30 janvier 2017

La ville secrète






Sous-titre: Recette simple à suivre pour trouver la ville secrète.














































Partir au hasard sans idée préconçue.
Préférer le hors-saison, automne doux ou printemps frileux.
Boire un verre dans un endroit loin des pièges à touristes, caché dans la verdure, un petit coin charmant qui se mérite comme une jarretelle de soie sous une robe longue.
S'assoir sur les marches de la cathédrale, mais au pâle soleil de l'aube, sans les cris perçants des gamins qui courent sur le parvis après les envols de pigeons.
Manger dans un restaurant discret, bouche-à-oreille et coeur-à-coeur , où les patrons ont de l'amour dans leurs yeux et leurs casseroles.
Monter à pied jusqu'en haut du tertre, entendre à peine le bruit sourd de la ville comme un ronronnement de gros animal assoupi. Se pencher aux balustrades en riant. Apprécier qu'il n'y ait personne.
Trouver un banc de square aux heures d'école, et essayer le toboggan. Et la marelle.
Jeter des sous dans les fontaines, faire tanguer les passerelles, descendre les boulevards à vitrines closes, quand la ville dort. Juste se sentir seuls au monde. Trembler un peu, de cette force que l'on sent dans nos mains serrées sur le temps.
Garder dans le nez une odeur de tilleul sur les places ombragées, comme on garde dans la tête un air de jazz.
Arpenter les quais en silence, sous les réverbères qui font trembler les reflets des rivières, écouter seulement le plic-ploc sur les coques des bateaux qui dansent, et acheter un vieux roman de Harrison à un vieux barbu qui lui ressemble.
Entrer dans l'ombre froide des églises, cligner des yeux sous les vitraux à la lumière du crépuscule.
Et le soir, dans l'hôtel déserté d'un jour de fin d'hiver, prendre une chambre avec vue sur l'amour.


¸¸.•*¨*• ☆



Musique Fullmetal Alchemist - brothers (instrumental tin whistle flute cover)


28 janvier 2017

La peste























La peste ne vit que dans le dessein de vous faire du mal. Dès qu'elle vous voit, vous êtes dans son collimateur. Elle critique, elle ourdit, elle manigance sans cesse.

Elle manipule les gens comme des marionnettes, tirant leurs fils d'un coup sec, piquant parfois des épingles dans leur effigie en récitant des formules maléfiques.
Quand elle se moque, c'est méchamment. Elle est acide par nature.
Ne vous fiez pas à son ton doucereux.
Elle utilise le miel pour camoufler son venin, fulmine quand elle n'obtient pas ce qu'elle veut, trépigne comme une gamine capricieuse. Elle veut tout ce que vous avez et qu'elle n'a pas. 
La peste a le visage déformé par la haine, un affreux rictus qu'elle dissimule derrière son sourire de requin, et un regard furibond. Elle pourrait être jolie si son âme n'était pas aussi noire.
La peste vieillit mal : la rosserie, la médisance, la rancoeur  creusent les traits, accentuent les rides et jaunissent le teint.
Ce qui la rend si moche, c'est sa jalousie envers vous. Elle n'est qu'une faille abyssale, un trou béant de jalousie verdâtre. Si elle réussit à vous faire pleurer, elle éprouve une joie perfide. Elle déteste votre empathie naturelle, votre gentillesse. Vous qui seriez presque porté à l'excuser...Ou la la ! Ne vous y risquez pas !
Mais si vous l'ignorez de votre superbe, ça la rend dingue : prenez garde alors, elle décuplera son fiel. Dans les contes, elle finit aux oubliettes... « et plus personne n'entendit parler d'elle » selon la formule consacrée. 
Dans la vraie vie, c'est une autre paire de manches. Elle fait parfois beaucoup de mal avant que l'on mette à jour son manège  et qu'on la fuie comme...la peste. D'ailleurs, elle n'a pas vraiment d'amis.
Quand vous parlez d'elle, bizarrement, il ne vous vient que des noms en -asse.
Vous la reconnaissez ? Elle a sûrement croisé votre chemin, il y en a toujours une au bureau, à la compta, dans le quartier, dans l'entreprise, ou à votre club de hockey sur gazon.


