Sujet toujours numéro un au classement des brèves de comptoir: la vitesse du temps qui passe.
-M'en parlez pas, ma p'tit' dame, c'est effarant! On est déjà en novembre, vous vous rendez compte!
-Oui, faut en profiter! Quand on a des bons moments, faut les prendre.
Certes, à être catapultés vers la mort, autant que ce soit comme des bouchons de bouteille de champagne, dans un pétillant éclat de rire. La vie est une grosse blague, dont la chute, certes, manque sérieusement de légèreté, on n'y peut rien...On ne peut que se demander pourquoi tout semble aller toujours plus vite.
Ce temps qui accélère tient au nombre croissant de repères que la vie moderne sème sur nos existences comme autant de petits cailloux, ou de petites épingles sur une carte marine. Des repères temporels; des balises. Il y a les fêtes, Halloween, Noël, Pâques, la fête des mères, des pères, des grand-mères, à quand celle des grand-pères, des cousins ou des fox à poils durs, et toujours de nouvelles "journées" , de la femme, des handicapés, des droits de l'enfant, de toutes les minorités subissantes. Tout cela n'est devenu qu'alibis pour ponctuer l'activité commerciale en oubliant le sens premier de la fête. Il y a les rendez-vous médiatiques périodiques, l'élection de Miss France, les César, les Molière, les Victoires de la musique,le carnaval de Nice, la dictée de Pivot, le festival de Cannes, la féria de Nîmes, la Coupe du Monde de football ,Rolland Garros, Wimbledon, les jeux olympiques, le Tour de France, la Rentrée des classes, les soldes,la braderie de Lille, le Blanc, les chocolats, le jardinage, les piscines, et on recommence...D'où cette sensation que tout s'emballe comme un manège fou.
Mais le temps est élastique. Il ne passe pas de la même façon tout le temps, ni pour tout le monde.
Du fond des époques reculées appelées les temps immémoriaux, le temps devait paraître très long , sans moyens de communication, sans portable, sans ciné, sans avions, sans télé, sans promotions saisonnières, sans commémorations, sans agendas...
Au temps de Jacquou le Croquant, les saisons s'étiraient, interminables, glacées, les longues soirées à la chandelle, les nuits sans fin, les jours au goût de craie dédiés à un travail éreintant dans les champs de l'aube au crépuscule, ponctué seulement par l'angélus et les vêpres, sans week-end, sans RTT, sans vacances, sans espoir d'un jour meilleur.
Le seul "repos" dominical comportait encore des contraintes, dont la moindre n'était pas la messe à laquelle il fallait se rendre coûte que coûte, par tous les temps, pour être sûr de gagner cette vie éternelle si douce après la vallée de larmes. Sur le trajet, ils auraient eu tout le temps de se demander à quoi rimait cette vie absurde si l'ignorance qui leur tenait lieu de maigre manteau ne les avait pas privés de tout raisonnement métaphysique.
Les mois d'hiver au fond du Périgord noir devaient durer des siècles. Des siècles de grelottements, de ventres noués par la famine, de sabots dans la neige, de guenilles, de crainte du loup dans la forêt, de nuits d'effroi à l'évocation du diable et des sorcelleries, et de révoltes larvées, de poings fermés dans les poches trouées de leurs paletots...Des siècles de tâches répétitives, de souffrance au labeur, d'horizons bouchés . Des siècles de résignation itérative. Quand on est condamné à crever au travail, une vie entière, il est sûr que le temps stagne dans ces conditions.Il se fige dans l'horreur d'un présent toujours renouvelé, sans rien à espérer que la mort.
De nos jours, une population croissante, hélas, connaît encore cet étirement du temps dû aux mauvaises conditions de vie. La vie d'un sdf sous sa tente , sur les quais de Seine, face à Bercy, doit lui sembler beaucoup plus longue que celle des riverains leur lançant des regards dégoûtés en conduisant leurs enfants à l'école dans leur 4X4 rutilants. Pour lui, pas d'agenda surbooké, pas de réception à organiser, de places de spectacles à acheter sur internet, pas de problèmes d'intendance, de ménage, d'ordinateur en panne, de vacances à planifier, de voiture à faire réviser, de réunions de travail, de rendez-vous chez le pédiatre. Pas de shopping, pas de boîte de nuit. Pas de parking, ni de jogging, ni de footing, ni de leasing. Pas même le souci de conserver une retraite ou des acquis qui ne sont pas pour eux. Une vie hors de la vie, rien que la morne plaine de jours tous pareils sans lendemains qui chantent, à se les geler sous sa tente ou dans son carton et à chercher dans les poubelles sa dignité perdue.
