30 janvier 2013

Interlude 3


Le vent vient de la mer ce soir. Chargé de sel et de senteurs mêlées d'algue et de  harengs grillés. Il pleuvra demain, mais en attendant, la moiteur de l’air fait perler des gouttes de pluie sur les lèvres et les fronts. Il fait encore vingt-huit degrés. 

 Deux ou trois clients restent accrochés à leur verre et à leurs rêves dans les fauteuils en rotin du "Beach Paradise". Une heure du matin. C’est l’heure des derniers possibles. L’heure des aveux, des masques qui tombent.

 Un homme est accoudé au bar. Je ne vois que son dos large qui s’impose.Qui est-il ? A quoi pense-t-il ? 

Le mystère suscite en moi une sorte de réflexe primal et involontaire : ma main quitte mon corps, quel phénomène étrange ! et va se poser sur cette épaule bien déroulée, mise en valeur par le tee-shirt noir. Puis mes doigts se détachent d’eux-mêmes et vont effleurer la nuque, là, juste là,  à la naissance des cheveux qui bouclent à cause de la sueur. Ce petit endroit qui me fait craquer, toujours. Mes doigts s’enroulent dans cette tignasse brune avec bonheur et opiniâtreté. 

Mais voila que mon autre main –je ne comprends vraiment pas ce qui m’arrive- rejoint la première pour s’immiscer sous le tissu soyeux, à la rencontre du torse de l’homme. Un torse superbe et lisse, que j’imagine bronzé à point comme un joli caramel dur. 

Le contact de cette peau me fait perdre la tête –je ferme les yeux sous le choc- et  c’est ma bouche maintenant qui se promène sur cette géographie passionnante, à la recherche d’un endroit pour étancher sa soif. Je découvre une moustache conquérante et un sourire carnassier qui s’associent pour me donner un baiser piquant et fondant comme une caresse. 

Un baiser de langue affolante. Pourtant je suis toujours assise dans mon fauteuil en rotin, serait-ce un effet de l’abus de vodka-coco ?
 Voila que l’inconnu m’a prise dans ses bras pour me faire danser sur cette musique lancinante. Je ne suis plus qu’un corps tremblant et gémissant. 
Ses mains vigoureuses investissent chaque parcelle de mon corps qui se tend comme un arc…Je me sens comme un fruit mûr prêt à tomber, je défaille...

Mais soudain une voix dégrise mon fantasme:

-Patron, combien je vous dois ?
Mon bel et sombre inconnu paie,  se lève et jette un coup d’œil à la salle avant de sortir. 

C’est une femme.Oh, mince! Taillée à la hache, certes, mais une femme...

Ben quoi, tout le monde peut se tromper.

Clin d'oeil à Coumarine et AlainX

29 janvier 2013

Avoir une soeur

"...J'avais envie de te gâter un peu, oh, ce n'est pas grand chose, quelques bricoles. Un joli coeur pour te dire que je t'aime très fort, de douces chaussettes pour réchauffer tes petits pieds..." Mais dans ce colis, plein de délicates et douces attentions, du savon aux senteurs de vacances, un petit chat, une guirlande lumineuse, des pistaches (tu sais que je les adore) et un gros coeur en peluche pour me dire que tu m'aimes ...  il y avait tant d'amour que le mien, de coeur, a fondu comme une crème glacée oubliée au soleil...Je n'ai pas pu m'empêcher de verser toutes les larmes de mon corps retenues depuis des jours et des jours. Merci pour ce flot qui a libéré en moi des torrents de reconnaissance. Pour la vie qui m'a donné le plus délicieux des cadeaux: ma petite soeur soleil. Mes soeurs de galères, mes soeurs de combat, mes soeurs spirituelles, mes soeurs de lait, mes soeurs de coeur, ne soyez pas fâchées si je place tout en haut de la pyramide ce petit soleil sur pattes qui me tient lieu de soeur depuis qu'un beau matin d'octobre elle est apparu, petit ange aux épis blonds, pour éclairer ma vie d'aînée de trois garçons...Dans ces moments de forte angoisse où la grippe et l'incertitude m'enveloppent de leur manteau, l'arrivée de ce colis, c'était un signe.
Merci ma soeur chérie. Je t'aime.



