30 avril 2010

Randonnée nocturne

 photo empruntée à Dam  ( sur les conseils de Delphine)


Sous le velours bleu de la nuit étoilée, dans l'immensité profonde d'une sombre clarté chère aux poètes, j'ai posé mon cœur au bord de la galaxie, et mon sac à dos au bord de la falaise. J'ai écouté se calmer ma respiration emballée par les efforts de la montée. Mon sang cognait à mes tempes et l'eau perlait à mes lèvres, comme un vin de vigueur aurait dit Rimbaud...J'ai bu à grand traits sous la lune montante, étourdi par tant de beauté.
Mes yeux parcouraient incrédules le paysage luisant, tout en bas, le fin ruban de la route, le miroir froid du lac, les écharpes de nuages s'effilochant au vent du sud.
Le chant d'un rossignol a troué l'air de sa plainte cosmique . J'ai sorti mon harmonica pour répondre à sa trille par un petit air nostalgique.
Puis sentant monter en moi une étrange fatigue, je me suis allongé dans les hautes herbes, et j'ai contemplé l' infinie absurdité  pesant comme un couvercle au-dessus de ma tête.
 "Y a quelqu'un, là-haut, y a quelqu'un ?" ai-je gueulé du fond de mes tripes, le cœur très lourd soudain du poids  métaphysique de l'existence. Mais le silence seul m'a répondu, indifférent à ma douleur subite mais bien réelle.
Alors j'ai ouvert mon sac à dos, renonçant provisoirement à obtenir une réponse aux questionnements éternels de l'humanité. J'ai étalé en salivant un bon morceau de camembert sur une tranche de pain de campagne, et levant un verre de vieux Bordeaux vers les étoiles, j'ai trinqué au bonheur de vivre. Malgré tout.


 Comme chaque année, mes élèves et moi avons participé au concours d'écriture annuel de la Médiathèque.Voilà ma participation personnelle (pour donner l'exemple)
Le thème  était, cette année : écrire une mini-nouvelle de 1500 signes maximum contenant la phrase "y a quelqu'un?"...Résultats fin mai.

27 avril 2010

Un beau voyage


J'avais déjà parlé de la maternité suisse d'Elne, mais de loin, en photo, dans les livres, les choses restent théoriques. Et puis, il m'a été donné cette semaine de découvrir avec passion ce lieu  chargé d'histoire et d'émotion. 

Quel frisson de débarquer dans ce petit village catalan, en pleine fête de sant Jordi, le saint local.
Que de plaisirs pour tous les sens au long de ces quelques jours de féerie...
Les plages longues et encore désertes en ces premiers jours de beau temps aux couleurs de l'été, l'eau transparente d'une mer différente de celle que je connais, une petite  tramontane aigrelette et vivifiante hérissant les poils sur la peau encore pâle de sortie d'hiver.
Les petits restaurants de Collioure, les spécialités catalanes, les moules persillées, les calamars à la planxa, la crème catalane au parfum de cannelle et de fleur d'oranger, les concerts de musique de rue, les drapeaux jaunes et rouges pavoisant chaque carrefour. Partout des odeurs étonnantes, euphorisantes, luxuriantes.Une végétation généreuse qui invite à la douceur. Là, tout n'est qu'ordre et beauté...
Un programme varié, intense et pourtant relaxant: shopping à Perpignan, la ville fière, visite de musées, footing dans la campagne, longues soirées à refaire le monde.
 
Et puis, un soir, le choc de pénétrer dans la Maternité, d'apprendre ce pan d'histoire si sombre, si déchiré qu'est la fuite des exilés de la guerre d'Espagne, tant de choses horribles que les manuels nous ont cachés si longtemps: saviez-vous qu'en France il y avait plus de deux cents camps de concentration, appellation vite abandonnée au profit de celle, moins connotée, de camps d'internement ou de réfugiés? Mais la vie n'en était pas moins hideusement pénible pour ces pauvres gens, faite de souffrances, d'humiliations et de mauvais traitements. Et au milieu de toute cette horreur, une femme se lève , lumineuse et forte. Par son dévouement, elle va sauver des centaines de femmes et d'enfants
Nous traversons les couloirs de ce château empreints de souvenirs. Le fait de le visiter de nuit ajoute encore à l'impressionnant mystère du lieu. Il me semble entendre encor les cris des enfants qui jouent, les gémissements des femmes qui accouchent, le ronflement des camions déversant leurs flots de malades et de parturientes venues chercher dans ce havre  un peu d'humanité et de chaleur. L'histoire de l'homme qui a acheté le bâtiment à moitié en ruine et qui l'a remonté pierre par pierre avec passion, est tout aussi émouvante. Comme l'est également celle du Maire du village, petit fils d'exilé espagnol. Tout concourt à donner à ce lieu un destin hors du commun.

