23 décembre 2020

Quelque chose respire...



« Combien d'êtres humains passent l'essentiel de leur vie à se soucier de choses matérielles ou futiles et oublient de prendre le temps de vivre les expériences les plus essentielles, l'amour, l'amitié, l'activité créatrice, la contemplation de la beauté du monde? Le superflu est onéreux mais l'essentiel est offert.  »

Frédéric Lenoir




Photo Robert Marleau
Avec son aimable autorisation






Quelque chose respire. Sous les flèches acérées d'une folie tapageuse, d'un avenir noirci, quelque chose bat encore, comme un souffle de cerf, blessé mais vivant. C'est le vent de l'espérance qui caresse les plaines dorées, les champs enduits de lune, les vallées inondées de neige. 
Cela s'appelle Noël.
On le tient pour fantasque et insensé, dérisoire sans doute quand on croit tout savoir. Dépassé, cuit et recuit. Embarqué dans le sordide ou le mercantile.
Les poussières de givre et de traîneaux, les étoiles accrochées aux arbres des songes humains ? Des rêves fous, bien sûr, face aux businessmen si sérieux qu'ils en oublient le lait et le miel. 
Qu'ils en oublient l'enfance.
Et pourtant...
Pourtant à la sainte Luce, déjà, un éclair a jailli. Dans un cycle éternel, la vie porte son lot de mystère. Etre humain, être vivant, et s'en étonner. Et s'en émerveiller.
Chaque cri de nouveau-né, au creux des jambes ouvertes, dans la douleur joyeuse et la joie douloureuse, explose comme un soleil inattendu dans la nuit. Un soleil d'espoir universel. Toujours le même, fragile et miraculeux.
Quelque chose respire dans ce monde, comme une flamme. 
Le désir et l'amour sont plus forts que la peur. 

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Joyeux Noël à tous les enfants, qui portent le futur mieux que le masque.
Joyeux Noël à vous tous, mes amis. 

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13 décembre 2020

L'or du passé





« L'amour est un trésor de souvenirs. »
Honoré de Balzac









Il y a quelques semaines j'ai ramené de Saint-Martin une boîte pleine de photos que ma mère avait gardées soigneusement au cours de sa vie. Je suis tombée en arrêt devant celle-ci,  prise par mon paternel, moment délicieux, goutte de temps suspendu à un fil de satin. Une émotion profonde m'a saisie, celle que l'on éprouve toujours devant ce grand mystère du temps. 
Tempus fugit. Plus que jamais...
La maison vivait alors des mille éclats de rire de frimousses bien vivantes, ça sentait le caramel et les chamailleries, la menthe et le lait chaud. Une vraie ambiance de comtesse de Ségur. C'était l'heure des cahiers de vacances, des jeux calmes, cette heure de moiteur douce des après-midi, l'été, là-bas. Juste avant l'orage quotidien. 
Trois blondinettes en couleurs primaires. La jonquille-Margot c'est ma fille. Celle qui s'est mariée en septembre. Elle est avec deux de ses cousines.
Le coquelicot-Mathilde s'applique à l'écriture d'une main gauche pleine de promesses. Et l'adorable petit bleuet-Anaïs, a sûrement voulu s'asseoir là pour faire comme les grandes. Je l'entends d'ici : « Moi aussi, moi aussi, ze veux cravailler  ! »  
Ma mère, toute en blanc, ressemble à une maman cygne couvant ses poussins avec tendresse. Une maman cygne expliquant sans doute l'accord du participe passé, car elle avait été prix d'excellence en grammaire en 1941.
J'adore l'atmosphère de cette photo. Les cosmos de mon père ont un feuillage vaporeux et tendre. La grille de la rambarde n'est pas encore rouillée. Les peaux ont cette si splendide perfection de l'enfance. La lumière est celle d'un peintre. 
C'est dans l'émoi de cette découverte que j'ai décidé de faire un album-souvenir de mes parents, et de l'offrir pour Noël à chacun de mes enfants. Je viens de le terminer, un marathon, au terme de longues journées de travail, de tri parmi des centaines de clichés, de battements de coeur et de larmes nostalgiques. Cela n'a pas été facile, et m'a dévoré mes journées à l'exclusion de tout autre chose. Et puis, remuer tant de souvenirs, ça m'a bradassée, estirgouillée et pour tout dire, estransinée.
On a beau aller de l'avant, parfois, le passé ça vous change en plomb. 
J'ai voulu en extraire l'or. Et j'ai ressenti, cela pourra paraître étrange, une profonde joie dans le deuil. C'est comme si j'avais reconstitué les fragments d'une amphore précieuse. 
Je suis fière du résultat. Dans quelques années, quand je ferai travailler Sibylle, Alba et leurs futurs cousins, j'aimerais bien qu'un clic-clac immortalise l'instant. Avec le même oeil d'artiste que mon père.
J'aime l'idée du cycle éternel, de ce tourbillon qui nous souffle. 
Ça tourne la tête mieux qu'une valse dans les bras de mon oncle Max.