27 janvier 2013

Jus de cervelle

Bon d'accord, je suis en pleine gamberge. Ça turbine sec là-dedans! Alors en gros, pour faire court, je suis comme on dit "à la croisée des chemins". Ou si vous préférez devant un choix crucial. Un choix professionnel. 
En même temps, moult évènements ces derniers jours m'ont obligée à me demander qui je suis vraiment à vos yeux, mes chers lecteurs. (Oui, parce que les lecteurs représentent une dimension  incontournable de l'écriture d'un blog, on ne peut pas ne pas tenir compte de ses lecteurs, ce serait stupide.)
Alors quels morceaux de moi dois-je offrir dans ces pages ? Quelles pièces de mon puzzle intérieur ?  Dois-je écrire, comme dans un journal, toutes mes obscurités, mes travers, mes doutes, mes erreurs, mes peurs, mes horreurs, mes faiblesses, mes angoisses? Ou au contraire mes soleils, mes credos, mes lumières, mes joies, mes partages, mes enthousiasmes, mes certitudes ?  Dites-moi ? 

J'opte naturellement (presque) toujours pour la deuxième solution. Comme je le disais dans un commentaire sur le billet précédent, sans doute est-ce que je ne m'autorise pas souvent à montrer mes failles. Est-ce pour autant que je n'en ai pas ?  C'est sûrement un formatage dû à mon éducation. Mais c'est aussi, je pense, une volonté délibérée de ne pas lasser les lecteurs avec mes petits bobos. D'aucuns diront que je minimise, que je sous-estime ce qui m'arrive. Mais je leur répondrai (peut-être encore une émanation de ce satané esprit de positivité) que je ne parviens pas, pour l'instant,  à trouver ça si grave.

Car enfin, j'ai bien conscience que certains d'entre vous éprouvent de réelles souffrances, des maladies graves, invalidantes, des deuils, des déchirements, des solitudes, des drames, des épreuves dix fois plus terribles que celles que je traverse. Je ne me sens pas le droit de me plaindre, c'est idiot n'est-ce pas? (ah, admirez combien je maîtrise l'art du chleuasme, un joli mot que j'ai appris récemment...)

Quand je me retourne, le bilan de ma vie (enfin je dis ça comme si j'avais cent ans) est quand même plutôt positif.  Non, je ne me "force" pas à paraître heureuse, je le suis vraiment chaque fois que je l'exprime ici. Peut-être parce que cette petite flamme qui brûle en moi n'est pas près de s'éteindre.
Mais bien sûr que j'ai des coups de blues terribles, des doutes existentiels, des baisses de régime, des découragements, et alors, bizarrement les mêmes qui me reprochent d'être trop optimiste me souhaitent avec énergie, dans ces moments-là, de retrouver bien vite mon bel enthousiasme. 
Alors tant qu'à vous ouvrir mes tripes, voilà un digest (que j'espère pas trop indigeste!) de mes failles. N'y voyez pas à nouveau un "chleuasme". Je ne cherche aucune compassion. Ni dénégation. Disons que cela me fait du bien de m'ouvrir à vous.
Je suis vulnérable. Ça c'est sûr. Hypersensible, je l'ai déjà dit. J'ai un coeur de guimauve, je pleure très souvent pour rien, une musique, une scène dans un film, et même parfois, une simple plante grasse...Parfois, on doit me trouver d'une mièvrerie écoeurante, je m'en rends compte.
Je suis trop spontanée, trop entière, et je crois à la poupée qui tousse, au père noël et à la mouche qui pète. Je me navre moi-même, sincèrement, avec cette utopie, cette naïveté un peu immatures, je veux bien le reconnaître. Ne pas vouloir regarder les horreurs de ce monde, et croire à des lendemains meilleurs, est-ce de l'égoïsme ? de l'auto-protection ?
Je suis têtue comme une vieille bourrique. Un bélier: en même temps, ceci explique sûrement cela...Je ne renonce jamais à rien (à part peut-être à quelques illusions par-ci par-là)
Je n'ai aucune considération pour les choses matérielles et cela me joue souvent des tours. J'oublie de fermer les portes à clés, j'oublie de fermer le gaz, je perds, pardon j'égare, beaucoup, en général des choses stratégiques comme mes clés, ma carte bleue, mes lunettes ou mon portable.
 Je fais parfois des gaffes, par définition involontaires, mais je peux être maladroite, et cela me rend malade de façon exagérée, voire ça me vexe,  quand je m'aperçois que j'ai fait mal à quelqu'un.
Sûrement parce que j'ai un besoin irrépressible d'être aimée, de plaire, de séduire.
D'aucuns diront que si j'aime faire des cadeaux, c'est pour satisfaire ma névrose d'être aimée. Oui, ils ont sans doute raison.
La maladie me fait peur, me tétanise et rien que d'entrer dans un hôpital déjà je m'évanouis.
J'ai une trouille bleue de vieillir, moins par peur de la décrépitude que de la diminution drastique des jours qui me resteront à vivre. 
Je m'accroche à quelques valeurs un peu surannées auxquelles je continue de croire. Des valeurs d'égalité, d'humanisme, de fraternité, d'amour. Il y a pourtant des jours où je me dis tout bas que c'est mort et bien mort. Mais tout haut je continue à les défendre.
Et bien évidemment je présume trop de mes forces, j'ai du mal à déléguer, voila pourquoi je m'écroule de temps en temps comme une vieille chaussette.(Si tant est qu'une chaussette s'écroule) 
Enfin je souffre d'un ego sur-dimensionné enfin disons que j'ai une haute idée de moi-même, tout en n'étant sûre de rien...mais je n'en suis plus à une contradiction près.

