Dans la cour de récréation, il y avait un marronnier. Dans mon souvenir, il est aussi grand qu'un séquoia. A mes yeux de petite fille, c'était un géant tutélaire qui veillait sur l'école en étendant généreusement son ombre fraîche et dense. Nous jouions aux balles (jonglant contre les murs avec trois, quatre ou cinq balles pour les championnes). Nous emberlificotions nos pieds dans les fameux élastiques, et quand nous n'étions que deux, les pieds d'une chaise remplaçaient avantageusement la troisième (car la chaise ne réclamait pas son tour!)
Puis, quand nous avions trop chaud, nous allions nous asseoir sous le marronnier pour discuter. Les grandes du CM2 avaient là un territoire réservé où les petites ne risquaient de s'aventurer sans permission. Nous y parlions des choses de filles avec des airs de conspiratrices.
Il n'y avait pas de garçons dans la cour. Quelques filles délurées ramassaient parfois des marrons pour les lancer par-dessus le mur d'enceinte de l'école, mais aucune n'aurait songé à viser une autre élève.
A l'école de garçons, ceux-ci devaient sûrement rejouer les Velrans et les Longevernes à coup de marrons d'Inde. Mais nous ne savions pas ce qui se passait "de l'autre côté".
Ma grand-mère en gardait toujours quelques-uns dans sa poche, qui devenaient extrêmement lisses et brillants à force de les faire rouler dans ses doigts. Je n'ai jamais su au juste à quoi cela lui servait.
En automne, pour la leçon de choses, nous ramassions les plus belles feuilles, d'un jaune d'or, d'un ocre lumineux, et nous les dessinions dans nos cahiers en apprenant les feuilles simples et composées, les folioles, les alternes et les opposées, les limbes, le pétiole, tout un vocabulaire poétique et mystérieux. J'appris le mot frondaison que je plaçais à l'envi dans mes rédactions...
C'était magie de voir se parer ainsi cet arbre bienveillant d'une robe éblouissante, avant de se dépouiller et de montrer ses branches à l'écorce noire tout l'hiver. Au printemps, il se couvrait de magnifiques hampes blanches dont le parfum de miel m'enivrait. Des centaines d'oiseaux venaient se rassembler dans sa ramure à certains moments de l'année, avant les grandes migrations. Interdiction alors de se mettre dessous, sous peine, comme le capitaine Haddock, de faire connaissance rapidement avec le guano...
Mais c'est lui aussi qui abritait les merles et leurs chants si merveilleux qui me déclenchent encore, chaque année, des palpitations au niveau du plexus.
Ainsi à chaque saison, cet ami végétal nous prodiguait ses faveurs sans calcul. J'aimais me plaquer contre son tronc râpeux et l'enlacer de mes petits bras blancs pour tenter d'écouter son coeur. Car je ne doutais pas que ce géant en eût un.
Il était en tous cas un personnage de l'école.
Il était en tous cas un personnage de l'école.
De nos jours, les cours d'école modernes n'ont plus de marronniers. Trop dangereux. Quelques arbres chétifs poussent ça et là, des espèces hybrides choisies sans fruits, sans graines, sans fleurs, sans cônes pointus. Sans rien qui puisse tomber par terre. Sans âme. Au nom de la sacro-sainte Sécurité. Les bogues hérissées de piquants deviendraient des armes et feraient s'évanouir l'inspectrice. Les fleurs provoqueraient des asthmes et des allergies, il faudrait faire des dossiers médicaux.Sans compter les piqûres d'abeilles! Les enfants avaleraient tout rond les marrons ou se les enverraient dans l' oeil. Ce serait Verdun à chaque récréation.
D'ailleurs les marronniers sont malades en France. Contaminés par Cameraria ohridella, un papillon dévoreur. A mon avis, ils se laissent mourir de chagrin, de ne plus pouvoir abriter les jeux des enfants...
les six séculaires de notre cours ont chu aussi... De nos jours, il ne fait pas bon être arbre, arbuste, herbe.
