23 janvier 2023

Petit matin


Huit heures. Dans une odeur de lavande et de nuit, elle s'extirpe lentement du lit. Le jour vient de la cueillir au saut de son dernier rêve.
La couette vibre et se soulève du sommeil de l'Autre. Elle ressemble à un gros ours blanc qui hiberne, roulé en boule sur la banquise du matelas.
La matinée s'annonce claire, dehors la gouttière a sous le nez des chandelles de glace. En bas, sur l'herbe frisée de neige, des boules d'oiseaux gonflent leurs plumes pour lutter contre le vent d'hiver. Ils sont si mignons avec leurs petits yeux noirs résignés. Deux grains brillants de réglisse piqués dans une touffe de duvet orange ou bleu.
Elle s'observe dans le miroir. Chaque petit morceau de son corps est parcouru de frissons qui ondulent sous l'air frais de la chambre. Elle caresse ses hanches, son ventre. Elle s'étire en ronronnant, les bras en couronne vers le plafond.
Elle a mis du temps à apprivoiser ses formes. Depuis que son quotidien ne grince plus comme un vélo rouillé, chaque matin lui met du baume aux lèvres. Elle sourit. Elle a appris à aimer ce corps, ses déchirures, son histoire de vie. 
Sur le tapis, la couverture d'un magazine vante « les bienfaits de dormir nu ».  Elle sourit encore. C'est vrai que la peau est plus douce quand on la frotte à une autre peau.
Là comme ça, dans la pénombre de cette aurore hivernale, elle trouve qu'elle ressemble à un tableau naturaliste de la belle époque. Du style d'Emile Friant. 
Friant... Avec un nom pareil, elle imagine un gourmand, un épicurien de belles choses, un type « friant » de vie, quoi...
Elle descend en tenue d'Eve préparer le café, faire griller le pain. La vie est là, toute entière, dans ces deux bols qui luisent sur la nappe, dans ces gestes simples. Les bols attendront cinq minutes, sagement posés au clair de la table. Peut-être même dix minutes, ils se raconteront leurs vies de bols.
Elle retourne se glisser dans son igloo de plumes, pour dix minutes. Ou un peu plus...

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Pour l'atelier du Goût



16 janvier 2023

Un petit caillou dans la chaussure


 

 Bleck m'a fait sourire ce matin. Il raconte avec humour comment une promesse non tenue peut devenir avec le temps une gêne diffuse, comme un de ces graviers qui vont se loger dans la pataugas en pleine rando et nous rappellent avec obstination leur présence, jusqu'à ce que l'on s'assoie sur un rocher et défasse patiemment ses lacets. La libération qui suit est un plaisir sans nom. La semelle semble soudain en mousse. On sauterait presque de joie.
Un petit caillou, ça n'est pas vraiment douloureux, non. On est fort, on peut dépasser ça. Mais c'est là. C'est pernicieux. Et ça revient. Et ça nous a à l'usure. Comme un cil dans l'oeil. Une peau autour de l'ongle. Un bouton. Un poil incarné. Un son lancinant qui vrille le tympan. Des choses minuscules qui se mettent à prendre beaucoup trop de place. Un moustique, tiens, un gramme empêchant de dormir n'importe quel gaillard de quatre-vingt-cinq kilos...
Nous connaissons tous cette désagréable sensation : il suffit parfois d'un minuscule nuage qui vienne se placer pile devant le soleil pour que l'on éprouve un froid soudain. 
Il n'est pas de bonheur parfait sans ombre au tableau. 
J'y pensais ce matin, après mon café, et ma promenade sur les blogs amis. J'ai laissé le clavier et je me suis mise à contempler mon vaste jardin sauvage. J'écoutais la terre respirer, je sentais l'humus plein de rosée, l'odeur de la colline après la pluie. L'air était beaucoup trop doux pour une mi-janvier. Mais je ne boudais pas mon plaisir. L'olivier frémissait déjà dans son pot. 
Et soudain, sans crier gare, ils sont revenus au creux de ma tête. Mes petits cailloux personnels. Ma soeur, notamment, mon « petit soleil sur pattes » comme je l'appelais à une époque. Avant qu'elle ne me parle plus,  depuis... des lustres. Le soleil s'est éclipsé...
Mon amie Olga, l'amie prodigieuse avec qui j'étais si intime, et qui n'a pas supporté mon changement de vie...
Que font-elles ? Où sont-elles, à quoi pensent-elles ? Sont-elles heureuses ?
Et puis...une ou deux personnes (vous le savez bien, vous en avez sûrement rencontré) qui ne savent, ou ne peuvent, pas se réjouir de votre bonheur, parce qu'il les dérange. Il les éblouit, les brûle, il les met face à elles-mêmes. Il révèle peut-être un mal-être enfoui. De vieilles choses.
Je sais bien que rien n'est de la faute de personne dans ces situations bloquées, pour ne pas dire inextricables. Je sais bien que la patience est souvent la meilleure des choses. 
Mais parfois, le caillou semble un peu plus pointu que d'habitude. Et les lacets bien trop serrés pour l'instant.
Alors, je me redresse, et je respire en ouvrant grand mes chakras. 
Que faire d'autre ?