Il fait nuit, car nous sommes venus rencontrer  deux artistes de "lightgraph", cette technique qui consiste à impressionner une pellicule photo sur un temps de pose plus ou moins long, en "écrivant" avec des lampes torches sur le fond de l'obscurité. Chacun retient son souffle, comme si on tournait une scène d'un huis clos.  Le lightgrapher écrit en calligraphie arabe des messages de paix et de solidarité qui illustreront une exposition future dans le site de la Maternité. Une exposition symbole. C'est somptueux. Magique. On écrit en arabe, on parle en espagnol ou en français, tout le monde semble se connaître depuis toujours.

 Finalement, je ne suis pas allée très loin, mais je suis allée haut.
Ma grand-mère disait toujours que les plus beaux voyages sont ceux que l'on fait derrière ses paupières closes. En un sens, elle avait raison, comme toujours.


Photos du patchwork: Célestine.
La photo de lightgraph (ci-dessus)  est due au talent d'un magnifique artiste, Sylvain Chèbre que vous pouvez retrouver ici: 
http://www.flickr.com/photos/schebre/with/4826867408/ 
Merci à lui de m'avoir prêté cette photo pour illustrer mes dires.


Merci à Epistyle pour ses précieux conseils de montage photo.
Merci à Flo pour ces moments de pur bonheur.

21 avril 2010

Montrer ou cacher?

Au hasard d'une conversation, à propos d'une divergence de vue, avec une amie, qui ne va jamais sur les blogs, par principe ou par désintérêt,  je ne sais trop,  une de ses phrases m'interpelle soudain: "Sur les blogs, les gens se distinguent par ce qu'ils montrent et se ressemblent par ce qu'ils cachent." Je me demande si cette phrase est d'elle, ou si elle l'a trouvée dans un almanach de pensées du jour. Et bêtement , je ne le lui demande pas. Mais peu importe, elle me fait réfléchir.
A première vue, je ne sais pourquoi, cette phrase a un fumet de vérité.  Mais est-elle vraiment spécifique aux blogs? Il me semble que cette définition s'applique à la  vie réelle . A tous les individus. On a tous des choses à cacher, et en cela on se ressemble tous. Des choses intimes, basses, moches, peu avouables. Des choses tristes, que l'on veut fuir, que l'on se cache à soi-même. Des choses belles, insolentes, un bonheur soudain trop grand qu'on a peur de dire ou de montrer par crainte des jalousies, ou pour ne pas blesser autrui. Des choses insignifiantes, qui  ne nous semblent même pas dicibles. Des angoisses, des incertitudes, des lâchetés minables, des tortures intérieures, mais aussi tout un bric à brac autistique, narcissique dans lequel on baigne complaisamment parce qu'à la vérité on adore tout ce qui  touche à nous-même,  mais que l'on ne veut pas étaler par crainte d'ennuyer autrui, ou de passer pour un égocentrique forcené. Et donc d'être moins aimé. Fatalement. C 'est à cause de cette effrénée quête d'amour que, oui, bien sûr ,  l'on cache des choses. 
Mais alors,  que montre-t-on ?  Par nos gestes, nos actes, nos décisions, mais aussi et surtout, par nos écrits , eux qui  restent comme autant d'empreintes dans le sable du temps? Que s'autorise-t-on à montrer? On montre une image.
Une image que  l'on peaufine, que l'on s'amuse à faire changer, comme des reflets dans les miroirs déformants d'une fête foraine.Tantôt large et ridiculement trapue, tantôt démesurément allongée comme une silhouette à la Giacometti, tantôt à l'endroit, tantôt à l'envers. Une personnalité multi-facettes. 
Une image que l'on contrôle soigneusement. Contrôle? Pas forcément à chaque instant. Parfois, au gré d'une parole, au détour d'un billet, d'une phrase, on laisse entrevoir , comme une lueur furtive, le dessous des cartes, la face cachée de la lune, le visage sous le masque. Et là, à notre insu, on se met à montrer ce que l'on cache.Par petites touches. Inconsciemment. Par un jeu ineffable et subtil.
Et cette image polymorphe, insaisissable de complexité, elle se construit de toutes les choses montrables que l'on fait semblant de cacher, et de toutes les choses  secrètes que l'on fait en sorte de montrer, que l'on glisse dans notre propos de manière subliminale et qui font notre individualité profonde. Un savant dosage de tout ce que l'on est, de tout ce que l'on regrette de n'être pas, de tout ce que l'on aimerait être.Voilà pourquoi j'aime rencontrer les gens sur leur blog. Voilà pourquoi je n'ai pas envie de m'en priver: parce que finalement, c'est peut-être là, dans l'intimité ouatée du clavier et d'un relatif anonymat, que la couche de vernis est la moins épaisse, qu'elle se craquelle le plus vite, et que l'on a le plus de chance de saisir le fulgurant mystère de l'âme humaine.

