30 mars 2012

Quoi de neuf ?





Quoi de neuf ? Une dentelle de petites choses .
Chaque matin, sur le rebord de la fenêtre, le parfum du chèvrefeuille 
qui monte dans l'air vif et chatouille les narines, enivrant comme une absinthe.
Chaque jour,  se voir dans le miroir comme si c'était la première fois.
Les étoiles au levant pâles et fatiguées après une nuit de fièvre. 
Une  étincelle dans son regard, là, en buvant son café,
la mèche qui tombe sur son front, so sexy...
et ce battement bizarre de mon cœur  que je ne connaissais pas. 
Quoi de neuf ? Beaucoup de choses, vraiment, quoi qu'en disent les grincheux.
Des robes qui virevoltent,  des jupes en vichy rose sur l'asphalte bruni par la pluie.
Cette odeur de printemps aux terrasses de bar, chargée de phéromones.
Les coques des bateaux fraîchement repeintes. Varech et goudron.  La marée apportant chaque jour des effluves étranges, des saveurs inconnues, des idées de partir.
Quoi de neuf ? Ah mais...oui ! des électriciens qui rétablissent le courant entre les gens,
des opticiens qui changent leur regard, des peintres qui leur dessinent des sourires.
Tout regarder autrement, tout entendre, tout goûter, tout sentir, avec ce sentiment exaltant et pénétrant que les molécules d'air que l'on respire n'ont jamais encore 
traversé nos poumons. Se sentir neuf après la lecture d'un poème, devant un bébé qui sourit.
Quoi de neuf ? Mais tout, mon ami, vraiment tout quand on sait regarder la vie avec une audace d'enfant.


Pour le défi du samedi...il fallait répondre, comme Louis Jouvet, à la question: "Quoi de neuf?"

27 mars 2012

Sarah


Sarah a onze ans. Elle promène sa silhouette longiligne avec une nonchalance non feinte. Ses yeux noisettes pétillent sous son front immense. 

 Elle est très douée, Sarah. C'est la meilleure de ma classe. L'orthographe coule en elle comme une source. La grammaire n'a plus de secret pour elle, on dirait. Mais elle est bonne en maths aussi, et très sportive...Elle est atypique. Parce qu'en général, on se représente les premières de la classe sages et bien coiffées, et un tantinet coincées. 
Sarah, elle, rêve de piercings et de maquillage, de strings et de cigarettes. Elle a un côté un peu trash.
Sarah est une jolie lolita qui ne sait pas encore combien les regards se brûleront sur elle comme des papillons à une lampe. Plus tard. 
Pour l'instant, elle a le coeur grenadine et parle beaucoup des garçons sans en connaître le traître mot. Ça ne fait rien. Quand elle écrit ses rédactions, je me marre. Parce que Sarah, depuis le début de l'année, quel que soit le sujet,  s'arrange toujours pour parler invariablement de l'amour, des rencontres, des relations hommes-femmes. Étonnant mélange de naïveté et de maturité,  de rouerie et de candeur...
L'autre jour, en atelier d'écriture, je me suis dit: " Je vais donner un exercice , pour voir,  et vraiment, là, si elle parvient à parler d'amour, je me fais nonne au Guatemala!" 
"Ecrivez une phrase pour présenter une vache d'une manière originale."
Les autres ont eu du mal à sortir de la devinette classique, et à éviter les poncifs sur le lait, la rumination, l'étable ou le cuir.
Et voici comment Sarah a commencé:
" Il est beau. Il est fort. On peut dire qu'il a même un léger sur-poids. Il a de la corne sur la tête. Mais je l'aime.  C'est normal, je l'ai épousé. C'est le boeuf."
Malgré la légère...disons...impossibilité physiologique, c'était quand même très fort!
Y a pas à dire, dans mon boulot, je me marre.

photo:  Delphine Desyeux dans l'Age Heureux, la série culte de mon enfance.

25 mars 2012

Les gens qui doutent

à Mireille
Comme Vincent Delerm, Albin de la Simone et Jeanne Cheral, j'aime beaucoup cette chanson d'Anne Sylvestre, et je te dédie cette version particulièrement réussie. Le doute est le ferment de la pensée, et fait parfois mieux avancer que les certitudes irréfléchies...

