28 septembre 2010

Dialogue mycologique


"Non mais tu vas tout de même pas écouter ça! C'est moisi comme musique!"
Les ados choisissent leurs mots d'une façon judicieuse, somme toute. Une musique moisie, c'est, disons-le, comprenons-le bien, nous les adultes un peu demeurés qui ne connaissons rien à la musique,  un mélange de vieillot, de ringard et de malodorant qui figure  la vieille cave humide, le vinyle sorti tout droit d'un grenier, soulevant quand on le saisit un petit tchernobyl de poussière qui ferait éternuer un troupeau de mammouths. Tournant impérieusement le bouton de l'autoradio  malencontreusement resté branché sur Nostalgie, il me fait comprendre que ses pauvres tympans ne sauraient endurer plus longtemps ce supplice auditif: une chanson de Jean Ferrat sur un texte d'Aragon, "Heureux celui qui meurt d'aimer"  Actuel. Eternel.Sublime!
"D'aimer si fort ses lèvres closes Qu'il n'ait besoin de nulle chose..." C'est beau, non?
-C'est moisi.
Boby Lapointe?
-moisi.
Barbara, Léo Ferré!
-moisis.
-Gainsbourg, quand même!
-mouif...
Et même , o crime impardonnable, Francis Cabrel, mon modèle absolu , l'homme à la voix si juste, aux mots si magnifiques , ne trouve grâce à ses oreilles intransigeantes. 
-Bon là, d'accord,tu as raison: Sheila, Enrico Macias, Michèle Torr, on peut dire que ça sent le moisi...
Et puis soudain, l'embellie: Dire straits, Supertramp, U2, le son de mes vingt ans, et le mot moisi reste figé sur ses lèvres arrondies en cul de poule. Il aime!  
-Non, pas possible? Ce n'est point moisi! 
Ah quelle jouissance absolue de soudain trouver un terrain d'entente musical avec ma progéniture.
-Ca au moins, c'est de la bonne zique! murmure-t-il avec un air de connaisseur.
-Oui, moderne hein? Ca n'a que trente ans...réponds-je le regard lointain.
Il est vrai que le diamant, ça ne moisit pas.

23 septembre 2010

Pensées d'automne

Elle se dit que quelque part, il y a la morsure des premiers froids, au petit matin. Elle imagine ce lit craquant de feuilles roussies par la pleine lune, le bruit sec , au lointain, des cognées sur le tronc des chênes, les odeurs de mousse et de champignons.
Elle ferme les yeux et pense à de larges mains chaudes, dépassant d'un épais chandail, à cette force paisible de l'homme qui marche seul, dans sa forêt, qu'il connaît bien, de son pas lent et empreint de tout l'amour qu'il porte à ce coin de France, à ces vieilles pierres muettes de tant d'histoires. Elle se prend à rêver à la douceur de ces mains.
Elle a la faiblesse de penser que, quelque part, il aimerait cheminer avec elle sous ce ciel de premier jour du monde, dans le silence absolu de ces journées qui  traînent, sans cri, sans rumeur, sans la fureur de la ville excitée. Entendre le bruit de leurs  grosses chaussures battre  les pierres rondes et blanches des sentiers . Puis boire un verre de vin , et se laisser doucement bercer par la magie du moment. Sans hâte. Sans  poser de question. Sans même dire un mot.
Ça lui ferait du bien de s'éloigner du monde et de sentir l'odeur des premiers feux de feuilles, d'écouter  des mélodies inédites et plus graves chantées par des oiseaux moins insouciants déjà qu'à la belle saison, sentant  l'imminence du danger, et mettant dans leur chant toute leur urgence de vivre. Elle aimerait entendre  le crépitement des châtaignes qui grillent .Elle aimerait, parfois, cette vie simple et authentique qu'elle a lue dans le regard fier de l'homme.
Elle se dit que quelque part, il l'attend. Et cette pensée accroche à son visage un sourire de Joconde.

