28 novembre 2019

Ultra White









Ne vous excusez pas, ce sont les pauvres qui s'excusent.
Quand on est riche, on est désagréable !
Louis de Funès dans la Folie des Grandeurs.









Certains murmurent à l’oreille des chevaux. Elle, c’est à l’oreille d’un président qu’elle chuchote. Un « grand » de ce monde. Elle n’a cure que ce soit une vieille rosse à la perruque jaunasse. Un agité du bocal incarnant le cauchemar américain.
Pour elle, c’est un « ami de toujours », qu’elle suit pas à pas dans sa fascinante aventure politique. Elle le conseille et l’amène vers le Seigneur. Si si. En toute humilité. Elle s'appelle Paula White
Ah oui, je ne vous l’ai pas dit ? Elle est pasteure. Oui, avec un e comme auteure (ou comme horreure, si vous préférez). Depuis vingt ans, elle prêche partout sur talons hauts, elle arpente les States surmontée d’un brushing blond hollywoodien et autres attributs de la femme d’église : rangs de perles, décolletés profonds, sourire Ultra Brite et rouge à lèvres glossy à souhait. Elle défend sans zézayer son grand projet : la théologie de la prospérité. Elle a une interprétation très personnelle de la société : si vous êtes riches, c’est que Dieu a récompensé financièrement votre foi. Si vous êtes pauvres, c’est que vous avez tout simplement mérité la punition divine. Bouh, vilains pauvres, qui devez quand même contribuer à augmenter le capital de sa congrégation sous peine de voir « vos rêves mourir, et aussi vos enfants » Brr ! Elle a des arguments massus, la Paulette. Je serais pauvre, je n’hésiterais pas une seconde. Je craquerais mon codevi pour sauver ma progéniture…
Mais dis donc, Dieu, c’est pas très régulier, ces méthodes, si? Un peu extrêmes, non ? Je sais bien que les voies du Seigneur sont impénétrables, mais là ce sont d’indicibles méandres qui me plongent dans une insondable perplexité…
Dans mes lointains souvenirs de caté, il me semblait que la pauvreté était une vertu cardinale (enfin, si l’on peut dire, les cardinaux n’ayant jamais été très pauvres, il faut l’avouer, mais le langage a souvent de ces pirouettes…) 
Quid de ce bon Saint Martin qui avait coupé son manteau en deux pour réchauffer un nécessiteux ? (Bon, ce n’était pas un Burton of London en loden, mais quand même, le geste fut fort apprécié et symbolique…)
Quid d’Esaïe qui exhorta le peuple d’Israël à « partager son pain avec celui qui a faim et à couvrir d’un vêtement celui qui est nu ? »
Alors, Paula, chère pasteure multimillionnaire, qu’est-ce que c’est qu’ce binz ? WTF ? 
On en est où, là ? 
Et quand on est comme moi, ni riche ni pauvre, vous prévoyez quoi ? Le purgatoire ? Ou l'attente des soldes éternels sur le trottoir dans le froid et le vent ?

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Pour l'atelier d'Olivia, il fallait inclure les mots
régulier – interprétation – indicible – méandres – souvenir – aventure – projet – zézayer – soupir

