26 mai 2024

Lettres du Japon (6) Kyoto

 


Kyoto, malgré des sonorités très voisines, n'est pas la sœur jumelle de Tokyo. Un million et demi d'habitants contre quatorze millions. C'est une ville beaucoup moins grande, plus ouverte, moins polluée sans doute, entourée de collines boisées. Bien sûr, deux jours ici ne nous donneront qu'une impression d'ensemble, il faudrait une vie pour explorer toutes les richesses d'un endroit, et encore, cela ne suffirait pas. La vie y semble (mais ce n'est peut-être qu'une impression), moins écrasante qu'à Tokyo. Les buildings y montent moins haut, peut-être, à part la célèbre tour de Kyoto, face à la gare du même nom. 
Aujourd'hui, nous commençons par nous plonger dans une tradition ancestrale et un peu mystérieuse : la cérémonie du thé.
Pénétrez avec moi dans ce petit salon où les sièges forment un cercle. Deux jeunes maïko, ou apprenties geishas, nous accueillent en kimono traditionnel. Elles ont fait une des écoles du thé appelées au départ San-Senke mais qui se sont ramifiées en dizaines d'écoles modernes. 

Les gestes, eux, gardent toute la profondeur et le codage rituel depuis des siècles. Essuyer le bol avec un chiffon rouge plié en trois de façon invariable, ouvrir le couvercle de la bouilloire, tremper la hishaku (longue louche en bambou, rappelez-vous, je vous en ai déjà parlé), reposer la louche délicatement, toujours dans le même sens, verser l'eau, verser la poudre de thé. Battre le breuvage vigoureusement en décrivant des « M» avec un chazen,  petit fouet à matcha, en bambou également. Jusqu'à obtenir un breuvage épais et mousseux d'une belle couleur verte. 
Ensuite, prendre le bol que l'on vous tend, d'une main, soutenir fermement le bol dans l'autre main, faire tourner lentement le bol dans le sens des aiguilles pour orienter le motif de la porcelaine vers autrui. Boire trois gorgées. Reposer le bol. Recommencer jusqu'à la fin, signifier que l'on a terminé par un petit bruit de bouche particulier. Conseil célestinien : oubliez que c'est du thé. Imaginez plutôt une soupe à l'oseille tiédasse, pleine de bons nutriments pour la peau et la digestion. Anti-oxydants, vitamine C... et vous arriverez peut-être au bout du bol sans trop de dommage.
Concentrez-vous sur la magie de ce moment hors du temps, un partage quasi mystique orchestré par une douce prêtresse emballée tel un bonbon rose dans du papier de soie.
Sinon, vous ne retiendrez que le goût infâme de la mixture et ce vert qui colore votre sourire pendant quelques minutes.

La visite des Torii de Fushimi Inari est sans conteste un des moments les plus exceptionnels à vivre dans ce voyage fabuleux. Les torii sont ces portes sacrées en forme d'idéogramme, présentes à l'entrée de tout temple ou jardin zen qui se respecte.
En général, on en trouve une, deux, parfois un peu plus.
A Fushimi Inari, il y en a près de dix mille, à la vive couleur orange, aux inscriptions noires, dont les alignements forment de gigantesques tunnels, escaladant la forêt, sous lesquels se pressent des milliers de touristes. A cette heure tardive, ils sont un peu moins nombreux, mais l'heure de la fermeture abrège notre expérience et nous finissons au pas de course. On se prend à philosopher sur l'étrange folie exponentielle qui a saisi ces bâtisseurs, au point de ne plus s'arrêter d'en construire. 
Regrettant d'avoir passé trop de temps à boire nos infusions d'épinards, et pas assez pour s'imprégner de la force spirituelle de ce lieu hors-norme. Ainsi en va-t-il des voyages organisés, quand ils ne le sont pas par nous. Le timing n'est pas forcément celui que l'on aurait choisi.

Le soir, après un délicieux repas dans un restaurant traditionnel, nous montons admirer Kyoto by night du haut de la susdite Tour de Kyoto. De là-haut, à la verticale, le paysage ressemble à ces tapis de jeux pour enfants où sont dessinés des routes et des carrefours. Mais la plus belle vue donne sur le grand délire architectural que représente la gare de Kyoto. Hara Hiroshi est le concepteur fou de cet ensemble démesuré, aux lignes élancées et audacieuses, dans lequel on peut passer des heures à admirer les détails, les porte-à-faux géniaux, les poutres d'acier et de béton, les étages ouverts sur la ville, formant de petits quartiers particuliers à l'intérieur de l'ensemble. Sans compter le jeu des lumières, la « skyline » passage suspendu au-dessus du grand hall, et l'harmonie parfaite des couleurs. Un écrin de choix pour le Shinkansen, le TGV japonais au museau pointu... Mon fils et sa compagne, tous deux architectes, auraient adoré cette visite.
Sur le parvis, l'ambiance est extraordinaire. Une foule bigarrée, cosmopolite, de la musique, des jets d'eau multicolores.
Un des rares endroits qui restent vivants après 21 h... Car les Japonais se couchent vraiment tôt.

(à suivre)





















3 commentaires:

  1. Eh oui, c'est sans doute pour ça qu'Émilie organise son programme elle-même, programme qu'elle fait enregistrer au ministère des affaires étrangères. Tu en veux une copie ? :-)

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  2. Quelle déception ce thé ! ;-)

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  3. Elles sont bien jolies ces japonaises avec leurs costumes traditionnels ! Il semblait faire chaud et donc ces tissus enveloppants doivent être pénibles à supporter !
    Oh, le thé, j'attendais autre chose qu'une soupe verdâtre même avec ces petits gestes un peu passés de mode, je suppose. Heureusement tu ne lui as pas ri à la figure mais tu devais en avoir envie Célestine !
    Mes amis anglais même si ils ne sont pas fins cuisiniers font mieux !
    Je reconnais que nous sommes allergiques aux voyages organisés avec nos habitudes un peu rebelles !
    Bisous merci pour ces belles photos !

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Je lis tous vos petits grains de sel. Je n'ai pas toujours le temps de répondre tout de suite. Mais je finis toujours par le faire. Vous êtes mon eau vive, mon rayon de soleil, ma force tranquille.
Merci par avance pour tout ce que vous écrirez.
Merci de faire vivre mes mots par votre écoute.