Ah! j'ai l'impression d'avoir pris un bain réhydratant. C'est bon de faire craquer le vernis.


24 janvier 2013

En bas

L'ange gardien de Célestine est comme qui dirait en "RTT" cette semaine. Il faut bien qu'il récupère de temps en temps. Du coup la môme Célestoche nous fait un p'tit coup de grisou, dites voir...

-Oh la! sérieux?  Dis donc l'Ange, ne te prélasse pas trop sous les cocotiers, elle a besoin de toi...
-Eh, je vous entends, vous savez. Je ne me repose que d'une aile, faut pas croire. C'est une vocation, ange gardien, pas un petit boulot!
-Et c'est une bonne situation ça, ange?
-Oh vous savez, je ne crois pas qu'il y ait de bonnes ou de mauvaises situations...
-Tut tut, ne plagions point ce cher Otis, l'Ange. Reviens plutôt rapidement faire ton boulot!
-Bon, bon, j'entends bien, mais qu'a-t-elle exactement? Elle me semblait avoir la patate ces derniers temps.
-Elle a une sorte de spleen fourchu et griffu.  La fatigue hivernale, l'impression de ne plus avancer, de se noyer dans un verre d'eau. Une grosse semaine au travail, sans coupure du mercredi (il paraît qu'il va falloir s'y faire, et elle ne se fait pas à l'idée)  un vrai moment de flottement professionnel. On lui propose un changement de cap. Elle hésite, elle balance. Elle atermoie...
-A vos souhaits!
-Ne plaisante pas, l'Ange! 
-Ça va! J'essaie seulement de dérider l'atmosphère...après tout, rien n'est grave, et comme dit un ami à moi, la vie, tout le monde finit par s'en sortir...

-Tu es drôle, cher Ange...mais dites-moi, je vous entends discuter sur mon dos, je ne suis pas sourde. Je suis quand même la première concernée non? 
-Alors, dis nous, ça ne va pas, Célestine ? 
-Pfff, je me sens comme une vieille éponge mitée. Je vais me reprendre, hein, mais là, j'avoue, je craque un peu. Je suis dans une espèce de flottement et moi, quand je ne sais pas sur quel pied danser, je me casse la figure. Et puis, je me mets à réagir au moindre mot de travers. Un mot peut me miner une journée entière.Et des sentiments diffus d'impuissance, d'injustice, d'absurdité... En réalité, c'est moi qui prends tout de travers...Et dans ces moments-là, les objets semblent se liguer contre moi. Aujourd'hui, c'était presque comique: les clés n'entraient plus dans les serrures, mon téléphone s'était caché exprès pour m'embêter, la voiture a failli ne pas démarrer, je suis arrivée en retard à un rendez-vous, j'ai oublié mes mitaines, l'antivol de mon vélo. Non mais, un vrai carnaval des objets en folie...
-Il est temps que tu t’assoies pour regarder un peu passer le train de ta vie, avant de te fouler une cheville! comme dit un autre ami à moi...
-Oui, je pense que c'est une bonne idée. Au diable le burn-out.  Je vais me payer un petit weekend complètement déconnecté des contingences matérielles...j'ai besoin de rêve, et d'un grand bol d'air frais.

-Eh bien , foi d'ange gardien, je crois que je vais prolonger un peu mes vacances, il me semble que ma Célestoche sait mettre en pratique mes leçons de vie...
-Euh, ne t'éloigne pas trop quand même, hein, l'ange. Elle fanfaronne, mais sous ses dehors joyeux et rebondissants, elle cache des blessures et une fragilité d'hypersensible écorchée vive.



20 janvier 2013

Certains matins...