29 novembre 2020

Odette



Celui qui veut tromper les hommes doit avant tout rendre l'absurde plausible.
 Goethe (1749-1832)





Quand j'ai connu Odette, elle marchait d'un pas alerte dans les chemins de noisetiers, s'extasiant toujours sur les fleurs en boutons ou le vol des geais. Après sa promenade, elle ne dédaignait pas un petit verre de porto ou de vin de noix en apéritif. Puis 
elle dégustait l'entrecôte du dimanche avec des frites. Beaucoup de frites. 
Après cela, elle s'asseyait sans bruit dans son fauteuil, et sommeillait d'un oeil.
Tendre et fragile comme une feuille, elle rentrait, la joue rosie de bonheur, dans sa maison de retraite, l'âme en joie d'avoir serré des coeurs sur le sien. 

Aujourd'hui, cela fait cent quatre vingt-seize-jours et dix heures qu'elle n'est pas allée plus loin que le jardin de sa prison dorée. 
Elle ne se plaint jamais. Elle se résigne. A peine, de temps en temps, murmure-t-elle un faible : 
« C'est un peu long... » 
Doux euphémisme.
Elle a la sagesse des centenaires ou presque. Elle a appris à respecter la raison d'état et à se raccrocher aux petites choses, comme les rayons du soleil qui, heureusement, entrent à flot dans sa chambre. Mais sa chambre fait neuf mètres carrés. Odette a beau être positive, son avenir se grise et se rétrécit. Et une ombre passe devant son regard.
 C'est dur, cette chambre qui devient une cellule, car les règles se sont durcies ces derniers temps : plus de repas au restaurant collectif, plus de sortie au jardin, ni même dans les couloirs. Plus de visites des proches.
Motif : on protège, on protège, on protège...
Mais de quoi, bon sang, peut-on protéger une vieille dame de quatre-vingt-dix-sept ans ? 

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La photo est celle de Gisèle Casadesus, une autre centenaire qui a eu la chance de ne pas connaître cette époque troublée.

24 novembre 2020

Auscultation

Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps, et transir et brûler.
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables.