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Pour l'atelier du Goût, mince, j'ai oublié les phrases, je n'ai gardé que l'image.

Me pardonnera-t-il ce gros caillou dans sa mare ?

Disons que j'ai eu la flemme de tout reprendre pour pouvoir inclure les phrases.

Mais comme il le dit lui-même : « On admirera avec la déférence qui convient ce talent inné pour trouver des excuses à une flemme persistante…»


11 janvier 2023

Laissons entrer le soleil








 

Il y avait cette chanson, entêtante...mais si, souvenez-vous. Julien Clerc avait 22 ans, la chevelure abondante et le coeur en diamant. J'étais enfant et pourtant je m'en souviens. Un comédie musicale portant le nom de « chevelure » ce n'est pas banal. Les cheveux poussaient au vent de la liberté, comme des blés fous. 
Let the sun shine in, ça disait...
Laissons entrer le soleil. Sa force, sa clarté. Comme des flèches d'espoir dans le mille des coeurs assombris par l'hiver.
Si j'aime cette saison, c'est pour cela, justement. Parce que l'astre du jour s'invite à flots dans les intérieurs, du moins ceux qui le laissent entrer...
Ma grand-mère aimait ainsi s'asseoir près de la fenêtre, et somnoler doucement dans un rai de lumière. Elle « chauffait ses vieilles douleurs »  disait-elle. Comme si elle avait eu besoin de justifier cette habitude, jugée sans doute dangereuse à l'époque. Sa longue tresse argentée scintillait dans son dos. La lumière dessinait le duvet de ses joues poudrées. Je la regardais longtemps. Ses yeux se fermaient un peu. Sa tasse de thé fumait et les volutes de vapeur emplissaient l'air de leur poésie silencieuse. C'était beau.
La maison où je vis, là-haut sur ma colline, est lumineuse, et baignée de rayons toute la journée... Ceux du matin, encore ensommeillés de brume, qui viennent se poser comme du miel sur ma tartine. Ceux de midi, chauds, généreux, vrombissant de vie. J'aime qu'ils me caressent pendant ma sieste. Et ceux du soir, flamboyants et sublimes derrière le vieux chêne, magnifiant la nuit orange et mauve qui monte doucement à la première étoile. 
C'est une maison-tournesol. Elle ouvre grand toutes ses paupières de bois et s'emplit d'énergie chaque jour. Ses murs blancs amplifient la lumière.
Parfois, quand je pénètre, en hiver, dans une maison sombre, mal exposée, aux fenêtres étroites, aux volets mi-clos, j'éprouve comme un gros point du côté du poumon. C'est peut-être un peu de cafard, ou alors une espèce de manque d'oxygène ? Pourtant, je sais que tout le monde n'aime pas forcément  cela, ou n'en éprouve pas la nécessité. Et que tous les goûts sont dans la nature...
 Moi, en tout cas, dans une autre vie, j'ai sûrement été, telle Hathor, une « divine adoratrice d'Amon-Rê. » Hathor ou à raison, d'ailleurs...