Certains matins, elle est lasse de l'hiver, et se réveille avec des envies de douceur, de chevaux galopant sur une lande éperdue de bruyères et d'ajoncs, de Paris que mai fleurit, de petits pains chauds de soleil parmi les hibiscus ou de plongeons frais dans  l'eau verte d'un lagon.
Mais là, ce n'est pas le froid. C'est un de  ces fameux matins où l'engluement du cerveau est tel que l'on reste figé sans pouvoir remuer un cil ni un doigt. Comme pris dans une colle, un amidon épais de la conscience. Où l'on procrastine en regardant d'un oeil torve la poussière qui court sous les meubles en longs troupeaux silencieux, et les araignées qui s'accaparent les plafonds. 
Ces jours-là, elle attend un signe, un mot qui la fasse redémarrer, se ré-inscrire dans le mouvement de la vie. Elle ne peut plus bouger. Elle rumine. Elle se sent comme en-dehors. Elle s'est endormie avec un souci, ces sortes de petits moucherons qui vous zonzonnent à l'oreille pernicieusement, et au réveil, plus de bruit, et pourtant cette désagréable persistance du malaise. Le souci est toujours là. Il est tapi. Il rend la bouche pâteuse et le corps lourd. On voudrait se secouer, s'ébrouer comme un jeune chien qui sort de l'eau, pour que tous les miasmes empêcheurs de bouger, empêcheurs de sourire, soient projetés au loin dans une grande gerbe d'eau.
Et puis le signe vient. C'est peut-être un mot gentil, comme un rayon de soleil qui vient jouer dans les replis du coeur comme à travers des persiennes. C'est peut-être le tintement discret d'un message, une lettre, une infinie et ténue preuve que tout va s'arranger. Ou simplement une pensée, un sourire, un éclat de rire. Une bonne nouvelle. Et soudain comme par miracle, elle entend son sang se remettre à investir les artères, reprendre son lent bouillonnement, aller inonder les alvéoles pulmonaires en les dépliant comme autant de petits sacs tous fripés qui se desséchaient sournoisement. L'air du large pénètre dans les poumons, emportant dans son souffle salé vivifiant la silicose mentale qui les obstruait.
 Elle respire! Elle sent l'énergie vitale se répandre à nouveau, elle se lève allégée d'une tonne, elle boit un grand verre d'eau. Elle repart. Elle ne sait pas vers où (le sait-on jamais?) mais elle repart. Comme une pendule stoppée dans sa course par un grain de sable, et que des mains d'orfèvre ont remise en marche. Les mains du temps, du destin, de la providence, quel que soit le nom qu'on leur donne, elle a senti leur travail bienveillant. Presque une caresse.

17 janvier 2013

Amadéi

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Je dévoilais naguère quelques-uns de mes secrets d'enfance.*
Le premier commençait ainsi:
*Si je vous disais qu'à seize ans j'étais amoureuse de mon professeur de français. Rien de bien extraordinaire me direz-vous, mais si je précisais que son prénom était Françoise... Ah, vous voyez, tout de suite plus sulfureux, n'est-ce pas? Je rêvais qu'elle me prenait dans ses bras sur une balancelle, et qu'elle m'embrassait...*
Le jour de la rentrée, on me questionna: 
-Qui as-tu, en Français? 
-Amadéi, répondis-je ( Oui, c'était ainsi, on appelait les profs par leur nom seul, mais ce n'était pas un manque de respect, c'était la coutume.)
-Quelle chance! entendis-je, très impatiente soudain de découvrir cette perle.
Amadéi était une très belle femme, j'en ai un souvenir si net que c'en est troublant. Pourquoi certains êtres nous imprègnent-ils l'âme? Pourquoi a-t-on l'impression qu'ils sont entrés dans nos fibres au moment où on les voit pour la première fois, pour s'y emmêler si profondément qu'ils deviennent une part de nous?
 Son regard était clair et perçant comme celui de ces rapaces photographiés au zoom dans les documentaires animaliers, c'est à dire quand ils ne se savent pas filmés ni menacés. Un regard conquérant et pénétré. 
Un casque de cheveux d'argent, coupés court, et des formes pleines et déliées sous des pulls moulants.Des cheveux d'argent?  Elle était jeune pourtant. Elle faisait partie de ces rares personnes dont la chevelure  a blanchi à trente ans. Elle portait un rouge à lèvres  carmin. Sa bouche m'hypnotisait.
Je me souviens tellement de ses cours atypiques. Elle parlait, parlait, et nous écoutions, complètement sous le charme. J'ai conscience à présent de ce que ce genre de professeur et de méthode d'enseignement évoque de nos jours, à une époque épique où la psychose s'empare facilement des gens dès qu'il est question d'enfants soi-disant manipulés par des adultes. Parce qu'évidemment, le syndrome du "cercle des poètes disparus" plane, qui n'a jamais eu bonne presse dans les milieux de l'éducation. Dès que l'on "intéresse" un peu trop ses élèves, dès qu'on les passionne au point qu'aucun ne songe plus à chahuter,  on est aussitôt suspecté de vouloir leur aspirer le cerveau avec une paille, ou bien les mettre dans son lit. C'est sans doute vrai pour une infime pincée de psychopathes pédophiles. Mais, parents, si votre enfant a un jour un professeur comme celui-là, ne sortez pas tout de suite les griffes. Laissez-lui une chance.Et laissez une chance à votre enfant.
Amadéi, "qui aime Dieu" c'était un nom à tutoyer les anges. Je me rappelle précisément certaines de ses phrases à propos de la littérature, dont deux particulièrement: 
 "La vie, l'amour la mort, il n'y a que ces trois thèmes." 
Nous nous regardâmes incrédules. Il nous semblait qu'il existait une multitude de sujets possibles en littérature...
"De sujets, sans doute, mais toujours ils vous ramèneront à ces trois thèmes."
La deuxième phrase:
"Dans un roman, rien n'est jamais gratuit . Chaque détail d'une histoire aura son utilité à un moment, il est pensé là dans un but bien précis."
Ces deux phrases m'ont marquée pour toujours, par leur vérité jamais mise en défaut depuis, quel que soit le livre dans lequel je me sois plongée.
Il me reste un souvenir ébloui et vivant de cette femme, et de tous les livres, qu'elle nous fit découvrir cette année-là. Tous sans exception. Lus avec la même passion. Les Illusions Perdues, Les Fleurs du Mal, Thérèse Desqueyroux, Le Meilleur des Mondes, 1984, Le Tartuffe, Dom Juan, Les Hauts de Hurlevent, L'Etranger, Des Souris et des Hommes, L'Idiot, Le Jeu de l'Amour et du Hasard...Les plus belles pages choisies du génie littéraire, de la poésie et du théâtre.