Racine, Phèdre I, 3







Auscultez-moi, Docteur.  J'éprouve depuis quelque temps de petits picotements, là. Est-ce grave ?
- Voyons mademoiselle Célestine...Ces picotements vous grattouillent-ils, ou plutôt vous chatouillent-ils le bulbe rachidien ? 
- Vous n'y êtes pas, docteur. C'est beaucoup plus bas ! Du côté du poumon... là, voilà, nous y sommes. Au niveau de cette chose qui bat, là, dans mon caisson.
- Le coeur ? Ah oui, je sens en effet comme une légère tachycardie printanière... On dirait un murmure d'abeilles.  Avez-vous de la fièvre ?
- Une fièvre brûlante, docteur ! Et des frissons par tout le corps...
-Vos yeux se brouillent-ils ?
- De larmes d'émotion, oui.
- Vous êtes essoufflée aussi, je pense ?
- A bout de souffle, bien souvent. Comme estomaquée.
- Par manque d'oxygène...
- Que nenni ! De grosses bouffées d'air pur qui me coupent littéralement la respiration, vous voulez dire ! des vagues de sentiments débordants qui m'envahissent... Mon plexus qui se gondole.
- Des courbatures ?
- Plutôt une sorte de frétillement permanent de mes extrémités, une tension, un tremblement.
- Une perte de sensation ?
- Oh non, au contraire, je sens, j'hume, je regarde, je goûte, je touche tout avec bonheur !
- Perte de l'appétit ?
- Au début, sans doute un peu...Mais je suis une gourmande invertébrée, et je dévore désormais avec délices et orgues !
- Pas de doute...Vous êtes atteinte d'un mal étrange et pénétrant;  j'ai mon idée, mais ne nous prononçons pas hâtivement...... Faisons le test. C'est indolore.
...
...
...



- Alors, docteur, ce test ? Un résultat ?
- C'est bien ce que je pressentais : vous êtes positive.
- Ah oui ! Une vraie positive, docteur ! Je le sais, on me le dit souvent. Parfois même on me le reproche.
- Les idiots... Vous souffrez en fait d'une forme aiguë du virus le plus répandu de la planète. On l'appelle le syndrome de Vénus, ou encore le Cupidovirus.  Symptômes diffus, variables, souvent forts. Incubation incertaine. Guérison aléatoire, parfois spontanée. Peut s'emparer d'une personne à n'importe quel âge. Jambes qui flageolent, joues empourprées, mains moites et pieds poites...
- Des contre-indications ? 
- Pas que je sache. Vivez de toute votre âme. Profitez de toutes vos forces. Battez de tout votre coeur jusqu'à la chamade.
- C'est douloureux ? 
- Seulement quand ça s'arrête, alors, ne soyez pas pressée.
- Pas de remède donc ?
- Ce virus, fillette, est le seul qui soit en même temps un remède. Contre à peu près tout. Un véritable vaccin contre l'ombre, l'ennui, et la morosité ...C'est pourquoi l'on parle sans le percer jamais vraiment, du mystère de l'amour. 
- J'en ai pour la vie ?
- Je l'espère pour vous, jeune dame... N'oubliez pas que la vie est la première maladie mortelle sexuellement transmissible. Alors...Allez, courez, volez et nous vengez de la peur, du froid, du manque d’amour...
Aimez donc ! Tout le reste est lie, et ratures.

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18 novembre 2020

Le voyageur aux yeux de ciel


 
Nous


« Emmène-moi dans un endroit où nous ne sommes jamais allés ensemble » dis-je soudain sur un de ces coups de coeur dont j'ai le secret,  alors que nous rentrions d'un déplacement coché 2 sur l'attestation dérogatoire. 
Aussitôt, le soleil de mes nuits, qui ne sait rien me refuser, d'un adroit coup de volant, bifurque séance tenante sur une route secondaire. Nous débouchons effectivement dans un lieu inconnu de moi, peuplé de grands arbres et de verts pâturages. 
Ce jardin idyllique entoure un long bâtiment un peu austère qui ressemble à un lieu de retraite spirituelle. C'en est un, c'est vrai, et j'aperçois des silhouettes de moines et de religieuses marchant d'un pas méditatif entre les frondaisons.
A côté d'un verger de dessin animé japonais, un bâtiment plus modeste. « Vente de pommes » est-il annoncé sur un écriteau.
Et sur le pas de la porte, un homme nous ouvre les bras.
 « Je vous attendais » semblent dire ses yeux rieurs, d'un bleu pâle admirable, et emplis de bonté espiègle. La conversation s'engage, comme si nous nous connaissions de longue date.
 Il se présente comme voyageur itinérant, ou vagabond par choix depuis toujours. 
Oui, par choix, c'est ce qui rend le bonhomme fascinant, détonnant dans un monde calibré en froides étiquettes pour lequel il ne serait qu'un SDF.
Ses pas l'ont mené dans ce lieu,  les religieux l'ont accueilli, lui offrant une place de jardinier factotum, il a saisi l'occasion de se poser pour une escale un peu plus longue. 
Nous parlons herboristerie, jardinage et philosophie. Les canards chinois glissent lentement sur l'étang. Un chat dort au soleil.



