25 avril 2020

Ce qui me manque

 
Photo Céleste

J’aimerais bien sentir sous mes doigts, sous mes lèvres, le velours de la peau de Sibylle, mon petit ange angevin…
La regarder danser et rire de toutes ses quenottes et de ses grands yeux bleu de lin. Lui montrer les papillons et les écureuils et boire son regard.

J’irais bien m’asseoir au Bistrot de la Marine, à Cagnes avec ma fille, ma prunelle, parler de tout et de rien, tandis que le vent tiède courberait les palmiers comme pour saluer la mer. Voir ses bambous sur son balcon.

Ah…La mer…Ses rouleaux sombres, ses crêtes blanches,  ses pointus qui tanguent. Et le sel sur la peau, qu’on lèche gourmande les yeux fermés. Et la petite crique écrasée de pins parasols où l’air vibre d’insectes.

Mes fils me manquent. Leur humour, leur décontraction. 
Et leurs bras qui me serrent… « Je t’aime très fort ma petite Moune ». Fondre comme un caramel mou…Visiter une expo avec l’un, écouter de la musique avec l’autre.

Aller me balader avec ma soeurette tout un dimanche. Revoir les Iris du Grand Barbu et la barque bleue de Gigors. Et l'arc-en-ciel de Portes.

Partir, pas loin, mais sans entrave, sans papiers, sans soucis …Prendre nos bicyclettes, cheveux au vent, et hop ! avec Olga, Fred, Albert, Germaine, Eva, Patrick, Lola, toute la bande, un pique-nique, des blagues et de la joie en touffes, en bouquets, en gerbes, en étincelles.
Les amis. Les inviter, les voir, les embrasser. Leur toucher le bras en signe d’amitié. Jouer à des jeux...

Le marché du mardi matin, bigarré, bon enfant, mêlé de tant d’odeurs et de parfums, sarriette, thym, fromages,  poissons, épices, abricots, de tant de couleurs chatoyantes, huiles, vins, étals de légumes, où l’on se frôle, se parle, rit, gesticule, papote, où l’on tâte les fruits comme dans un corsage, avec des mines gourmandes. Et le petit coup en terrasse où le rosé coule à flot.
Regarder des choses belles et inutiles, une statuette représentant une femme africaine qui danse, un coffret en raku, un bracelet brésilien en coton, essayer une jupe à volants, ou un chapeau. Et finalement ne rien acheter.

Des manques doux, comme des traces de miel. Et d'autres plus poignants, comme un feu au creux du ventre.


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21 avril 2020

Les belles âmes






« Discerner la beauté d’une chose 
est le plus grand raffinement que l’on puisse atteindre »
Oscar Wilde



La beauté...il faudrait déjà quatre heures pour en définir quelques contours, qui resteraient flous pour la plupart. Et vous tomberiez tous de votre chaise, cernés par un ennui profond. 
Accordons-nous à dire que la beauté d'une chose est ce qui nous fait du bien. Aux yeux. Aux oreilles. Au coeur. Au fond de soi. 
La courbe d'une ligne, l'harmonie d'un ensemble. Une sorte d'évidence qui nous remplit.
Ce quelque chose de subtil qui nous libère et nous donne envie d'y revenir. Incitant en nous un besoin de contemplation et de plénitude.

Plus difficile est de parler de la beauté des âmes. Les mots, les actes sont alors les vents porteurs de cette beauté impalpable, qui fait dire de quelqu'un : 
« C'est une belle personne ». On sait bien que les canons esthétiques ne sont pas pour grand-chose dans ce fleurissement de la personnalité, cette expansion des qualités humaines qui nous font trouver beau un être. Peu importe les rides, les grosseurs, les difformités. Peu importe ce qu'il possède matériellement. Ce qui compte, c'est la flamme qui brille dans le creuset. La chaleur du regard, la bienveillance des mots. Cette énergie positive qui dégage une tendresse profonde pour les faiblesses et les failles d'autrui. Cette bonté qui ne juge pas, qui ne tranche pas. Qui exprime sans imprimer, qui passe sur le cours des choses à pas de papillon. En ayant toujours l'air de s'excuser de déranger. 
Ou alors, une force tranquille de marcheur d'altitude, qui donne un rythme à la cordée sans jamais se mettre en avant. Un maître d'âme, qui guide sans brimer, qui indique sans démontrer.