C'est drôle, il me semble ne jamais avoir écrit une ligne avec elle. Et pourtant j'ai plus appris d'elle en un an que de tous mes autres professeurs réunis.

Et si la fougue de la jeunesse mêla un temps dans mon esprit enfiévré l'amour d'elle et l'amour de la littérature, au-delà de mes émois d'adolescente, je lui dois d'avoir fait de cet amour des livres l' un des plus étincelants phares de ma vie. 

14 janvier 2013

Vous êtes merveilleux!

Allez-y, faites les timides, les modestes, prenez des poses, traitez-moi de lèche-bottes, de flagorneuse, de béate, de ravissante idiote, taxez-moi d'angélisme, d'optimisme niais, dites que je cherche le compliment, le consensus, allez-y, allez-y je vous dis, tant pis, ou tant mieux, je suis prête à tout entendre.
Ce soir, j'avais juste envie de vous dire, après vos commentaires sur le billet précédent, combien je vous ai trouvés tous merveilleux.
Combien vous m'avez émue, bluffée, étonnée par vos phrases qui m'ont apporté bien plus que vous ne pouvez l'imaginer. Combien je vous ai trouvés à l'écoute, respectueux les uns des autres, gentils, posés, pleins de conviction, pleins d'humour, pleins de délicatesse.
Je lis et je relis vos participations, et je me dis que j'ai pu, grâce à vous, affiner mon billet, préciser, évoquer, redéfinir,et que c'est formidable!
Une tribune ouverte sur un sujet brûlant, ça peut vite tourner vinaigre. Mais vous, vous avez tous joué le jeu. Vous avez été géniaux.
 Tous. Oui, même ceux du dernier rang, là-bas au fond, qui se cachent tout rouges derrière leur écran. Même ceux qui n'ont pas eu le temps de poser un commentaire mais qui ont lu, et qui ont réagi.
Même ceux qui s'en sont tirés par une pirouette.
Même ceux qui n'ont pas vu dans mon billet la même chose que leur voisin.
Même ceux qui n'étaient pas du tout d'accord avec moi, et heureusement qu'il y en a!
Même ceux qui iront ajouter leur petite pierre dans les jours qui viennent.
Votre bienveillance m'a fait un bien fou, comme un grand bain de soleil au coeur de la nuit hivernale.
Vous êtes ma vitamine D, tiens. Ma cure d'oligo-éléments. 
Ça me conforte dans l'idée que parler d'Amour c'est pas dégueu. Comme dit un pote à moi.Et dans sa bouche, c'est que du bonheur.
Alors du fond du coeur, je vous le répète, je vous trouve 
M E R V E I L L E U X.


13 janvier 2013

Nature

Je suis toujours étonnée lorsque l'on se réfère à la "Nature" dans les débats sur des problèmes de société, par définition éminemment culturels.

La nature...cela laisse songeur. Si nature veut dire "notre environnement", alors oui, elle doit être notre référence commune et il est urgent de la protéger afin de ne pas scier notre propre branche.

 Mais l'homme est un "animal anti-naturel" au possible, et il n'a plus qu'un rapport très théorique avec la nature, si on la prend au sens "loi biologique."

Et pour moi, c'est heureux. L'homme n'a eu de cesse depuis son début de s'extraire, de se soustraire à cette loi. 