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26 janvier 2017

Beauté glacée

Photo du net










































Il était beau, mon jardin, sous huit centimètres de poudreuse fraîche, au réveil. J'ai pensé à l'école, je me suis souvenue comme c'était dur d'essayer de travailler quand les mouflets sentent des fourmis leur parcourir le corps de cette espèce d'urgence à marcher dedans, à la toucher, la manger et se la balancer dessus. Ces jours-là, inutile d'imaginer leur parler d'autre chose !
J'ai pensé que j'avais de la chance de pouvoir l'admirer en restant au chaud derrière les vitres. Je suis née dans un pays de neige, j'ai vu ma mère se tuer les nerfs à tracer un chemin à la pelle quand mon père était appelé en mission loin de nous. On disait  « faire la trace »...
Je sais que la neige n'est pas seulement ce manteau blanc, cette houppelande de coton qui berce les vers des poètes-mirlitons.
Elle peut tuer aussi, quand elle se déchaîne en avalanche. J'ai pensé à la mort affreuse de ces gens dans l'hôtel enseveli en Italie, quatre étages sous un linceul en quelques minutes...
Le père de ma copine Annette, celle qu'on appelait le bébé, était mort comme ça, emporté par une coulée de neige meurtrière. On l'appelait le bébé parce qu'on ne savait pas ce qui avait bloqué sa croissance... On était des gosses.
On retrouva son corps plusieurs années après. Cela avait beaucoup impressionné mon âme d'enfant. J'avais regretté qu'on ait été méchant avec elle.
Je ne sais pas ce que pèse un cristal de neige, cette forme unique et mystérieuse aux allures de bijou. Comment des choses aussi petites, légères et insignifiantes,  peuvent-elles avoir en s'agglutinant les unes aux autres, la force d'engloutir un immeuble ?
Ne sommes-nous pas, nous aussi, des flocons ?
La nature donne à chaque instant des leçons à ceux qui veulent bien y méditer. Il s'y passe toujours quelque chose, même quand nous la croyons figée dans une incomparable beauté glacée.








Musique: Didier Squiban, Petit air marin

23 janvier 2017

Cosmogonie


Photo Ben Thoard




Au commencement, était le grand vide intersidéral, troublé seulement par l’énormité silencieuse du Rien absolu. Même pas le moindre scintillement d’un astre piquetant le noir d’encre des confins.
Chaos s’ennuyait ferme. Il errait.
Il décida d’engendrer Gaïa. Ne me demandez pas comment à lui seul il réussit ce prodige. Les Cosmogonies ne s’embarrassent pas de ce genre de détail, vous l’avez remarqué. Les choses sont, et c’est tout. A la réflexion, il s'était peut-être un tout petit fait aider par Eros, un dieu primordial en vacances dans la région mais rien n'est moins sûr.
Bref, Gaïa fut là, et avec Gaïa,  Chaos s’égaya. De ses yeux jaillirent toutes les étoiles qui allumèrent les solitudes glacées pour les rendre agréables au regard. Cette belle aux yeux de brume, sculpturale caryatide aux formes généreuses, adoucit sa vie de vieux solitaire, le poursuivant d’un bout à l’autre du Cosmos, batifolant dans les nébuleuses et se battant avec lui à coup de polochon cosmique.
Chaos goûtait dans les bras de Gaïa, bien qu'elle fût virtuellement sa fille, des plaisirs interdits et subtils qui faisaient trembler l’Infini et gronder le vent sidéral.
Entre deux ébats sensuels,  Gaïa inventa pour se divertir la Terre, un morceau de rocher sombre qu'elle pétrissait dans ses mains comme pour se passer les nerfs quand ils étaient en pelote.
A force de se livrer au jeu théogonique le plus vieux du monde, et que l’on appelle encore « papa-maman » dans bien des contrées ici-bas, ce qui devait arriver arriva, et Gaïa donna le jour ( et la nuit aussi ) à toute une flopée de bambins solides et superbes. Les deux premiers furent Ouranos et Pontos.
 Ouranos, gros bébé joufflu comme un aquilon, fabriqua le ciel, tendit comme un velum la divine courbure azurée de la coupole céleste, et joua à y épingler, tels des papillons géants,  les nuages pommelés et rosés du matin et les tourbillons d'orages tout noirs du soir. 
Pontos, son frère jumeau, ne voulant pas être à la ramasse, fit l’océan immense et le peupla de bêtes visqueuses aux écailles d’or vif et d’argent, de coraux précieux comme des colliers, d’îles courbées sous le vent et de vagues hurlantes et rugissantes.
Chacun se recula pour juger de l’effet.
Les parents applaudirent devant ces merveilles boréales et australes.
Mais Pontos, apercevant le flacon de nacre dans lequel sa mère rangeait ses cristaux de bain, crut bon d’en verser le contenu dans sa mer fraîchement éclose, afin de parfaire son œuvre ...
Un bouillonnement titanesque se produisit, doublé d’un nuage de chlorure de sodium verdâtre qui amusa beaucoup le gosse.
-Qu’as-tu fait, malheureux ? Gronda Chaos.
-Qu’est-ce que c’est que ce binz ? Renchérit Gaïa.
-Oh, ça va, les vieux, j’ai rajouté un peu de sel, c’est tout…
-Tant pis, c'est fait, c'est fait. Ils auront de la tension, voilà tout ! conclut Chaos, impérial.