Lui


Je les ai vus arriver de loin. Il faut dire que la nana, avec ses cheveux de flamme, on la verrait depuis la lune. Un petit couple bien sympathique, ils ont pris un kilo de pommes, une caisse de jus. Je me suis tout de suite senti en confiance. Je leur ai parlé de mon projet de formation sur les simples, oui vous savez bien, les herbes qui soignent. Les herbes de sorcières quoi.
Ils ne m'ont pas jugé, au contraire, ils ont eu l'air intéressés par mon parcours. 
On a parlé des retraites ignaciennes, de la majesté des montagnes qui entourent les bâtiments, et du travail de la terre. Je n'avais pas vu grand monde ce matin, à part le chat qui ne parle pas. Ça m'a fait du bien de discuter avec ces gens. Ils ont l'air de s'aimer, ça se voit tout de suite.








Le chat

Non je ne dors pas. Et oui, je parle. J'observe de ma margelle. Moi aussi, je suis un voyageur, môssieur. Et je sais très bien pourquoi j'ai élu domicile ici, parmi les pommiers du cloître. Certes, si les poissons de la mare ne se laissent pas attraper facilement,  les souris du grenier sont bien croquantes. Mais c'est surtout que les hommes y sont meilleurs. Ils ne s'embarrassent pas de ces futilités qui occupent le monde et la foule déchaînée, loin, là-bas. Ils connaissent la valeur des choses, et des mots bien pesés, comme des fruits. 
Le père supérieur vient de temps en temps voir si le nouveau gère bien la récolte de pommes. De rares clients passent parfois la grille. C'est ce que j'aime ici : la paix. Ce matin, deux seuls sont venus troubler ma quiétude féline. Quand le gars a chargé sa caisse de pommes, la fille est venu me caresser le museau. Elle sentait bon. Tout est bien, me suis-je dit l'oeil mi-clos. Je ne dors pas, mais j'aime qu'on le croie.

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Pour l'atelier de la Licorne, il fallait raconter un événement de trois points de vue différents, chaque paragraphe comptant 15 phrases maximum, et le titre devant comporter un des mots terre, mer ou ciel. :-* :-* :-*

12 novembre 2020

Yoga



« Prends soin de ton corps pour que ton âme ait envie d'y habiter. »
Proverbe chinois






J'ai ouvert la fenêtre. L'air sent la frangipane et le sel marin. On va encore dire que ce n'est pas normal pour un onze novembre. Toute cette douceur bleue qui enrobe les jours, ces feuilles qui meurent sans le gris qui sied aux funérailles.

Les lichens frisent les tuiles comme des dentelles. 
Ils attendent la pluie, mais c'est le soleil qui pleut ses petits rayons très obliques : ils caressent mon tapis de yoga. 
Je m'installe.
Salutation au soleil, justement. Etirements de chat. Chien tête en bas. Scorpion. Cobra. Charmant bestiaire. Le souffle envahit l'espace. Ne plus penser. Juste ressentir les courbures et les allongements. Le corps qui se délie telle une liane. L'énergie vitale. Les postures qui étirent l'âme.


Il y a un an, le jardin s'enveloppait d'hermine, un lourd manteau, et les arbres criaient leur plainte sous le poids de la neige.
Rien n'est jamais comme avant. Cette année, le monde s'enlise dans la peur. C'est une neige moins jolie. Elle est sale parce qu'elle a un goût de malheur, de défaite.
La nature, elle, nous refait le coup du temps sublime, comme pour parer à la névrose ambiante.
On ne connaît plus le sens des mots. Qu'est-ce qui est indispensable ?
Les livres, la musique, le chant d'un merle ou le parfum d'une rose sont jetés aux orties de l'inutile, par décret. On tend de ridicules rubalises devant les rayons musique et littérature.
Bien malin pourtant qui pourrait affirmer sans crainte de s'égarer ce qui est utile ou pas aux hommes. On a oublié le Petit Prince et sa fleur.