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09 janvier 2023

La folie des notes


Excellent ! Très bien ! Passable...Insuffisant. Nul. 

Ah...le pouvoir fascinant des mots, et des nombres qui leur sont associés... Un pouvoir psychologique inquiétant, par le jeu des effets Pygmalion ou Golem, réduisant un être, une vie, à un mot ou un chiffre.

 Depuis quelques années, cette folie collective augmente, elle est même en passe, selon moi, d'atteindre une sorte de paroxysme du ridicule. 

Sans arrêt, nous sommes sommés d'exprimer notre avis, en distribuant les bonnes notes (ou les mauvaises) à tout et n'importe quoi. 

Vous me direz que ce n'est pas nouveau. Au lycée, dans ma folle jeunesse, certains garçons attribuaient des notes aux filles en fonction de critères anatomiques précis comme la grosseur ou la forme de leurs seins... je reste soft, évidemment, eu égard à la tenue (la teneur ?) de cet admirable blog. Vous risqueriez de me mettre une mauvaise note ! mais par souci de parité, je devrais aussi parler de nos petits carnets de filles où nous notions soigneusement nos camarades masculins en fonction de critères que je laisse à votre imagination...


De nos jours, c'est devenu systématique. Tout doit passer par les fourches caudines du consommateur exigeant et nanti d'un pouvoir incontrôlé. 

Vous me connaissez, chers lecteurs, j'aime bien m'interroger sur les phénomènes de société.

Quelle baguette maléfique nous transforme-t-elle tous, à notre corps défendant, en professeurs, parfois indulgents, mais assez souvent intransigeants ? D'où vient ce besoin de juger, voire de condamner, constamment son prochain, abrités, bien sûr, derrière des pseudonymes bien pratiques ? 

Serait-ce une sorte de vengeance inconsciente contre ces fameux profs qui nous en firent baver, voire nous détruisirent par leurs remarques au vitriol et leurs zéros pointés ? 

Serait-ce la revanche des opprimés contre l'ancestrale Terreur du stylo rouge ?

On assiste alors à la naissance d'une Terreur moderne  : celle du clic ravageur sur une échelle de un à dix.

Bizarrement, le seul endroit où les notes sont devenues indésirables, néfastes et bannies, c'est à l'école.

La bienveillance n'irait pas de pair avec l'évaluation chiffrée soi-disant. Il ne s'agirait pas de traumatiser les têtes blondes, brunes ou rousses. Alors on colle sur les cahiers de petits bonshommes verts, orange ou rouges, allant du sourire béat à la tronche patibulaire. Les enfants, eux, comptent leurs bonhommes verts avec la ferveur des chercheurs d'or ou des collectionneurs. Rétablissant la suprématie du nombre mathématique sur l'à-peu-près subjectif.

Les parents comptent les bonshommes rouges pour décider ou non de priver leur progéniture de tablette ou de console. (Objet qui porte si bien son nom...)

Dès sa sortie de l'école, par contre, notre écolier se verra confronté à la « vraie vie », catapulté dans un monde impitoyable d'examens, de colles, de zéros éliminatoires, de concours d'entrée ou de sortie, de compétitions, de pouces en l'air ou en bas sur les réseaux sociaux,  d'entretiens d'embauche, de CV, de DRH, de code de la route, de points sur son permis, de promotions au mérite, d'enquêtes de satisfaction, le tout sous la houlette du Ministère de l'Evaluation et de la Prospective....

Il ne lui restera comme consolation que le plaisir subtil et sournois de publier à son tour des commentaires salés sur son livreur de pizzas, ou de déboulonner son garagiste...

Ô temps pourris, ô Maurice...J'adore notre épique époque.


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PS. Je vous saurais gré de bien vouloir évaluer ce billet de manière totalement objective. Cela ne vous prendra que trois heures quarante-huit.



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