RépondreSupprimermerci du souvenir...
les palmiers se meurent aussi dans le sud..
RépondreSupprimerLes marronniers de mon enfance étaient indestructibles..
Laissons nous vivre, laissons les vivre..
Quelle belle et sensible évocation de l'enfance…
RépondreSupprimerce que tu dis d'aujourd'hui me pose question… Mais comment avons-nous pu survivre à tout ça ? Pourquoi n'avons-nous pas un oeil crevé, une fracture du crâne, une bronchite chronique, des allergies galopantes et autres joyeusetés…
Sans doute, à l'école, étions-nous sous la protection de Sia, ce dieu égyptien de la connaissance et de l'instruction.
hélas aujourd'hui, et comme l'a chanté Brassens :
Mais se touchant le crâne, en criant " J'ai trouvé "
La bande au professeur Nimbus est arrivée
Qui s'est mise à frapper les cieux d'alignement,
Chasser les Dieux du Firmament.
Et le Grand Pan est mort....
C'est vrai , sacrée sécurité , y'a plus rien dans les cours d'école , plus de jeux , plus de cordes à sauter , plus d'arbres ....
RépondreSupprimerLes arbres sont nos repères , il en faut du temps pour qu'ils poussent et tellement peu pour qu'ils meurent ...
tiens , je me demande pourquoi on appelle un sujet qui revient à chaque date de l'année , un marronnier ?
Merveilleuse évocation !
RépondreSupprimerPour les marrons dans les poches, on a longtemps attribué au fait de porter des marrons sur soi une protection contre les crampes ou les rhumatismes.
Oh Célestine, quel beau texte...
RépondreSupprimerEt... quelle belle photo, tu nous ferais tomber amoureux du marronnier...
Si ta grand-mère gardait des marrons d'Inde dans sa poche c'est sans doute pour leurs vertus "thérapeutiques". Il me semble me souvenir que maman disait que c'était bon pour les rhumatismes ;-D.
RépondreSupprimerTu as raison c'est certainement le chagrin plus qu'un petit papillon qui les tue.
Plus rien non plus le long des routes, ou se trouvaient en Meuse, cerisiers et mirabelliers...protection des automobilistes.....
RépondreSupprimerBeau dimanche.
pareil en Belgique, le même mal fait perdre aux marronniers leurs feuilles bien avant que ce soit la saison... mais il paraît qu'ils n'en meurent pas...
RépondreSupprimerchez nous dans la cour il y a trois majestueux platanes mais ceux qui sont contre "toute cette saleté de feuilles" à l'automne ont gagné, les arbres ont été affreusement élagués (mutilés)... je sais que ça se fait beaucoup avec les platanes mais je persiste à trouver ça laid, ces moignons, et contre nature!
Née en 1940 (et maman d'une fille institutrice) je me sens comme une rescapée ; oui, mon Dieu, comme j'ai vécu dangereusement, sans upérisation, avec les acariens, et j'en passe. Mais, surtout, dans la cour de récré, il y avait 3 énormes platanes allergènes, et, horreur, nous prenions les feuilles à pleines brassées pour se les lancer, ou s'enterrer dedans ! De plus, la cour était recouverte de cailloux lisses et un peu plus gros que des dragées. La seule précaution prise l'était en hiver ; interdiction de faire des boules de neige au cas où l'un de ces cailloux, assassin en puissance, se serait malencontreusement glissé dans la jolie boule !
RépondreSupprimerDans la cour de ma petite école trônaient de magnifiques platanes, ils nous servaient de planque pour nos parties de "cache-cache". Et aussi de piquets quand j'étais puni !
RépondreSupprimerLes marrons dans la poche de ta grand'mère, je suis certain qu'ils étaient au nombre de trois, et ces trois marrons étaient censés protéger de la tuberculose ];-D
Je viens de lire les coms précédents... La panacée les marrons, mais oui ma bonne Dame !
