22 décembre 2024

La dictature du bonheur

 







Revoilà Noël. 
Chaque année, le 25, à minuit précise, sous le clocher givré, imperturbablement, les douze coups sonnent, quel que soit ton état d'âme et de coeur, et de corps. 
Et il revient de plus en plus vite, en plus, au fur et à mesure des années. Ah, tu as remarqué, toi aussi ?
C'est la joie. L'espoir, la trêve des confiseurs, un peu de poésie et de rêve dans un monde brutal, et les paillettes dans les yeux des enfants.
Mais rien ne t'oblige à être joyeux à tout prix. Ni sur commande.
Pour toi, Noël, ce sont peut-être de mauvais souvenirs qui reviennent, insidieusement, se glisser dans tes papillotes. Leur chocolat a un goût amer, et tu es seul à le savoir, à le vivre. 
Il est né le divin tourment, pour toi qui as perdu un proche, un parent, un enfant, une amie. Pour toi, qu'un mari a quitté(e)sans laisser d'adresse à la fin du réveillon.  
Pour toi, qu'un patron a licencié(e)sans préavis. Pour toi qui viens d'apprendre que tu as une maladie incurable. Pour tous ceux qui se retrouvent seuls fin décembre, ou dans une famille déchirée par des haines intestines. Pour toi dont la voiture a dérapé sur le verglas il y a dix ans, en allant à la messe de minuit. Pour toi dont la maison s'est pris un arbre déraciné qui l'a coupée en deux. 
 Il ne se passe pas davantage de choses tristes ce jour-là, que les autres jours de l'année. Mais celles-là sont marquées à jamais, parce qu'elles arrivent au moment de la joie programmée. Elles ont un côté indécent, déplacé. Elles éclaboussent les guirlandes et les ortolans de leur gênante incongruité.
Noël catalyse les émotions, les rend plus cruelles, en tout cas plus intenses. Noël est un savant creuset de mélancolie et d'exultation. De bonheur et de détresse. C'est une fête à double sens. 
Alors oui, il y a les liens, familiaux, amicaux, amoureux, et les enfants, leur innocence, leur émerveillement. Pour eux, cette année, tu vas peut-être te forcer un peu à sourire sur les photos. Mais rien ne t'oblige à simuler un bonheur parfait. Tu as le droit de te sentir triste sans savoir pourquoi. Ou de te laisser envahir par la pensée de tous ces gens qui, dans le monde, n'ont pas droit au moindre Noël. De te laisser submerger par ce sentiment d'injustice. Oui, tu as le droit de trouver ça injuste. Tu as le droit de vivre un Noël différent des images de papier glacé des magazines. 
Tu as le droit de stresser pour tout organiser parce qu'on sait bien que c'est la quadrature du cercle chaque année...
Tu as le droit de détester les huîtres, le foie gras, et les montagnes de chocolats en papier doré.
Bref, tu as le droit de ne pas céder à la dictature du bonheur commercial. 

Mais je te rassure : tu as le droit aussi de te sentir pleinement heureux, simplement parce que tu vas voir ceux que tu aimes, partager des moments forts avec eux. 
Parce que ton coeur bat à l'unisson de ton âme, que tes démons s'éloignent et que, pour une fois, tout va bien dans ta vie.

Allez, on va dire que c'est le Noël de tous les droits.

Alors contre vents et marées, du plus profond de mon coeur, je vous souhaite, mes chers lecteurs, un merveilleux Noël essentiel, de tendresse, de solidarité, et d'amour.

Votre Célestine

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13 décembre 2024

Etre simple

 

Après une conversation avec mon amie Mathilde Doublétoile, il me revient en mémoire un de ses mots, qui m'interpelle profondément. Me parlant d'une de ses amies, elle me dit soudain : 
« Elle est comme toi, elle est simple ».  
Moi qui me suis toujours trouvée compliquée, je serais donc quelqu'un de simple. Soit. Admettons. Encore faut-il s'entendre sur le sens de ce mot... pas si simple à définir !
Dans les relations humaines, simplicité égale, sans nul doute, franchise, sincérité. Ce serait bien  le contraire de la duplicité, la ruse, l'esprit retors, la tromperie, la manipulation. Il est certain que toutes ces qualités me manqueraient pour faire de la politique. Ha ha ! J'exècre les compromissions, les reniements, les paroles non suivies d'actes.

Etre simple, c'est aussi, à mon sens, sur le plan humain, faire preuve d'humilité. Ne pas se la péter, pas plus haut que son postérieur en tout cas. C'est accepter l'autre dans sa différence, sans la lui faire sentir. C'est peut-être à cette qualité-là que faisait allusion mon amie. Cela demande patience, tolérance, un certain recul, beaucoup d'humour, et de don de soi. J'ai appris à cultiver cette simplicité-là.

Intellectuellement, simplicité égale clarté, netteté, précision. Esprit logique, cartésien. Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. C'est sans doute pour cela que j'aime appeler un chat un chat, utiliser le mot précis pour chaque chose, et que j'ai toujours exécré le vocabulaire ampoulé et pédant de l'éducation nationale. Faisons simple, que diable ! disais-je toujours à ma supérieure hiérarchique quand elle se gargarisait de barbarismes emphatiques et de solécismes pompeux, croyant m'en mettre plein la vue. A bas les nœuds au cerveau et la rate au court-bouillon ! 
En réalité, cette pauvre madame Jargonos me faisait presque pitié, à force d'être pathétique. Comme tous ces rois, ces géographes, ces businessmen, qui pensent que parler nébuleux leur donne de l'importance, et qui se raccrochent au superflu parce qu'ils ont perdu le sens de l'essentiel.