Il a domestiqué les animaux, cultivé les plantes, dompté  les fleuves, apprivoisé le feu, l'électricité, les marées, régulé les naissances. Il a inventé des matières, des objets, il a créé des techniques qui n'ont rien de naturel. L'homme ne vole pas "naturellement": il prend l'avion; il ne respire pas sous l'eau : il invente les bouteilles d'oxygène. On peut multiplier les exemples à l'infini. Même s'il fait aussi de grosses bêtises (et je pèse mes mots, mon propos n'étant pas de faire son procès mais plutôt de chercher ce qu'il a fait de bien) l'homme ne cherche qu'à se faciliter l'existence en se dégageant des contraintes "naturelles". D'accord, ce n'est pas toujours très réussi. C'est même carrément raté par endroit. Mais quand même, il y a de bonnes idées.
Regardez autour de vous, chers partisans de la nature: il n'y a rien de naturel autour de vous, et même si vous viviez en ermite au fin fond de l'Himalaya, vous porteriez des vêtements pour pallier à ce grave manquement de la Nature qui n'a pas prévu que vous vous cailliez autant par moins quinze degrés (celsius).

Quel est celui d'entre vous, chers naturalistes, qui vivrait nu dans une grotte en mangeant des baies et de la viande crue qu'il aurait arrachée à une bête tuée à main nue?
Ne mettez-vous pas vos enfants à l'école? N'allez-vous jamais au cinéma ? Ne vous soignez-vous pas quand vous êtes malades? 

Les progrès de  la médecine et de l'hygiène n'ont qu'un seul but, celui de remettre en cause constamment la fameuse et inquiétante "sélection naturelle". 
 A part quelques illuminés, qui refuse de se faire opérer d'une crise aiguë d'appendicite?

Il y a bien des psychologues, éthologues, et autres comportementalistes pour venir nous expliquer que tout de même, nous gardons bien cachés au fond de nous de vieux instincts primitifs et reptiliens, et que finalement, nous serions toujours un peu des animaux.
 Mais enfin, nos morales, nos religions, nos lois, ne sont-elles pas là pour réguler, voire contrecarrer les hasards et les nécessités de la nature, et non pour s'y soumettre?
Le rire est-il naturel? 
L'argent est-il naturel?
Le biberon est-il naturel? 
Les mathématiques et l'art sont-ils naturels?

Notre sexualité est-elle encore naturelle?
Parler, lire, écrire, penser,  peindre, danser, fumer, sont-ils naturels? 

 L'Amour lui-même n'est-il pas réinventé chaque fois que deux êtres se rencontrent?

Alors la nature...ce n'est au final qu'un concept pratique dans le débat d'idées. Un arbre qui cache la forêt de notre insondable incommunicabilité. 
Et moi qui ne suis qu'amour, que nous n'arrivions pas à nous entendre, alors que les baleines y parviennent,  cela m'attriste.




09 janvier 2013

C'est la crise (de rire)




Petit Inventaire improbable des métiers à inventer par temps de crise... 

Diskjoker : animateur musical pourvu d'un nez rouge et d'une face de carême, et possédant, en outre, et ce qui n'est pas négligeable, un avantage incontestable dans les parties de gin-rami, dû à un don certain de se faire passer pour quelqu'un d'autre.

Hurologue : médecin animalier, spécialisé dans les affections oto-rhino-laryngologiques, et notamment le coryza, des sangliers et autres bêtes à groin.

Commicerf : fonctionnaire des eaux et forêts reconverti dans la protection du gros gibier par empathie, depuis que sa femme est partie avec le garde-chasse, lui laissant en cadeau l'impossibilité chronique de passer sous des portes de dimensions normales. Contre les prédateurs, notamment ceux coiffés d'une casquette, d'une tenue de camouflage vert militaire et porteur d'un fusil, il ne peut pas grand chose, car il ne possède qu'un simple pied de biche pour se défendre.

Jardiniais : responsable de l'entretien des plates-bandes d'un château n'ayant pas la lumière à tous les étages...

Pro-fesseur : professionnel de la correction à main nue pour jeunes filles en pleurs ayant mérité  sur leur rotondité le châtiment d'une claque vengeresse.

Apothi-Caire : pharmacienne ayant quitté, après une congestion pulmonaire sévère,  les ennuyeuses et froides brumes du nord pour aller établir définitivement son officine au soleil de l' Égypte.

Ecrit-vaine : amatrice de jeux de mots foireux, qui n' a pour seule prétention que de vous faire sourire en ces temps moroses où le chômage et la récession hantent hélas les nouvelles distillées par des médias déprimants.


texte  publié au défi du samedi le 15 septembre 2012

06 janvier 2013

La Facture

"La pièce que nous venons d'interpréter devant vous ce soir est de Monsieur Marcel Aymé...Les décors sont de Roger Harth...Les costumes de Donald Caldwell..."

