28 novembre 2018

Trois bons petits diables


Photo du net





Trois adorables petits diablotins. 
Ils bougent dans tous les sens, expriment leur vitalité par de grands cris perçants de souris en train de se faire poursuivre par un chat. Batailles de jambes et de bras, hurlements, mouvements désordonnés, et du bruit, beaucoup de bruit.
Un petit supplice attendrissant certes, mais pénible pour mes oreilles délicates...et pourtant, le métier d'instit, et la fréquentation des préaux par temps de pluie,  m'ont donné une certaine endurance aux décibels. 
Une jolie fratrie de garçons très « vivants », écarts d'âge dans un mouchoir de poche, qui investissent tous les interstices de l'espace sonore, et dont la mère me confie que parfois le soir, elle est morte de fatigue et ne sait plus comment gérer ce trop-plein d'énergie.

C'est une erreur commune, dans notre monde agité, que de confondre énergie et hyperactivité.
L'énergie est une puissance concentrée au creux du ventre. Elle se cultive justement en dehors des mouvements désordonnés du corps, par la respiration, la méditation et la connexion profonde aux énergies cosmiques et telluriques. Tous les yogis, tous les aïkidokas, judokas et autres pratiquants d'arts martiaux le savent. Tous les élèves japonais ou chinois le vivent au quotidien.
D'où vient que, de nos jours, on assimile énergie et agitation ? Le mot clé de cette étrange croyance éducative s'appelle « le défoulement ». On pense qu'un enfant qui se dépense physiquement sera plus calme. On bourre leurs emplois du temps de ministres d'activités censées laisser s'exprimer leur énergie. En réalité, il n'en est rien. Au lieu de la convoquer, ils la dilapident comme des graines semées dans l'eau. 
Essayez de faire se concentrer des enfants sur un problème de mathématiques, au retour d'une récréation, par exemple. Et vous, essayez de dormir le soir, juste après une séance d'aérobic ou une partie de tennis. Ou de vous concentrer sur une partie d'échecs. 
 Comme je l'ai toujours fait, j'ai pris ma guitare, et les trois petits diablotins ont stoppé leurs batailles pour écouter la musique, en calmant peu à peu leurs petits corps tendus comme des élastiques. Le silence a pris une qualité extraordinaire, avec les notes glissant doucement sur le crépitement du feu, les respirations se mettant progressivement en résonance jusqu'à l'unisson. Le courant vital s'est remis à circuler.
« J'aurais adoré être un de tes élèves » m'a dit un ami quand je lui ai raconté l'anecdote. Vous savez quoi ? Ça m'a touchée, et sans fausse modestie, je pense que moi aussi, j'aurais adoré être une de mes élèves.

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23 novembre 2018

Jasons sur les jargonautes







« La parole du sage s'écoule dans la clarté. Mais de tout temps les hommes ont préféré boire l'eau qui jaillit des grottes les plus obscures. »

Amin Maalouf, Le Rocher de Tanios












Le jargonaute n'aime pas parler simplement. Il n'appelle pas un chat un chat. Il aime aguiller les vocables de bric et de broc pour se cadonner de l’importance. Sa boboïsation aggravée n’a pas de limite. Il lui faut sans cesse en rajouter dans le nébuleux. Ça doit lui stimuler la ghréline que de se rouler dans un patagon frénétique, un galimatias abscons que seuls ses congénères saisissent. Ils se boujoutent alors entre-soi dans leur clubbing, à grands coups de biérologie, couponing ou mixologie. L’essentiel est que personne n’entrave que pouic.
Question nourriture, le jargonaute fait dans le flexitarisme, avec une prédilection pour les suraliments nippons bon teint : gyoza, teppanyaki, graines de chia, ça t’a une de ces gueules,  dans une cure de détox en cotravail avec son diététicien ! 
C’est la démocrature du sabir fumeux, le credo du startuper de génie : lui seul sait qu’un phagosome est un organite formé dans une cellule phagocytaire à la suite de la phagocytose, et non une invagination de la membrane plasmique pour englober un corps étranger suivie de la fusion de cette membrane pour former une vacuole dans le cytosol. Quand il arrive à placer ça dans un brainstorming, au sein de sa blockchain, il est au bord du GASP.
 Il prend sa vapoteuse et part faire un peu de e-sport sans crainte d’être écotoxique. Qu’il vente ou qu’il gouttine, il s’en moque : il like en replay les meilleures mapping-vidéos du web, transposant malgré lui les mégadonnées en qubits quantiques. Il fréquente une geekette un peu grigneuse qui est condamnée à tenir un vlog pour avoir loupé son actorat. Ils se doucinent gentiment et se font péter la miaille  tout en parlant du Brexit ou de l’alphabet ougaritique.
Bref, la vie des jargonautes est un jonglage permanent de concepts éclaboussants de pédanterie aussi passionnants qu’un précis de légistique en open access. Un vrai bonheur lexicosémantique.
Si vous les rencontrez, traînant, lui en gougounes, elle en burkini,  avec des airs de facancier, fuyez bien vite vous convertir à l’écoforesterie. Car à les écouter, vous auriez soudain un besoin irréfragable d’oxygène et de simplicité !