Et c’est ainsi que pour toutes les créatures vivantes qui peupleraient la Terre, l’eau douce deviendrait, par sa rareté, l’objet d’une quête vitale, rude et sans pitié qui durerait jusqu'aux confins des douze éternités. Et même encore après. 



Pour les Impromptus littéraires, il fallait inclure la phrase : « J'ai rajouté un peu de sel » à un texte d'invention.

21 janvier 2017

Hier encore

« Hier encore, le ciel était l'arène du bruit ; des chars, des cavales aux sabots de fer y passaient dans un grondement de galop et des hennissements de colère. Aujourd'hui, le silence. 
Le vent a dépassé la borne et court de l'autre côté de la terre. Pas d'oiseaux. Silence. 
L'eau, elle-même, ne chante pas ; en écoutant bien, on entend quand même son pas furtif : elle glisse doucement, du pré à la venelle, sur la pointe des pieds. »


Jean Giono, Colline

*









Hier encore, je dévalais les pentes de l'insouciance, mon cartable serré sur mon coeur. Les cailloux du chemins fusaient sous mes souliers en feu comme des flammèches échappées d'un brasier. 
Je buvais l'air à m'en soûler avec cette innocence de ceux qui se croient éternels. 
Parfois, quand je mordais dans une pomme, un morceau de sa peau se glissait entre mes dents. Ça faisait un mal de dingue. Ça me parcourait du frisson de la mort, c'était délicieux. Avec les copains on jouait à mourir. Tu me tuais, je te tuais bang-bang !
Je ne savais pas encore que la mort n'a pas un goût de pomme. Elle n'a le goût de rien, la mort, elle a juste le goût du plus rien. 
C'est la vie qui possède cette odeur fabuleuse, entêtante et mortelle.
Les choses s'enfuient, d'autres viennent. Belles ! Plus belles encore de leur fragilité.
Je bois toujours l'air, mais comme on déguste un grand cru, à petites lampées, laissant couler chaque goutte sur ma langue et pénétrer dans mes veines cet arôme fugace et subtil qu'on appelle la joie.

Hier encore je sentais une bouche avide boire le lait de mon sein, ça tirait là-dessus, mon vieux,  comme pour m'extirper la moelle, t'aurais senti cette vigueur , et je serrais cet être fragile lové contre moi tel un koala tombé de l'arbre. Je devenais la terre nourricière, la source originelle, l'origine du monde.

Enfin, bref,  comme dit je ne sais plus quel grand philosophe
 « Faut l'admettre, on ne peut pas être et avoir tété. »






A mon premier koala qui va avoir trente ans fin avril ...

18 janvier 2017

Sincérité

J'avais sept ans...mais je n'ai toujours pas l'âge de raison !

Etre sincère, cela s’apprend-il ? Ou est-ce un de ces traits lumineux que des fées bienveillantes ont posés sur nos berceaux, un matin de miracle ordinaire ?
Toujours est-il que j'appelle ainsi  la connexion à mes pensées et à mes ressentis profonds. Et surtout ma façon de les exprimer au plus près de ma vérité, sans faux-semblants.
Une écoute continuelle de ce qui sonne juste, comme on écoute le son d’un cristal, ou celui d’un violon. Comme on vérifie l’eau d’un diamant.
Voyez comme les gens faux nous griffent le tympan tels des instruments désaccordés.

L'idée, c'est de ne pas trahir ce qui fait notre essentiel. De ne pas tricher avec soi-même.
La sincérité se promène en nous habillée d'un frêle tissu diaphane. Elle a quelque chose de ses soeurs, la spontanéité, la candeur, la vérité sortant du puits. Mais elle est audacieuse et sait être une force, elle donne une assurance tranquille. Je ne me sens jamais plus sereine que lorsque j'ai dénoué des malentendus pris dans les rets de l'illusion. 