Ces paroles ont résonné dans ma tête de petite fille comme un grand plaisir familial pendant des années. C'était "Au théâtre ce soir" l'émission mythique de Pierre Sabbagh, enregistrée au Théâtre Marigny...Du boulevard, bien sûr, mais beaucoup de qualité, de grands acteurs, du rire, de l'émotion. C'est simple, j'en ai des souvenirs ébouriffants et colorés, et j'ai peine à imaginer que tout était en noir et blanc.
Souvenez vous, vous, les plus de quarante ans...
Dans le public, la présence de l'indéboulonnable Pauline Carton qui venait applaudir ses pairs... 
Rappelez-vous les monstres sacrés de l'époque : ils s'appelaient Michel Roux (la voix française de Tony Curtis, énorme!) Jacqueline Maillan, Jean Le Poulain, Elvire Popesco, Jacques Monod, Jacques Balutin, Daniele Lebrun, Robert Hirsch, Jean-Pierre Darras...Daniel Ceccaldi, Maria Pacôme, Line Renaud...Je ne peux pas les citer tous, bien sûr. 
Les jeunes doivent se demander qui sont ces célèbres inconnus...

Or, il faut que je vous dise que l'une de ces pièces m'a particulièrement bouleversée, je dirais même qu'elle a influencé toute ma vie: elle s'appelait La Facture.
C'était une pièce drôle, de Françoise Dorin, une aimable comédie. Avec Jacqueline Maillan dans le rôle phare. Mais sur mon esprit impressionnable d'adolescente fiévreuse, elle eut un effet parfaitement irrationnel et inattendu.
Dans l'histoire, l'héroïne était très chanceuse. Vernie. La baraka. Jusqu'à ce qu'elle se mette dans l'idée qu'elle devrait un jour payer la "facture"...
Cela m'a fait comme un choc.

J'ai vécu de très nombreuses années à être persuadée, comme cette femme, que l' "on" m'allongerait l'ardoise, sans trop savoir qui était ce "on", que je devrais un jour m'acquitter de tous les bienfaits dont la vie m'avait gratifiée. Payer une douloureuse salée.
Encore maintenant, après tant d'années de chance que j'estime insolente, et qui provoque parfois des jalousies (mais cela, j'ai mis longtemps à m'en apercevoir, naïve que je suis)  j'ai de temps en temps un petit doute qui m'étreint.  
Une de mes collègues qui ne savait pas que je grattouillais la guitare,  m'a dit, l'an passé, après le spectacle de juin que j'ai donné avec ma classe,
"Mais dis moi,  combien de fées se sont penchées sur ton berceau?"  
Et c'est vrai que j'ai l'impression d'avoir été très gâtée à la distribution. J'ai toujours un peu honte de ça, je ne sais pas dire pourquoi...
Au-delà de ce très beau compliment, l'ombre inquiétante de la facture est venue me chatouiller le lobe de l'oreille gauche...Comme ces créatures de l'ombre qui vous frôlent dans le train-fantôme. En poussant un petit houuuu effrayant...Comme si la méchante Carabosse ne s'était pas encore manifestée...



Il me faudra encore un peu de travail sur moi avant d'admettre que la chance, c'est aussi, et  pour une grosse part,  nous-même qui nous la fabriquons...Heureusement , je croise sur mon chemin des gens formidables qui m'aident à en prendre conscience. J'ai de la chance, hein!

04 janvier 2013

Le dictionnaire et plus si affinités...



Asphodèle nous propose cette fois le thème de la Liberté.
Les mots à placer sont au nombre de 18.






Choix, devoir, se battre, crime, pingouin, amarres, divorce, étendard, vent, nuage, écrire, aspirer, s’envoler, s’évader, fraternité et les trois mots en C : Cascade, clameur, Chuchotement(s).

***


Sur l’étagère de l’entrée, le vieux dictionnaire s’ennuie. La maison est silencieuse. Les enfants ne font plus leurs devoirs sur la table de la cuisine. L’odeur de l’oignon frit se bat encore en songe avec celle, enivrante, de la tarte à la cannelle. Mais les enfants ne sont plus là pour écrire dans des cahiers parfumés par l’air chaud sortant du four.
Le divorce a éteint pour toujours leurs clameurs joyeuses et leurs chuchotements furtifs qui restent encore collés ça et là sur le papier peint, comme de vieux chewing-gums mâchés. 
Un choix de grandes personnes, même si ce n’est pas un crime, peut fêler les éclosions de  jeunes âmes comme des coquilles d'oeuf.