Le temps qui passe a un prix. Ce qui fait son prix, ce n'est pas sa longueur, c'est la façon dont on remplit ses heures. Plus on les occupe agréablement, plus elles nous filent entre les doigts. C'est la rançon à payer pour avoir chaud , manger à notre faim, et vivre des expériences variées et intenses. J'essaie d'y penser chaque fois que j'ai envie de me plaindre que le temps passe trop vite.Tant que l'on a cette impression, c'est que la vie est belle. Et quand je veux arrêter le temps, je m'adosse à un chêne liège et je descends quelques arpèges. En goûtant le délicieux luxe de ne rien faire en méditant, et de laisser s'étirer le temps.
photo internet
"Jacquou le Croquant, film de Laurent Boutonnat, 2007
oui, le temps passe vite , ... et moi qui aime tellement l'étirer!!
RépondreSupprimervoici dès Mersredi , avec un stage , la reprise des chemins écoliers ... comme toi, je pense?
je vais vite aller dans mon antre cntinuer à tier mes classeurs de chansons!
Saine activité pour un lundi de Toussaint... Oui , je reprends le chemin des écoliers mercredi, mais...le temps passe si vite que c'est comme si on était à Noël!
RépondreSupprimerBises
Célestine
Très beau texte très juste. Sans oublier que les parents et grands-parents dont nous nous sommes rappelés le souvenir en ce week-end de la Toussaint ont connu quatre ou huit années de guerre. 8 années de peurs et de privations qui ont meurtri tant de familles, qui n'ont pas permis à certains de faires les études qu'ils souhaitaient, qui ont empêché des fiancées de se marier à l'amour de leur vie, etc. Quand on pense à cela, tous nos petits soucis de la société de consommation paraissent bien futiles...
RépondreSupprimerIl y a Sisyphe roulant sa pierre, condamné au travail inutile, pour toute l'éternité, il y a l'esclave moderne rivé à sa machine les yeux fixés sur la paye, et puis il y a Yvan Denissovitch, le condamné à mort, qui malgré le froid et le temps identique, trouve un sens, son sens, à monter ce foutu mur en pierre, qui ne sert à rien qu'à les occuper tous détenus qu'ils sont. Entre les uns et les autres, dirait Camus, il y a le même absurde, mais ce qui les sépare, c'est la conscience ou l'inconscience. C'est parce que Sysiphe est conscient de l'absurde que son existence devient tragique.
RépondreSupprimerah! le temps qui passe! oui quand il nous file entre les doigts, c'est que nous sommes dans la vie, dans l'action..il l'est beaucoup plus long pour les personnes hospitalisees qui n'ont pour horizon que la fenetre de leur chambre en attendant une hypothetique visite..un peu a l'image du sdf qui n'a rien a plannifié si ce n'est la survie de son quotidien! Profitons du moindre moment de joie meme toute simple pour mieux assumer les coups de la vie!
RépondreSupprimerUne solution: tuer le temps quand il devient trop envahissant
RépondreSupprimerLe ressusciter dans les temps morts..
;-))
Ooops. A te lire, je me sens mal de m'être lamentée sur le temps qui passe trop vite. Mais tu as raison, cette sensation est un luxe et la "rançon à payer". Merci de me le rappeler si joliment.
RépondreSupprimerChère Célestine,
RépondreSupprimerTu peux désormais consulter le blog http://peluresdesoi.canalblog.com
pour y retrouver le travail poétique et chorégraphique de Nathalie Desmarest.
(il est aussi en favori sur mon blog)
Bien à toi
Zénondelle
Zenondelle, merci pour le lien. Et aussi pour ton éclairage sur Sisyphe.Rappeler les fondamentaux de la philo ne fait pas de mal par l'est temps qui courent
RépondreSupprimerMYO loin de moi l'idée d'avoir voulu te faire la leçon.Ce texte s'appliquait à moi en premier...
Coum, joli clin d'oeil à un de tes précédents billets.
Bien résumé Véronique. Comment va votre papa?
Oui, PB, Tu as raison, la guerre...Pas besoin d'aller chercher le Moyen Age, il n'est que de lire le journal d'Anne Frank pour mesurer combien le temps devait leur sembler long dans leur placard prison...
Bises à tous
*******Célestine********
Il va si vite, maintenant, que je ne le vois plus passer.....
RépondreSupprimerBises de nous deux !
papa est rentré chez lui mais pour combien de temps?ah! toujours ce temps et son aiguille qui defile pour tout le monde!demain l'école..la encore apprendre pour ne pas perdre son temps!un rythme pour les enfants très important!
RépondreSupprimera demain cel!
Très juste!
RépondreSupprimerLe temps impalpable passe à son aise…
Il nous surprend et nous sommes effarés de nous apercevoir qu'il est déjà passé comme un oiseau ou un avion qui vient à nous et puis qui a disparu.
Quand je vois mes enfants grandir, je me rends aussi compte qu'ils me voient vieillir alors je regarde mes parents car ils sont encore là malgré leurs quatre-vingts printemps. Ca compte et j'ai la chance qu'ils soient encore bien verts tous les deux!
