25 mai 2025

Le bonheur du linge












Le linge frais, éclatant, celui que les lavandières étalaient à même l'herbe, en prenant bien garde de ne pas frotter le tissu : les taches vertes sont si récalcitrantes au savon... Aux temps anciens, on étendait le linge, littéralement, le mot est resté, même si l'invention de l'épingle à linge a changé les habitudes.
Un étendoir balançant doucement le linge au vent et au soleil, c'est beau comme un film italien. Et étendre le linge à deux, oser mélanger pour une fois les torchons et les serviettes, se chercher, se trouver, braver les interdits... c'est la magie cachée de la pince à linge.
Qui dira l'érotisme subtil de ce jeu de cache-cache à travers les draps humides ? Un jeu vertical, prélude sans nul doute à d'autres jeux plus horizontaux. 
Une silhouette nue derrière une nappe à carreaux vichy et l'on devient Bardot et sa croupe incendiaire, zieutée par un Curt Jurgens cramé de désir. 
Un soutien-gorge en satin rose et l'on est Magnani. Belluci. Cardinale. Héroïne fellinienne de la lessive Plouf.
Les draps sont les rideaux d'un théâtre d'ombres derrière lesquels se jouent l'amour et le hasard. Leur odeur de verveine ou de lin bleu enflamme les sens, enivre le corps qui se met à battre la campagne. Rien de plus suggestif qu'un triangle de dentelle ensouplinée qui oscille sur son fil sous la brise d'un matin de mai.
D'ailleurs, en parlant de campagne, voilà un plaisir que les pauvres citadins, condamnés au « tancarville » ou à l'affreux sèche-linge qui roule les fringues en boule ont le droit de ne pas connaître. Sauf peut-être dans les villes du sud, où le linge pavoise les rues en oriflammes grâce à un système ingénieux de fils et de poulies. On en revient à l'Italie. On ne quitte pas l'Italie. Ma mère ne reniait pas ses origines. Santa madre ! « Le linge, ça sèche à l'air sinon ça pue » ! Elle n'y allait pas par quatre chemins, la madre. Elle étendait dehors, tout le temps, et l'hiver, le gel rendait parfois les vêtements durs comme du bois et friables comme du verre. Nos chemises étaient en carton, ourlées de givre, ça nous faisait rire. 
Elle les rangeait dans l'armoire dédiée avec de petits sacs de lavande. Elle repassait tout, même les gants de toilette. Je suis moins assidue au fer.
Mais d'elle, j'ai hérité ce goût pour la lessive qui sèche à l'air. Et pour la délicieuse odeur du linge de maison impeccable.
 Quant à l'érotisme de l'étendage, je crois qu'elle se serait signée en levant les yeux au ciel à la lecture de mes billevesées... Alors que mon père, bien qu'il fût imberbe,  aurait frisé sa moustache. 

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12 mai 2025

Mon petit soleil sur pattes

 






Mon petit soleil sur pattes. C'est comme cela que je l'appelais affectueusement.
 Enfant, elle avait une bouille ronde et les cheveux d'une blondeur de blé. On aurait dit une petite hutte toute illuminée de soleil. Le surnom lui est resté. La Hutte. Ma chère Hutte des Bois... Les plus fidèles parmi vous se souviennent peut-être de son blog « Petit Singe Vert ».
Les tribulations d'un adorable singe en peluche plus vivant que nature. J'adorais sa poésie. Son humour. Son caractère bien trempé. Ses facéties me faisaient souvent rire. Petit Singe Vert, c'était elle, et sa joie ingénue de peluche cachait sûrement des blessures. Peut-être n'ai-je pas su les voir ?
Notre relation n'a pas toujours été simple. Mais je l'aimais, et je l'aime toujours.
Bien sûr, dix ans nous séparent. Je suis l'aînée, elle la benjamine, d'une fratrie de quatre garçons. Rien que pour cette raison, notre sororité nous donnait une complicité qui aurait dû durer toujours. 
  Mais ces dix ans d'écart ne sont rien à côté de l'énorme fossé qui s'est creusé entre nous depuis quatre ans bientôt.  Notre petit fil de sœurettes s'est cassé. Nos chemins ont bifurqué. Je respecte son éloignement, son besoin de ne plus voir personne. J'essaie de comprendre ses raisons, de me dire que c'est passager, que ce n'est pas contre moi, que ça ne peut pas être définitif, et que nous nous reverrons. J'aimerais l'aider, mais peut-être n'a-t-elle pas besoin d'aide, au fond... 
Mais plus le temps file et plus je perds l'espoir. Je tente de maintenir le lien, par de petits messages, des photos, des clins d'oeil. J'ai parfois une réponse, pas toujours. Ou alors un smiley.
Qu'en est-il de toi, vraiment, ma sœur ? Où en es-tu ? Que fais-tu ? Quelle flamme t'anime encore ?
Oui, ma sœurette, j'essaie de me dire que tu vas bien, que tu es toujours un petit soleil sur pattes, mais je ne sais plus rien de toi. Je ne sais pas si tu lis toujours mon blog, parfois je l'espère secrètement, en me disant que nos amarres ne sont pas complètement rompues, et qu'un jour, on se reparlera. C'est quand même trop bête, dans ce monde dingue au-dessus duquel planent les vautours de l'incompréhension et de la violence, de ne pas pouvoir seulement se parler entre sœurs, non ?
Enfin, voilà. Mon bonheur est un grand ciel bleu, avec, tout au fond, un petit nuage gris persistant. Ce soir, il m'a grossi un peu le cœur. 