22 septembre 2010

Un replat

Ce n'est pas aux nombreux Belges qui fréquentent mon espace que je vais apprendre quelque chose sur la pratique de la bicyclette. Tout le monde connaît les grands champions que la Belgique a produits, les Maertens, Merckx, Van Impe, Boonen, De Vlaeminck...Cependant, n'oublions pas que le vélo, ce ne sont  pas seulement de longues lignes droites sur un plat pays. C'est aussi, c'est surtout, une lutte incessante contre une loi terrible et implacable: celle de la pesanteur. Monter des côtes, escalader des cols, mettre le petit braquet, économiser ses forces pour grimper toujours plus haut, voilà une école de la volonté que j'ai fréquentée dans ma prime jeunesse. Je me souviens être restée plantée sur place, bloquée dans mes cale-pieds, pour n'avoir pas su apprécier la dénivellée à sa juste valeur. Moment de grande solitude.
Mais où nous embarque-t-elle, Célestine, avec ses histoires de vélo? 
-Rassurez-vous, chers lecteurs, uniquement dans une de mes métaphores alambiquées dont j'ai le secret. Car, voyez-vous, depuis la rentrée, après avoir pris les commandes d'un paquebot assez énorme, j'ai quitté la crête des vagues pour des cimes plus... alpines; en deux mots, depuis trois semaines,  j'ai l'impression de me taper un col de première catégorie, avec des "rampes" à 12%, les connaisseurs apprécieront: un effort soutenu, intense, souvent "en danseuse",impossible de poser pied à terre sous peine de ne pouvoir remonter sur la machine. 
Et soudain, aujourd'hui, l'impression que ça se calme un peu, que je respire, que je peux lever la tête du guidon: un replat, ça s'appelle. Pffiouuu! ça fait un bien!Pour un peu, on croirait presque que ça descend...

photo internet : Tom Boonen,
champion, Belge, sexy  et beau comme un dieu!

16 septembre 2010

C'est le morceau de sucre qui aide la méd'cine à couler...


J'adore!
Merci, Hutte des bois.

13 septembre 2010

Petits bonheurs

Après la bourrasque de la rentrée, me voici en stage pour deux semaines, histoire de consolider ma formation de super manager...
Deux semaines où je vais me bercer de petits bonheurs, levant enfin le nez de mon guidon.

Ces petits bonheurs quotidiens qui s'offrent  à qui sait regarder. A qui sait écouter. A qui sait les cueillir délicatement, comme des abricots mûrs.

Au petit vent frais des matins de septembre, quand la peau frissonne après avoir eu si chaud, tout l'été, je pars à bicyclette et  décide de passer par le parc, pour voir les magnolias centenaires. L'or du matin s'étale en confiture sur leurs frondaisons, transformant l'heure en tableau. L'air est chargé d'effluves enivrants, les balayeurs sont toujours pleins de balais, rien de neuf depuis la chanson. Les odeurs d'une ville qui s'éveille sont toujours incomparables...

J'abandonne mon vélo pour la journée aux fientes d'oiseaux sous un platane, devant la gare. Dans le train qui m'emmène à mon centre de stage, une vieille dame sortie tout droit d'un film de Frank Capra me sourit bizarrement sous ses dentelles. Je m'amuse à lui inventer une vie aventureuse, ses petits yeux vifs derrière leurs carreaux cachent un secret abominable, elle a une odeur d'arsenic.

 Sans transition, je pense fugacement à la nuque enfantine de mon grand fils de quinze ans, penché sur ses cahiers. Un fin duvet blond sur son cou de cygne, une odeur de bébé, encore...s'il m'entendait parler ainsi de lui, mon cher petit homme en devenir!

Je redeviens l' étudiante que je n'ai jamais cessé d'être dans un coin de moi-même, et,  durant quelques jours, oh! quelle parenthèse agréable que de se laisser mener par un conférencier, de se remettre dans la peau de l'élève, sentir glisser le stylo sur le papier sans autre effort que celui d'écrire par plaisir. Des kilomètres d'écriture, de notes qu'on ne relira peut-être jamais, mais tant pis, ça ne fait rien, on les prend. Ce qui est pris n'est plus à prendre...

