30 juin 2020

Le sceau de l'ange




Hé toi, petit grain d'amour qui pousse doucement dans ta bulle chaude...Oui, toi qui arriveras avec les vendanges, quand les bois prennent leurs teintes sang et or, et que la treille donne ses fruits à la Bastide. Ne prends pas froid, les soirs d'automnes sont frileux ici !
Toi, comme ta grande soeur Sibylle, je t'aime déjà. 
J'adore que tes parents ne veuillent pas dévoiler ton identité, et gardent précieusement le mystère qui accompagne chaque naissance. Personne ne saura rien de toi avant l'heure où tu ouvriras la porte de ce monde un peu fou. Ni ton prénom ni la couleur de tes chaussons. 
Ainsi, la puissance du fantasme décuplera le bonheur de t'accueillir. C'est tellement magique, la venue d'un petit être. 
Ça remue tellement de choses, à l'intérieur de moi. Cette étrange reliance à autrui qui s'impose sans brusquerie, avec évidence et douceur, passe par tout un tas d'états d'âme, pétris de tout ce qui rend le fait d'être humain, si beau et si difficile aussi. De la joie, des doutes, des appréhensions, de l'espoir...
Tu ne sauras pas, en arrivant, qu'en te donnant la vie, on déclenche un chronomètre posé sur un nuage, un cadeau de millions de secondes qui vont s'égrener comme des perles d'eau et former ta vie. 
Tu auras tout oublié de ta sagesse foetale.
C'est parce que tu auras, comme tout le monde, ce petit creux si doux au-dessus de ta lèvre supérieure, juste sous ton nez, celui que l'on nomme « Le sceau de l'ange »... Chut ! t'aura-t-il dit, l'emplumé céleste, en posant un doigt sur ta bouche juste avant que tu n'écloses... 
D'aucuns diront que tu auras tout à apprendre. Je suis sûre que c'est pour que les mamies-fées se sentent utiles, et soient heureuses de lire des histoires, de belles histoires de vie, pleines de blé doré et d'écharpes de brume.
Mais tu auras aussi tout à m'apprendre : car un enfant, c'est toujours une étincelle. Ça allume des lucioles au coeur, aux yeux, et dans le cerveau aussi. Ça fait rester jeune, ça secoue les synapses. Ça accroche des sourires même à la lune.
Alors en attendant, je révise, les rivières, les chansons, les couleurs, les lapins, les arcs-en- ciel et la pâte à sel. J'emplis mes yeux de beauté pour toi. Je fourbis Orion, Bételgeuse et la Grande Ourse pour qu'ils brillent comme jamais.
 Je cultive en moi la trace vive de la petite fille que j'étais, je traverse en funambule le fil de soie tendu entre le présent et l'instant où tu apparaîtras. Les grands appellent cela leur part d'enfance. 
J'en oublierais presque d'écrire. Heureusement mes chers lecteurs me sonnent les cloches quand je les délaisse.

Tout ça pour te dire que je serai prête dans les temps pour passer ma deuxième étoile. 


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17 juin 2020

Alcantara















Dans un pays lointain d'arbres et de lunes, de sable et de lacs, un vieillard se tenait assis sur le rebord du monde, devant les murs d'une mystérieuse cité. 

Arrive un jeune homme, brun et rougeaud, au pourpoint défraîchi. Son cheval tire une langue d'une aune. Ils ont soif l'un et l'autre. Ils suent la fatigue.
Le jeune homme salue à peine le vieillard d'un ton rogue, et sa mauvaise humeur allume des éclats d'incendie dans l'herbe sèche.
- D'où viens-tu ? demande le vieil homme.
- Je viens d'une ville sombre appelée Alcantara, que j'ai quittée, là-bas, au-delà des landes grises et des déserts hostiles. Je détestais y vivre.
- Comment étaient les gens dans cette ville ?
- Ils étaient fats, et vils, et méchants, et dépravés. C'est pourquoi je me félicité d'avoir quitté les lieux. Comment sont les habitants, ici ?
- Ils sont fats, et vils, et méchants et dépravés, répond le vieillard. 
Furieux, le jeune homme brun et rougeaud repart en grommelant que le monde est très mal fait. 