          




J’aime les gens qui doutent
Les gens qui trop écoutent
Leur cœur se balancer
J’aime les gens qui disent
Et qui se contredisent
Et sans se dénoncer

J’aime les gens qui tremblent
Que parfois ils nous semblent
Capables de juger
J’aime les gens qui passent
Moitié dans leurs godasses
Et moitié à côté

J’aime leur petite chanson
Même s’ils passent pour des cons

J’aime ceux qui paniquent
Ceux qui sont pas logiques
Enfin, pas "comme il faut"
Ceux qui, avec leurs chaînes
Pour pas que ça nous gêne
Font un bruit de grelot

Ceux qui n’auront pas honte
De n’être au bout du compte
Que des ratés du cœur
Pour n’avoir pas su dire :
"Délivrez-nous du pire
Et gardez le meilleur"

J’aime leur petite chanson
Même s’ils passent pour des cons

J’aime les gens qui n’osent
S’approprier les choses
Encore moins les gens
Ceux qui veulent bien n’être
Qu’une simple fenêtre
Pour les yeux des enfants

Ceux qui sans oriflamme
Et daltoniens de l’âme
Ignorent les couleurs
Ceux qui sont assez poires
Pour que jamais l’histoire
Leur rende les honneurs

J’aime leur petite chanson
Même s’ils passent pour des cons

J’aime les gens qui doutent
Mais voudraient qu’on leur foute
La paix de temps en temps
Et qu’on ne les malmène
Jamais quand ils promènent
Leurs automnes au printemps

Qu’on leur dise que l’âme
Fait de plus belles flammes
Que tous ces tristes culs
Et qu’on les remercie
Qu’on leur dise, on leur crie :
"Merci d’avoir vécu

Merci pour la tendresse
Et tant pis pour vos fesses
Qui ont fait ce qu’elles ont pu" 

24 mars 2012

Renaissance

J'ai fermé les yeux. J'ai laissé le soleil entrer dans ma peau. Abandonnée à la douceur des choses. J'ai respiré profondément. Je me suis remémoré vos mots, un à un, pleins de sagesse et d'empathie. J'ai oublié peu à peu pourquoi la semaine fut si dure, si éprouvante. J'ai oublié les mauvaises plaisanteries, les coups d'éclat, les coups de massue. J'ai oublié les mots blessants, les efforts vains. J'ai posé ma charge sur le bord du chemin pour masser mes reins endoloris. J'ai acheté des vitamines. J'ai consolé mon amie dans sa peine.J'ai remis à leur juste place les choses importantes. J'ai écouté des paroles optimistes, des musiques apaisantes, j'ai écouté mon fils me parler de lui, de tout, dans une connivence douce et calme. J'ai senti, jusqu'à l'ivresse, le café brûlant, les premiers bourgeons de mars, la nature éveillée, les premières abeilles. J'ai tremblé devant la beauté du monde, que je ne voyais plus depuis quelque temps, comme un paysage interrompu par le passage d'un tunnel, quand les vitres du train, soudain plongé dans le noir, nous renvoient notre image hagarde et surprise.
J'ai remercié l'univers de ce cadeau magnifique.
Alors, comme une pendule que l'on remonte, mon coeur s'est remis à battre doucement.
Et la lumière est revenue.