J'écoute le cliquetis de la pièce de monnaie dans la machine à café,  l'on refait le monde à la pause  en regardant le gobelet tomber avec son impeccable précision  et s'emplir de ce maléfique breuvage tant aimé...Ahhh! le café, mon compagnon des bons et des mauvais jours, chaud, fort et musclé comme un docker du port...

J'observe les visages alentours, les sérieux, les raffinés, les tourmentés, les résignés, les insouciants, les goguenards, les timides , les prétentieux, autant d'expressions différentes que de personnes assemblées là,  autant de vies , de caractères, d'expériences inédites que j'aimerais connaître, approfondir...et qui s'envoleront vers leur destin dans quelques jours sans avoir livré leurs mystères les plus intrigants...

Oui, des petits bonheurs qui, à leur habitude,  confirment mon  amour absolu de la vie, et se rassemblent pour ne former qu'un grand Bonheur, celui d'exister, celui de vivre chaque minute comme si elle était précieusement unique.






05 septembre 2010

Ca, c'est fait!

Une rentrée de directrice, ça  ressemblerait assez au passage des quarantièmes rugissants. La manœuvre se négocie avec prudence, savoir-faire et une bonne dose d'inconscience. Oui, surtout ne pas trop penser à tous ces êtres humains que l'on a soudain sous sa responsabilité: une trentaine d'adultes, mais surtout presque trois cents têtes blondes, enfin non, pas toutes blondes bien sûr, mais des frimousses tellement craquantes, les petits cartables neufs qui ballottent sur des dos courbés par le chagrin de quitter maman, ou raidis par la fierté d'être enfin un grand, de rentrer à la "Grande Ecole". Des parents inquiets, émus de voir leur progéniture grandir, ou en colère parce que leur rejeton n'est pas dans la "bonne" classe. Le maire et toute son équipe qui vous accaparent le temps d'une photo pour le journal, avec des sourires d'élus auto-satisfaits,  pendant que cinq cents personnes ont investi la cour de récré si calme il y a un jour à peine...
Et le capitaine de ce bateau, moi,  qui me dois de répondre à chaque question, de connaître la place de chaque chose, de régler un à un les  problèmes qui surgissent comme autant de récifs ou de lames de fond.
Les vieux loups de mer barrent leur classe avec maîtrise, mais le petit mousse frais émoulu tremblote un peu en faisant l'appel, la gorge serrée par le trac.
Des convois d'enfants échelonnés montent les escaliers dans ce silence respectueux et intimidé des premiers jours, quand ils ne se sont pas encore approprié l'espace, quand le sillage des bonnes résolutions de rentrée laisse, comme une frange d'écume sur les flots, un  respect plein de retenue  dans les jeunes consciences. "Tu seras bien sage avec la maîtresse, hein? Cette année, pas de punition! Tu écoutes bien les leçons..."
Les parents s'éloignent, rassurés, soulagés, presque un peu en manque subitement de cris, de chahut, de disputes, d'énervements, passant le relais aux "professionnels" de l'éducation. Les vacances des parents commencent quand celles des professeurs s'arrêtent...
Dans le bureau, les tâches se précipitent: classer, ranger, étiqueter, planifier, téléphoner, envoyer des mails, faxer, scanner. Gérer l'urgence, la pénurie, l'incompétence parfois , de certains interlocuteurs,s'organiser pour ne rien oublier, noter au fur et à mesure, prendre de longues respirations pour s'emplir d'énergie.
Rester ZEN. Voilà le maître mot. Remplir des tableaux, faire des dossiers, un pour chaque problème, collecter, anticiper, préparer, synthétiser, analyser, comprendre, écrire des courriers, faire des demandes, quémander parfois même.Pour l'école. Pas facile par les temps qui courent...
Et rester ZEN.
Bon, la rentrée, ça c'est fait. Le cap Horn est doublé, un océan  s'ouvre devant moi, je l'espère pacifique.