Alors que mentir ne donne qu'une force de façade, un château de cartes sur du magma visqueux. Nos politocards adorés feraient bien d'y réfléchir.
Ainsi que tous ces gens qui obéissent à des diktats de modes ou de pensée et sont incapables d'esprit critique. Rien de plus ridicule que de s'empêcher d'aimer Sardou ou le petit salé aux lentilles par peur de passer pour un ringard. J'aime Jean-Pierre Bacri dans le Goût des Autres.
Je ne crie pas forcément au chef d'oeuvre avec la meute.

J'ai sans doute gardé cela en moi depuis l'enfance,  cette époque fugace où les postures et les calculs n’ont pas encore trop envahi l’espace relationnel. Vous savez, comme l’enfant dans le conte « les habits neufs de l'empereur » qui énonce avec un naturel confondant :
 « Mais le roi est nu ! » 

Dompter ce cheval fou tout en le laissant gambader, pas facile!
La maîtriser et la bichonner en même temps, car à force de la retenir, de la filtrer à l'aune du politiquement correct, de la politesse de bon aloi voire d'une hypocrisie sociale convenue, on risque de l’affaiblir. On devient frileux et moins franc du collier.

Mais parler vrai ne signifie pas forcément parler cru, sans ménagements, ou méchamment.
Et choisir ses mots pour amortir les meurtrissures ne signifie pas obligatoirement dissimuler ou manipuler.
Tout est toujours une question de nuances. Ces merveilleuses palettes d’émotions et de pensées... que seul le langage structuré nous permet d’exprimer sans foncer tête baissée dans des réactions épidermiques...

Enfin, sincérité de l’instant ne signifie pas non plus vérité absolue et sempiternelle gravée dans le marbre. On peut avoir un coup de cœur à un moment précis de notre vie, et ne plus comprendre ensuite, ce qui avait motivé cet élan. S'emballer sincèrement pour quelque chose (ou quelqu'un), et le trouver complètement insipide dix ans après. 
La météo de nos paysages intérieurs  est changeante et parfois surprenante. Elle fluctue avec nos saisons vitales, nos tempêtes et nos grands beaux.


La sincérité, alors, c’est peut-être de garder en soi le thermomètre, (oups, il y en a qui vont adorer cette métaphore !) et de rester simplement fidèle à soi-même.

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Omar Sye, sincère ou trop spontané ?

15 janvier 2017

Espace temps


Sous-titre : petit délire sans gravité.





                                                 
Pour l'agenda ironique de Janvier, organisé par Carnets paresseux
le thème est « Espèces d'espaces » et le texte devait contenir les mots imposés suivants : 
hippocampe, mimosa, n’importe, chat, manger, tentacule, épuiser, vert.





- « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie… » disait Pascal.
- Pascal… le fontainier * ?
- Mais non Marcel, tu n’y es pas, Pascal, c’est le type qui prenait le frais en regardant les étoiles en bonnet de nuit et qui se tourmentait l’hippocampe à échafauder des théories compliquées aux tentacules alambiqués…
- Ah oui !
- Tu ne connais pas sa petite histoire ? Un jour, à force de cogiter son ergosum, suivant les conseils avisés de son ami René, et de prendre des paris sur tout et n’importe quoi, il a eu un éclair de génie des Carpates, et il est entré comme un seul homme dans une faille spatio-temporelle. Enfin disons plutôt qu’il s’est pris les pieds dans sa chemise de nuit, ou dans la queue du chat… bref, il est tombé dans une espèce d’espace-temps spécial et spacieux.
- Diantre ! C’est spécieux !
- Oui, il s’est retrouvé dans un grand champ de possibles. Rempli de fleurs de l’âge, d’arbres à Camantêtes et de mi-mosas. (Oui, ce sont des mosas qui n’ont pas fini leur croissance) Et dans le ciel, quelques nuages de lait qui s’amoncelaient au-dessus du Mont de Vénus.
- Sans blague ! Et ensuite ?
- Ensuite...Il s’est assis un moment à l’ombre d’un doute, histoire de réfléchir.
- Et là tu vas me dire qu’une pomme …
- Mais non, tu confonds avec Nioutonne, l’arboriculteur !
- Autant pour moi.** Et donc ?
- Ne m’interromps pas tout le temps !
Là, donc, il a bien été obligé de demander son chemin de Damas. -Vous voyez ce pont d’or, là-bas ? Lui ont répondu en chœur le passant qui passe et le chaland qui chiale. Eh bien, prenez-le, longez la rivière de diamants jusqu’à la mine de six pieds de long. Vous pourrez peut-être y arriver par un train de vie élevé, ou encore en prenant un ballon d’essai. Mais le plus sûr reste quand même l’autoroute de l’information. Marchez longtemps,  traversez la forêt de saules meunières, escaladez le plateau télé, laissez les moulins à paroles sur votre droite, avec de beaux bouquets thématiques sur votre gauche. Marchez encore, tout droit, sur la crête du succès, et si vous êtes épuisé, trouvez l’œil de la nuit, et fermez-le dans un lit de Procuste, à l’auberge du cul tourné, non sans avoir au préalable mangé une bonne assiette fiscale assaisonnée au citron vert.
- Et alors ? Et alors ?
- Et alors, surgissant de nulle part, Jean-Claude Vandamme est arrivé. Et il a eu cette phrase magnifique : « Si on enlevait l'air du ciel, tous les oiseaux tomberaient par terre » En entendant ça, pas très à l’aise Blaise a renoncé à son périple à Tétitienne, et il est remonté dare-dare dans son XVII° ciel. Il lui fallait trouver une phrase exceptionnelle, qui marquerait l’histoire et ferait oublier cet imposteur du XX° qui risquait de lui voler la vedette des garde-côtes. C’est là qu’il a pondu sa phrase, la phrase qui me permet de faire de ce texte d’eunuque décapité (c’est-à-dire sans queue ni tête, mais vous aviez compris, vous êtes sagaces) une splendide, spéciale et spatiale antépiphore :
« Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie… »