22 mars 2012

Vaguelettes

Un lac turquoise sous un ciel mauve et inquiétant entoure ma barque. De gros éclairs mâchurent le ciel.
 Un lac de doutes, de fatigue, de chagrins, de découragements. Et ces gros cailloux qui alourdissent et font tanguer l'esquif! Cette amie dans la peine, dont le papa est parti vers les constellations. Le travail, prenant, omniprésent, étourdissant parfois. Je ne peux même pas en parler en ce moment. Il y a des jours où la mauvaise foi, l'abus, le sans-gêne de certains me donneraient presque des envies de meurtre. De petites déceptions ordinaires, des espoirs ajournés, des inquiétudes pour mes proches, des regrets qui rejaillissent de temps à autre. Il y a ces fichues relations humaines toujours aussi difficiles.  Et je ne dis rien de l'actualité nauséeuse de la semaine. Mieux vaut ne pas écouter les infos en ce moment. Je ne vois plus le bout de ce magma pâteux dans lequel j'enfonce. Enfin, bref, je rame, et j'écope. Je balance chaque caillou à la baille,  l'un après l'autre, méthodiquement. Pour ne pas couler. Mais j'ai une impression...bizarre que plus rien ne sert à rien. Une impression d'avoir cent ans. Une envie de me caler au soleil et de ne plus bouger. Une envie, peut-être, de me transformer en cerf-volant...
Pourtant, j'ai mon optimisme en bandoulière, il me sert de boussole, de sextant, malgré tout il me dirige vers cette tache claire, là-bas, au fond de l'horizon. Comment s'appelle-t-elle? Je ne sais pas. Une embellie ? Le printemps ? Le grand soir ? Les vacances peut-être, tout simplement. Enfin quelque chose à quoi me raccrocher pour que, à nouveau, mes jours soient aussi beaux que vos nuits. 
C'est rien: c'est mon petit creux de vague de fin d'hiver.  Un peu de magnésium et je repars comme un canon.  Euh...enfin, j'espère.

18 mars 2012

Deux jours

Deux jours, c'était trop court, pour vous serrer dans mes bras.
Vous voilà déjà repartis au bout de votre chemin, et je reste là, les yeux encore pleins de vous. Toi mon fils,  beau dans ton élégance bienveillante, ta sveltesse décontractée et sereine. Toi l'amour de mon fils, délicieuse,  simple et délicate comme un myosotis. Toi ma fille, ma sirène, les blés de ta chevelure ondoyant au premier soleil de ce matin de mars. La maison s'est mise à chanter comme au temps des petits pieds nus, des jouets traînant sur le parquet, des odeurs de lait et de lavande, des chambres fraîches aux persiennes mi-closes, des noëls, des goûters crépitants, des cartables. Comme au temps où vous étiez toujours là, au creux de moi. S'enivrer de vous pour chasser la nostalgie, pour oublier que jamais le temps ne revient sur le quai, que plus il nous fait cortège et plus le temps nous fait tourment. Oublier dans les rires et le partage que nous sommes tous en sursis. Ne pas pleurer, surtout, quand le dernier train disparaît à l'horizon de la mélancolie.
Deux jours c'était trop court pour vous serrer dans mes bras, mais vous êtes toujours là, au creux de moi, et je vous porte en mon âme comme un flambeau précieux.




Edit du 19 mars 
Quel creux au ventre vaudra jamais  l'indicible horreur de ces mères qui ont vu leur enfant partir pour toujours...Après coup, mon billet choqué à l'effroyable actualité me glace le sang .


15 mars 2012

Hyperactor

Je ne sais pas si vous connaissez des hyperactifs dans votre entourage...Je ne parle pas de cette étrange pathologie, dont souffrent un nombre croissant d'enfants, pathologie pas encore très maîtrisée par les médecins, qui se contentent d’asséner de la ritaline à ces pauvres petits et de les transformer, je le crains, en drogués.
Je parle de ces êtres bourrés de tonus qui ne s'arrêtent jamais. Je dis tonus, parce qu'à mon sens, l'énergie, c'est bien autre chose...une sorte d'élan vital qui se puise au coeur de soi, en harmonie avec l'univers.

Mais comment font-ils, ces agités du bocal ? Et qu'est-ce qui les anime, pour ne jamais parvenir à se poser plus de cinq minutes ? Après quoi courent-ils tout le temps ?
J'en connais pour qui ne rien faire est un non-sens. Un gros mot. Il leur faut brasser de l'air, dresser des listes interminables, remplir chaque parcelle de leur agenda jusqu'à ce qu'il explose. Cela me fascine. Moi qui suis une adepte de la sieste au soleil, de la méditation les yeux mi-clos, du doux rendez-vous avec un bon bouquin, des discussions à refaire le monde, je suis fascinée par les tornades, les courants d'air sur pattes que je connais. 


