24 juillet 2010

Sixième sens

Je sais bien que je le possède, ce sixième sens. Même si c'est difficile à expliquer à des scientifiques enfermés dans leurs paradigmes froids. Je sens les choses avec mes antennes, mes cils vibratoires, mes émotions, et avec une acuité qui parfois me déroute. 
Aussi ai-je décidé d'écouter systématiquement mes pressentiments, car ils se révèlent souvent juste.
-Souvent? Dans quelle proportion?
-Ah, tu veux des chiffres...Eh bien, je dirais dans  90 % des cas. 
-Pfffuuiii! c'est énorme. Tu veux dire que tu es une sorte de Madame Soleil?
-Non, je ne prédis pas l'avenir, j'écoute simplement  quelque chose dans tout mon être me dire que là, à ce carrefour, il vaudrait mieux prendre à gauche. Mais je n'ai aucune idée de ce qui se passerait si je prenais à droite. Je sens seulement que c'est mieux, mais je ne parviens pas à l'expliquer.
-Oui enfin, là, dans ton exemple, ça m'aurait étonné que tu prennes à droite! Connaissant tes opinions politiques...
-Oh, quelle mauvaise foi de cartésien! Tiens un autre exemple: souvent, je pars de quelque part en ayant la désagréable impression que j'ai oublié quelque chose. Avant je n'en faisais pas cas. Maintenant je retourne sur mes pas avant d'être loin, parce que je SAIS que je vais être obligée de revenir. C'est un peu comme si la chose oubliée me faisait signe: "heps! tu m'oublies!"
-La voilà qui parle aux choses maintenant!
-Je sais que si je me mets à penser subitement à ma carte bleue, ou à mes clés, c'est qu'elles ne sont pas à leur place habituelle et que je ferais mieux de me mettre à les chercher avant de paniquer.
-Admettons. Mais souvent tu égares les choses, reconnais-le!
-Oui mais je ne les perds jamais. Enfin, je ne voulais pas me focaliser uniquement sur les choses, bien que celles-ci soient omniprésentes dans notre environnement. Les lieux dégagent des choses palpables, c'est la base de la philosophie Feng Shui. 
Mais ce sont les gens qui  m'intéressent davantage. Mon sixième sens prend alors tout son sens, si j'ose dire. Je sens les blessures, la tristesse, l'angoisse, l'énervement, la joie, je sens lorsque l'on ne va pas bien, je sens lorsqu'on me ment, lorsqu'on me cache quelque chose. En face d'un inconnu ma première impression est souvent déterminante.
-En quelque sorte, tu serais un peu médium?
-Tout de suite des étiquettes! Je suis une sensitive, une antenne qui capte, j'ai un sonar intégré.
 J'entends l'âme des choses et des gens.J'entends battre le cœur de l'univers.Il y a longtemps, on utilisait un mot délicieusement suranné: on appelait ça l'intuition féminine. 
-Wouaouh, c'est beau comme un disque vinyl! Et là, tu sens quoi en ce moment présent?
-Attends, laisse-moi me concentrer...Je sens que tu as une grosse dalle et que tu vas aller te faire un sandwich au poulet.
-Maman, t'es trop forte!