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* Réplique de Marcel Pagnol dans Jean de Florette.
** On devrait d'ailleurs écrire « au temps pour moi » mais ça fait tarte.


13 janvier 2017

Marie






Marie était une amie d'enfance de ma mère. Mieux que cela: Marie était l'Amie, celle qui partage tout, les fous-rires, les galères, les joies et les peines comme disent les ados dans leur journal intime.
On ne sait pas comment l'annoncer à notre fragile maman. Marie s'est éteinte doucement cette semaine. Après une longue vie, dont la moitié donnée à ce service public magnifique qui s'appelait La Poste.
Marie avait gravi un à un tous les échelons, jusqu'à celui de Receveuse. Une receveuse humaine et aux yeux pleins d'étoiles. Une receveuse d'étoiles en somme.
Elle était née en 1926. Imprégnée de cette époque où le Courrier était sacré, où la poste se démenait pour acheminer les lettres, même mal adressées, même mal affranchies. L'époque de l'Aéropostale de Latécoère, de Saint-Exupéry, de Blériot, de Mermoz, où des hommes courageux perdirent leur vie, dans des traversées périlleuses de l'océan. Où il allait de l'honneur des postiers qu'une lettre arrivât à son destinataire.
Elle était de l'époque où Gabin dit à ses complices dans « Le cave se rebiffe »
« Nous allons donc confier notre petit trésor aux seuls gens qui n'égarent jamais rien… Aux employés de cette administration que le monde entier nous envie, j’ai nommé les PTT…» 
 Marie a quitté la Poste au bon moment. Depuis sa retraite, elle ne cessait de regretter que sa « grande maison » à elle soit devenue une banque inhumaine comme les autres, minée par des mots qu'elle ne comprenait pas, concurrence, rentabilité, résultats...

Sur un blog ami, j'ai lu cette phrase : «.: «Elle aurait dû arriver pour Noël mais plutôt que d'être confiée au Père Noël, qui l'aurait certainement livrée dans les délais, elle fut postée et vous savez que la poste... 
Oui, monsieur Jacques, je sais, ils sont terribles, ces petits points de suspension, ces petits points de suspicion...
Oui, je sais que la Poste n'est plus ce qu'elle était. Mais à qui la faute ? 
Je sais que les personnels sont pressés comme des citrons, mal formés, trop peu nombreux, payés à coup de lance-pierres, que les cadres sont débordés, harcelés, poussés parfois au suicide, qu'il faut être toujours plus performant, lucratif, fructueux, juteux et que les mots de service public ne veulent plus rien dire.
 Je sais que l'on ferme de petits bureaux de poste campagnards, comme on ferme des écoles, des maternités, des postes de police de proximité et tout ce qui faisait la grandeur du service aux petites gens...
Marie aurait pu tout aussi bien être infirmière, chef de gare, policière ou institutrice. Son amertume aurait été la même.
Marie et Gabin ont quitté la vie au bon moment : ils ne verront pas le démantèlement final, annoncé par ses fossoyeurs,  de ce modèle social que « le monde entier nous enviait » et qui n'est plus déjà qu'un souvenir tremblant, comme ces pétales de rose sur la tombe de Marie.