Le prix du temps laisse des traces - les rides...
Le temps c'est un peu comme un rail pour chacun de nous.
Certains sont longs et d'autres courts.
La plupart se longent et parfois se croisent.
D'autres encore virent dans des directions différentes pour parfois se retrouver ensuite.
Magnifique ton billet Célestine - ça me fait penser que je dois retourner au boulot!!!
Kiss
Amaury
NB : Super ton fond automnal et musical. Il est un bonheur pour les yeux et les oreilles dans ce monde de brutes et de vitesse!
Moi aussi j'aime beaucoup ton blog!
RépondreSupprimerMais c'est chronophage les blogs.
Kiss
Amaury
Le temps passé à l'espace fut si bref!dix jours comme dix secondes...et pourtant j'ai chaque jour pris le temps d'une heure de méditation, seul moment hors du temps
RépondreSupprimerAh!J'aimerais un jour visiter cet espace qui me met l'eau à la bouche... Chère Marie Madeleine , qui quitte Paris pile le week-end où j'y suis...(clin d'oeil)
RépondreSupprimerAMAURY tes commentaires me touchent beaucoup.Oui, bloguer est chronophage mais pas plus que passer la serpillère, et franchement, niveau plaisir, y a pas photo...Les rides vont bien aux hommes alors tu n'as pas le droit d'en parler! (re-clin d'oeil)
Que l'on aie froid ou faim quand on aime, le temps passe toujours trop vite. Bises ma Célestine.
RépondreSupprimerJe pense comme Delphine, au fond. Je pense que même les longs hivers du Périgord pouvaient avoir la saveur d'une lune de neige pour des jeunes mariés qui, les vendanges et récoltes étant en sécurité, pouvaient se livrer à quelques moments de caresses et rires en plus. Tout dépend en effet de comment on éclaire les heures. Quel rôle on prend.
RépondreSupprimerVictime, malchanceux, mal aimé??? le temps se traîne sur le malheur pendant que les autres vont de festivités en festivités. Content d'avoir "au moins ça" et espérant avoir plus? Le temps escalade les conquêtes, les choses qui vont mieux, et on a de quoi se réjouir aux fêtes, que ce soit au champagne ou à la piquette ....
très beau billet sur le temps qui passe et très justes réflexions sur le luxe que nous avons si nous pouvons nous en plaindre!
RépondreSupprimermerci et bonne fin de semaine!
Comme c'est vrai ce que tu dis sur le temps qui passe plus vite lorsqu'il est agréablement occupé!
RépondreSupprimerJ'ai regardé l'autre soir Jacquou le croquant à la télé et je me suis dit comme toi que les journées devaient leur sembler souvent bien longues tellement leur vie était dure! Comment trouver la notre difficile après ça?
Il passe tellement vite que je n'avais pas eu le temps de te laisser un petit com ... J'aime qu'il passe vite même si je voudrais parfois le ralentir ... Bon week end
RépondreSupprimerJacquou le croquant est passé à la télé en hiver 68, juste avant mai. Certains disent que cette révolte avait donné des idées ou au moins fait germer des envies de rébellion.
RépondreSupprimerà propos du passé, tu aurais pu évoquer - en matière de gestion du temps, - l'ENORME pression des rites religieux, les prières qui régentaient la journée, auquels nul ne pouvait échapper, sous peine de brûler en enfer.
RépondreSupprimerles cloches qui appelaient à la prière plusieurs fois par jour (angélus matin, midi, soir)
le dimanche : messe le matin, vêpres l'après-midi, adoration du Saint-Sacrement le soir.)
et hop ! Tous à l'église !!
Etc. etc...
Je pense aussi à la messe obligatoire le matin à 5 H et 6 heures dans les entreprises du patronat chrétien du Nord. le textile notamment. (dans la chapelle de l'entreprise sur le lieu de travail) Et, présents, au premier rang, le patron et les contremaîtres qui pointaient chaque ouvrier.
(c'est évidemment en dehors des heures de travail... Ça va de soi...)
tout compte fait...
Je crois que je préfère maintenant...
Bonsoir,
RépondreSupprimerla dernière phrase me rappelle Cabrel, la musique est un excellent dérivatif pour s'occuper l'esprit, pour s'évader seul ou mieux, avec quelques amis. Tu joues de la guitare?
Et si le temps était vraiment élastique, alors un jour il pourrait se rétracter et repartir en s'accélérant vers l'origine (2001 l'odyssée de l'espace).
Bonne soirée
Normal, ce sont deux vers de Cabrel que j'ai repris c'est vrai, j'aurais dû citer ma source...Oui, je joue de la guitare . Avec ton pseudo tu dois être musicien toi aussi, non?
RépondreSupprimerCertains savant pensent que le temps est élastique, et que l'univers se contracte et se rétracte successivement...
Bises