Que cache cette boulimie du "faire" ? Pourquoi ne parviennent-ils pas à s'asseoir pour discuter tranquillement, un jour où il n'y a rien de plus urgent à faire? Pourquoi se trouvent-ils toujours une tonne d'obligations et de prétextes pour ne pas accepter simplement de s'étendre sur l'herbe et regarder le vent jouer avec les nuages ?


Prenez un groupe d'amis rassemblés autour d'un bon repas. Vous repérerez notre hyperactif  au premier coup d'oeil : avant le dessert, il se sera déjà levé dix fois, et dès la dernière bouchée avalée, il commencera à desservir la table. Le même groupe d'amis se retrouve dans votre chalet à la montagne pour un long week-end. Pendant que vous vous prélassez au lit jusqu'à neuf heures , Hyperactor se sera levé à sept heures, il aura déjà repeint les volets, allumé la cheminée, réparé une porte qui ferme mal, acheté le pain, préparé le petit déjeuner, épluché les légumes pour midi et regonflé tous les vélos. Avec lui, pas question de "glander". On est à la montagne pour "en profiter" ! Et il parviendrait presque à nous culpabiliser, lui qui se couche tôt et rate la soirée astronomie parce qu'il faut "se lever tôt à la montagne" !


Alors, au final, Hyperactor est toujours seul sur sa planète tourbillon. Toujours en décalage avec les gens "normaux",  constamment projeté vers un "après" jamais atteint, il ne sait pas cueillir l'instant, goûter la fleur qui passe. Il ne lit pas, ou alors seulement des revues scientifiques. Les romans, c'est du temps perdu. Tout ce qui n'est pas immédiatement rentable en terme de gain de temps et d'efficacité ne sert à rien. Il gère, il court, il s'agite, il n'arrête jamais. Si ça se trouve, il est heureux comme ça. Je vous l'ai dit : il est fascinant.
Mais quand il s'éloigne, j'ai le sentiment, comme après le tournis, de me remettre doucement à respirer.

Dans "Les Petits Mouchoirs" François Cluzet campe un hyperactif bouffé d'angoisse particulièrement réussi. Dans cet extrait, il tente de lutter contre les fouines...Jouissif!

13 mars 2012

Les rats
























Un jour, un peuple de gallinacées
vivait dans un pays
Sur le berceau duquel, pourtant, il y a longtemps
les fées s'étaient penchées.
On semblait l'avoir oublié.
Ce peuple donc, jasant, caquetant et gloussant
gavés du corps et de l'esprit
s'apprêtait à choisir un roi pour son royaume.
En ce temps-là, les dieux étaient fâchés
Et dans la basse-cour régnait la gabegie.
Aussitôt alléchés par l'odeur des poulets
Beaucoup de rats se mirent sur les rangs
Chacun cherchant à trucider son concurrent
Chacun cherchant le mot qui ferait mouche
en crachant des serpents de sa bouche.
L'un trop petit, blessé, devenu ridicule
pour ne pas dire minuscule
tant son appât du gain et du pouvoir
soudain le desservaient
sentant bien que les gens lui donnaient du Messire
pour  pouvoir mieux l'assassiner
L'autre gonflé d'orgueil depuis que ses amis
l'avaient, comme on dit, coopté.
Entre ces deux gros rats cupides et pernicieux
s'agitait une faune étrange
l'un semble se complaire sur la voie du milieu
et en balançant sur la frange,
hésite jusqu'à l'infini.
Deux autres malotrus, une blonde femelle
et un mâle aux abois, en mots outrecuidants
s'injurient à l'envi,
Et autour d'eux, encore,
d'autres ratons grommellent
réclamant leur part du rata.

Que pensez-vous qu'il arriva ?
Lassé de tous ces marchandages,
Voulant mettre chacun d'accord
Maître Goupil fit un carnage
Et emporta le poulailler.

Moralité :
le gagnant
n'est pas toujours qui l'on attend.