Je ramène à ma respiration ma conscience un instant distraite par mon mental fugitif.  Des pensées qui passent à l'horizon, comme un voilier qui recoud la mer et le ciel.
 
Plus que jamais, je sais, moi, ce qui m'est indispensable. 
Et vous ?





02 novembre 2020

Retrouvailles







Ils sont tous venus au rendez-vous. Tous. Même Laurence, toujours en retard, le cheveu en bataille.
Tous ceux de ma bande de copains de la terminale A2 du Lycée Des Moulins. Quarante ans après. 
J'étais arrivée la première. J'ai toujours aimé arriver en avance. M'asseoir. Observer le monde avec cette calme attitude de ceux qui voient loin. J'ai toujours aimé observer le monde, oui, et ça ne m'a pas quittée. Surtout en ce moment. Mais je m'égare.
Je n'ai pas de mal à voir loin. Mes parents m'ont affublée d'une paire de cannes ressemblant aux échasses d'un berger landais. Mes yeux de lynx nécessitent désormais une paire de carreaux pour presbytes, mais je n'en ai pas perdu mon incomparable acuité intellectuelle. Comment ça, je me vante ? Parfaitement, je me vante avant d'être complètement éventée. C'est une question d'hygiène mentale. Y a pas de mal à se faire du bien comme disait Dany à vingt-cinq ans.

Je portais mes vieilles clarks et mon sac en mouton retourné. Comme au temps du lycée.
Je me suis assise en haut des marches, sous les imposantes colonnes doriques du Panthéon.
 Et l'ombre des grands hommes est venue me caresser l'âme. Zola, Hugo, Jaurès, Jean Moulin, Simone Veil et les autres. Que diriez-vous de notre époque, messieurs-dames, de cette machine qui s'emballe, de ces étranges échos ? En ririez-vous ? En pleureriez-vous ?

Puis ils sont arrivés. Séverine, Eric, Marco, François, Gégé, Marion, Bruno, Evelyne... Il ne manquait que Patrick, retenu à Las Vegas. Le lâcheur. On a comparé nos vies depuis la dernière fois, il y a trente ans. 
T'as pas changé ! t'as une petite-fille ? Moi j'en ai deux...Ils m'ont demandé si je me marrais toujours pour rien. J'ai dit oui. Même que ça m'a plutôt réussi, jusque là. 
On s'est redonné rendez-vous en 2030. Même jour, même heure, même pommes.
On y sera.
Enfin, si on ne s'est pas tous fait covicider avant.



Pour l"atelier du Goût, il fallait s'asseoir sur des marches.



26 octobre 2020

L'inconnu du métro

 





