26 février 2023

L'édam aux camélias






« Alors que sa grand-mère se désole devant son camélia, si paresseux à la floraison, quand celui du voisin explose dans le rouge sang, la petite fille de cinq ans s’adresse alors à elle et lui dit :
"Mais mamie, pas de problème : il faut lui mettre de la terre de gruyère ! " 
C’est l’évidence même ! Pourquoi faire tout un fromage pour un arbuste qui cache sa timidité derrière la discrétion de ses bourgeons ? »

(Ce délicieux billet et son titre, que je lui ai empruntés,  sont extraits du blog Diptyque ô taquet, tenu avec talent par mon ami Michel.)







J'ai hérité de mon père, entre autres, la fabuleuse manie de jouer avec les mots. Ceux-ci fusaient à la moindre occasion de son esprit toujours en éveil. 
«  🎶La bielle de Cadix a l'essieu de velours, tchica tchica tchic aïe aïe aïe » tonitruait-il le dimanche en passant l'aspirateur. Sa spécialité était d'ailleurs de déformer les textes de chansons pour nous faire rigoler, bien avant les chroniqueurs de France Inter... «  🎶 Et j'entends pisser le chien, que c'est triste un chien qui pisse dans le soir... »
Pour moi, m'adonner aux jeux de mots, c'est une seconde nature. Une respiration essentielle pour résister à tous ces gens moroses qui se prennent au sérieux, et qui fourmillent dans les microcosmes de petits monsieurs que nous croisons à notre grand dam, parfois.
C'est comme sentir souffler toujours, au fond de soi, la fraîcheur candide de l'enfance. Celle qui leur fait prononcer ces si jolies expressions que l'on appelle « mots d'enfants ». 

« Maman, pourquoi on met de l'eau démoralisée dans le fer à repasser ? » m'avait sorti ma fille un jour, tout de go (et millau). Elle devait avoir touché juste, car cette tâche fastidieuse avait un côté démoralisant, vue la vitesse à laquelle les plis se reforment juste après avoir été aplatis. D'ailleurs, cela fait déjà un bail que je ne repasse plus rien. (A part de vieux films cultes, parfois, sur le site de l'Ina). 
En tout cas, j'ai conservé précieusement tous les mots de ma progéniture, dans le coffret secret de ma nostalgie de maman. Et comme je suis bon public, ils me font toujours rire, trente ans après. Tout comme leur lecture fétiche de l'enfance, Les belles lisses poires du prince de Motordu, un roman pour les billes et pour les glaçons.
Allez, ne vous en cachez pas !  Certains parmi vous, sont restés de grands gosses qui ne résistent pas à un calembour, même capillotracté. Je me régale à parcourir vos blogs, à me bidonner devant vos titres toujours fins et pleins d'invention. Mon oncle Joe et mon ami Le Goût y forment un beau duo de tête. Leurs tableaux excellent en holorimes et polysémie (française, évidemment).
L'âme des grands jongleurs de mots est là. Elle flotte toujours, tel le drapeau noir sur la marmite des conventions. Pierre Dac, Raymond Devos, Pierre Desproges, voilà trois D loin d'être pipés.
Chacun maniait le calembour avec la divine dextérité des tailleurs de diamant. Devos préférait glisser sa peau sous les draps que la risquer sous les drapeaux. Dac disait que pour prendre une bonne cuite, mieux valait un bon cru. Desproges reconnaissait le rouquin aux cheveux du père, et le requin aux dents de la mère. 

Le jeu de mots est partout. Une librairie parisienne exposait l'autre jour les titres jubilatoires de certaines biographies actuelles. Mon dabe aurait apprécié ce florilège extra. On aurait dit une page de Télérama.
Que Dalle. (Béatrice Dalle)
Rien n'est grave dans les aigus. (Michel Legrand)
Ardant Mystère (Fanny Ardant)
Zappa de Z à A (Frank Zappa)
Itinéraire d'un enfant de cité (Faudel) sont ceux dont je me souviens...

Mon père s'ébaudissait aussi de l'inventivité des verbicrucistes (à ne pas confondre avec les cruciverbistes) la plus belle définition qu'il trouva fut celle de l'amour : « Jeune anarchiste tchécoslovaque. » 
-Tiens mais pourquoi donc ?
-Parce que l'amour est enfant de Bohême et n'a jamais, jamais, connu de loi.
- Joli !
-Et le caramel : il fréquente le palais et menace la couronne...
- Ça, c'est de Tristan Bernard, je crois. 
-Tout juste ! Michel Laclos, lui, faisait dans le coquin, le primesautier.
Pénis : membre bienfaiteur. Partouzard : usager des transports en commun...
-Quels joyeux drilles, ces croiseurs de verbes !

Eh oui, les amis, y'a d'la joie dans l'jeu d'mots.
De deux choses lune, l'autre c'est le soleil, disait Prévert. Il rajoutait : Dieu est formidiable !
Mon paternel, lui, était formi...dabe. Tout simplement.

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12 février 2023

J'aurais pu...

 



J'aurais pu vous conter le ciel bleu sur la Seine
Velum à la Sisley tendu sur l'horizon
Un de ces bleus nimbé de nuages légers
Mêlant les touches de cobalt et de lin blanc
Les gigantesques grues déchirant Notre-Dame
De leurs longs bras d'acier écarlate et safran.