Nous sommes tous peu ou prou des hérissons de Schopenhauer. Nous recherchons la chaleur, le contact des autres pour combler un manque existentiel. Attirés souvent par des choses un peu nébuleuses que nous ne savons expliquer. Sauf par ce besoin irrépressible de rapprochement, d'effleurement, de partage. Mais nous savons aussi qu'un contact trop rapproché, surtout quand il s'est établi à l'aveuglette et sans prudence, peut nous blesser. Nous ne savons pas toujours discerner la vraie beauté derrière les artifices enjôleurs et les mots de carton-pâte. Nous nous laissons séduire.
Pauvres hérissons condamner à trembler, soit de froid, soit de souffrance. 
Mais la vie nous offre d'apprendre.
La sagesse, ou son autre nom plus moderne, le bonheur,  résident sans doute dans ce fragile et délicat équilibre : privilégier la relation qui ne nous blessera pas. Parce qu'elle lissera ses piquants et nous permettra de garder un petit espace bien à soi.
Les belles âmes sont de celles-là. 
Elles subliment leur conscience au monde, et la nôtre. Nous évitant la peur du futur, ou le refuge dans la nostalgie ou le regret qui faisait dire au poète :
« Mon penser est bizarre et mon âme insensée
Qui fait présente encor’ une chose passée.  »
Je suis entourée de belles âmes. Elles se reconnaîtront à ma lecture.
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Pour l'atelier du Goût, avec l'image de l'artiste russe Gueorgui Pinkhassov et la phrase en excipit d'Agrippa d'Aubigné. 

17 avril 2020

Road trip



Toute ressemblance avec la vraie vie est parfaitement plausible.








En ces temps troublés comme une anisette par de l'eau d'Evian, où le mot d'ordre est de rester chez soi, on en est réduit à voyager par procuration, en s'inventant des roads trips de calebasse. 
En un sens, c'est pas plus mal : on a l'hydrocarburogramme plat, ça nous coûte peanuts, et les piafs nous disent merci. Les voilà qui réinvestissent les parcs, faisant frétiller les frondaisons de leurs trilles guillerettes. Tu m'étonnes ! Cinquante ans au moins que le ciel n'avait pas été si bleu.
Guillerette, je le suis tout autant quand, profitant d'un petit zeph printanier, je décide de troquer mes pelures d'hiver contre la seule chose qui tourne sur terre : une robe légère version Souchon. J'ai un rencard de première, à ne pas louper. La lumière du soir est plus rasante qu'un discours électoral.
Soudain, apparaît en pétaradant comme de juste, une splendide torpedo Panhard et Levassor, magnifiquement surmontée d'un bel homme tirant sur le blond et sur une cibiche qui volute comme dans les films des années 50. Je reconnais Bleck. 
- Allons boire le dernier de la journée, je crève de soif depuis le temps que je m’aiguise la menteuse sans mouiller la meule ! lui dis-je en souriant.
Attends, ma libellule, attends, j’ai des projets plus ambidextres pour toi, qu'il me répond.
Et nous voilà embarqués sur la route de Madison, via le boulevard du Rhum. 
- Il me faut faire Allemande honorable, dit-il en souriant. Ça fait cinq ans que je te dois un resto, alors cette fois, je me suis dit ne reculons plus, sautons. Enfin si je puis me permettre cette expression hardie autant qu'osée... Ça fait cinq ans que je me dis que je vais franchir des Himalayas de réprobation, et annapurniser dans le désenchantement... Alors aujourd'hui : alinéa jacte à l'aise ! je t'emmène chez Eugène manger des frites.

Au carrefour des Etoiles, deux clampins traversent devant lui sans regarder. Il pile. 
- Toujours pareil, quand on algarade en ville, les badauds pullulent comme cellules en tumeur ! s'écrie-t-il. 
Et je vois bien que ça le met furinx. Il émet quelques bouts de râle, il ferre de lance, il abordage...puis reprend son sourire ultra brite. Tout en gouaillant, je fais gaffe parce que si cet olibrius prenait la fantaisie de m’aligner un taquet, sûr et certain que ça ferait travailler mon dentiste.
Je pourrais avoir peur, s'il s'agissait de Jojo la défouraille, un loustic pas fréquentable, condamné à mort par accoutumance qu’on m’avait dit espadrillé en Amérique latoche.
Mais là, il s'agit du type le plus réglo de la blogosphère. Un chic type du genre de mon oncle Joe Krapov, qui dit toujours que « quand le respect de la gonzesse s'effiloche dans une nation, la débâcle n'est pas loin.» 
Et c'est ainsi que, de fil en conversation, nous sommes arrivés chez Eugène, après une cinquantaine de bornes de décoiffage décapoté. (Contrairement aux films des années 50 où pas un cheveu ne bouge malgré la vitesse) 
Il passe ses mains sur ma chevelure, blêmit, rougit, jaunit, verdit, violit, marronit (comme Saint-Laurent du), orangit, arc-en-ciélit puis reprend tant bien que mal sa couleur initiale.
- Bon on se le fait ce resto ? demande-t-il d'une voix gris clair.
- Vamos, amigo ! réponds-je, le palpitant en capilotade. Et je franchis le seuil de la caverne alibabesque, en pensant au pont de Noirmoutier.