25 novembre 2019

Les tuiles



 Faites des bêtises, mais faites-les avec enthousiasme.
Colette







Photo Céleste


J'avais dix ans. Un été, nous sommes partis en vacances en famille dans un petit village d'Ardèche, accroché aux remous d'une rivière capricieuse,  turbulente en hiver et presque asséchée à la belle saison. C'était une époque où un couple modeste avec quatre enfants pouvait passer trois semaines en pension complète sans faire exploser son budget mensuel. Oui oui, ça a existé, je vous assure... Comment ça, je suis vieille ?
Par le privilège absolu conféré aux « deux grands » d'une fratrie,  mon frère et moi avions le droit d'aller jouer dans les ruelles pierreuses que nous avions baptisées pompeusement le Labyrinthe. Un jour, au terme d'une énième palpitante aventure, nous trouvâmes une corde qui traînait là sans but : aussitôt jaillit en nous l'idée de l'accrocher à la branche d'un pommier pour en faire une balançoire. Mais au bout de deux balancements,  ladite corde se mit à nous scier méchamment la peau sur le côté des cuisses, tant il est vrai qu'il y a, dans toute corde, une propension naturelle à la méchanceté, voire à la cruauté gratuite.
Avisant alors une réserve de tuiles qui nous souriaient,  installées là comme par un fait exprès par une main magnanime, nous en prenons une et la posons en équilibre sur la corde pour en faire une assise ma foi assez confortable. ö joie ! Cela fonctionnait à merveille. Hélas ! les lois de la physique se rient des enfants joueurs et inventifs. 
Que dis-je ? Elles se liguent contre eux. Ne voilà-t-il pas que la tuile, par l'effet conjugué de forces concomitantes et occultes, se casse net par son milieu ? Ne manquant pas d'à-propos, nous saisissons une autre tuile, puis encore une autre, et bientôt ce sont vingt tuiles, ou plutôt quarante demi-tuiles,  qui finissent dans le fossé. 
Ce jeu pourtant formidable s'arrêta net quand la propriétaire, une sorte de Mère MacMich de Comtesse de Ségur sortit en glapissant de dieu sait où,  et nous amena par l'oreille subir les foudres et l'ire paternelles. Cela se solda par une journée entière de privation de sortie, avec lignes à copier par paquets de cent. Nous qui avions rendu une dignité à des tuiles qui ne servaient proprement à rien, puisqu'elles n'étaient même pas sur un toit, cela nous sembla abusif et parfaitement injuste. Pendant que nous ruminions notre déconfiture, mon père régla la facture d'une main blanche, pâle comme la mort.
Aujourd'hui, des dizaines d'années après, je suis retournée dans ce village pour la première fois depuis cette tragique erreur judiciaire. J'ai repris le labyrinthe. J'ai retrouvé le lieu du crime. Et au fond de ce jardin sans clôture, envahi d'herbes folles et de lichen, laissées à un sort misérable, les tuiles étaient toujours là ! Non mais sans blague, par quelle diablerie de faille spatio-temporelle étaient-elles donc passées pour me narguer à ce point ...
Immortalisant ce fait incroyable par une photo, de retour chez moi je me suis empressée d'envoyer un message à mon frangin.
- Tu en as pris une, au moins ? me dit-il goguenard (Ne me demandez pas comment j'ai senti qu'il était goguenard dans ce simple texto, je l'ai senti, c'est tout. )
Eh bien, croyez-le ou pas, à mon grand dam dépité, je n'y ai même pas pensé...Mais ce n'est que partie remise.

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19 novembre 2019

Sacrée nature !

Photo Céleste




En l'espace de quelques jours, la région où je vis a subi deux événements naturels violents. Un séisme de cinq et demi, provoquant des victimes et de sérieux dégâts, et une tempête de neige mouillée et inattendue paralysant sévèrement toute activité humaine. 
C'était jeudi soir. Je revenais d'une escapade entre amis aux Baux de Provence, les yeux encore pleins de la magie des Carrières de Lumière, et je ne m'attendais pas à ce qui allait nous tomber sur le râble.
La température chuta en une demi-heure de neuf à un degré. Nous mîmes des heures, roulant au pas, l'oreille rivée à la radio,  à regarder se former une file interminable de poids lourds, bloqués par arrêté préfectoral. Nous réussîmes à nous extirper de cette galère et prîmes les chemins de traverse. La pluie se mua soudain en neige, ou plutôt en gros oiseaux mous et collants dès le passage du col de Puy. 
A l'arrivée, le chemin d'accès à la maison était envahi de branches ployant jusqu'au sol pour former une barrière infranchissable, style château de la Belle au Bois Dormant. 
Un château bien moyenâgeux, on peut le dire, puisque plongé dans le noir, sans chauffage, sans eau. Et bien sûr, sans aucune connexion ni téléphonique, ni internetique.
C'est dans ce genre de mésaventure que l'on s'aperçoit à quel point nous sommes tributaires de la fée Electricité, et de ses lutins Enedis, Engie, Alterna et j'en passe. Et combien nous nous en servons pour occuper nos soirées. Ah Blutchy....l'autonomie énergétique est un rêve pas toujours réalisable...
La nôtre, de soirée, fut donc aux chandelles, avec guitare, feu de bois et tartines de pâté. Mes doigts se réchauffèrent à enchanter ainsi le silence et mon auditoire captif. Enfin, captivé, veux-je dire... Et gardant ma joie devant ce qui n'est que désagrément matériel, somme toute, je me pris à rêver soudain à l'incontestable supériorité des guitares sèches, mais aussi des livres, des magazines, des crayons, des jeux de cartes, des damiers, des échiquiers, sur leurs équivalents virtuels ou électriques...Je me pris à penser qu'un jour, qui sait, cela deviendrait peut-être notre quotidien...Ce fut le quart d'heure philo dont le sujet aurait pu être, par exemple, Vanitas vanitatum omnia vanitas...Ce n'est pas Andiamo qui me contredira, dans sa grande sagesse...