Pour Jacques.
(Je reçus tantôt la visite de votre ami Jean, et voilà ce qu'il me dicta)

12 mars 2012

L'Arlésienne

Un jour,depuis le temps que je noircissais des pages de cahiers, je me suis dit:  "Et pourquoi ne pas tenter l'aventure de l'Edition?" Ceux qui me suivent depuis longtemps le savent: c'est un parcours du combattant que d'écrire. Surtout quand c'est la première fois. C'est une école de doute et de patience.  
De doute, parce qu'on se dit que l'on ne vaut rien, que l'on ne plaira jamais à personne, que l'écriture est un sable mouvant où l'on s'enfonce.
De patience, parce que mon petit éditeur belge  me fait poireauter depuis des lustres pour concrétiser mon rêve. D'ailleurs, la phrase qui nous accueille sur le forum n'est là  que pour nous exhorter à ne pas nous décourager. 
... la paciènci es lou cepoun de la sapiènci. (Frédéric Mistral) 
Une phrase écrite dans la langue de l'Arlésienne, bizarrement...
Alors voilà. Régulièrement, je crois tenir le bon bout, je reparle de ce roman que j'ai écrit comme ça, pour m'amuser, il y a plus de deux ans, et qui est né sans être né. Et je vais encore décevoir mes éventuels lecteurs. Parce qu'après toutes les étapes, quand vous recevez votre premier carton rempli d'exemplaires tous neufs, vous vous dites: "Ca y est!" 
C'est compter, une fois de plus, sans la sacro-sainte bureaucratie qui impose le "référencement" à tout livre mis sur le marché. Comme le numéro matricule que l'on grave sur le bras d'un prisonnier, mon livre attend son "ISBN".  Je pensais que ce serait pour cette fois. Il va me falloir attendre encore. Un mois, deux mois, six mois ?  Là-bas, en Belgique, le temps ne s'étire pas à  la même échelle qu'ici...et personne ne sait me donner un ordre d'idée pour m'aider à patienter. 
En tous cas, je vous rassure, elle existe bel et bien, cette Arlésienne. Même si je n'ai pas encore le droit de le vendre, ni même d'en parler, il finira bien par sortir, ce livre...
"L'espoir fait vivre" disait ma grand-mère...

10 mars 2012

Le marronnier




Dans la cour de récréation, il y avait un marronnier. Dans mon souvenir, il est aussi grand qu'un séquoia. A mes yeux de petite fille, c'était un géant tutélaire qui veillait sur l'école en étendant généreusement  son ombre fraîche et dense.  Nous jouions aux balles (jonglant contre les murs avec trois, quatre ou cinq balles pour les championnes). Nous emberlificotions nos pieds dans les fameux élastiques, et quand nous n'étions que deux, les pieds d'une chaise remplaçaient avantageusement la troisième (car la chaise ne réclamait pas son tour!)
Puis, quand nous avions trop chaud, nous allions nous asseoir sous le marronnier pour discuter. Les grandes du CM2 avaient là un territoire réservé où les petites ne risquaient de s'aventurer sans permission. Nous y parlions des choses de filles avec des airs de conspiratrices.
Il n'y avait pas de garçons dans la cour. Quelques filles délurées ramassaient parfois des marrons pour les lancer par-dessus le mur d'enceinte de l'école, mais aucune n'aurait songé à viser une autre élève. 
A l'école de garçons, ceux-ci devaient sûrement  rejouer les Velrans et les Longevernes à coup de marrons d'Inde. Mais nous ne savions pas ce qui se passait "de l'autre côté".
Ma grand-mère en gardait toujours quelques-uns dans sa poche, qui devenaient extrêmement lisses et brillants à force de les faire rouler dans ses doigts. Je n'ai jamais su au juste à quoi cela lui servait.
En automne, pour la leçon de choses, nous ramassions les plus belles feuilles, d'un jaune d'or, d'un ocre lumineux, et nous les dessinions dans nos cahiers en apprenant les feuilles simples et  composées, les folioles, les alternes et les opposées, les limbes, le pétiole, tout un vocabulaire poétique et mystérieux. J'appris le mot frondaison que je plaçais à l'envi dans mes rédactions...
C'était magie de voir se parer ainsi cet arbre bienveillant d'une robe éblouissante, avant de se dépouiller et de montrer ses branches à l'écorce noire tout l'hiver. Au printemps, il se couvrait de magnifiques hampes blanches dont le parfum de miel m'enivrait. Des centaines d'oiseaux venaient se rassembler dans sa ramure à certains moments de l'année, avant les grandes migrations. Interdiction alors de se mettre dessous, sous peine, comme le capitaine Haddock, de faire connaissance rapidement avec le guano...
Mais c'est lui aussi qui abritait les merles et leurs chants si merveilleux qui me déclenchent encore, chaque année, des palpitations au niveau du plexus.
Ainsi à chaque saison, cet ami végétal nous prodiguait ses faveurs sans calcul. J'aimais me plaquer contre son tronc râpeux et l'enlacer de mes petits bras blancs pour tenter d'écouter son coeur. Car je ne doutais pas que ce géant en eût un. 
Il était en tous cas un personnage de l'école. 