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Tous les mots « bizarres » en italique dans ce texte vont faire leur entrée officielle dans le Petit Larousse 2019. 

19 novembre 2018

Germaine la danse





Lakevio nous propose de caler une histoire entre les deux phrases de début et de fin, tirées de Bernanos pour la première et de Robbe-Grillet pour la seconde.








Voici l'heure où commence l'histoire de Germaine Malorthy, du bourg de Terninques, en Artois.
Cinq heures du mat, j'ai des frissons. Germaine part.
C’est fou quand même, le talent, à quoi ça tient...
Voilà un type, un certain Georges B.  qui pond un best-seller mondial, auquel il donne un titre sulfureux propre à déchaîner la presse spécialisée et le Vatican réunis, et qui trouve le moyen d’appeler son héroïne Germaine…allons allons ! ce n’est pas sérieux, monsieur B ! Bon, en même temps, n’est pas Brassens qui veut. Tu veux nous berner, Bernanos.
Pis que ça, il situe son action dans un bled du Pas-de-Calais. Dans le Nord, vous vous rendez compte ! Le Noooord...comme aurait dit Galabru.
Donc Germaine part. Pierre Dac l'aurait appelée Germaine Eloire, ça nous aurait fait rire un brin. Conan Doyle se serait fendu d’une Germaine Moriarty pour nous frissonner l’échine. Avec une Germaine Jackson, on aurait dansé le moonwalk toute la nuit.
Rien de tout ça. Même sans soleil, Satan bouche un coin, c’est comme ça. Un coin de France ou d’ailleurs, quelle importance ? Cette Germaine-là est une femme de chair et de feu. Elle s’en va, parce qu’elle le doit.  Elle se le doit à elle-même. Elle l'a décidé.
Germaine roule. Dos au nord, elle a quitté sa rue et trace la route de sa liberté. Bien à l’abri, dans sa cage de farfadet, protégée d’éventuels petits hommes verts venus l’enlever dans leur vaisseau interstellaire pour lui piquer sa recette de pâtes aux œufs frais. Mais l’eusses-tu cru ?
Non, si Germaine roule, tout le jour, c’est qu’elle part retrouver son amour. L’homme par qui les sandales arrivent. Et les maillots, la mer, et l’insouciance d’un bonheur enfin trouvé. Un soupir déchire sa poitrine.
Elle roule. Elle est bien roulée, Germaine. Carrossée par Pininfarina, châssis parfait, double airbag et phares au xénon. Plus jolie qu’un printemps sur l’Estérel. C’est lui qui le lui a dit. Elle sait qu’il l’attend, là-bas, dans la maison sous les pins. Ecrasée par un soleil infernal qui fait griller les robes, et les cigales comme du popcorn.
Elle roule tout le jour, bravant les barrages filtrants et les péages bloqués, et les mille dangers de la conduite en état d'ivresse amoureuse.
Enfin.
Epuisée, langoureuse, elle se glisse dans des draps frais et des bras brûlants. Les étoiles resplendissent sur le capot de sa voiture et l’eau verte du bassin aux grenouilles. Le soleil de Satan s’est effondré depuis longtemps dans la mer. Dehors la nuit noire et le bruit assourdissant des criquets s'étendent de nouveau sur le jardin et la terrasse, tout autour de la maison.