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A Bleck.


Quelques explications.
La consigne de l'atelier de Villejean aimablement proposée par le susdit Joe Krapov qui a peur qu’on s’ennuie pendant le confinement, se trouve ici. J'y ai découvert les oeuvres de Hopper croisées avec les personnages d'Hergé par un artiste talentueux nommé Xavier Marabout. Formidables !
Mon texte est émaillé de citations du grand Michel Audiard, en italique dans le texte.
Pour la petite histoire, mon ami Bleck avait organisé en janvier 2015, un concours dont le prix était un repas au restaurant. Il s'agissait de reconnaître un pont célèbre sur une photo.
Et j'ai gagné, grâce à ma suréminente perspicacité. Depuis, j'attends mon prix avec une impatience non dissimulée. Voilà, voilà. Vous savez tout  ;-)

11 avril 2020

Avril au fil du vent



Le soleil n'est jamais si beau que le jour où l'on se met en route.
Jean Giono







Photo Céleste


Mon vieux papa,



Depuis ton départ, et surtout depuis ma dernière lettre en 17, tu serais étonné de tout ce qui m'est arrivé. A moi, ton petit soldat de plume, moi dont tu étais si fier. Tu le serais encore, je crois.
J'ai décousu pas mal de fils de mon canevas d'avant. Patiemment, comme une Pénélope, fil à fil. L'ouvrage commençait vraiment à partir dans tous les sens. La trame se défaisait en longs filaments, faisant flotter ma vie comme des algues molles ballotées par les flots. 
Je me suis recentrée avec courage et détermination, entreprenant un long travail que j'ai consigné dans un livre. Aidée par une gentille thérapeute et quelques amis fidèles et précieux. Des diamants.
Au terme de cette reconquête de moi-même, où j'ai donné un grand coup de plumeau sur la poussière grise de ma vie, j'ai rompu ma relation avec le père de mes enfants. 
Tu n'imagines pas l'étrangeté paradoxale de ce fait : tout quitter, tirer un trait sur de longues années,  et en éprouver une sorte de libération, de grand souffle d'air frais. Sans remords ni regrets. Je me suis retrouvée dans un petit appartement, lumineux et calme, et cette paix, et cette lumière ont jailli du fond de moi, trop longtemps comprimée derrière des faisceaux d'apparences et de faux semblants. J'étais bien. 

C'est là que le miracle de l'amour m'a effleurée de son aile blanche. Dans un bruissement de théâtre, parfaitement synchronisé. 
Par hasard, sur un quai de gare, romantique en diable. J'ai rencontré un bel inconnu. Il m'a souri. Je lui ai souri. Nous nous sommes reconnus. C'était beau comme un matin vibrant de chaleur sur la Provence. Et chaque jour, depuis bientôt deux ans, le mystère de l'alchimie se renouvelle. Une harmonie, une tranquillité pleine de douceur et de tendresse. De fougue aussi, foi de Troussecotte ! Et des moissons de mots d'amour qui dormaient au fond de mon coeur, des brassées de blé d'or. 

En 18, une adorable petite fille nommée Sibylle a fondu comme une étoile filante sur mon ciel de juillet. Elle m'a promue au rang de grand-mère. Et comme les bonheurs arrivent en grappes, comme tu le sais, elle aura un petit frère aux vendanges.
Les bonheurs, et les épreuves aussi, et en 19, nous avons fait face ensemble au plus grand malheur qui soit : la perte d'un enfant. Une petite princesse arrivée. Un petit prince parti. Le sel de la vie dans la joie et les larmes. 
Si je t'écris, aujourd'hui, c'est que nous sommes en 20, (mais pas en vain) devant une nouvelle épreuve. Nous assistons à un virage,  une nouvelle ère s'annonce. Magistrale. Effrayante. Encore floue. Pleine d'espoirs et d'appréhensions.