Je l'ai croisé pour la première fois en descendant les escaliers de Saint-Michel. Plutôt beau gosse, mais son regard clair et perçant contenait une détresse imperceptible. Ou une fatigue existentielle. A Réaumur Sébastopol je l'ai revu. Cette fois, ce sont ses lèvres minces et son menton volontaire qui m'ont attiré l'oeil. J'ai changé pour Opéra. 
Il était encore là, avec son air qui pour le coup me fit l'effet d'un pauvre chien battu. Je n'avais pas, jusqu'ici, prêté attention à sa chemise élimée aux coutures douteuses. Les longs couloirs fouettés de courants d'air, parfois glacés, parfois suffocants de remugles, résonnaient de la musique d'un violoneux qui emplissait l'espace avec Debussy. 
Les quidames et les quimessieurs ont l'air moins pressés, et moins cons, quand, au fond du métro, le bruit de leurs pas se mélange à des notes. Surtout si elles sont de Debussy. Je me suis arrêtée un moment.
J'ai regardé dans les yeux le sombre inconnu : que voulait-il me dire ? Ses mâchoires carrées semblaient serrées sur un secret. J'ai noté un léger strabisme divergent. Annonçait-il la prochaine reprise d'une pièce de Becket au théâtre de l'Athénée ? Ou l'éventuel concert d'un émule de Thiéfaine ou de Noir Désir ?
Moi, j'ai repris la 3 jusqu'à Villiers. Décidément il me suivait, semblant se multiplier à l'infini comme dans un jeu de miroirs fous. Lui, avec sa barbe de trois jours et son col de chemise mal fagoté, trop échancré, enfilé à la six-quatre-deux. Il était partout.
J'étais certaine de le retrouver à Pigalle, et où que j'aille ce jour-là, mais je n'ai pas poussé jusque là-bas. Je suis descendue Place de Clichy, où un aveugle m'a tendu sa sébile juste sous son nez. Je n'ai pas su dire pourquoi, d'un seul coup, je ne l'ai plus trouvé si beau que ça. Comme si son absence d'identité, son mystère, et les questions que sa présence posait me gênaient, exhumaient de vieux malaises ou révélaient le tréfonds de son âme. Noire. Celle d'un être de douleur. 
Amnesty international ? Les restos du coeur ?
J'ai eu envie de soleil. Mais le Paris d'octobre s'était enrubanné de brume. Une brume de corbeaux et de pavés glissants. Les colliers de feux rouges et de phares scintillaient dans un flou artistique de myope astigmate.
Je suis rentrée par Champs-Elysées et Palais Royal. 
Lui aussi. Dans ma rue, il trônait sur une colonne Morris, et semblait m'attendre. Une nouvelle version posthume des Misérables ou de Germinal tournée par Agnès Varda ?

Une semaine plus tard le pot aux roses s'éventa. Ce n'était qu'un coup prétendu fumant d'une agence de pub pour un parfum, encore un, pur produit de marketing frelaté de l'industrie du luxe. Je fus saisie de déception. 
Ce monde manque cruellement de hauteur, me dis-je in petto.






  



Pour l'atelier de Lakévio du Goût, il fallait broder sur une photo de Walker Evans



21 octobre 2020

Vie et mouvement









L'autre jour, Sibylle dansait. La joie parcourait son petit corps souple de deux ans. Gracieuse par nature. Sérieuse dans son geste, et pourtant irradiant de bonheur. Et dans cet éclat de joie pure, j'ai eu l'expérience concrète que la vie est dans le mouvement. Et que le mouvement est la vie. Même s'il floute les photos...

Rien ne reste jamais en place. Tout bouge, tout change. Tout le temps. Même imperceptiblement. Un paysage semblant immobile ne l'est jamais totalement. La vie se charge de faire rouler un caillou, d'agiter les feuilles, de changer les ombres de place. 
Ne pas l'accepter, c'est ankyloser son être, scléroser ses neurones. C'est se réduire, se priver d'évoluer, de connaître, d'apprendre, de ressentir profondément les choses. C'est refuser l'inéluctable cours des planètes. Un peu idiot et totalement contre-productif, à mon sens.

Bien sûr, parfois les mouvements que nous imprime la vie ressemblent davantage à des secousses, des saccades du destin, des essoreuses à salade, qu'aux arabesques délicates d'une danseuse. On se retrouve tremblotant sur la rive, sonné, orphelin, entamé.
Bien sûr parfois, notre corps est entravé, immobilisé...On se sent comme un vieux chou bouilli au fond du frigo. Mais l'esprit prend le relais, fort heureusement, développant ses formidables facultés.
C'est comme pour ces deux rivières, ayant soudain redessiné version trash le village de mon enfance, le prenant dans leur étau de boue, et laissant deux larges cicatrices blanchies dans la verdure violentée. Il m'aura fallu deux semaines complètes pour réaliser que ce qui était, n'est plus. Assommée, j'étais. Tétanisée. Privée de réaction.