Arrive un autre jeune homme, pâle et blond, à la tunique sale. Lui aussi, comme sa monture, éprouve la grande lassitude des voyageurs qui ont suivi le soleil et les étoiles des jours durant, avec l'espoir vain de trouver de l'eau. Cependant, il s'adresse au vieillard d'un ton affable, faisant naître des perles de rosée dans l'herbe fraîche.
- D'où viens-tu ? demande le vieil homme.
Je viens de la ville claire appelée Alcantara, que j'ai quittée, là-bas, au-delà des landes vertes et des déserts mystérieux. J'aimais y vivre.
- Comment étaient les gens dans cette ville ?
- Ils étaient bons, et vertueux, et humbles et généreux. C'est pourquoi je me demande si j'ai bien fait de m'en aller... Comment sont les habitants ici ?
- Ils sont bons, et vertueux, et humbles et généreux, répond le vieillard.
Heureux, le jeune homme pâle et blond repart en murmurant que le monde est très bien fait.

Alors, le garde qui n'avait encore rien dit, sortit de sa guérite, et dit au vieillard :
- Pourquoi avoir menti, vieil homme ? Tu as dit n'importe quoi !
- Je n'ai pas menti. J'ai juste dit à chacun ce qu'il trouverait là,  en fonction de la couleur qu'il donne au monde. 
Et le vieux sage plissa ses yeux bleus de lin vers le soleil, en dessinant un sourire comme une fente dans le parchemin de sa peau.


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09 juin 2020

Trois jours après JC


“Il pousse plus de choses dans un jardin que n'en sème le jardinier.”
Proverbe espagnol.






Quelle drôle de fleur !
Merci à ma lectrice anonyme qui m'a donné son nom :
Spirée Salicifolia


Le village est niché dans une vallée encore verte à cette saison. Mais la végétation de chênes et de genêts, d'arbouses et de cistes laisse supposer que les étés doivent griller le paysage et chauffer les pierres comme dans une rôtissoire. De vieux bâtiments industriels abandonnés témoignent d'un passé florissant évanoui. Les brumes du temps et du progrès en ont laminé les contours, et il ne reste que les squelettes de l'ancienne vie.
On filait la soie et le nylon dans les moulinages. Une énorme énergie habitait la population. Il fallait réinventer un monde d'après guerre, reconstruire. 
Et puis les gens ont quitté peu à peu le terroir. Saint Sauveur n'a pas réussi à sauver le village du marasme. On vit là-haut le coeur lourd mais la montagne belle, comme dans une chanson de Ferrat. D'ailleurs son ombre de poète flotte sur chaque bruyère, chaque caillou des chemins.

Lui, le jardinier, il s'avance, droit comme un i, avec un éternel sourire qui fait pétiller ses yeux sous sa chevelure neigeuse. Il a connu tout ça, l'expansion, l'apogée et le déclin de ce coin d'Ardèche, l'enthousiasme des pionniers, des hommes vaillants, imaginatifs et courageux, qui avaient de l'or dans les mains. Il y est resté. Lié à ce lieu à jamais.
L'or, il l'a toujours au creux des paumes, et il l'échange avec la terre, dans un dialogue quotidien avec ses fleurs, ses légumes, ses arbres. Il dit qu'il a levé le pied, qu'est-ce que ça devait être alors ! Moi, je le trouve ravissant son jardin.
Il me montre sa citerne, ses plantations entrelacées, de cardons et de marguerites, de tomates et de pourpiers. Ici, pas de rangées bien droites. Ce qui se mange et ce qui n'est là que pour la beauté des yeux se mêlent en harmonie. « En rang d'oignon » reste une expression virtuelle, inadaptée à ce délicieux fouillis végétal. 
Mais il s'y retrouve, attentif à chaque brin d'herbe, chaque bouton, chaque tige, chaque promesse de floraison. Le jardin, c'est son royaume, son oxygène, sa force. 
Quatre-vingt-cinq balais et il monte encore au sommet de la montagne, jusqu'à  la table d'orientation, sans bâton, sans appuis, pour nous faire admirer son pays. Il n'ôte sa casquette que pour se gratter la tête, dans un geste de vieux cow-boy encore étonné par la magie du monde.
Je pense au lien étymologique et mystérieux entre humus, humanité et humilité : il en est un bel exemple.
Je m'extasie devant des espèces dont je ne sais pas le nom. Lui non plus d'ailleurs ne les connaît pas toutes. Quand il en apprend un, il l'écrit dans un grand cahier d'écolier à petites lignes, où il rédige des notes, un peu comme sur un blog. 