De nos jours, les cours d'école modernes n'ont plus de marronniers. Trop dangereux. Quelques arbres chétifs poussent ça et là, des espèces hybrides choisies sans fruits, sans graines, sans fleurs, sans cônes pointus. Sans rien qui puisse tomber par terre.  Sans âme. Au nom de la sacro-sainte Sécurité. Les bogues hérissées de piquants deviendraient des armes et feraient s'évanouir l'inspectrice. Les fleurs provoqueraient des asthmes et des allergies, il faudrait faire des dossiers médicaux.Sans compter les piqûres d'abeilles! Les enfants avaleraient tout rond les marrons ou se les enverraient dans l' oeil. Ce serait Verdun à chaque récréation.
D'ailleurs les marronniers sont malades en France. Contaminés par Cameraria ohridella, un papillon dévoreur. A mon avis, ils se laissent mourir de chagrin, de ne plus pouvoir abriter les jeux des enfants...

06 mars 2012

Respiration



Donner du sens au quotidien.
Vivre sa vie comme une page blanche nouvelle à remplir, à noircir.
A noircir à l'encre des jours, certains pâles,
Certains violets comme des soirs de pluie,
certains ruisselant de soleil comme la fontaine d'Hannibal.
Donner du sens à ces petits gestes que l'on reproduit, toujours dans le même ordre,en s'asseyant pour respirer sur le bord de sa vie,
pour la regarder couler comme une rivière.
Faire sortir le chat, monter l'escalier, fermer la fenêtre
Ramasser un petit caillou rond et lisse que l'on tourne entre ses doigts.
Brosser lentement ses cheveux,
l'air un peu las de tous ces sourires dispensés, de toutes ces plaies béantes
qu'il a fallu refermer. Le demi-sourire intérieur vibrant toujours. Jusqu'à la mort.
Puiser en soi la force d'un torrent, avec parfois la voix d'une souris malade.
Mais s'endormir dans le néant.
Mais croire aux lendemains qui rêvent.
Allumer le gaz sous la casserole, avec l'odeur du craquement de l'allumette qui pique un peu au fond du nez.
Regarder monter le lait.
Arrêter la flamme juste au bord, comme un orgasme retenu. Regarder la mousse retomber comme un soufflé.
Regarder les choses comme si on les voyait pour la première fois.
Regarder les choses à l'envers, dans un miroir, coller ses lèvres sur la glace et souffler la buée, tracer un coeur.
Sentir ce magma brûlant pénétrer ses veines et envahir le creux solaire de l'estomac.
Ne plus penser qu'à respirer encore et toujours.
Ouvrir les volets, rentrer la poubelle, écouter la cloche amplifier le silence encore scintillant de givre.
Repartir sur la route sombre ou lumineuse.
Rechercher le regard, le contact d'autrui, parce qu'on aime être, par dessus tout.
Le secret: 
aimer être.