Et puis, tout doucement, la vie s'est remise en marche. Une fêlure, une blessure, un trou béant, tout se répare. Tout se comble. Tout s'adoucit. On peut bien sûr s'asseoir et se lamenter des années durant devant ce que l'on a perdu. Au lieu d'essayer de voir ce que l'on pourrait avoir gagné dans cette sorte de « reset » émotionnel. Telle ma cousine, qui n'a plus de maison, plus de voiture, plus de vêtements, plus de souvenirs matériels, qui me dit qu'elle a une famille et des amis merveilleux, et qui sourit en méditant à ce que l'univers a voulu lui signifier. Une chance ? Un nouveau départ ? Une leçon de vie ? Respect !
Là-bas, les gens retroussent leurs manches. Les engins de chantier modèlent des routes de fortune, la vie reprend le dessus, la solidarité s'organise. Un jour, ce qui est aujourd'hui ne sera plus, il y aura d'autres maisons, différentes, une meilleure gestion de la rivière sans doute. On peut l'espérer. On aura tiré la leçon de ce soubresaut tellurique. Peut-être...

Dans ma dernière méditation, ce matin, un exercice consistait à visualiser les énergies négatives sortant de mon corps sous la forme d'un flux sombre et visqueux. Je vous entends, les amateurs de blagues scatologiques...mais au fond, est-ce que ce n'est pas un peu cela ? Faire sortir de soi les scories, les déchets nauséabonds du passé avant qu'ils ne s'incrustent ? Purifier les vieux schémas, les conditionnements, dans un grand mouvement d'eau et de lumière ...Se sentir neuf, comme l'oiseau qui vient d'éclore.

Ou comme Alba, ce petit ange qui n'était pas, et qui EST, maintenant, dans toute la beauté de la vie renouvelée. Merci à vous tous pour ces beaux messages de bienvenue sur le billet précédent. Allez, je me bouge, la vie m'attend.

09 octobre 2020

Alba

 


 Toc...toc... Qui a frappé à la porte hier soir, quand les paupières de la nuit commençaient à tomber sur mes yeux rougis ? Qui est venue m'accrocher  ma deuxième étoile de mamie, tout doucement, sans faire de bruit ? 
Il paraîtrait que tu te nommes Alba. Tu le sais, au moins, petite fleur de jasmin, que l'Italie coule dans mes veines ? Que ton prénom me fait rêver, et m'emmène flâner à Milan, à Florence, à Padoue, sur les traces de notre aïeule et de son tempérament de feu ? 
Tes parents n'auraient pas pu mieux choisir. Après Sibylle la Grecque, Alba la Romaine. Tous les parfums de la Méditerranée dans une corbeille d'Anjou.  Des cyprès, des toges drapées, des Vespas de Dolce Vita...
Décidément, la vie continue de me bradasser dans tous les sens. Mais j'ai le coeur bien accroché, comme la lune sur le clocher ! Depuis une semaine, je pleure mon village martyrisé par les éléments et aujourd'hui, tu me redonnes le sourire, té, galinette. Vivement la semaine prochaine que je puisse te serrer de bonheur...
Alba la Blanche, tu as enrubanné ma nuit comme une pochette surprise dans du papier gaufré. Bienvenue dans ce monde splendide, étrange et perpendiculaire. Passionnant et cousu de fil blanc, cousu de fil du temps. 
Je nous vois bien, toutes les trois, toi, ta grande soeur et moi. On est faites de la même eau, du même feu, du même bois. On fera une fine équipe. On écrira à la plume sergent magique sur les trésors de l'enfance et sur les secrets des jours. On écrira la vie, cette formidable aventure. Ce sera bien. 
Ce sera très bien.