22 juillet 2010

Bonheur kinesthésique

Ouvrir les volets le matin et apercevoir au delà des monts le levant flamboyant dans sa première timidité matinale, empli de la promesse d'une journée sans faille, quand tout semble possible aux âmes fortes,  prendre son petit déjeuner en laissant couler le flot chaud et bavard des paroles familiales du réveil, sur sa peau encore engourdie par la moiteur des draps,  et les courbatures de la veille, étaler la confiture en rêvant aux projets du jour , en se disant que rien ne presse, plier son corps à l'éthique du sport , entraînée par l'air ambiant, en allongeant quelques foulées souples et lentes  sur le sol aiguilleté d'une forêt craquant de cris d'animaux émergeant de l'aube, plisser les yeux sur l'horizon clair au-dessus de la frange des fins mélèzes gris vert, plonger son regard dans le bleu d'un lac de montagne, déguster du pain et du fromage avec ce  goût incomparable que leur donne la fraîche altitude  des sommets, et le sentiment d'être le maître du monde,  refermer  doucement les volets sur la chaleur étouffante du zénith bruissant d'abeilles et de cigales pour s'abandonner à la douceur d'une sieste au parfum de lavande, quand la poussière fait dans les rais lumineux des persiennes comme un faisceau de particules palpables que l'on fait danser au bout de ses doigts avant de sombrer dans un sommeil lascif...Sentir la journée s'étirer comme un long ruban de réglisse jusqu'au soir, s'emplissant de l'odeur des saucisses qui grillent, du jasmin qui s'épanche, du thé qui brûle la langue, des gâteaux de miel, quand s'élève dans la nuit le son d'un saxophone triste à mourir, et que l'on a pourtant, accroché au coin de ses lèvres , le petit sourire de la plénitude.
De longues journées de bonheur simple qui s'égrennent . Les vacances, quoi.


Photos Célestine

19 juillet 2010

Déconnectée

A tous les sens du terme, je suis déconnectée. 
Aussi, mille pardons à tous ceux dont je ne suis même pas parvenue à ouvrir le blog, je suis dans des contrées sauvages qui ne connaissent pas l'A D S L, le débit internet y est inversement proportionnel à celui des torrents , mais le ciel la nuit  est d'une pureté absolue,  et je peux remettre en jeu toutes mes connaissances acquises en astronomie, pour le plus grand bonheur de mon auditoire familial.
Le jour, nous chassons plutôt la marmotte à coup d'appareil photo, ou le chamois, nous taquinons pas mal la fourchette, et le jeu de gin-rummy. On peut dire que  nous baignons dans une béatitude mollassonne qui s'approche de l'épicurisme pur.
Enfin bref, c'est les vacances.
Et désolée si je ne publie pas de photo, pour les raisons techniques sus- citées.

12 juillet 2010

Cigales


Quand on habite au milieu d'une carte postale, il faut en faire profiter les copains.
Proverbe chinois.

04 juillet 2010

Vivre, c'est choisir

Vous êtes au bord d'une rivière tumultueuse. Vous vivez là, vous travaillez là, vous aimez votre vie   sur cette berge, en sachant qu'un jour ou l'autre, mais rien ne presse, vous devrez aller sur l'autre berge, c'est votre but final.
Sur l'autre rive, se trouvent deux jardins:  le premier,  avec quelques arbres fruitiers, quelques fleurs , est un honnête petit jardin sans prétention, sans beaucoup de surprise, avec des allées tracées au cordeau, dans lequel vous pourrez trouver suffisamment pour vivre, vous, mais cela risque d'être un peu juste pour votre famille, qui a encore besoin de vous. Vous avez peur, à ce moment précis de votre vie, qu'il soit trop tôt, et que de surcroît, vous vous y ennuyiez à mourir.
Alors vous vous tournez vers le second jardin,  qui le jouxte, oui mais voilà:  il est caché derrière de hauts murs et de  hautes grilles, et vous ne savez pas exactement ce qu'il contient. Tout porte à penser qu'il regorgera  davantage de fruits, et recèlera des chemins agréables et variés, des fontaines, des paysages surprenants, et en tous cas des possibilités  plus exaltantes pour vous et votre famille. Mais personne ne peut vous le garantir. Et si ça se trouve, au moment où vous y parviendrez enfin, il sera devenu plus maigrichon et morne que le premier jardin.
Il vous faut maintenant faire votre choix: soit un bateau très solide vient vous chercher immédiatement  et vous emmène, sans risque, dans le premier jardin, dont  vous ne pourrez plus sortir. Mais vous trouvez, résolument, que c'est vraiment trop tôt!
Soit vous vous engagez sur le pont de lianes branlant et aventureux, tendu au-dessus des remous furieux du cours d'eau, et qui vous mènera théoriquement vers le second jardin,  en sachant qu'une fois engagé au milieu du pont, il vous faudra continuer coûte que coûte la traversée, car vous ne pourrez plus retourner en arrière, tout en n'étant pas certain  que le jardin promis se trouve au bout. Vous vous demandez si vous aurez l'énergie suffisante pour affronter les dangers et les fatigues de cette traversée, et si le jeu en vaut la chandelle. Et vous trouvez, résolument, que c'est très difficile de faire un choix!
Parce que j'ai oublié de vous dire:
Vous avez treize jours pour vous décider.

