Merci à Mathilde pour cette belle illustration pleine de sagesse et d'espoir |
Je mentirais par omission, si je ne vous disais pas que j'ai
traversé une grosse tempête, un de ces grains qui secouent un bâtiment
jusque dans les entreponts.
Tropique du cancer, triste tropique. Un de plus, embarqué par le crabe aux pinces d'ogre, mille sabords ! Un de plus dont on se
dit qu'il ne souffre plus, même s'il nous a tous laissés abasourdis.
Et par le plus beau des hasards, comme si la vie pourvoyait à adoucir ma peine par sa bienveillance, j'ai participé ces deux derniers
jours à une expérience extraordinaire, prévue depuis longtemps, qui m'a mise en contact avec de jeunes
enfants. Et m'a arrachée à ma tristesse.
Il s'agissait de leur faire découvrir l'univers magique des livres au
travers de petits sentiers non balisés, tendus comme des fils entre deux
imaginaires : le leur, et celui d'auteurs talentueux.
Observer ces frimousses laiteuses, ces tâches de rousseur mutines,
ces grands yeux de lémuriens ouverts tout étonnés sur le monde, ces trépignements impatients, ces petits cris de souris, quel étrange
bonheur après ces quelques jours endeuillés de voile gris !
Quel contraste saisissant entre la faiblesse du mourant et
l'extraordinaire force du vivant en devenir!
J'ai repensé au sourire du défunt, apaisé, comme
s'il nous transmettait le devoir de rire au lieu de pleurer... Une image
inoubliable. Ses mots tracés de sa main, ses dernières volontés, quelques paroles de Jacques Brel
: « Je veux qu'on rie, je veux qu'on chante, je veux qu'on s'amuse comme des
fous...»
Alors, ces enfants qui tenaient entre leurs doigts frêles et potelés toute
la candeur du monde, ont effleuré ma joue de leurs boucles de cheveux de miel soyeux, à l'endroit même où, meurtrie, j'avais réellement ressenti il y a trois
jours le souffle glacé, insupportable de la mort.
J'ai pensé avec un frisson d'horreur que je ne survivrais pas à celle d'un de mes enfants.
Puis je me suis dit non, vite, chasser les idées inopportunes et affreuses d'un revers de mouchoir.
Se tourner vers demain.
Allez, renaître à la vie, reprendre le cours du voyage, avancer vers une sorte de sagesse, oui, tâcher de comprendre et d'accepter peu à peu que la mort ne soit pas la fin de la vie, mais simplement sa condition sine qua non...
Et dire youpi, tout doucement, dans le fond de son coeur. Comme un enfant.