Coincés dans le vieux dictionnaire, les mots se sentent inutiles. Ils aimaient quand les enfants venaient les chercher, le petit Oscar, les mots qui font rêver : nuages, bateaux, océan, amarres.  Sa grande sœur, Agathe, les mots des sciences naturelles: scorpion, dinosaure ou pingouin.

Un  à un les mots se hasardent hors  des pages jaunies. Ils brandissent l’étendard de la liberté, aspirent à se dégourdir les jambages, dans un grand vent d'aventure  et d’anarchie analphabétique. En cascade, ils dégoulinent sur le linoléum, puis s’envolent par la fenêtre. Ils voudraient retrouver les enfants, se coller sur  leur ciel de lit, et leur dire la fraternité, l' espoir, l' amour. Leur dire qu’ils les comprennent, qu’ils ne les ont pas oubliés. Ils s’évadent en laissant les pages nues derrière eux.
Dans la maison vide, il n’y a plus de mots pour dire la tristesse de la séparation.

Edit de 15h44
Ma chère Joye me met au défi d'écrire un texte gai contenant des mots graves...
Je ne résiste pas, vous me connaissez...


Je n'ai pas le choix. Je dois prendre une liberté par rapport à la consigne...C'est même un devoir que de satisfaire ma petite Joye en relevant son défi :
Comment écrire un texte gai contenant les mots divorce et crime?
J'entends d'ici vos chuchotements...peut-être même une sourde clameur qui monte dans les rangs.
Tiens, Célestoche a soudain des envies de gaieté ..ben un peu, mon neveu ! Pour vous faire sourire, nul besoin de me déguiser en pingouin (vous me voyez, en queue de pie, franchement?) ou de me battre contre des moulins, il me suffit de m'envoler, de m'évader par la pensée, et de me remettre à la juste place où vous avez l'habitude de me voir : sur mon petit nuage, en brandissant bien haut l'étendard de la fraternité, et de l'amour, la fleur aux dents et le rire en cascade. Et de vous chanter "Life is beautiful" Alors, prêts à larguer les amarres? Prêts à aspirer à pleine poitrine le vent de l'optimisme célestinien ?

02 janvier 2013

Le secret

Dites moi, mais qu'ont-ils donc tous à s'agiter comme ça, ces jours-ci ? Est-ce que je bouge moi ? Est-ce que j'ai changé quelque chose à mes habitudes ? 
Immuablement, je me fais ouvrir la porte en grattant du bout de ma griffe. Je viens me rouler en boule toujours au même endroit, au bout du canapé, cet endroit qu'ils ont bien voulu me laisser parce qu'il est loin du feu, et du téléviseur.
Je pose ma patte sur mes yeux, ils ont l'impression, et ça les fait rire,  que "je ne veux pas voir ça"... Quoi ? je me le demande un peu...En réalité, c'est la lumière qui me dérange.
Je ne suis pas compliqué. Je prends toujours mes repas à la même heure. Je me toilette toujours de la même façon. Mes petites pattes de guimauve traînent des arcs en ciel quand je joue avec la poussière dans un rai de soleil. Je suis heureux sans date et sans âge.

Les Zhumains sont bien imprévisibles. Ce qui leur agite ainsi la calebasse, ces temps-ci, il paraîtrait que ce soit la saison qui veuille ça. Un mélange de "stress automnal", de manque de lumière, de Sainte Luce, de père Fouettard, de "beau matin des étrennes", de hotte, de houx, de rennes, de dinde, et combien de fadaises encore, j'ai oublié...
Ils s'adonnent à des coutumes étranges, comme se pourlécher le museau sous une branche de gui, ou faire exploser des violences sonores et colorées à l'heure où nous nous faisons d'habitude les gardiens de leur silence,  nos yeux d'opale ouverts sur la nuit.

Il paraît qu'ils connaissent un secret terrible, et que c'est pour  tenter de se rassurer qu'ils boivent des breuvages de bulles et d'or, qui  leur font "oublier le sablier",  en dansant des sarabandes ridicules...
Et ce secret se rappelle régulièrement à leur bon souvenir. En ce moment,  il prend la forme d'un morceau de temps supplémentaire qui leur serait soi-disant enlevé.Une "année" qu'ils disent.
 Bing! avec une exactitude effrayante, la précédente s'enfuit par la fenêtre. Ils passent leur temps à compter les morceaux qui leur restent. On dirait qu'ils se forcent à sourire pour cacher...mais quoi, au juste ?

Moi, la souris que j'ai croquée, je crois bien que sa queue, c'était l'année dernière que je l'ai boulottée et sa tête, cette année. 
Je ne me suis aperçu de rien, sinon qu'elle avait un goût délicieux.
Ce goût s'appelle l'insouciance, d'après ma maîtresse. Y'a des jours, j'en arriverais à croire qu'elle m'envie.