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16 novembre 2018

Petit bois derrière chez moi








Il faisait doux. J'ai marché. C'était revigorant comme un nectar.
Une longue marche inspirante et oxygénée au milieu de la forêt derrière chez moi. Oui, parce que derrière chez moi, désormais, il y a un petit bois. Et même une rivière. Et la lon la, lon lère. 
J'avais besoin de faire le point. Ma vie bascule dans un nouveau chapitre. Un peu ébouriffant. L'air y est plus pur. La liberté complète, presque vertigineuse. J'ai perdu certains repères très anciens, je me suis auto-déstabilisée, auto-délocalisée. Traversé les quarantièmes. J'en sors à peine.
Mais quel bonheur de me trouver, en chemin ! De me reconnaître. En accord avec moi-même.
J'ai consacré un an de ma vie à détricoter patiemment mon enfance, mes formatages, à explorer et à expliquer mes failles, mes écorchures. J'ai compris des tas de choses du passé.. 
J'ai soupesé, hésité. Réfléchi. Ça sert à ça, une thérapie. 
Et puis, j'ai largué les amarres. Je suis comme ça, je ne supporte pas l'à-peu-près, ni la médiocrité. Quand quelque chose ne me convient plus, j'en change. Je pars vers mon ailleurs.
J'ai travaillé sur moi, labouré mes friches, élagué, ressemé, écrivant patiemment chaque jour sur un espace un peu confidentiel, ce qui sortait de mes tripes nouées, torturées, parfois comme si je vomissais. Au plus profond de l'intime. J'ai gratté, récuré. Cela m'a demandé du temps, de l'énergie. Beaucoup de larmes. Divorcer d'avec son passé, ce n'est pas simple.
Le résultat est inespéré. 
Alors bien sûr, parallèlement, ce blog que j'aime tant s'est un peu vidé de sa substance. 
Mon côté obscur, tremblant et fragile, fougueux, instable, mon âme, en un mot, étaient là-bas, au-delà de ma lisière secrète. 
Ici, je suis devenue un peu convenue. Moins personnelle. Or ce qui plaît, ce qui excite, ce qui fait avancer le lecteur, je le sais, c'est la confidence authentique. Le partage de la vraie vie. Le vécu...
J'ai perdu en chemin de nombreux lecteurs auxquels je tenais pourtant. Je le regrette.
Oh bien sûr, pas vous, qui lisez ces mots aujourd'hui.  Vous êtes mes précieux et je vous respecte infiniment. Vous êtes là, indulgents et admiratifs.
Mais l'un d'entre vous me faisait remarquer tantôt que ça manquait franchement de profondeur par ici, et je dois reconnaître qu'il avait raison. 
J'ai envie de vous offrir autre chose. Je n'ai pas dit mon dernier mot. J'en ai encore sous la semelle. Je n'ai pas écrit mon dernier ressenti, ni ma dernière expérience, douloureuse ou émerveillée.
Je réfléchis simplement à une nouvelle formule, une ligne éditoriale singulière, plus dynamique, plus punchy. Une publication plus rythmée. A l'image du fleuve impétueux qui continue, plus que jamais, à inonder mes veines.
Et je vous garantis que je vais faire mon impossible pour que, dans quelque temps, vous sachiez tout de ma vie épantelante et sensationnelle. Sur un blog rajeuni et ragaillardi.
Souquez les artibuses, moussaillons ! La Célestine nouvelle arrive, le même jour, ou presque, que le Beaujolais. C'est-y pas un beau symbole, ça ?

Photo de ma soeurette


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13 novembre 2018

Le paradis perdure


“Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin, 
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin, 
Et plus que l'air marin la doulceur angevine.”

Joachim Du Bellay




Ah mes lecteurs chéris, pendant que vous me combliez en m’offrant vos options d’escapades pour mon futur voyage à Paris que j’effectuerai en décembre, je descendais, à la Rimbaud,  un fleuve impassible sur mon bateau un peu ivre. Voilà la raison de mon silence : j'étais muette d'admiration.

Le ciel est d'organdi, festonné d’une écharpe en nuages. 
Le fleuve étend ses ailes de sable sans contrainte, loin, bien loin des rives emmurées des autres fleuves. Les aigrettes trouent l'espace de leur blancheur, et les barques-maisons ont cousu sur le bord, à petits points, leurs ancrages qui clapotent au vent d'ouest.
Les ponts nous ont portés,  romantiques et solides, ma vie, mon amour, jetés comme des flèches par-dessus les remous. Les reflets des saisons zèbrent le ciel des demeures royales.
Souviens-toi, on a vu des vignes écartelées de pourpre, faire dévaler leurs grappes en cascades à côté des ardoises et trier le bon grain de l’ivresse.
Les façades de tuffeau étincelantes au crépuscule. Les fenêtres ouvrant sur l'azur délavé.  On a vu les forêts bruire de chevreuils et de lièvres furtifs. Des chasseurs prétentieux en livrée. Des chiens en meutes comme dans un Downton Abbey de velours côtelé et de frais crottin. De vieilles forges abandonnées à la ruine des pierres.
Les chemins de terre n'ont rien à craindre des routes. Ils accueillent des îles et des villages blottis qui nous font un cerceau de lumière. La fougère transpire et frissonne sous la brume. La nuit comme un buvard absorbe l’ombre. Le bois exhale des parfums d'insomnie dans les ornières de boue des clairières.
L'amour s'ébroue dans les roseaux, sous les tuilières, dans chaque vol de buse ou de héron.
La Loire est un fleuve admirable, piqueté de châteaux précieux comme autant de diamants sur le brocart des songes. La Saint Barthélémy, l'assassinat de Guise et la reine Margot apostrophent le temps, hantent les corridors battus du vent aigre du passé. On renifle le sang, on rejoue l'opéra tragique de l'histoire dans des assiettes d’or.
Mais nos gestes sont en vie. 
Voilà un voyage comme je les aime, où l’on joint le Soi à l'Autre par un fil tressé de beauté et de calme. Sans pression.
Découvrir, contempler, multiplier les sensations. Humer l'air. Boire l'air.
Aimer. Vivre.










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Photos : Céleste
Musique: Elton John
Mots inclus pour le défi « Treize à la douzaine » de novembre.