Au matin, une autre mauvaise surprise nous attendait.
Le vieux chêne que (pour ceux qui suivent) je vous présentai naguère, avait été martyrisé par une neige lourdasse. Toute la nuit, plusieurs de ses branches tutélaires avaient craqué sinistrement dans l'obscurité laiteuse. 
Il gelait à fendre l'âme. Des branches grosses comme des cuisses d'éléphant, déchirées, étaient tombées pesamment sur le sol. Quel spectacle consternant ! A serrer la gorge. L'automne le bel automne dont je chantais les couleurs la semaine dernière, sans doute à cause du réchauffement climatique, n'a pas eu le temps de dépouiller les arbres de leur feuillage. Les feuilles retinrent les flocons en un piège parfait. Dans toute la forêt, en ville, partout la même affligeante vision.

La Nature nous rappelle régulièrement à sa loi implacable. On est peu de choses, aurait dit ma grand-mère. Devant sa force aveugle, on est même peanuts. Mieux vaut en sourire tant qu'on n'est pas obligé d'en pleurer. 















12 novembre 2019

Sonate d'automne




Ce n'est pas encore le vent d'arrache-froid, celui qui serre le coeur sous les fourrures. Les feuilles sont toujours là, dans la majesté déclinante du couchant, elles frémissent d'or aux commissures du ciel. La lune gelée n'a pas encore grisé les labours et les terres dures de sa clarté de givre. Ce n'est pas encore l'hiver accrochant ses étoiles blanches aux toiles d'araignées. Non, c'est cette saison intermédiaire, une saison de feux et de lieux, semant dans l'air ses bruits de champignons qui poussent et de fumées qui crépitent, sous les mains des fendeurs de bûches. Hiver sera-t-il rude?  Un bel arbre a surgi de la verdure, comme un défi. Ses feuilles resplendissent de leur finitude prochaine, comme un acteur au soir de la dernière.

Les oiseaux convoquent leur faim, de leurs
 trilles pathétiques.
En rentrant, on mettra les doigts en coquillage autour de la tasse de thé fumante, pour oublier le froid coupant. On écrit le soleil plus qu'on ne le voit. La nuit tombe à grand bruit. Novembre. On en avait peur, on l'apprivoise. C'est la saison emplie de brumes où l'on se retourne sur son passé, en cheminant de souffle et de fraîcheur. La rosée perle. Les jardins soupirent. On a le temps de faire le point. Les peurs de l'enfance s'éloignent,  se dissipant comme buée sur les vitres. 