RépondreSupprimerJ'ai fait une mauvaise manip' l'anonyme c'est ma pomme ];-D
RépondreSupprimerJ'ai un problème avec les marronniers (oui il y en avait un dans ma cour de récréation en Périgord) : un si beau fruit inconsommable, c'est le summum de l'injustice !
RépondreSupprimerBon, avec un marron-tête, un marron-corps et deux marrons-pieds, le tout relié avec des allumettes, on faisait de beaux bonzommes, quand même o-O-@
et heureusement qu'il nous reste la crème de Marrons , et pour un peu que le marronnier soit suisse et bien ça fait du marron suisse !! miam miam !!!
RépondreSupprimereu sinon pour faire moins drôle parfois il se passe cela
RépondreSupprimerhttp://rhone-alpes.france3.fr/info/un-arbre-tombe-dans-la-cour-d-une-ecole-63548318.html
hé c'était mon école maternelle quand j'étais une petite hutte des bois !!!
Et pourtant qu'il était stupide ce technocrate avant l'heure qui eut l'idée de nous installer dans les cours d'écoles. Nous mettre là, nous de beaux arbres, au milieu des enfants, nous étions en colère : ils allaient nous abîmer, nous massacrer ! Nos beaux marrons deviendraient de simples projectiles, leurs bogues des piques pour se blesser. Ils glisseraient sur nos feuilles et lorsque nous serions beaux pour faire un bel ombrage ce serait déjà l'époque des vacances. Ce que nous ignorions ce sont les secrets que nous allions entendre, et les cœurs gravés en nous d'amours enfantines, et ces enfants isolés à qui nous servirions de confidents, et nos racines si pratiques pour les billes et les petites autos. Et aux beaux jours, les directeurs d'école en vacances abriteraient de nos ombres leurs repas de famille. Et on en a connu de ces grands auteurs et de ces grands savants élevés dans nos cours, par des parents instituteurs. Et puis cette déclaration d'amour de Célestine, si douce, si tendre : un bel hommage. Alors aujourd'hui d'autres technocrates nous chassent. La roue tourne. Nous repartirons abriter de nos ombres d'autres endroits. Peut-être retournerons dans des parcs de châteaux ou dans des ailleurs que l'histoire de l'homme n'a pas encore inventé.
RépondreSupprimerEn tous cas merci, douce Célestine.
Signé : un marronnier.
Amoureux des marronniers également (roses de préférence) ces fleurs extraordinaires inspirent le photographe que je suis!
RépondreSupprimerEt puis plus tard, ouvrir la bogue et faire rouler dans ses mains les petites boules lisses et vernissées ...
Alors j'ai de la chance parce que j'ai un marronnier en bas de chez moi. Tous les ans, le premier marron qui est sur ma route je le ramasse et je le garde. Si il est abimé je me dis que l'année ne sera pas bonne. Et si il est bien rond d'une couleur uniforme alors ce sera tout bon.
RépondreSupprimerLA VIE EN ROUGE laisser un marron décider de toute son année, ce n'est pas banal! Pourvu que le prochain soit bien lisse!
RépondreSupprimerANTIBLUES tu m'enverras une de tes photos, dis?
CHER MARRONNIER je ne savais pas qu'en plus, tu étais philosophe, cher arbre de mon enfance. Merci pour ce beau texte.
HUTTE DES BOIS c'est rigolo, mon école à moi était juste de l'autre côté de la rue...
La crème de marrons...euh, c'est pas fait avec les châtaignes ça?
SAOUL FIFRE moi, je fabriquais des petites bonnes femmes avec 2 coquelicots...
ANDIAMO les marrons évoquent des souvenirs à beaucoup de monde apparemment! et nos grands-mères étaient des sages...
TATYDANYLYON C'est une des choses qui me pèsent le plus: la sécurité est devenue une obsession, ça devient ridicule. On fait des enfants des handicapés incapables et mous. je ne sais pas si ça s'arrêtera un jour...