image internet

19 avril 2010

Parking

Trois places de parking contiguës et libres, et machinalement, je viens me poser sur celle du milieu. Mon Ado Chéri me le fait remarquer en baillant, l'air de rien : "Pourquoi tu prends toujours celle du milieu?" Et là, de plein fouet, dans la moiteur de l'habitacle empli de l'humidité résiduelle émanant de nos transpirations post-sportives, paf, une question existentielle. Oui, pourquoi? Par quelles circonvolutions de mon cortex embrumé, mon inconscient s'est-il  frayé un chemin pour me pousser à prendre celle-là plutôt que celles-ci? Et surtout, comment ai-je pu reproduire ce geste irréfléchi suffisamment souvent pour que mon fils s'en aperçoive, et en tire des conclusions hâtives et radicales dues à l'intransigeance de sa jeunesse?
-Ah bon? Toujours? Tu es sûr? 
Eh bien, je n'ai pas d'explication rationnelle. A peine de vagues supputations intellectuelles sur mon penchant pour le juste milieu, le" ni trop ni trop peu", mon attitude conciliante de perpétuelle médiatrice qui surgirait sans crier gare au détour d'une situation aussi triviale que chercher à se garer.
Je me lance dans une diatribe sur ma quête personnelle pour  suivre une bouddhiste Voie du Milieu, et sur ma satisfaction qu'à travers mes gestes involontaires, ce long travail spirituel transparaisse en filigrane.Vaguement épouvantée aussi  à l'idée que mon fils puisse imaginer une seconde que mon geste ait pu être dicté par l'inquiétude de se faire rayer la carrosserie. Mais rien de tel n'effleure ma progéniture. Il sait que sa mère place les choses immatérielles bien au-dessus des tas de ferraille, et me voilà rassurée. On peut faire de la philo devant un supermarché, un lundi d'avril, au milieu des pots d'échappement et des caddies crissant sur l'asphalte échauffé par les premiers rayons dignes de ce nom...J'adore faire les courses avec mon fils.

13 avril 2010

Creux de vague et ivresse des sommets

Après le déferlement des derniers jours de classe, et le tourbillon d'un début de congés riche en sorties, découvertes et surprises, je me suis retrouvée dans un creux de vague. L'âme ramollie comme un morceau de papier chiffon. Le cœur un peu lourd, un peu effarée par la vitesse de l'horloge...Vidée de mon énergie.
Je ne sais pas pourquoi les fins de périodes scolaires sont infiniment pleines de nostalgie et de fureur à la fois, ramenant à la surface des monceaux de contraintes et de fatigue comme des paquets de varech filandreux entortillés autour de l'hélice d'un bateau. Stoppé dans sa course, l'embarcation se laisse alors malmener par les flots sans pouvoir redresser la barre.