Il me présente les coquelourdes,

 










je lui apprends l'échinops sphaerocephalus.

On échange nos joies d'apprendre.
Il s'appelle Jean-Claude. Initiales JC, comme un certain illustre jardinier d'âmes. Il m'a donné samedi une belle leçon de jardin, de vie et d'espoir, juste avant de déguster le délicieux repas préparé avec amour par sa femme Michèle avec les petites pommes de terre et la laitue fraîchement cueillies dans la rosée du matin. 


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02 juin 2020

Pas de soucis...



-Tu as des soucis, toi, Célestine ?
Quand on me pose cette question avec un air incrédule, comme si cela ne m'était pas possible (ou permis) j'ai envie de répondre :
-Oui ! J'en ai plein mon jardin !
Je plaisante.
Bien sûr que j'ai des soucis. Comme tout le monde. Vous connaissez beaucoup de gens qui n'en ont pas ? Et ce n'est pas parce que je vis un grand bonheur que je suis dans une bulle. Le bonheur n'est pas un caisson étanche. Le souci est comme une petite note aigrelette qui vient troubler l'harmonie d'une belle musique. Une sonnerie d'alarme, qui se fait parfois insistante, surtout si on ne sait pas la faire taire. Ou comme une petite mouche qui danse devant les yeux et nous énerve. 
Bien sûr que je cultive autant que je peux l'insouciance et la joie de vivre. L'instant présent et la méditation.  Alors j'essaie de positiver, de régler mes problèmes et de les remettre à leur juste place. J'essaie de sourire, d'aller de l'avant, de relativiser, de me dire que ce n'est pas si grave... et de ne pas me charger inutilement avec ce qui ne m'appartient pas. 
Mais comme je le disais à mon ami Aldor, il y a l'insouciance, légère et douce. Un reste d'innocence de l'enfance qui contient en elle beaucoup de force. Et puis il y a l'inconscience, qui empêche de réfléchir, et accentue nos faiblesses, une forme assez grave d'égoïsme invétéré. 
J'ai conscience de mes difficultés et de celles d'autrui, qui me touchent, par empathie.
Et j'ai appris à exprimer cette conscience, à ne plus apparaître au monde entier comme une espèce d'extra-terrestre toujours contente, allant bien à tout prix. J'ai appris à partager mes soucis, à déléguer, à demander conseil. Tout n'est pas toujours under control... 
Dans la grande boîte à soucis, il y a des peines, des inquiétudes, des douleurs, des impuissances, des perplexités...Personne n'y échappe. On se sent simplement plus fort pour les affronter quand on est moins seul. Mais ils sont là.
Ces soucis ne sont pas tous du même ordre. Il y a les petites contrariétés, les petites choses matérielles qui finissent toujours par se régler, et puis les vrais problèmes humains. Et ceux qui touchent les êtres aimés sont les plus impérieux. 
Pour l'heure, par exemple, je m'inquiète pour une personne très chère de ma famille, qui est en train de glisser jour après jour sur les parois lisses de la dépression. 
Comment l'aider ? si elle ne veut rien entendre, ni se soigner, comment lui dire ? Comment ouvrir une brèche dans le mur de son silence ?