03 octobre 2020

Furtif


Oui, le bonheur est furtif
je sais l'attraper quand il passe, le poser sur ma main
comme un oiseau fragile qui bat des ailes
pour me dire toute la douceur de cet instant
et puis l'instant s'enfuit, il nous faut l'accepter
il y a de gros nuages 
qui viennent s'amonceler sur nos vies
alors seuls les poètes et les vagabonds savent 
que ce bonheur reviendra
quand on ne l'attendra pas
il nous fera un manteau d'étoiles
nous emportera dans son souffle
avant de disparaître à nouveau
c'est comme ça
c'est la vie
une ronde
un tourbillon
ne pas pleurer
ouvrir ses ailes
et attendre
comme une aurore dans le ciel de nuit




J'avais écrit ce simplistic poème un jour, je ne sais plus ni où ni quand. Comme on souffle une bulle de savon. Mais mon amie Mathilde Doublétoile l'avait gardé dans un repli soyeux de son cahier de songes. Elle me l'a renvoyé, un jour d'hiver où sa peine immense débordait le ciel d'un torrent irrépressible. 
Pour me remercier de « ces mots qui me font du bien » me dit-elle, « quand le chagrin me submerge. » La faucheuse a redoublé de zèle, il faut dire, en emportant sa mère et son mari dans le même convoi. 
La mort rôde aussi autour de moi, ce doit être normal à cet âge...
Je n'ai pour la tenir en respect que mon bouclier de lumière, fragile comme une de ces bulles.

Ce soir une furie de boue a dévasté Saint Martin, le village de mon enfance. Un pont s'est rompu sous la violence de l'eau. J'ai eu peur que le barrage qui surplombe le village ne cède et l'engloutisse. J'ai eu peur pour mon frère qui vit là-bas. Il n'a plus d'électricité, il est seul. La semaine dernière, j'y étais, moi aussi, dans cette maison que j'aimais tant. A rouvrir comme une blessure les tiroirs où ma mère gardait ses carnets, à caresser du bout de mon doigt la statuette de bronze où mon père accrochait ses clefs. Cette maison que l'on va vendre. Ce grand fragment d'enfance qui se détachera définitivement, comme une falaise de craie s'effondrant dans la mer.
J'ai écrit à Olga. Une longue lettre pour lui dire que je pense toujours à elle, même si la vie nous a séparées. Même si elle m'en veut d'être heureuse. Mais comment choisir entre l'amitié et l'amour ?
J'ai longtemps contemplé le sac et le ressac, la respiration de la mer, sur cette petite plage ravissante de Jean Blanc où les méduses roses s'échouent sur le sable, tels de petits sacs au ventre mou.

Photos moi.


L'haleine chaude du large m'a envahie profondément, en visitant le Belem dimanche. 
Quel merveilleux bateau plus que centenaire !
A Saint Tropez c'étaient les Voiles, les vieux gréements d'acajou et de teck y remplaçaient pour une fois les gros et inélégants yachts de milliardaires sur le quai Jean Jaurès. C'était de toute beauté.
Et soudain j'ai dû avoir le regard fasciné de Marius dans le Vieux Port, à l'appel de la Malaisie. Parce que Paul m'a regardée avec ce même sentiment d'urgence qui efface tout le reste, et qui nous happe comme une corne de brume. 
Ce n'est pas le bonheur qui est furtif. C'est la vie. Fréquenter des choses solides semblant éternelles, en atténue juste un peu l'éphémère.





















Samedi 3 octobre

Et aujourd'hui ?
J'ai été réveillée par mon frère en larmes, j'ai vu les images d'apocalypse de mon beau village dévasté. Il va bien, autant qu'on peut aller dans ce genre de circonstances... Il est choqué.  Je le suis aussi, terriblement. Ma cousine n'a plus de maison, elle a été emportée par la rivière.
Partout, des images de désolation, des routes éventrées,  des arbres arrachés. On a beau dire, ça ne fait pas le même effet quand on est directement concerné. 


Tous les mots que l'on peut écrire sont des dentelles déchirées.
Louis Aragon



Tous les mots que l’on peut écrire Sont des dentelles déchirées Tous les mots que l’on peut écrire
Sont des dentelles déchirées