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02 mai 2025

Et au milieu coule une fontaine





L'avez-vous remarqué ? En ce moment, le silence du matin est bercé par des chants d'oiseaux différents des autres saisons. Ils sont comme étonnés des premières chaleurs, et tout à leur ouvrage de nids et d’amours. 

J'atterris doucement de ce tourbillon d'émotions que je viens de vivre. Ce n'est pas rien, un mariage, même simple, même « dans l'intimité »...

Ce matin j’entrouvre un œil : dix heures ! 
Comment peut-on dormir aussi longtemps, paresseuse, alors qu'il est pressé de profiter du temps précieux ? L’âme pâteuse je descends pour trouver le café qui m’attend, fumant, à côté du pain grillé. Un pain doré à point, croustillant, dont mon ami Bleck faisait l’éloge il y a peu. Un bonheur d’instant. C’est bon de se laisser choyer…
Je ne sais plus quel journal de psychologie posait la question : « Faut-il réussir dans la vie ou réussir sa vie ? »
Évidemment derrière cette pirouette sémantique se cache le vieux débat sur l’être et l’avoir.

Réussir dans la vie. La réussite au sens commun, parlons-en … Une escalade de biens matériels, un métier qui rapporte autant d’argent que ce qu’il dévore de temps, la fameuse montre qu’il faut absolument posséder avant cinquante ans, et qui ne mesure que plus amèrement encore ce temps perdu… 
Une insatisfaction perpétuelle, à se faire la « belle situation », à devenir le « beau parti » et toutes ces expressions si vieillottes.  Est-on vraiment ici-bas pour amasser, spéculer, étaler ses biens et oublier que tout n'est que poussière ? Et puis le pouvoir, la puissance, cette maladie mentale qui gangrène les « grands de ce monde » mais pas que... Pauvres Napoléons, pauvres rois pharaons comme disait Brassens. Me revient cette phrase très juste d'Yves Simon : « Monsieur Gregory Corso, qu'est-ce que la puissance ? -Rester debout au coin d'une rue et n'attendre personne. » 

Oui, rester debout, imparfaits, libres et heureux face à toute cette vanité, et tenter humblement de réussir sa vie : cela tient davantage du labeur opiniâtre du jardinier que de l'agenda du businessman.
J'en ai arraché, des mauvaises herbes d'émotions négatives, du chiendent de pensées parasites et de liens toxiques, et j'en ai cultivé, des relations vraies, dans un substrat riche d'expériences profondes et de joies simples.
Avec mon amour comme binette et ma joie de vivre comme arrosoir.
Je suis devenue une jardinière de vie.

Je respire profondément. 
Dans le champ, en bas, les coquelicots ont envahi la place. Leur splendeur rouge donne la mesure de ma réussite : je vis dans un livre aux pages fragiles, mais superbes. Fragiles parce que soumises à l'impermanence. Mais superbes, parce qu'elles s'ouvrent sur un jardin apaisant, à l'image des iris de ma bannière, fruits de mes soins attentifs.  J’aime chaque chapitre de ce livre. 

Mon rêve était de réussir à recomposer une famille à partir de deux, à tisser du lien entre nos enfants, et que nous soyons, Lui et moi, le ferment de cette belle cohésion.
J'ai beaucoup versé de larmes, durant ce mariage, parce que c'est émouvant de dire oui à l'homme que l'on aime. Et que c'était doux de sentir les bras de mes petites étoiles serrant très fort mon cou ! Elles ne m'avaient jamais vu pleurer, il faut dire qu'une Célestine ça rit plutôt. Ça raconte des histoires, ça joue de la guitare. Mais ça ne pleure pas.
J'ai pleuré en lisant mon discours, en dégustant le délicieux petit film qu'ils ont monté tous ensemble, en écoutant la chanson qu'ils ont composée pour nous. J'ai pleuré aussi en les regardant rire, jouer, cuisiner ensemble, en voyant tous nos petits-enfants s'égailler (et s'égayer) sous la pluie pour chercher les oeufs de Pâques.  J'ai pleuré encore, une vraie fontaine,  en découvrant leur cadeau collectif... une fontaine, justement. La pièce manquante de la maison sur la Colline.
Quel plus beau symbole de simplicité, d'unité, de jaillissement, bref, de vie... Ils sont formidables, nos enfants.