J'aurais pu raconter l'odeur des croissants frais
La fumée du café, l'air froid de la Cité
Et les reflets changeants des quais
Et nos sourires

J'aurais pu aussi bien écrire le velours
Des fauteuils, du rideau rouge de la Gaité
Et les lèvres carmin de la belle Carmen
Ses jambes comme des compas donnant au monde
Son équilibre, et la musique de Bizet.

J'aurais pu dire aussi mes émerveillements
Dans ce musée qui fut une ancienne gare
Ses horloges géantes, 
Ses corridors feutrés recelant des merveilles
Mon coeur battant devant Van Gogh, devant Gauguin.

J'aurais pu vous décrire le coutumier bazar
De la Place du Tertre au coeur du Sacré-Coeur
Les attrape-touristes et les attrape-coeur
Et l'ombre et la lumière de la Butte éternelle
Et tant de souvenirs enfuis

J'aurais pu vous parler de cette Coulée Verte
Comme un trait de nature au milieu du béton
Les premiers amandiers en fleurs
Et les mollets fourbus d'arpenter le bitume
De Vincennes à Wagram et d'Anvers à Raspail

J'aurais pu tracer l'épopée
De l'immense vaisseau tout de verre et d'acier
dressant ses voiles majestueuses
Au jardin d'acclimatation
Et qui m'a laissée bouche bée

J'aurais pu simplement vous raconter Paris
Celui d'Heure-Bleue, celui du Goût, 
Notre rencontre, et le café, et les gâteaux
Le parfum âcre et doux des bistrots parisiens
Le trottoir de nos amitiés

J'aurais pu, mais je n'en ferai rien, quoi qu'on dise
J'ai tout gardé sous mes paupières
comme des éclats de diamant
Le goût de tes baisers comme une Bastille à la menthe
Et ce je-ne-sais-quoi qui flotte et qui nous dit
Revenez-y ! Revenez-y !




























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03 février 2023

La fabrique d'images

 

 
Mon père m'offrit un jour un petit tube en carton, qui faisait, quand on l'agitait, un bruit délicat de bâton de pluie. « Tiens, me dit-il, c'est un kaléidoscope. »
Quel joli mot ! Il signifie, en grec, « regarder de belles images ». Combien d'heures ai-je passées à contempler, étonnée, l'infinie diversité des images créées par l'assemblage subtil de ces petites perles colorées se réfléchissant dans des miroirs...
C'est peut-être de là que me vient la constitution particulière de mon cerveau : une constellation permanente d'images qui donnent naissance à une multitude d'astérismes chatoyants. Je suis riche de ça et ça ne s'achète pas, comme disait le poète du XX° siècle...
Un mot, une musique, un grain de lumière dans le matin, et la machine à images se met en route.
J'ai appris très vite le pouvoir de l'imagination. Loin d'être la « folle du logis » conspuée avec mépris par Nicolas de Malebranche, c'est cette faculté merveilleuse de se fabriquer ses propres images, de s'inventer un monde. De créer de la nouveauté. De vivre la vie en mille dimensions...
La fréquentation des livres de mon enfance m'aida évidemment à cultiver ce don merveilleux. Toutes ces heures trop courtes où, allongée sur mon lit, au son de la pluie qui chantaient dans les chenaux, j'inventais les visages, les vêtements, et les décors des aventures de mes héros,  surgissant de cet alignement mystérieux de signes que l'on appelle un texte. 
Avec le recul, j'ai compris pourquoi mes professeurs s'ébaudissaient devant mes rédactions.
Et je réalise combien j'ai tâché, toute ma vie, de transmettre ce don, de semer ces graines dans les esprits de mes élèves, me heurtant de plus en plus, au fil du temps, à l'omniprésence de l'image toute faite. Eduquer est un combat. Une guerre pacifique contre le fatalisme, la facilité et l'ignorance.
Je ne fais pas partie de ces vieux grincheux qui disent que les enfants n'ont plus d'imagination. Donnez-leur un carton d'emballage, et observez :  ils en feront toujours, quoi que l'on dise, un vaisseau intersidéral ou une cabane perdue au fond des bois. 
Regardez-les avec bonheur transformer un vieux bout de rideau en costume des mille et une nuits, et la moquette en tapis volant.
Acceptez de goûter leurs délicieuses soupes de terre et d'herbe, leurs bonbons en cailloux.  Dites bonjour sans vous moquer à leurs amis imaginaires. Parlez sérieusement à leurs nounours. 
Lisez-leur une histoire et demandez-leur de fermer les yeux : les images émergeront d'elles-mêmes dans leur lobe préfrontal ainsi stimulé. Offrez leur des jouets « ouverts », offrant une myriade de possibles : des cubes, des jeux de cartes, des bûchettes de bois, des boîtes de peinture. Laissez-les inventer leurs règles du jeu, et changer celles qui existent. Visitez leurs châteaux en Espagne ou ailleurs.
Emmenez-les dans la forêt, en haut des montagnes, au bord des plages, ou simplement au fond d'un jardin, pour prendre le vrai monde entre leurs bras, à corps perdu, toucher les fourmis et observer la vie qui va. 
Je vous laisse : je viens d'apercevoir Papa souris qui courait sur la terrasse comme un dératé en regardant sa montre. Je crois qu'il a oublié d'aller chercher son fils au club de self-defense contre les matous.


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