ADRIENNE si on dit aux technocrates que les arbres sont des êtres vivants sensibles et protecteurs que l'on doit respecter, il y a gros à parier qu'ils appelleront les infirmiers psychiatriques. Hélas!
PATRIARCH il faut avouer que ces derniers temps, les arbres avaient une fâcheuse tendance à se jeter sous les voitures, ou à traverser la route sans regarder...
CATHERINE et WALRUS merci pour l'explication des marrons dans la poche!
COUMARINE le mot "majesté" aurait dû être inventé pour les arbres...
JEANNE çà vient peut-être de cette habitude qu'avaient les maîtres de nous faire dessiner des feuilles chaque année à l'automne...A vérifier!
ALAIX je pense souvent à cette chanson, les professeurs Nimbus sont légion de nos jours, dans l'éducation nationale: on formatise, on normalise, on évalue, on met en équation, on frappe d'alignement les élèves pour les mettre dans de petites boîtes.Au final, il faut sacrément se battre pour leur rappeler que ce sont des êtres humains que nous avons en face de nous...
ELLA B. Mais qu'est-ce qu'ils ont tous ces arbres? c'est terrible.
RépondreSupprimerCEDRIC Les arbres prendront leur revanche un jour ou l'autre. Il faut l'espérer...
Dis donc, il a du kidnapper quantité de ballons dans sa ramure, celui-là :-))
RépondreSupprimerDans l'école où j'enseignais, le marronnier de la cour donnant sur le jardin était superbe. Quel chagrin et quel vide quand il y a quelques années, il a été sacrifié (on le disait malade) sur l'autel de la sécurité, de la simplification des tâches d'entretien et de la nécessité d'une cour plane plus adaptée au sport (ses racines la soulevaient, il est vrai).
RépondreSupprimerDepuis, cette cour a perdu son âme.
Merci pour ce beau texte qui l'a fait revivre.
Point de marronier, mais des platanes dans nos cours de récré et on y joue encore avec les boules de poils à gratter... Et je les fustige en mars avril car je perds mon souffle et tousse comme une fumeuse.Mais ils sont beaux, ils sont vieux, ils nous font de l'ombre et dieux qu'on en a aura besoin bientôt ! Et si les platanes du canal du midi ont tous les chancre, ici ouf ils sont épargnés. cE SONT LES Platanes de mon enfance, et ils sont toujours là , comme les cordes à sauter, les élastiques qui fleurissent au printemps.
RépondreSupprimerDans la dernière école où j'ai enseigné il y avait plein d'arbres car la directrice qui était là depuis très longtemps avaient une passion pour les arbres et les plantes! Du coup elle s'était opposée à ce qu'on les coupe et en avait même fait planter! Il y avait un grand tilleul, un platane et surtout un grand figuier qui produisait des kilos de fruits délicieux en automne!
RépondreSupprimerC'est dommage que sous pretexte de sécurité on coupe les marronniers et autres arbres qui ombrageaient les cours de récré l'été!
Il y a dû y avoir quelquepart un papa-maman procédurier qui a porté plainte contre le Maire parce que son chérubin s' était "pris" le tronc en jouant à "toc-toc"....
RépondreSupprimerChauds les marrons, chauds. Souvenirs d'enfance. A mon école c'était un noyer qui ombrageait la cour. Le noyer a disparu et l'école aussi. Maintenant c'est un restaurant dans ses murs. J'y retrouve malgré tout quelques uns de mes repères.
RépondreSupprimerAmicalement. Henri.
Un voyage dans notre enfance, évocation des détails vrais rafraichis par la mémoire et la plume de l'écrivaine. Un dernier paragraphe qui couronne le tout d'un humour délicieux ... On aimerait que cela dure le temps d'un livre ... Au fait c'est quand le livre ?
RépondreSupprimerje t'embrasse
Ah, s'il pouvait parler ...
RépondreSupprimerIl en aurait des choses à raconter !