Simple est aussi le contraire de difficile, qui lui même a deux sens : complexe, ardu, tel un problème de mathématiques ou une ascension montagneuse, mais aussi capricieux, ombrageux, jamais content, pinailleur, ergoteur ... J'aime la difficulté des mathématiques et leurs lumineux cheminements vers la (ré)solution, le dépassement de soi, les choses qui se font désirer au lieu de tomber toutes cuites dans nos assiettes. 
Mais j'ai aussi des goûts simples, naturels, le contentement et la gratitude à fleur de plexus. 
L'émerveillement n'est-il pas la plus simple façon de regarder le monde ? Une nature fabuleusement riche dans sa diversité et sa complexité, et pourtant si simple. Quand en en saisit l'intime et unique rouage : la Vie.

Alors oui, si j'ai longtemps pensé être une fille compliquée, ce n'est pas uniquement parce que je ne voulais pas être une fille facile, avec toute la connotation sulfureuse du mot.
Ni une simple d'esprit, même si le royaume des cieux est à eux.
C'est surtout à cause de cette personnalité foisonnante, multifacettes, protéiforme, hypersensible et surefficiente que j'ai longtemps portée comme un lourd ballot de foin, tel un handicap.
Désormais, je sais que l'on peut être à la fois d'une fascinante complexité et d'une simplicité biblique.
C'est pourtant simple, non ?

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Il manque la Célestine dans ce jardin de simples







Merci à Mathilde** pour son inspiration du jour.
Quelques billets sur le sujet, pour ceux qui aiment me lire encore plus :


04 décembre 2024

Au Français

 
Place Colette


L'air vif de décembre piquait mes joues en sortant du cinéma, l'autre soir. Des joues humides de quelques larmes, je venais de voir l'émouvant film « En Fanfare », avec Benjamin Lavernhe, de la Comédie Française.
Il est merveilleux ce Benjamin Lavernhe. Vraiment. Comment ça, j'abuse des superlatifs ? Je vous dis qu'il est merveilleux, fondant et confondant. Je pourrais parler de la même façon de Laurent Lafitte, formidable dans chacun de ses rôles, même s'il a quitté le fabuleux théâtre pour d'autres aventures. Ou de Léonie Simaga, moins connue mais tout aussi talentueuse. 

A quinze ans, j'adorais le jeu de Georges Descrières dans Arsène Lupin, tout en désinvolture et avec une classe folle, celui de Jean Piat tout en force et regard d'acier, de Francis Huster, en émotion contenue et l'oeil étincelant, de Danielle Lebrun en perfide ingénue dans Vidocq, ou encore de Catherine Samie, à la carrière-fleuve impressionnante. Ayant joué tous les rôles du répertoire, de Molière à Beckett. 
Et combien d'autres acteurs, fougueux, drôles, tendres, convaincants.
Bref, sociétaire (ou pensionnaire) de la Comédie Française, ce n'est pas juste pour de la mousse. C'est un vrai pedigree de talent hors norme. Toujours accolé au nom de l'acteur dans les génériques de cinéma ou de télévision. Comme le poulet de Bresse, le métier d'acteur a son « Label Rouge ».
En classe de première, avec ma chère Amadéi, je découvris  Tartuffe ou l'imposteur joué par Robert Hirsch. J'en sortis éblouie. Et je m'inscrivis à l'activité théâtre du foyer.
 
Bien plus tard, j'ai eu la chance de pénétrer dans ce saint des saints du théâtre, ce lieu mythique que les initiés appellent simplement Le Français. Au bras d'un prince de hasard, l'une de ces rencontres éphémères et que l'on n'oublie pourtant jamais. On jouait Cyrano, ce joyau absolu de la littérature française. Ah ! Cyrano... Entendit-on jamais pièce aussi bien troussée ? Deux mille six cents vers, pas un seul de médiocre, de loupé, de moins bien. Comme autant de diamants qui forment un collier scintillant et unique. Frénétique et fulminant, comme dit son héros (Scène 7 Acte I) 
Le panache, quoi... La beauté de cette langue que j'ai défendue toute ma vie auprès des têtes blondes.
Le prince avait, en m'en parlant, de minuscules étoiles d'or dans les yeux.
Dans le rôle-titre, un Michel Vuillermoz époustouflant. Didier Sandre était De Guiche, Hervé Pierre, Ragueneau. Mais peu importe le nom des comédiens, le spectacle était parfait.
D'une perfection rarement égalée : pas un souffle mal placé,  une hésitation,  un trébuchement sur un vers, un écorchement de syllabe. 
Une mécanique céleste. Une quintessence, sublimée par ce lieu empreint d'histoire.

Tout cela pour vous dire que j'ai gardé mes yeux d'enfant, le talent m'émerveille toujours.

Il n'est pas merveilleux,
avec sa petite tête de gendre idéal ?

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