Au mur, l'ampelopsis revêt mille couleurs. Le vert perd du terrain. On est bien, entre chien et loup , tout emmitouflé de pourpre. On pense à la nature, si constamment étonnante et belle. On pense que la mort pourrait nous cueillir là, comme ça, en toute confiance, avec un livre ouvert sur les genoux. On n'en est pas triste. On aime penser que la sérénité vient sans bruit remplacer l'inquiétude.
On se serre davantage. On pense au clairon qui sonna l'Armistice, à la folie rouge garance et bleue des Vosges. Aux grands trous rouges au côté droit, à la boue des tranchées. On avance. On contemple sa chance à travers chaque brindille, à chaque pas que l'on fait pour essayer de devenir meilleur.
Le vinaigrier compose un tableau de bon élève de la forêt. Il étale ses polychromes comme un paon faisant la roue, avec la fierté innocente d'un enfant. On pense aux enfants, à leur langue tirée quand ils s'appliquent, au regard du cancre par la fenêtre, pour regarder passer l'oiseau de lumière et de plume. Aux craies qui dansent sur le tableau noir. On pense à l'enfant, celui qui s'est évanoui au coeur de l'été, sur l'aile d'un ange, en laissant derrière lui la tristesse infinie. On a envie de croire qu'il nous fait signe par ces teintes enfantines.
C'est la fin de la promenade. Mozart joue dans les feuilles les dernières notes de sa symphonie de lumière. On pense à l'amie qui souriait au marché ce matin, aux mots positifs, à l'arcade de son sourire. On va rentrer, allumer la cheminée, penser à la Terre qui bat faiblement sous les arbres, comme un coeur un peu malade de la bêtise des hommes. On va penser au bonheur d'être, quelque part sur ce coin de planète où il fait si bon vivre malgré tout. On va oublier la cendre et la brûlure, la limaille du négatif qui ronge les doigts, on va oublier les agitations, les discours creux qui ricochent. Et prendre sa place dans le concert troublant du monde. Craquant comme une châtaigne.

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04 novembre 2019

Maison à vendre






Toile de Matteo Massagrande







Mes murs se lézardent aux cris des hirondelles. Mon parc porte l’écho des rires d’enfants qui se sont tus depuis longtemps. Des grains de soleil passent à travers les branches, et les écureuils s’y faufilent. Tant de pages se sont écrites sur les carreaux de mes vitres diluviennes. Des doigts fins traçaient des cœurs dans la buée, les soirs d’automne et de châtaignes. Le feu crépitait et me ramonait le fourneau. Je vrombissais d'aise comme un gros chat gris assoupi. 
Désormais, il fait froid à verse dans mes corridors. Je suis la proie des fantômes en cavale, qui font grincer les lattes de mes planchers. 
Au printemps les jacinthes essaiment encore des chemins d’azur dans la pelouse. Comme si le ciel s’était émietté dans leurs pétales.
L’été quelques géraniums saignent à mes fenêtres. Et puis l’automne encore, empilant ses cailloux gris et éparpillant les feuilles dans un grand bruit de bottes vertes.
Et l’hiver à nouveau, et le soleil qui s’éteint toujours plus tôt, laissant le gel fendre mes pierres. Cycle éternel, un peu plus vieille chaque année, j’aurais besoin d’une bonne cure, un lifting des persiennes, un botox du crépi.
Mon toit accueille l’air par des trous improbables. Mes tuiles bleues se font la malle...Je prends le vent et l'eau, je pars du fondement. Ô temps pourri ! Ô Maurice ! Je suis foutue, misère !

Eh, mon amour, tu ne veux pas qu'on rachète cette bicoque ? Regarde, rien n'y manque en réalité, ni le chat angora, ni la poudre, ni la foudre... Et les croisées d'hortensias ! Et le sommier ! Et les palmiers ! 
Et tous les rêves du monde... 
Bon, d'accord, il nous faudra procéder à quelques menus travaux, mais vois : j'ai déjà ma salopette et mon foulard noué dans les cheveux. Des mèches folles plein le coeur, et du courage plein les pinceaux. 
Et puis, il y a des tas d'oiseaux, des mésanges à longues queues, des linottes à bec jaune et des sitelles torchepot  ! Une terrasse noyée de vigne, et de l'herbe poivrée. Et au fond du jardin, sous la charmille, on boira du thé d'abeille et du miel vert. Allez, dis oui !
On sera bien, mon amour, dans notre maison, tu verras, tu verras...


Pour le devoir de Lakevio chez Le Goût des Autres.



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