Le choc des Mondes





Le moins que je puisse écrire à propos de mon métier, c'est que je ne m'y ennuie jamais! 
Comme un théâtre d'ombre et de lumière, il y a les splendeurs de la profession, dont je vous chante assez l'immense bonheur,  et les petites misères de l'institution. Les unes font jubiler, les autres tempêter.
Dans le monde de  l'Administration, par
exemple, les attentes sont de plus en plus ridicules. Ça devient comique, ubuesque même.On ne fait plus que compter. Ah ça, on compte!  plus que jamais. On ratiocine en apothicaire. Je ne parviendrai jamais à m'y faire.
De l'art de sodomiser les diptères...
Les notes pédagogiques attribuées par l'inspecteur tous les quatre ou cinq ans ne tiennent plus compte de la valeur ou du mérite de l'enseignant(e), mais sont fonction du seul critère valable actuellement : faire le maximum d' économies. (la note étant liée à l'avancement, donc au salaire) 
On voit ainsi depuis quelque temps, des notes augmenter d'un demi-point, ce qui était déjà mesquin, mais les inspecteurs vont maintenant pouvoir les augmenter de 0,1 point, ce qui, vous en conviendrez, fait avancer la carrière à pas de géant! Moi même, il ne me manque que 0,25 petits points pour passer dans le dernier échelon, et je crois que je vais les attendre longtemps...
A grands effets de manche, on annonce une augmentation substantielle de la prime de direction. Trois cents euros! Wouaouuuuuh! 
-Oui, mais, par an...ce qui fait 25 euros par mois!
-Ah, d'accord! whaouh!
Sauf qu'en janvier, on augmente les prélèvements sociaux de 18,73 euros. Résultat: une substantielle augmentation, en février,  de 7,17€ par mois. Wouh! Je vais pouvoir me payer un Big Mac ET un sundae au caramel! Mais dans les esprits, on aura retenu l'effet psychologique de l'annonce des trois cents euros, et c'est ce qui importe aux politiques, n'est-ce pas, ce qui se retient dans l'opinion publique...

C'est tout de suite très poétique, hein, quand on parle de sous...J'ai beau rajouter un peu de couleur, je sens que vous vous emmerdez ferme (et je reste polie).
Il faut aussi compter les heures que l'on doit en plus de celles en présence des élèves. 108 heures exactement. Il y a des personnes payées pour vérifier qu'on n'en a pas oublié et nous envoyer des mails au cas où...Moi je ris, je dois en être à deux cents heures depuis le début de l'année...
Chaque idée, chaque expérience, chaque projet est entravé inexorablement par la lourdeur des tableaux à remplir et des cases à cocher.C'est décourageant. En tous cas, çà pompe une énergie incroyable.
On nous surveille, on nous suspecte, on nous épie, on nous harcèle, pas un jour où nous ne devions justifier chacun de nos actes.Et je n'exagère pas. Je pensequ'ils ont peur qu'on s'ennuie...
Dernière boulette de l'administration (attention, c'est du lourd): demander un justificatif à l'avance pour une collègue ayant posé une journée de congé pour un rendez-vous chez l'oncologue.Celle-ci s'est écroulée en larmes et m'a dit: "Tu n'as qu'à lui dire que j'ai un cancer et que je vais crever!". Ça a jeté un de ces froids dans la salle des profs! Je pense plutôt que je vais lui acheter un dictionnaire, à cette quiche de secrétaire.


Dans mon monde à moi, il y a des poneys qui galopent crinière aux vents des sables et des poupées parfumées qui se poursuivent dans les coquelicots. J'embarque les enfants dans l'imaginaire et je leur insuffle l'amour des livres et le goût indicible de la vie. Je prends ma baguette et je transforme l'ennui en plaisir. Voilà, c'est ça, mon métier.
Mon métier, chaque jour, c'est de quoi devenir schizophrène: c'est le choc de deux mondes.

02 mars 2012

Exercices de style



Connaissez-vous "Exercices de Style" de Raymond Queneau?
Pour le Défi du Samedi, j'ai voulu rendre hommage à ma façon à cet auteur que j'adore.
Il fallait, donc, trouver l'inspiration dans ce décor de théâtre...

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Un homme s'assoit sur une chaise en s'épongeant le front. Derrière le paravent, il entend un couple qui fait l'amour. Il reconnaît la voix de sa propre femme. Il porte la main à sa poitrine et s'écroule. Son mouvement de chute en arrière déclenche le phonographe qui se met à jouer la Cinquième de Beethoven. La femme crie : « Ciel ! C'est le morceau préféré de mon mari ! » - « C'était ! » dit son amant en constatant que le pauvre homme est mort…

***




Policier

A quinze heures dix-sept, ce jeudi 12 décembre, la victime était assise exactement là, sur ce siège. Pas d'empreintes digitales. La prévenue se tenait derrière ce paravent. Au moment du crime, elle avait des relations sexuelles adultérines avec son amant. Celui-ci n'a pu que constater le décès. Après autopsie, le médecin légiste a conclu à une mort par absorption d'une dose létale de digitaline.  Le phonographe sera retenu comme  pièce à conviction.