Voilà la bonne nouvelle que l'Inspection Académique a apprise vendredi dernier à toutes les fonctionnaires qui ont élevé trois enfants. La possibilité de partir en retraite anticipée, à raison d'un an par enfant, est supprimée. Voilà les mères de famille réduites à jouer une douloureuse partie de "quitte ou double".
Depuis ce "lâcher de  bombe" médiatique très impopulaire, le ministre a prolongé magnanimement de six mois le délai de réflexion. Mais cela ne change pas grand chose: dans six mois, je n'aurai toujours pas envie de prendre ma retraite. Pour une fois, je ne suivrai donc pas la sagesse de ma grand-mère, qui m'aurait dit "il vaut mieux tenir que courir". Et je m'engagerai sur le pont branlant et aventureux, insouciante  (inconsciente, me disent certains) et cheveux aux vent...


03 juillet 2010

Sacrée décade*

*Période de dix jours et non pas, par un abus de langage contemporain, une période de dix ans



Quand j'étais petite, sur mon cahier , dans les moments où tout allait de travers,  je traçais un trait. Un grand trait vertical pour faire deux colonnes. A gauche, un petit bonhomme qui souriait, à droite le même avec la bouche incurvée dans l'autre sens. Tiens, c'est vrai, j'avais inventé les smileys bien avant tout le monde. Alors, j'écrivais tout ce qui était bien dans ma vie dans la première colonne, et tout ce qui allait mal dans l'autre. Souvent la première dépassait en longueur la deuxième et ce simple exercice suffisait à me persuader que somme toute, tout n'allait pas si mal.


Durant cette pénible et harassante décade,  dans la colonne "pas bien"  j'aurais écrit:
Le gouvernement oblige les mères de trois enfants à se décider pour la retraite avant le 13 juillet. Sinon...perte de cet acquis et obligation de continuer à travailler jusqu'à 62 ans. Un moment d'affres que je ne pensais pas revivre de sitôt.
Avenir socio-professionello-politique morose. Manifestation niée par les médias malgré son ampleur.
Vendredi,  36 degrés dans ma classe . Pas de clim dans les écoles! Des élèves exténués, excités, ingérables. Des parents inquiets, des problèmes d'organisation pédagogique de dernière minute.
Maison à l'envers, deux tonnes de linge à plier et transhumance sous tous les meubles.
Tristesse des fins d'années, départs, pages qui se tournent.
Grosse fatigue. Nerfs à vif. Dispute avec ma mère. Sentiments d'incompréhension et de grande solitude.




Mais dans la colonne de gauche, j'aurais sûrement écrit:
 Finalement le gouvernement reporte sa proposition inique au 31 décembre.Un répit qui permettra peut-être de voir cette loi annulée?
Deux mois de vacances devant moi. Ciel immaculé, soirée douces et embaumantes. Cigales répétant pour leur concert d'été.
Programme requinquant et tonique : régime fruits et légumes, salades, footing, épilation, couleur, massage, bronzette, piscine , SIESTE, , abdominaux et fessiers.
Pas de corrections ni de préparations. Des expos, des randos, des cinés climatisés. Des repas colorés et joyeux , des soirées guitare.
Famille réunie presque au complet , bons moments rares et précieux, vin coulant à flot, mari prenant sa retraite (= plus détendu, moins stressé, plus disponible et prévenant.)
Et surtout, fils aîné ayant obtenu brillamment son diplôme d'architecte. Etincelles de fierté dans mon cœur de mère. Attente sereine des résultats au concours de ma fille, et du brevet de zado junior.

Somme toute, tout ne va pas si mal...