payée mais sans classe. Des dizaines de nuits à mal dormir, à soupeser, à réfléchir, à se projeter dans l'une ou l'autre des deux situations. Des avis partagés, mitigés, enthousiastes, des pressions,  des attentes. Les deux parties de moi qui s'affrontent en un combat violent. De quoi perdre sa sérénité...

Et puis le choix accompli, enfin, la sensation d'avoir bien choisi, et là, coup de théâtre: la colère de la supérieure hiérarchique, vexée qu'on ait pu refuser une "si belle offre", ses menaces, ses insinuations...gros malaise...La goutte d'eau. Le coup de Trafalgar qui m'a abattue, terrassée par la grippe et la tristesse. Mais à quoi aurait-il servi que je lui explique? Pour elle, refuser une promotion, c'est comme un crime. Elle a une âme d'état, et se moque de mes états d'âme.
Mon crime? J'ai choisi de continuer à enseigner. J'ai choisi les têtes blondes, le bonheur de leurs grands yeux, de leurs innocences charmantes. J'ai choisi les soirées penchée sous la lampe à corriger leurs pattes de mouches, à sourire de leurs mots d'enfants, à soupirer certains jours de lassitude. J'ai choisi Agathe, Clément, Nadia, et tous les autres. J'ai choisi les cartables, les tubes de gouache, les rentrées des classes au ventre serré, les petits nouveaux, leurs "maîtresse, tu es belle" et les "je retournerais bien à l'école" des papas d'élèves. Je veux encore et encore leur apprendre les étoiles, la beauté du monde et la magie des livres. Je veux leur donner le meilleur de moi pour qu'il garde de leur dernière année d'école le souvenir émerveillé qui leur donnera plus tard un sourire ému quand ils en reparleront.
Je n'ai pas pu me résigner à ne plus faire mon métier, celui que j'adore et qui m'a tant donné depuis si longtemps... Ce soir, je sais que j'ai gagné, la bataille fut rude et il me faudra du temps pour m'en remettre. Mais j'ai gagné. Je me sens heureuse d'avoir choisi selon mon coeur.  Mes états d'âme ont eu raison de l' âme d'état. Et j'ai surtout envie de remercier encore une fois tous les gens que j'aime et qui m'ont soutenue de leurs paroles, de leurs conseils, de leurs petites attentions, de leur indéfectible amour même quand la fièvre et l'angoisse m'ont rendue susceptible, fragile et parfois carrément insupportable.
Robert Doisneau