***
SMS

-ptin!  c  relou, chuis tro deg!
-koi ?
-ma rem elle a 1 amant é elle é en tol...
-mdr
-et mon padré il écoutera  plus sa zik tro chelou, il é mor!
-Lol 

***


Médical

Un individu de sexe masculin atteint de cardiopathie chronique doit s'asseoir, car la station debout lui déclenche des troubles de l'équilibre, provoqués par un dérèglement de l'oreille interne, ainsi qu'une sudation exagérée. Il perçoit auditivement derrière un paravent les signes d'un coïtus ininterruptus entre deux individus de sexe opposé procédant à la fusion de leurs ovules et de leurs spermatozoïdes, Cela  entraîne chez le sujet une réaction épidermique et un malaise cardiaque, avec essoufflement et nausées qui, combinées à sa pathologie sous-jacente engagent malheureusement le pronostic vital. La mort instantanée prive le sujet d'une dernière écoute de sa symphonie favorite.

***

Puéril

Il fait quoi le monsieur ?
Et pourquoi il est tout rouge ?
Pourquoi il s'assoit ? Et c'est qui l' aut' monsieur ?
Et pourquoi il est tout nu ? Et la dame, c'est qui ? C'est sa maman ?
Il dort le monsieur, hein ?
Comment elle fait pour jouer toute seule la musique ?
Hein ? Hein ? Dis !
Et pourquoi il se met pas dans son lit pour dormir le monsieur, hein ?

***
Méridional

Oh, Fougasse ! Tu sais pas la nouvelle ? Escartefigue est mort !
-Mort ! Ô Bonne mère ! Tu galèges ! Mais comment ?
-Il paraîtrait que ce serait sa dame qui l'aurait envoyé de l'autre côté...
-Oh la salope ! Une brave garce, celle-là ! Ca lui suffisait pas de le tromper avec tout le village, qu'avec ce qu'il avait sur la tête, il passait plus la porte du bistrot, pardi !
-Et voueï galinette! Sans compter qu'il avait le cœur fragile, peuchère ! Qué cagade ! Il écoutera plus sa musique de sauvage...
-Qué musique ?
-Mais voui, tu sais bien le compositeur célèbre, té...Comment c'est son nom déjà ?
- Attends voir...C'est pas « Bite au vent » ?
-Tout juste ! O pauvre ! Rien que d'y penser, ça me fend le cœur !

***




01 mars 2012

Ode



photo internet


Un jour quelqu'un m'avait dit 
De la vie cueille les roses, 
Va dans le jardin et ose
Rien n'est interdit

Me revient à la mémoire
ce célèbre et doux poème
tandis que je goûte et aime
comme un encensoir

Les fameux petits bonheurs
Une abeille qui bourdonne
Une brise qui fredonne
Un fruit mûr à cœur

La main tiède d'un enfant
Une histoire au bord des yeux
un regard mystérieux
un soir de gros temps

Les grimaces de la lune
Les prodiges des étoiles
Et le glissement des voiles
Sur la peau des dunes

Une bouche entr'ouverte
sur des secrets murmurés
Une noisette encor verte
un brin de muguet


Un champ de luzerne fraîche
Où s'ébattent des chevaux
Dans l'odeur du foin qui sèche
Une gerbe d'eau


Un grand soir de douce fièvre 
Un espoir enfin porté
Comme un baiser sur les lèvres
Au bord de l'été

Je contemple l'existence
et chaque jour me passionne
pour des riens sans importance
Que je collectionne

Mais ces riens dans leur écrin
sont mieux que vermeil et or
Petit bonheur quotidien
Donne grand trésor



A Blutch, Saoul-Fifre et Petits Bonheurs