29 octobre 2022

Quand l'eau monte, le bateau s'élève...

 






Par hasard, je suis tombée (sans me faire mal) sur ce proverbe japonais issu du Hakagure, le code de conduite des samouraïs.
J'aime bien les proverbes japonais. Ils contiennent, tout comme les haïkus, d'infinis sujets de réflexion dissimulés dans une simple métaphore.
Au-delà d'un bel hommage au principe d'Archimède, j'y vois, humainement, une allusion à notre formidable capacité d'adaptation aux événements. A nos forces qui s'aiguisent dans la difficulté. A une certaine nécessité de cultiver cette force intérieure pour ne pas se laisser submerger par l'adversité. J'y vois aussi la nécessité d'évoluer, plutôt que de s'arc-bouter à de vieux principes, de vieux conditionnements éculés nous entraînant par le fond.
Je rêve d'un monde où le mot force ne serait plus synonyme de violence, de contrainte,  ou d'oppression, mais de cette énergie vitale qui crée les conditions d'une belle existence. 
Où la réussite ne serait plus synonyme de compétition, d'écrasement de l'autre, de dictature ou de tyrannie,  mais seulement de victoire sur soi-même.
Je rêve d'un monde où l'on ne confondrait pas estime de soi et égoïsme, solidarité et esprit de sacrifice. Où se contenter de ce que l'on a, ne voudrait pas dire renoncer à ses rêves, ni accepter une condition injuste, mais cultiver la gratitude et la sobriété chaque fois que c'est possible.
Je rêve d'un monde où l'harmonie ne signifierait pas l'uniformité, et où les différences se seraient pas sources de discorde mais d'enrichissement.
Bref un monde où les seuls guerriers existants seraient pacifiques, lumineux, pleins d'humanité. Des combattants de paix. Et ne cherchant qu'à se commander eux-mêmes plutôt qu'à diriger les autres.
Oui, je sais, c'est pathétique, à mon âge et à l'heure qu'il est, de croire encore à un monde meilleur... Mais j'écoutais Vivaldi, ça m'a rendue mélancolique.

23 octobre 2022

Aujourd'hui, à Angers


Ma lointaine tante Rose habitait à Gigaro, une incroyable maison environnée de pins parasols géants. Leurs troncs noueux et leurs larges ramures semblaient la protéger de tout, telles des mains gigantesques.
La maison de Rose n'était pas au bord de la mer, non, elle était comme posée dessus. Les flots venaient lécher sa façade de granit blanc, et il n'était pas rare, par gros temps, que Rose dût s'armer d'un balai brosse pour refouler les laisses de mer jonchant le carrelage de l'entrée. Rose aimait la lumière, surtout le soir quand le ciel du couchant nimbait de pourpre les Iles du Levant. Elle ouvrait alors en grand la « porte de la mer ». Rose avait l'immensité pour jardin.

La vie m'a légué un peu de Rose au fond de moi. Comme elle, il me faut de l'espace, du vent, croiser le chemin fougueux des éléments, et me relier à la nature.
Comme elle j'aime la mer, et les fenêtres largement ouvertes sur un bel ailleurs. Les rêves sans limites et la force des soleils intérieurs. Ces feux qui nous rendent ardents et espérants. 
Voilà pourquoi ce tableau me parle. Surtout aujourd'hui, dans le cocon tissé-serré de ma famille retrouvée pour les vacances. Autour de ce besoin urgent de reconstruire la joie après le drame.
La ronde des jours cavalcade autour de nos têtes étourdies, le temps déroule son ruban imperturbable, et rien ne ressemble à demain. Puisque l'on ne sait rien.
Tout ce que l'on sait, dans ce manège, c'est que tout passe, tout change, tout virevolte et nous échappe. Il faut s'agripper au bastingage des bons moments, pour supporter les coups de vents force dix. Et puis le calme revient,  comme si rien, jamais, ne s'était passé d'inquiétant ou de tragique.
J'aime ce côté changeant de la vie, qui souffle, tel un ciel de traîne, des nuages noirs et des embellies radieuses.
Je les entends étaler les cartes d'un jeu de société, avec des rires de connivence, cependant que j'écris, un peu à l'écart de leurs joutes. Il y a mes fils, deux de leurs cousines, leur père et ma belle-fille. Les petites sont couchées. Le vent de l'océan bat aux carreaux, plein de fougue et de fraîcheur.
Toi, tu es loin, là-bas, dans ton lagon bleuté aux franges de corail.
Mais je sais que tu es là, tout près, dans l'infinie respiration du ressac. Et que dans l'air chargé d'écume, par la magie des ondes, une merveilleuse nouvelle a déjà franchi les huit mille kilomètres qui nous séparent. J'en suis toute estransinée : une petite graine de bonheur supplémentaire éclora en avril, plume d'ange en son berceau. 
Souvent, il suffit d'ouvrir les bras pour redessiner l'horizon et le ciel.






Pour l'atelier du Goût.

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11 octobre 2022

A Sète, hier.




Photo Céleste




Je reviens doucement à la vie. Comme émergeant d'un long rêve filandreux, où les pensées s'entrechoquent. Ne pas vaciller. Garder la tête droite, malgré les milliers de choses venues la percuter telles des vagues furieuses contre un récif.
Le soleil brillait sur Sète hier. Le cimetière ressemblait à un jardin, calme et ombragé. Les pins semblaient bienveillants. 
La tristesse était dans les pas des gens, crissant dans le gravier blanc. Dans le frôlement furtif des mouchoirs sur les joues humides. Dans ces corps penchés, comme abattus par la destinée. Dans ces visages dévastés. La maman anéantie, la jeune veuve hiératique et droite comme un i, à la dignité quasi surnaturelle. La grand-mère sidérée par cette erreur de la fatalité, qui aurait dû l'emporter, elle. Les amis éplorés, la famille effondrée. Le pasteur cachant mal ses larmes.

La nature, elle, frémissait de vie et de joie indicible. Etrange paradoxe. 
Et moi, comme un esquif, bradassée par les courants contraires, cette force vitale extraordinaire qui m'attire vers les hautes lumières et cette autre, maléfique, soufflant de la sombre tombe ouverte comme une haleine chargée de pestilence.
Et puis il y a des lieux qui portent en eux cette contradiction : vous y avez été heureux, et vous y avez été malheureux. Vous connaissez sûrement ce sentiment...Un endroit où chaque tournant vous rappelle un souvenir joyeux et douloureux à la fois. Sète est de ceux-là. J'y ai connu beaucoup d'émotions. Un pan de mon passé m'est revenu au visage comme un paquet de mer, salé et suffoquant.
Dans le port, le ballet silencieux d'énormes méduses déployait leurs fascinantes corolles dans l'eau claire. Les barques dansaient au soleil. Les accents chantaient aux terrasses. L'insouciance. L'indécence de la joie diffuse, innocente du malheur d'autrui.
Rien autour de nous ne laisse jamais deviner le drame quotidien que vit chacun d'entre nous, à son tour, quand il est confronté à la perte.
Le plus difficile a été, pour moi, de voir pleurer mes enfants. Ces jeunes adultes pleins de fougue et d'espoir... Le cadeau précieux que nous leur faisons est entouré d'un ruban mortel. Pour apprécier l'existence, il leur faudra dénouer patiemment ce ruban. Apprendre à vivre, c'est avant tout apprendre à mourir.