J'émerge. Je reprends goût à l'ivresse des sommets , au petit bruit discret de la souris qui clique, au surf (sur internet) , au soleil sur ma peau, aux joies subtiles du farniente. Je vais pouvoir vivre à mon rythme durant deux semaines et m'adonner à mes loisirs sans m'inquiéter de l'heure qu'il est. OOOOHHH ...joie ineffable de flâner au gré de ses envies, et de pouvoir écrire chaque jour sur une page blanche splendide des moments tissés de soie.
Tels que, par exemple, cette rencontre avec l'Histoire qu'il m'a été donné de vivre samedi ...A deux pas de chez moi, un site archéologique d'importance capitale a été mis à jour par des pelles mécaniques terrassant pour un futur lotissement. Une nécropole du V° siècle, fin de l'époque gallo-romaine, cent cinquante tombes parfaitement conservées, avec leur mobilier funéraire, dalles, amphores, ampoules de verre, bijoux. Et surtout, surtout, ces êtres allongés de tous leurs os, figés à jamais dans un silence troublé aujourd'hui par les  pinceaux des archéologues et les flashes des appareils photos. Une émotion extrême, mêlée de confusion et d'émerveillement devant la magie de cette découverte.Ces hommes et ces femmes vivaient là, il y a mille cinq cents ans, et je comprends soudain le sentiment qui poussa Napoléon à prononcer sa mythique phrase devant les Pyramides.  Les nécessités du marché exigent évidemment que les travaux reprennent, et les passionnés d'Histoire ont un petit mois pour récupérer le maximum d'éléments

avant que les bulldozers ne rendent définitivement à leur mutisme ces  antiques dépouilles...C'est étrange, n'est-ce pas , que chaque civilisation se retrouve ainsi recouverte, en couche épaisse, de la poussière du temps. C'est étrange que les hommes soient si fascinés par leurs racines et en même temps si expéditifs quand il s'agit du travail de ceux qui les recherchent, ces fameuses racines...Mais bon, ne pinaillons pas, c'est déjà extraordinaire d'avoir pu assister à ce spectacle poignant: le moment où le sentiment de finitude de l'humanité se confond l'espace d'un instant,avec celui d'éternité.

Photos Célestine

03 avril 2010

J'ai pleuré

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J'avais commencé quelques pages du livre de Coumarine**. Et puis je l'avais posé, en me disant que je le reprendrais plus tard. Et puis je l'ai repris, ou plutôt il m'a reprise, bien calée au soleil d'avril, dans le silence d'une fin d'après midi, et je n'ai plus pu en sortir jusqu'au mot fin. J'ai senti l'émotion monter, monter, et à la dernière phrase, le trop-plein a débordé et j'ai pleuré.

J'ai pleuré d'avoir vécu, à travers tes lignes, ton enfance privée du soleil de l'amour vrai, de l'amour dit. J'ai pleuré de ce pardon que tu adresses à ta mère à travers ta  poupée d'enfance, j'ai pleuré de la beauté de chacune de tes phrases, de tes images fortes et troublantes. J'ai pleuré de ces femmes si dignes, si belles, si tristes dont tu es tissée. J'ai pleuré de réaliser combien j'avais eu de la chance de trouver dans mon berceau les trois cailloux qui t'ont tant fait défaut dans ton enfance. J'ai pleuré de me trouver si parfaitement heureuse au juste confluent entre une mère aimante et une fille aimante, alors que tu as dû te construire seule et t'arracher à la désespérance d'une malédiction généalogique. J'ai pleuré d'avoir pu écrire tranquillement mon journal intime, d'avoir eu droit à des rêves de jeune fille, de m'être accomplie dans ma vie de femme. J'ai pleuré aussi d'avoir ressenti tant de fois l'ineffable absence  d'une hypothétique jumelle sans jamais avoir pu le dire. Ce vide qui ne s'est comblé que lorsque la vie m'a enfin donné une petite sœur, mais pas comblé dans les moindres interstices, puisque parfois, je lui parle dans mes rêves, à cette sœur imaginaire ...J'ai pleuré de joie, de vibration, et d'émerveillement. Ce bonheur lacrymal m'est propre, bien sûr, et d'autres  réagiront  sans doute différemment.

Voilà un livre que chacun pourra lire à l'aune de son vécu, de ses épreuves, de ses tiraillements internes, et en tirer une manne nourrissante  pour son cheminement intime.



**L'Enfant à l'Endroit, l'Enfant à l'Envers, Nicole Versailles, Ed. Traces de vie.119 p.