Tu n'en croirais pas tes lunettes, mon vieux papa... Imagine : le monde entier, malmené par une bestiole au nom de centurion romain dans Astérix, s'est arrêté de battre. Comme un coeur fatigué. On compte les morts. On dissimule derrière des masques notre peur de demain. L'humanité va peut-être aussi devoir tirer les fils de son canevas, et en retisser un autre. Se regarder le nombril avec introspection.  Rompre avec un passé devenu trop étriqué. Avec des habitudes et des exigences hors de mise. Et tenter de renouer avec l'harmonie d'une planète merveilleuse, dont la nature prodigue ses bienfaits sans compter depuis toujours. Tu te souviens de ton expression ? « A force de tirer sur la corde » ...
On y est. On a trop tiré sur la corde d'abondance. Il serait temps de s'en apercevoir.

Tu as vu ? Ton vieux pommier se porte bien. Il se pare de fleurs. Et de la fragilité de ces quelques pétales au parfum subtil, émane sa force. Comme celle que tu continues à me donner depuis ton nuage.

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« Effets secondaires ».
Le nouveau titre de GCM dont les bénéfices seront reversés à l'Hôpital.

04 avril 2020

Chlorophylle




A tous ceux qui sont privés de verdure en ce moment, je dédie ce petit texte.




***



« Remember when you were young, you shone like the sun » *
Pink Floyd



On était trois. On avait quoi, seize ans ? Dix-sept ans à la limite comme dans la chanson ? 
On était trois, mon frère Mike, son meilleur pote Alban et moi. 
Notre trio s'était tissé de trois relations entrecroisées, de nature différente, mais très fortes. Les liens du sang m'unissaient à Mike, c'était, de mes frères, le plus proche en âge et en affinités. Celui des tuiles, vous vous souvenez ?
Les deux garçons nourrissaient entre eux une amitié solide et indéfectible. 
Quant à Alban et moi...J'avais pour lui les yeux de Chimène, un amour flou et léger, sans lendemain mais fondant comme un cookie à la fraise. Il me regardait avec des yeux de gosse bavant devant un chou à la crème. 
Rien d'écoeurant dans cette métaphore pâtissière : nous ne consommâmes jamais que quelques baisers volés, mais j'en ai gardé longtemps la douceur sur mes lèvres. Ce garçon était délicat. Une qualité qui, déjà, me faisait vibrer.

Cet été-là, on prenait nos vélos et on partait à l'aventure loin des adultes. En haut, sur le plateau, commençait la forêt et ses mystères. Les futaies s'étiraient vers le ciel comme des tuyaux d'orgue, ces bois fascinants possédaient un frêne magnifique à l’allure de Bonsaï géant. C’était un arbre tortueux et ses belles branches horizontales invitaient à y grimper à la recherche de vertiges. Les pics-verts jaillissaient tels des flèches d'émeraude entre les branches. Le simple froissement de l'air, dans la chaleur de juillet, quand les insectes s'éparpillent de leur vrombissement sucré, faisait bondir mon coeur : je goûtais déjà le sel de l'existence de tous mes pores. 

Un caprice du ciel nous abritait le temps de l'orage dans une excavation naturelle dans le rocher baptisée « la grotte »  où nous chantions « Shine on you crazy Diamond » plus ou moins juste, au risque de réveiller les chauves-souris...
Le soleil revenu, on se baignait, enfin, on pataugeait dans un trou d'eau glacée envahi de spirodèles, d'à peine un pied de profondeur, que j'appelais sentencieusement l'Etang aux Sortilèges. On y croisait parfois grenouilles et salamandres. Et ces étranges bestioles élastiques appelées geris, aux longues pattes de fil abouties par des spatules. 

Je me sentais de la même famille que les chênes, les iris d'eau et les renards. 
La clé du mystère était là, entier, au creux de moi, dans le mélange des émotions, des vibrations de nos corps adolescents en émoi, et de cette évidence chlorophyllienne qui nous entourait de partout comme une matrice dans laquelle nous nous enfoncions avec le sentiment de découvrir, au bas mot, l'Amazonie. Et sans substance illicites, je fis cette année-là de délicieux voyages, scintillants comme des diamants fous.










* Souviens toi, quand tu étais jeune, tu brillais comme le soleil...




Pour les Plumes d'Asphodèle chez Emilie, il fallait utiliser les mots :
PÂTISSERIE AMOUR SUCRE ORGUE SEL FRAISE SORTILEGE CAPRICE TRIO
FAMILLE COOKIE DOUCEUR ECOEURANT